mercredi 20 novembre 2019

Le goût des hôtes

Accueillant dans ma gentilhommière (maison de campagne d’un homme gentil…) poitevine quelques hôtes weekendisants dont l’heure d’arrivée vespérale était plutôt imprévisible, j’avais cédé à la facilité. Le cœur de ce repas froid consistait en des ready-mades : des tranches de magret de canard farci de foie gras et de magret séché que j’avais disposées plus ou moins harmonieusement sur un plat. Un quatuor de tomates cerises déshydratées et un jeté de feuilles de persil frisé s’évertuaient par leurs touches de couleur à conférer un peu de vie à cet alignement de gisants.

magrets séchés, foie gras
Magrets de deux façons


Pour accompagner ce plat, j’avais fait cuire un sachet de lentilles vertes tout aussi locales que mes canarderies d’un petit producteur - mes invités ne s’étant pas payés 350 km d’autoroutes et de départementales pour voir arriver sur la table du Labeyrie ou de la Comtesse du Barry pas plus que des lentilles du Puy, si bonnes soient-elles. J’en avais confectionné une salade en les arrosant d’une vinaigrette constituée d’un mélange d’huile d’arachide et d’huile de chanvre, de vinaigre de Xérès, de traits de balsamique blanc, de jus de citron et relevée de quelques gouttes de Tabasco. Je l'avais agrémentée de lambeaux de l’oignon blanc ayant participé à la cuisson. S’y ajoutait le parfum de tours de moulin de poivre rouge et de Voatsiperifery. Je dois avouer que le résultat était délectable, et que pour une fois le légume a relégué la viande au second plan…

lentilles vertes
Lentilles vertes poitevines


Je revendique mon droit à la paresse, mais quant à elle ma moitié n’avait pas fait les choses à moitié. Elle avait réalisé un savoureux cheesecake revêtu d’un vivifiant topping au citron selon une recette du blog La cuisine de Bernard.

https://www.lacuisinedebernard.com/2011/01/le-cheesecake.html

La présence dans chaque supermarché d’un rayon consacré aux produits anglais pour répondre à la demande des fils et filles de la perfide Albion qui ont envahi notre Aquitaine, qu’elle soit Nouvelle ou Ancienne, nous a permis de nous procurer aisément les biscuits Digestive. En revanche un balayage de toutes les ressources potentielles dans un rayon de 20 km s’est révélé infructueux pour l’acquisition d’un moule de 23 cm de diamètre. Il a donc fallu se résigner à utiliser le vieux moule de 24 cm, ce qui a conduit à un gâteau un peu moins épais que la norme…


Il me faut maintenant me lancer dans une confession douloureuse, mais nécessaire par souci de vérité.

La recette imprimée du cheesecake était posée sur la table devant laquelle j’étais installé, les yeux fixés sur l'écran de l'ordinateur, absorbé que j'étais par des recherches sur Internet...
Soudain j’entends, provenant de la cuisine où Madame s’affairait, jaillir cette question : « Les dix minutes à 200 °C sont passées, je ne me souviens pas du temps pour les 90 °C… ». Je balaye rapidement la feuille d’un regard distrait et lance, péremptoire :
« Ah oui, je viens de trouver, ce sont deux heures.
- Hum, ça me semble un peu long.
- Bof, il s’agit de cuisson à basse température… »
Et c’est parti pour 120 minutes de doux ronronnement du four. Puis le cheesecake est enfin sorti, mais n’est pas encore démoulé. La confection du topping, c’est pour le lendemain, le gâteau doit séjourner 24 heures au réfrigérateur avant de passer à cette étape. Mais Madame est d’un caractère anxieux, elle tient à s’assurer qu’elle n’a rien oublié pour cette première étape et que tous les produits sont disponibles à la maison pour la phase finale future. Deux minutes plus tard l’impression de la recette me revient, brandie sous mon nez par une pâtissière furibonde.
« Bravo, on peut te faire confiance ! Regarde, lis bien et relis encore. Voici le texte tel qu’il est écrit noir sur blanc par Bernard : "laisser cuire au four pendant 10 minutes à 200 °C puis baisser la température à 90 °C et cuire pendant 30 minutes. Le cheesecake est à ce stade figé sur les côtés, et un peu tremblotant au centre. C’est exactement ce que l’on recherche ! Laisser refroidir le gâteau à température ambiante dans le four. Cela prend environ deux heures !"
Pendant trente minutes à 90 °C, trente minutes, oui Môssieur, et non pas deux heures. Tu as saboté mon dessert avec ces deux heures de trop ! Honte à toi ! »
Je me sens un peu penaud, mais tente néanmoins d’élaborer une timide défense.
« Ben, ben… Ben, c’est la faute de Bernard ! Y a pas idée de mettre des points d’exclamation partout dans l’écriture d’une recette ! À moi aussi, deux heures ça m’a paru un peu long, mais comme c’était suivi d’un point d’exclamation, j’en ai déduit que Bernard lui-même était impressionné par cette durée que lui avait imposée l’expérience. Et puis l’œil attiré par cette description pleine de vie d’une gelée tremblotante s’est nourri de cette image, et la rêverie induite m’a fait omettre inconsciemment la notification d’un chiffrage de process d’une froideur toute technicienne. J’ajouterai, sans vouloir pour autant accabler ce pauvre Bernard qui me semble plus compétent en cuisine qu’en littérature vulgarisatrice, que le terme température ambiante s’applique généralement en cuisine comme en œnologie à la température de la pièce où le cuisinier se fait suer, le beurre se fait ramollir et le vin se fait chambrer, et non à celle de l’intérieur d’un four dont de plus il omet de rappeler qu’il était déjà éteint - oubli fâcheux qui m’a empêché de m’apercevoir de mon dérapage lors de ma lecture rapide. Mais fi donc de ces considérations critiques, j’en reviens à ce qui m’importe le plus, te rassurer… Eh bien, à mon avis, tu peux rester sereine. D’abord je tiens à souligner que le réglage du thermostat à 90 °C n’implique pas que le four passera immédiatement à cette température interne. Je suis persuadé que les bilans thermiques ne diffèrent pas d’une façon catastrophique et que le résultat final ne sera pas notablement entaché par ma bévue, la précision temporelle n’étant pas d’une rigueur extrême pour les cuissons en dessous de 100 °C, d’autant plus qu’un récipient destiné à maintenir une atmosphère humide avait été placé dans le four.
Rien n’est perdu, fors mon honneur !
- Puisses-tu avoir raison… »
L’après-midi du lendemain le cheesecake était démoulé et débarrassé de ses sous-vêtements de papier sulfurisé avant d'être recouvert du topping. Il n’apparaissait nullement desséché et ne semblait même pas être victime d’une surcuisson. Mais le verdict final ne saurait être rendu qu’au moment de la découpe, en fin de repas…
Eh bien la tranche était bien moelleuse, chaque cuillerée fondait dans la bouche.

cheesecake, topping
Dites  "cheese" !


Sans rancœur… Merci Bernard !


Le jour suivant, guère plus d’investissement de ma part.

Pour régaler les convives sans y consacrer trop de temps, je me suis contenté de mettre à rôtir un gigot d’agneau de la Gâtine poitevine.

gigot
Dodu


Je l'ai servi tranché et posé sur un lit de cresson avec dans une saucière son jus de cuisson parfumé par les herbes du jardin - ou plutôt de la cour devant la cuisine.

gigot
Retour à l'herbage


Mais surtout pour l’accompagner je me suis contenté d’ouvrir un bocal de mogettes déjà cuisinées et de le réchauffer en ajoutant une noix de beurre.


Même pas honte, car chacun m‘a fait des compliments pour la cuisson de mes haricots avant que pris de remords je ne fasse aveu de ma conduite flemmarde. D’ailleurs, si je ne m’étais vu tournant discrètement le couvercle, je crois bien que je me serais laissé abuser moi-même par ces mogettes IGP Label Rouge aussi fondantes et goûteuses que si je m’étais consacré personnellement à leur préparation, me privant pendant ce temps de la compagnie de mes hôtes.

Et j’espère bien qu’ils ne sont pas venus que pour la bouffe !

mardi 12 novembre 2019

Le thème RILLETTES DE TOURS, faut l'clore

Je déambulais dans le supermarché Leclerc de Chinon, où je m'étais rendu afin d’acheter les 2 piles CR2032 destinée à combler la voracité de ma balance de cuisine (complètement taré, c’modèle là !) que j’avais eu la bêtise de me procurer en grande surface, alors que pourtant je n’ignore pas que par ce biais j’ai dans ma panoplie un économe qui s’effondre à la vue de la première patate venue, une râpe qui tournicote vainement en effleurant le sujet, un tranchelard qui a du se reconvertir en tranchebeurre (et encore qui ne parvient à ses fins que si le Surgères est à température ambiante…).
Ce couple de piles me remettait en mémoire la mésaventure du regretté Pierre Desproges qu’il avait narrée avec tant de verve…



M’émerveillant en mon for intérieur de la miraculeuse adéquation entre mon besoin et le conditionnement, je tombais néanmoins en arrêt devant une corbeille d’osier tressé. Une inscription avait attiré mon attention (eh oui, mon cerveau se vante d’être multitâches, contrairement à Gerald Ford je pourrais marcher et mâcher du chewing-gum en même temps si toutefois un tel agissement, fort peu probable en ce qui me concerne, me venait à l’esprit) : une étiquette plantée en son sein affichait en grosses capitales tracées négligemment avec la rusticité adéquate : FOUÉES.
Quoi de mieux pour y étaler le reste de mon pot de rillettes de Tours et honorer ainsi Rabelais ?
Néanmoins les sachets contenaient une bonne douzaine de ces petits pains ronds. Beaucoup trop pour mon usage ! À la caisse je n’allai pourtant pas le jouer à la Desproges en requérant l’ouverture du pochon pour en prélever une paire… À ma requête ne serait aucunement enclinée l’hôtesse-fouacière, mais, que pis est, m’outragèrait grandement, m’appelant brèche-dents, plaisant rousseau, fainéant, rien-ne-vaut, rustre, malotru et autres telles épithètes diffamatoires, ajoutant que point à moi n’appartenait manger de ces belles fouaces, mais que je devais se contenter de gros pain ballé et de tourte.
Ne voulant pas déclencher une nouvelle guerre picrocholine, d’autant plus qu’un passage par Lerné m’avait permis de constater que, telle Le Havre après les bombardements, cette bourgade avait été depuis parfaitement reconstruite



 j’ai préféré opter pour une solution alternative. Trop de fouées - ou pas assez de rillettes ?

Je suis donc parti à la recherche du pot qui me permettra de tartiner à souhait. Pot de rillettes - de Tours, of course. Of course, mais pas of courses chez un Leclerc, fut il chinonais. Car partout en évidence des pots de rillettes du Mans de marques diverses, de Connerré, primées, pas primées, à l’ancienne, d’oie, de canard et même - horresco referens - de poulet. Mais de rillettes de Tours, point. Je commençais à désespérer devant cette confirmation que nul n’est prophète en son pays quand tout à coup je tombai sur deux petites rangées presque cachées de pots arborant le label IGP. Deux producteurs différents, mais chacun insistant lourdement sur l’apport en oméga 3, ce qui d’ordinaire aurait tendance à me faire fuir, non pas tant en raison de cette présence somme toute plutôt bénéfique, mais à la lecture de ce discours mercantile qui veut remplacer un plaisir gustatif tout simple par une odieuse absorption de pharmacopée.
Cependant j’ai réprimé ce premier mouvement de répulsion, me disant qu’après tout qu’importe le flacon si l’on a l’ivresse. Quelle marque retenir ? Les deux mon général…


Et c’est ainsi qu’après une solennelle dégustation d’une fouée passée au four garnie du reste de l’excellente brune confiture de cochon artisanale

fouée, fouace, rillettes de Tours


j’entreprends de tester mes deux produits labellisés.

Quelle déception. Voyez plutôt :



Ah, zut, j’ai oublié d’enlever le couvercle…

Voilà, c’est chose faîte :

rillettes de Turs IGP
Sous le couvercle, l'IGP


Pâlichon, n’est-ce pas, et trop haché. Quant au goût, il ne vaut guère mieux. Fadasse, presque écœurant. J’en viendrais à leur préférer des rillettes sarthoises bien nées…
Franchement, avec de telles troupes en première ligne, Tours aura bien du mal à gagner la bataille des rillettes. Rabelais doit se retourner dans sa tombe…

Tout comme l'habit ne fait pas le moine, l'IGP ne fait pas le produit. Je m'ensouviendrai.

lundi 4 novembre 2019

Régionalovore, encore

Poursuite dans la lignée régionalovore avec ces rillettes de Tours que :



rillettes de Tours
Ma tartine du soir...

Cette préparation, si prisée par quelques gourmands, paraît rarement à Tours sur les tables aristocratiques ; si j’en entendis parler avant d’être mis en pension, je n’avais jamais eu le bonheur de voir étendre pour moi cette brune confiture sur une tartine de pain ; mais elle n’aurait pas été de mode à la pension, mon envie n’en eût pas été moins vive, car elle était devenue comme une idée fixe...

Ben pour moi comme pour Balzac, cette préparation est devenue une idée fixe. Mais pour d’autres raisons…
Elle paraissait souvent sur la table non aristocratique de ma grand-mère, dans des pots en carton paraffinés achetés dans l’épicerie tenue par ma marraine. On y découvrait un enchevêtrement de filaments d’un brun foncé, presque noirs, qu’un peu de graisse translucide avait bien du mal à agglutiner. Un concentré de réactions de Maillard qui fondait dans la bouche… Je me souviens que ce délice était produit par la maison Mirault, aujourd’hui disparue. Je n'ai jamais plus retrouvé les sensations exquises que me procurait cette confiserie porcine. Le seul vestige de cette ére révolue que j’ai pu découvrir est un pot – vide – d’époque tardive, vraisemblablement du règne pompidolien, vendu par un rilletovasophile sur Ebay.



Eh oui, depuis cette disparition, je n’avais jamais eu le bonheur de voir étendre pour moi cette brune confiture sur une tartine de pain, ni même de me l’étendre tout seul, les charcutiers tourangeaux décadents ou défaitistes étant passés sous la domination culturelle de la pâlichonne et molassone rillette du Mans durant une période que j’appellerai les Trente Honteuses.

Dieu soit loué, la rillette de Tours est devenue tendance –  la distinction bourdieusienne  a parfois du bon – et la rillette d’Indre-et-Loire prend de plus en plus de hâle non seulement avec l’aide d’arôme Patrelle mais surtout par une cuisson plus longue afin de séduire le foodiste de passage.
C’est ainsi que j’ai pu recouvrir un quignon de baguette fendu d’une épaisse couche de rillettes qui, certes, ne parvenaient pas à assouvir entièrement mes fantasmes, mais qui méritaient leur dénomination de rillettes de Tours. Ce qui n’est pas vraiment le cas de celles d’une vieille maison vouvrillonne ayant hélas changé de mains, dont le goût n’est pas mal du tout, force m’est de le reconnaître, mais dont la couleur pas assez sombre et la texture trop hachée, presque mixée, n’ont rien à voir avec une brune confiture de cochon, et qui pourtant furent médaillées au Salon de l’Agriculture…

Après tant d’années arriverait-on enfin à bon porc?



mercredi 30 octobre 2019

Bernache : baisser de rideau

Eh oui, je ne puis me remettre devant une telle table : la saison de la bernache est terminée.



bernache, châtaignes
Au diable les regrets...


Seules restent les châtaignes…
Mais aussi les fromages de chèvre achetés sur les marchés aux éleveurs, comme ceux qui composent cette assiette, sainte maure du Richelais avec sa paille, ainsi que bûche, chabichous - avec ou sans poivre - du Mirebalais, quand même moins bons qu’à la fin du printemps.


fromages de chèvre
Tirons le vainqueur à la courte paille


On les fera désormais descendre avec un bon chinon blanc : après tout, c’est une bernache qui a su atteindre l’âge adulte…

Pas parti en vrilles !

J’ai réchauffé la tarte-récup, constituée du reste de garniture et des chutes de pâte feuilletée que j’avais étendues après la confection de ma tourte vrillée au champignon.

tarte, duxelles de champignon
Où j'ai dévrillé...


Ce qui au départ n'avait été créé que dans le cadre d’un souci de bonne gestion, et dont l’aspect peu glamour n’avait rien d’enthousiasmant, s’est révélé être un pur régal. Partis à reculons pour liquider ce reste, nous l’avons terminé avec un goût de trop peu dans la bouche !

Certes, la tourte vrillée était fort bonne, mais la duxelles de champignon améliorée n’y jouait qu’un rôle de garniture. Pour cette tarte, en revanche, elle joue la vedette, le fond de pâte n’étant que la scène sur laquelle elle s’exprime.
Et ça, s’exprimer, elle le fait bien.
Une retraite au frais durant 24 heures lui a permis de s’améliorer en peaufinant les alliances et en
acquérant de la rondeur.

Pourquoi ce mélange a si bien fonctionné ? Quelques pistes me viennent à l’esprit :

-Le fait d’avoir laissé quelques tranches de champignon émincé a permis d’obtenir une caramélisation de ces îlots émergeant par endroits de la surface de la garniture.
-L’ajout des tomates déshydratées, donc de haut goût, cependant encore moelleuses, a conféré à la fois une note sucrée et une pointe d’acidité, sans oublier le bon parfum de ces fruits de jardin qui se marie bien avec celui des champignons de Paris.
-Les gouttes de Tabasco rouge déposées sans timidité ont rehaussé le mélange en titillant les papilles.
-Enfin le parmesan a assumé sa fonction d’exhausteur de saveurs, s’ajoutant au rôle de liant de la béchamel…

Un seul regret, je ne retrouverai jamais cette perfection à l’identique, car les proportions ont été définies au feeling. Mais après tout, n’ayant pas une clientèle à satisfaire, je puis me permettre une cuisine aventureuse qui autorise les joies de la découverte innatendue au prix de parfois quelques déconvenues...

lundi 28 octobre 2019

Cuisine de frigo

Il me restait des champignons de Paris – nés dans le Maine-et-Loire… - achetés pour un projet culinaire qui ne s’était pas concrétisé et qui se morfondaient au fond du frigo. Non loin, deux plaques de pâte feuilletées préparée par un traiteur, rescapées d’un trio dont le premier individu avait servi à réaliser une tarte fine en la couvrant de lamelles de pommes, se rapprochaient dangereusement de leur DLC. Quand je vis à la télévision un boulanger se lancer dans la confection d’une tourte vrillée dans son challenge d’intégration de champignons avec l’espoir que son établissement progresse vers le titre de Meilleure boulangerie de France, l’illumination m’est venue…


C’est donc décidé, je passe à l’action !
Je hache la majorité des champignons, en réservant environ un cinquième que je me contente de ciseler afin de conférer un peu de mâche. Je cisèle une grosse échalote cuisse de poulet.
Je peux me lancer dans la confection de la duxelles :
Je fais suer l’échalote dans une bonne noix de beurre, puis ajoute les champignons ainsi qu’une branche de romarin et une feuille de lauriers que je retirerai après cuisson. Les échappés de cave saumuroise puis de bac à légumes évacuent leur eau sur une flamme moyenne, puis je baisse le feu et laisse évaporer sous un couvercle légèrement entrouvert en brassant délicatement de temps en temps. Eh oui, je ne suis pas certain de maîtriser vraiment le geste auguste du sauteur de poêle ni même de sautoir (pourtant c’est étudié pour…). Quand il ne reste pratiquement plus de liquide, j’éteins et réserve, assaisonnant de fleur de sel et de poivre rouge du moulin.


duxelles, tourte vrillée
Duxelles sera toujours Duxelles


Je passe ensuite à la confection d’une béchamel épaisse dans laquelle je fais fondre du parmesan que je viens de râper. J’incorpore cette sauce à ma duxelles.


tourte vrillée
Avec l'onction de la béchamel


Je relève le mélange de gouttes de Tabasco.
Je goûte. Il me semble qu’il manque un ingrédient pour fournir un plus de vivacité à cet appareil un peu endormi avant d’en farcir ma tourte…
Une solution me vient à l’esprit. Dans un coin du frigo un sachet de tomates cerises du jardin que j’avais déshydratées et mises sous vide attend que j’en fasse bon usage. J’en prélève la moitié que je découpe grossièrement avant de l’introduire dans ma garniture.


tomates déshydratées
Eh oui, déshydratées !


Je goûte une nouvelle fois. Bingo ! La saveur et la texture sont nettement améliorées, il me suffira de rajouter une pincée de sel ainsi qu’un tour de moulin de poivre, et ce sera parfait - ou au moins presque parfait du subjectif.

Le plus délicat reste à faire : le montage.
J’étale une des plaques de pâte feuilletée et y découpe un disque avec une assiette en guise de gabarit. C’est un peu trop petit à mon gré, mais je n’ai pas de cercle plus grand sous la main et la seule plaque de cuisson dont je dispose ici est elle-même de taille restreinte. Je recouvre de ma duxelles améliorée jusqu’à 1 cm du bord. Il me reste de cet appareil, alors j’en tartinerai les chutes de pâte rassemblées et étalées pour obtenir une sorte de tarte.
Je réserve ce disque garni au frais le temps de produire son couvercle à partir du second rectangle de pâte feuilletée.
Je coiffe en ajustant bien les bords, que je scelle à l’aide des pointes d’une fourchette. Je cherche un verre suffisamment étroit pour, une fois placé au centre, me laisser assez d’espace pour après découpe obtenir des branches d’une longueur suffisante pour les torsader.
Je découpe suivant les rayons pour obtenir douze branches autour du disque central préservé sous sa cloche de verre que je retire après l’opération. Je tente un premier vrillage qui confirme ma crainte de ne pouvoir effectuer qu’une seule rotation mais surtout me montre que la chaleur ambiante – le four est en préchauffe – a rendu la pâte trop molle pour être manipulée sans risque de déchirure ou tout au moins d’élongation intempestive. Alors j’introduis ma tourte fendue mais pas encore vrillée dans le congélateur pendant quelques minutes que je mets à profit pour préparer ma tarte de récup annexe.
Je sors la tourte, c’est bien, la pâte n’est pas devenue cassante mais a pris de la tenue. En faisant vite, ça devrait pouvoir aller. Et effectivement je parviens à réaliser mes mono torsades sans encombre.
Je remets au congélateur.
C’est bon, je vois que les 180 °C sont atteints et que le témoin du thermostat n’est plus allumé Je sors la tourte vrillée de son antre glaciale, la barbouille de jaune d’œuf étendu d’eau et l’enfourne. Elle restera 25 minutes dans ce four avant d’en sortir bien dorée.


tourte vrillée, champignons
Fait comme un Râ


Je suis plutôt content du résultat, même si le jury qui accusait le candidat de manque de perfection dans la finition m’accablerait sans doute de ses sarcasmes devant mon approximation.

Mais une chose est certaine, quand, après avoir laissé tiédir, nous dégustons les pièces arrachées du moyeu central : c’est que c’est très bon.


tourte vrillée, tarte en étoile
Bien en bouchées


La garniture est encore plus savoureuse après cuisson, les flaveurs s’étant entremêlées dans un équilibre jouissif pour les papilles, et la pâte feuilletée apporte le croustillant nécessaire.

Mon valeureux frigo, bien que presque trentenaire, sait se montrer un coffre aux trésors insoupçonné. Mais il faut quand même y mettre un peu du sien…



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jeudi 24 octobre 2019

La ferme !

Fermes dans le Haut Poitou…

L’une à une trentaine de kilomètres de ma maison : un éleveur de charolaises.


Son troupeau


L’autre à une quinzaine : un éleveur de volailles.

Sa troupe


Je vais donc me lancer dans la proxivoracité par le biais du magasin de producteurs local.

Pour commencer, une côte de bœuf. Je ne suis pas très porté vers la race charolaise, en raison de son manque de caractère gustatif et la faible présence de gras. Il me semble que ses qualités bénéficient surtout aux éleveurs. Mais, pour une fois, pourquoi ne pas me donner l’occasion de tenter de réviser mon jugement ?


Côte, charolaise
Belle, mais maigre...


Pas de barbecue, le temps ne s'y prête pas. Je saisis sur les quatre faces la côte, remise à température ambiante et salée généreusement, dans la poêle striée placée sur un feu vif sans excès – ça se traumatise si facilement, ces grosses bêtes – avant de la laisser une dizaine de minutes au four à 160 °C.
Puis je la laisse reposer sur une planche, toute nue sans couverture d’alu afin d’éviter que la croûte maillardesque ne se ramollisse.


charolaise, côte de boeuf
Sur la planche


Quelques minutes plus tard, après avoir donné des tours de moulin de poivre rouge et parsemé de 99, non, pardon, qq grains de fleur de sel, je procède à la découpe.


côte de charolaise
Je coupe et je recoupe


La viande est relativement tendre, il n’y a pas trop de déchets à écarter dans le coin de l’assiette, mais c’est ce que je craignais : avec la charolaise, la chair est triste.
Mais au moins je pourrai être décoré du mérite proxi-agricole !


Un peu plus tard, mon poulet du dimanche. Pour une fois, pas pal ; tout simplement parce que mon pal est resté en ville…

Comparée à mes poulets des Landes ou du Gers achetés chez le volailler – je ne parlerai pas de ceux de Bresse qui jouent dans une autre cour – et même ceux de supermarché, la bête m’apparaît plutôt étique. Surprise, surprise, quand je la soulève de la barquette sur laquelle elle gît, je constate qu’elle a conservé son cou et sa tête. Ce serait un plus si je voulais la faire en sauce, et certains ou certaines de mes aïeux s’en seraient régalés en extrayant la cervelle et en en grignotant la crête, mais je suis parti pour un poulet rôti, alors il me faut opérer. Je garderai cependant le résultat de cette décapitation pour parfumer le jus au fond du plat qui va enrober les pommes de terre que je vais y poser. Soulagement, je sors du coffre un gésier et un foie parfaitement parés. Je passe vaguement la main à l’intérieur, ayant l’impression qu’il me manque quelque chose. Je ne trouve rien. J’oublie vite cette impression d’inachèvement et emplis d’ail, feuille de laurier, herbes, oignon blanc, poivres et noix de beurre demi-sel. Je découvrirai à la découpe que c’était le cœur qui me manquait (non pas celui à l’ouvrage, mais celui de ma volaille), démontrant ainsi que je suis un piètre palpeur et un chirurgien incompétent.
Je sale, étends le poulet dans le plat, l’entoure des pommes de terre agrémentées de deux gousses d’ail, d’une feuille de laurier et d’herbes, puis enfourne à froid. La cuisson dure une heure et quart, dont 20 minutes sur un flanc, 20 minutes sur l’autre flanc, 15 minutes sur le dos, introduction d’un verre d’eau et du gésier, 20 minutes sur le ventre, le foie n’étant posé que 8 minutes avant la fin de cuisson

Je défourne.


poulet fermier
Il m'a fait perdre la tête !


Je pose le poulet  sur une planche, et remets le plat avec ses pommes de terre au four à 190 °C le temps de découper l’animal.
Le poulet est bien goûteux, plus copieux que son apparence première ne le présageait, et la chair, particulièrement ferme – plus encore que celle de mes Label Rouge - sans être pour autant coriace prouve que ces gallinacés se sont particulièrement démenés sur leurs parcours. Un vrai poulet de ferme !
Ce poulet devrait être parfait pour une recette en sauce, et si je devais le servir une nouvelle fois rôti, je pratiquerais une précuisson dans un bouillon, ainsi que le pratiquait la patronne d’un petit restaurant périgourdin dont la remarquable cuisine me laisse encore un souvenir ému.
Les pommes de terre, fondantes à l’intérieur, se sont revêtues d’une coque craquante. Leur fécule a lié la sauce parfumée dont nous arrosons généreusement nos cuisses (enfin, celles du poulet, quoique la présence d’une serviette sur elles (enfin les nôtres, pas celles du poulet) ne soit pas une précaution inutile…).
Bref, dans ce cas, la proxivoracité paye.

Comme quoi le poulet peut se montrer plus fort que le bœuf !