mercredi 7 juin 2017

Les contes de ma mère Guez



J'ai failli mourir idiot. J'ai longtemps cru que la merguez était une saucisse originaire du Maghreb que les Pieds-Noirs avaient popularisée en France.
Fort heureusement j'aime me référer aux sources les plus sérieuses.

Et c'est ainsi que Wikipédia m'a débeurré les lunettes  : j'ai pu y lire, me documentant sur Jean-Louis Guez de Balzac, une information qui vraisemblablement interpellera les gastronomes. Je vous la donne telle quelle, sans la modifier ne serait-ce que d'un iota.

[...]Guez de Balzac, surnommé « le restaurateur[3] de la langue française », compte parmi les écrivains ayant le plus contribué à réformer la langue française[...]
3. ↑Il grandit au sein de l'auberge familiale, Chez la mère Guez de Balzac

C'est donc la mère de cet écrivain-académicien qui a créé ce produit bien avant qu'il nous revienne, après de longues pérégrinations, par un de ces ricochets si courants dans la géo-historiographie des mets. Quant aux lexicographes, ils ne manqueront pas de savourer ce glissement qui fait passer de saucisse de la mère Guez  à merguez tout court.


Je songeais à cette étonnante découverte en posant sur le gril une seizaine de merguez confectionnées avec compétence, épices parfumées et absence de colorant par le seul boucher proche de chez moi, un berbère qui doit être loin de se douter qu'une noble dame mère de l'auteur de Socrate chrestien avait au temps jadis été la première à effectuer les mêmes gestes que lui...


merguez, gril
La nouvelle mère Guez

Alors, en hommage à cette hacheuse d'agneau de Poitou-Charentes, j'ai décidé de remplacer la graine de couscous par des pommes de terres.
Après découpe et rinçage, je les ai fait dorer dans de l'huile d'olive au fond d'une cocotte. J'ai ajouté un poivron débarrassé de sa peau puis haché en brunoise, la pulpe de deux grosses tomates découpée grossièrement ainsi que des petits oignons blancs. J'ai pressé un citron jaune, j'ai arrosé d'un verre d'eau et de la moitié de ce jus. Pour parfumer, une feuille de laurier, thym et romarin, ainsi qu'une baie de poivre Timiz et cinq-six baies de cannelier. Quelques pincées de sel et de cumin moulu, et j'ai enfourné pour une trentaine de minutes à 160 °C. J'ai ajouté une cuillérée de gingembre frais râpé et une poignée de tomates cerises à mi cuisson.
Au moment de servir à la bonne franquette en posant la cocotte sur la table à côté des merguez et du pot de harissa, j'ai versé le reste de jus de citron et parsemé de feuilles de coriandre frais.


pomme de terre, orientale, poivron, tomate
Pommes de terre à l'orientale

Les invités ont validé cette recette improvisée à l'occasion de leur passage inopiné..
Il est vrai que l'ajout de citron aux pommes de terre qui m'avait été suggéré par le souvenir d'un plat du restaurant algérien voisin de mon ancien lieu de travail apporte une pointe acidulée fort plaisante...






mardi 6 juin 2017

Une araignée dans le citron

Dans le citron, c'est beaucoup dire, car seul un demi-citron voguait sur l'océan autour de l'île Araignée, balloté dans les remous au milieu d'une eau salée polluée d'autres épaves : feuilles de laurier, branchages de thym et même quelques piments, ce qui n'a rien d'étonnant en ces mers chaudes...

araignée de mer, cuisson
L'île Araignée



À marée basse, l'île s'est transformée en une belle araignée mâle.


araignée de mer
Les bras croisés



J'ai déjà exprimé mon faible envers les araignées de toutes sortes, je ne m'étendrai donc pas sur ce sujet. Je me contenterai de confirmer qu'avec un peu de mayonnaise et beaucoup de patience, la bête nous offrit un repas délectable.

dimanche 4 juin 2017

De l'influence de l'âge du comté sur le devenir d'un jeune haddock

Je me préparais à préparer * ce que dans ma famille on appelait Python salade (rien à voir avec les Monty python's "Salad days", il semblerait que cette dénomination provenait du nom d'un établissement dont ce plat était la spécialité ! Restaurant ou plus vraisemblablement Bierstub dont je n'ai pas pu retrouver la trace, et dont l'enseigne était peut-être un clin d'œil en référence avec le renommé Crocodile, toujours vaillant au poste quant à lui...). Je conserve cet intitulé, car il est quand même plus guilleret que le morne Salade gruyère et cervelas.

Mais voilà, après avoir dépouillé et entaillé les cervelas, je me suis aperçu que je ne disposais pas de l'emmental habituel, dans le frigo, uniquement deux morceaux de comté, l'un jeune, l'un vieux de 24 mois d'affinage. Alors tant qu'à faire, puisque j'étais écarté par force de la voie toute tracée, je me suis dit qu'il valait mieux s'en éloigner sans état d'âme et faire l'école buissonnière.
C'est donc le comté vieux que j'ai découpé pour le joindre aux cervelas.
Néanmoins, au regard (au nez?) de son goût puissant, j'en ai incorporé nettement moins que s'il s'était agi d'emmental. Misère, de plus le produit était très friable ! Impossible d'insérer une fine tranche dans chaque cervelas sans la casser... Bof, puisque ces aléas nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs. J'ai ajouté quelques brisures supplémentaires de mon propre chef.
Pour compenser l'aspect un peu gras et légèrement pâteux en bouche de ces deux produits réunis, j'ai appelé à la rescousse un oignon doux des Cévennes, un oignon qui peut se déguster cru sans avoir une rémanence papillaire postprandiale prolongée, mais capable cependant d'amener de la fraîcheur et un suave parfum supplémentaire. Des pétales de ce bulbe sont venues se joindre à la fête.
Une sauce composée d'une bonne cuillérée de moutarde douce alsacienne au Riesling, de six cuillérées d'huile de colza vierge produite par un artisan poitevin, deux cuillérées de vinaigre de cidre.
Une poignée de persil ciselé pour ajouter de la verdure..

Je pouvais apporter ma Python salade revisitée sur la table.

cervelas, vieux comté, oignon doux des Cévennes
Python salade revisitée


Et pour conférer une touche vivifiante et alsacienne (l'Alsace aime l'asperge, la produit tout en la gardant jalousement pour sa consommation locale, et la sert souvent pour accompagner des tranches de jambon) j'ai ajouté sur la table un deuxième plat.

asperges, Landes
Têtes d'asperges


Têtes d'asperges en provenance des Landes, malheureusement pas de Hoerdt -mais le grand écart avait déjà commencé avec les Cévennes...-, capables néanmoins de titiller le palais en cette période de chaleur entre deux bouchées de cervelas en salade.


Quel fut l'influence de ce vieux comté sorti de l'ombre sur le devenir d'un jeune haddock ?

Eh bien, c'est lui qui a déclenché l'introduction d'un oignon doux des Cévennes, et par conséquent sa découpe. Or un oignon entier, c'était trop pour la Python salade, le plat eut été déséquilibré. Il me restait donc le tiers du bulbe.
Le lendemain, c'était du haddock qui figurait au menu.
J'ai essayé de concocter une recette permettant d'utiliser ce Cévenol de dessus de panier. Impossible de laisser perdre un si bon produit, mettre le reste à la poubelle eut été indigne !

Le plus souvent, je me contente de pocher le haddock, et l'arroser de beurre fondu légèrement citronné, avec quelques pommes à l'anglaise à disposition sur la table.

Cette fois-ci, si le commencement fut identique -haddock dessalé trois heures dans du lait puis poché quelques minutes dans l'eau frémissante, j'ai ensuite réalisé un grossier écrasé (une écrasée ? j'ai un doute...) avec les pommes de terres cuites à l'eau, puis posé au milieu de cette préparation le haddock débarrassé de sa peau et plus ou moins déchiqueté .
Ecrasé et déchiqueté, ça devrait faire bon ménage !
J'ai posé une grosse noix de beurre au fond d'une casserole. Je l'ai fait fondre jusqu'à ce qu'elle devienne mousseuse, et j'y ai plongé le reste d'oignon doux des Cévennes haché et le tiers d'un bocal de câpres avec une partie du vinaigre. J'ai versé aussitôt sur le plat. Pour terminer, un tour de moulin de poivre noir.


haddock, oignon doux
Haddock à la cévenole



Présentation pas très glamour, mais nous  nous sommes régalés, les arômes de fumée du haddock s'accordant particulièrement bien avec la note un peu sucrée de l'oignon.
Les contraintes ont parfois du bon...!

* ... effet de style, mais oui mais oui !




samedi 3 juin 2017

Oeil pour oeil

Il a fallu avoir à l'œil le poissonnier. La dernière fois il a suffi d'une minute d'inattention pour qu'il écaille et surtout qu'il vide en jetant à la poubelle leurs foies de beaux rougets sans défenses.
J'avais donc été fort déçu en les sortant du papier qui les enveloppait dans le sac en plastique bleu...

En fait, pour les rougets de très petite taille, je préfère les traiter à l'état brut comme une petite friture, pour ceux de petite taille les écailler mais ne pas les vider -tout comme les sardines-, pour ceux de bonne taille, les vider en  réservant les foies mais en conservant les écailles qui formeront une croute protectrice.
Restent les vraiment gros où je n'exclue pas de lever les filets, réservant les foies pour une sauce.
Quant aux entre-deux, les rougets moyens, tout dépend de l'humeur du moment...

Cette fois-ci, j'ai bien mes deux rougets vidés simplement de leurs entrailles, et les foies sont bien présents. Je me contente de les saler, d'y introduire par dessus les foies thym, laurier et quelques grains de poivre, et de les poser sur un gril barbouillé d'un soupçon d'huile d'olive.

rougets foies
Rougets sur le gril

La cuisson se poursuit convenablement, je peux retourner les bestiaux....

rougets foies
Rougets retournés

Je me penche au-dessus du gril afin de jeter un œil vigilant sur l'avancée de la cuisson, quand j'entends un claquement sec voisin de celui d'un petit pistolet à air, et un petit projectile blanc me saute à la figure.
C'est un rouget qui lui aussi a voulu jeter un œil. Un œil méchant ! Dieu merci, il n'a pas atteint le mien.
Ah, la vilaine bête...

rouget
Coup d'œil



Cette manœuvre intimidatrice n'a pas porté fruit. Le tireur compulsif finit quand même dans mon assiette. Il me suffit de soulever la croûte formée par la peau de la pointe du couteau, et une bonne chair cuite à point comme dans une papillote apparaît. Sous les herbes, un délicieux foie imprégné de leurs parfums. Pas de sauce, juste un petit tour de moulin de poivre de Penja (on sait que je suis piperomane...), ne troublons pas trop la délicate subtilité du produit, respect comme on dit dans les banlieues !
Ah, la bonne bête...


rouget foie
Rouget assiette


Après, toujours dans la simplicité, des épinards dans lesquels je mets du beurre, puisque je le peux, alors autant en profiter...
Et comme je n'aime pas faire la queue, je la défais.

épinards queues
Ne pas  faire la queue


Phénomène étrange, ne pas faire la queue m'a pris du temps...
Je peux désormais faire tomber les feuilles - j'aurai ainsi l'épinard sans l'eau.


épinards
Plat d'épinards


Le plat arrive sur la table. Après le rouge, on est passé au vert. Parfait, l'épinard est pressé...




jeudi 1 juin 2017

Ceci n'est pas ma cuisse


Ceci est mon plat :


canard confit, mousserons, pommes à l'ail
Ceci est mon plat


Mais ceci n'est pas ma cuisse : je n'ai pas élevé le canard  dont elle provient.
Pas plus que je ne l'ai confite.
Je ne suis pas allé en forêt rechercher les mousserons arrivés frais sur mon plan de travail.
Je n'ai pas déterré les pommes de terre -pour une bonne raison, je ne les avaient pas cultivées.
Je n'ai pas arraché l'ail nouveau, pourtant encore si juteux.
Je ne me suis pas rendu au jardin afin d'y cueillir le bouquet de persil que je n'y ai pas fait pousser.
Je ne suis pas parti à Kâmpôt participer à la récolte du poivre.

Bref, rien de ce qui figure dans l'assiette n'est de moi !
Qu'ai-je donc apporté?

J'imagine les bonnes âmes, sensibles à mon désarroi, me ressortir l'antienne habituelle :
"Tu y as mis de l'amour...."

Eh bien non, je ne suis pas comme ces chefs médiatisés qui exhibent à qui mieux mieux leur amour plein de poêles !
L'amour ne se fait pas frire ou braiser...


Peut-être simplement ai-je ajouté au travail de tous ceux qui ont contribué en amont à la confection de ce plat mon propre travail.
Ce n'est pas de l'amour qu'il faut ajouter dans sa cuisine, c'est de la sueur !

Elles ont mérité leurs bonnottes

Oui,  ces gambas snackées rapidement sur la plancha avec un trait d'huile d'olive, et parfumées ensuite d'une persillade méritaient un accompagnement simple, mais à la hauteur de leur saveur.

Les bonnottes de l'île de Noirmoutier ont tenu ce rôle à merveille. Grattées légèrement à la brosse  puis soigneusement frottées et essuyées au torchon pour les débarrasser des lambeaux de.peau qui peuvent gâter le goût en cramant à la cuisson, elles ont d'abord été saisies à feu vif sur toutes leurs faces dans une cuillérée d'huile d'olive et une grosse noix de beurre (le Charente-Poitou s'imposait !), puis, feu baissé et couvercle posé sur la poêle, elles ont baigné dans  leur propre vapeur une quinzaine de minutes. Au moment de servir, il a suffi de découvrir et de donner un dernier coup de chaleur afin de rendre la peau légèrement croustillante.
Si l'on oublie le marketing éhonté qui accompagne l'apparition de ces tubercules sur les étals, il faut bien reconnaître que cette variété et sans doute aussi le support de culture aboutissent à un produit exceptionnel.
La cuisine embaumait du suave parfum dégagé par la cuisson...



gambas bonnottes Noirmoutier plancha

Les gambas et leur bonnottes
Hélas, je n'ai pas réussi à me procurer la bouteille de vin blanc de Pissotte que j'aurais eu plaisir à boire pour ce repas...

Et je dois encore me plaindre du livreur Intraflora qui, une fois de plus, m'a livré un bouquet minimaliste..

mardi 30 mai 2017

Les chasses du Comte Orloff

Le comte Orloff avait une grosse envie  de viande.

chasse du Comte Zaroff
Le vilain comte


Il serait bien parti à la chasse, et il me tirait par la manche. Son projet était de se payer un des visiteurs lâchés par un quelconque accompagnateur touristique dans le parc du château royal, plutôt que de rester échoué sur les rivages de l’îlot viande des Halles.
Sur le fond, je ne lui aurais pas donné tort, mais voilà, gastronomiquement parlant, je suis peu porté vers la viande humaine.

Alors j’ai développé des trésors de diplomatie afin de le ramener à la raison, utilisant les armes les plus sournoises de la dialectique.
« Comte, vous  vénérez le Général...
-Certes, mais..
-Le Général a dit que les Français étaient des veaux.  Le fin algébriste que vous êtes ne peut nier que si  Français = veau, la proposition veau = Français est aussi vraie. Donc si  vous avez dans votre assiette du veau, vous avez du Français. Le Français, ce qui se fait de mieux, le E dans le classement EUROP ! Alors..
-Je réfuterai votre raisonnement en répliquant que les touristes ne sont pas des Français !
-Tss, tss, dans la lunette de votre carabine, vous eussiez tout juste pu identifier un Bavarois en culotte de peau sous son bitos à plume, une jeune Japonaise avec sa jupette bleu marine, son chemisier blanc et son teint jaune, un Américain crachant son chewing-gum sous l’ombre de son stenton, tiré par son épouse dont le short rose parvient avec peine à contenir le gros fessier, un Russe avec la liasse de dollars dépassant de sa poche, un jeune Roumain qui louche vers cette poche... Et encore sans certitude : le Français vagabonde aussi beaucoup dans ces sous-bois et se démarque peu du touriste tout-venant, tout comme il arrive que le touriste étranger parvienne à se donner une apparence française, croyez moi, il y en a même qui se camouflent par le truchement d'une baguette et d'un béret…
En cette époque de mondialisation, vous n’allez tout de même pas faire la fine bouche !
Croyez-moi, le veau fera l’affaire.
-Mais moi, je veux du sanguinolent…
-Qu’à cela ne tienne, on rajoutera un peu de Bacon.

Francis Bacon
Du Bacon

-Mais…
-Il n’y a pas de mais ! Tenez, comte, je serai bon prince.  Afin d’honorer votre titre, je vais ajouter un comté. Ce ne sera pas, j’en conviens, le comté d’Orloff, cependant, beau, fort comme vous l’êtes, vous allez vous l’approprier… »

Je me suis fait trancher un rôti de veau, Orloff voulait que ça barde, et bien ça a bardé.
« Et voilà, comte. N’êtes-vous pas satisfait de votre trophée, crépiné comme un nouveau-né ?
-Boff… »
Jamais content, ce comte !

Arrivé, à la maison, j’offre  un petit verre de vin blanc avec une garniture aromatique en guise d’apéro à notre proie ligotée. Elle se plaît avec la cocotte et j’entends siffloter Ah ! Le petit vin blanc qu'on boit sous les tonnelles..
« Vous voyez, c’est un Français !
-Ben alors, pas un tout jeune ! Ce jeune veau est une vieille baderne… »
Jamais content, ce comte !
Le trophée d’Orloff est un peu parti, il est même parti au four  à 210 °C pour une dizaine de minutes.


veau Orloff
Trophée



Orloff, magnanime, propose de baisser la température à 180 °C. Il n’a pas tort.
Quarante minutes  plus tard,  nous pouvons  délivrer le trophée de ses liens.
Le comte s’empare de son Jagdmesser au manche de corne
Je ne puis m’empêcher d’ironiser :
« Heureusement que parfois ce sont des harpails que vous poursuivez. Encore que…»
Le comte me lance un regard peu amène. Et moi qui croyais la comtesse au-dessous de tout soupçon. Il est vrai que qui va à la chasse perd sa place….

En tout cas les parts sont belles.


veau Orloff
Orloff s'en paye une bonne tranche



Pour la sauce, j’ai fait cuire des spätzle. Le comte grommelle qu’il aurait préféré une kacha de sarrasin.
Jamais content, ce comte !

J’ai une grosse envie de chasser le comte Orloff …oui, de le chasser de chez moi !