jeudi 5 août 2021

Du caviar à la louche

 

Du caviar à la louche ?

Non, ce n’est pas moi le gagnant du dernier EuroMillions !

Point d’osciètre donc ni de béluga. Mais quand même les saveurs iodées - il ne s’agit pas d’un caviar d’aubergine, mais d’un caviar d’algues.

Quand j’ai soulevé le couvercle de la petite bourriche où fraternisaient laitue de mer, haricot de mer, wakamé et dulse, j’ai eu l’impression olfactive de sauter de rocher en rocher sur les côtes de Bretagne. Si tu ne vas pas à l’Océan, l’Océan ira à toi !

caviar d'algues
Reste post caviar

J’ai prélevé quelques poignées de cette manne marine que j’ai bien rincées puis hachées grossièrement au couteau sur une planche. J’ai épluché deux échalotes du jardin ainsi qu’une gousse d’ail. J’ai alors introduit algues et bulbes dans mon petit préparateur afin de les mixer - relativement finement, mais quand même pas jusqu’à la purée. En deux séances successives, car la cuve ne pouvait contenir une telle invasion massive de rubans, feuilles et serpentins…

J’ai regroupé le résultat de ces deux mixages dans une bassine. J’ai arrosé du jus d’un demi-citron jaune, de quatre cuillerées de vinaigre de cidre tellement bio qu’il n’a jamais pu se séparer de sa mère, de deux cuillerées de sauce soja au nom illisible pour moi - plus japonais tu meurs, heureusement que la date de péremption est écrite en chiffres arabes - et enfin un bon trait d’huile d’olive de Provence, tiens, pour ce qui reste, je vais finir la bouteille… Je touille et retouille. Mon caviar est à peu près homogène, je le verse dans une coupe en verre venue du Danemark dont la glaucité des reflets et des transparences la rend bien apte à lui servir d’écrin.

Je réserve au frais jusqu’au moment où je dresse le plat de fruits de mer sur lequel ce caviar trônera. Un trio : bulots de casier cuits à souhait, crevettes grises bien fraîches, palourdes sauvages au goût puissant. J’ai aussi appelé à la rescousse un beurre de baratte normand demi-sel qui, une fois étalé sur une bonne baguette à la croûte croustillante (eh, vu le temps, tu rêves ! ) devrait volontiers s’acoquiner avec les crevettes et les palourdes, mais aussi saura répondre en douceur à la vivacité arrogante du caviar d’algues. Je n’ai pas oublié de convoquer à cette orgie marine le petit pot d’une rouille épicée vendu par l’excellente conserverie La Belle Iloise, rien de mieux pour que les pieds des bulots puissent faire trempette.

caviar d'algues
Pour une fois que les algues surmontent les fruits de mer...


L’on m’a dit que mon caviar était un régal. Je serais assez enclin à le confirmer…


mardi 3 août 2021

Coconing

Je me laisse aller à un doux farniente à la maison.

Je me contente de déposer les cocons - alias quenelles à la cuillère au brochet, crevettes et morilles - sur les petits plats en porcelaine, de déverser la sauce Nantua, et d’enfourner pour une quarantaine de minutes à four chaud. Juste le temps de savourer un Americano bien tassé. Oui, j'en conviens, un Kir eut été plus en situation - il faudra que je m’achète une crème de cassis….

Mes cocons sortent du four, bien gonflés, barbotant dans la mare encore frémissante aux parfums d’écrevisse.

cocons façon à la cuillère, Bobosse
Bonjour, Pimprenelle !

J’entame mon cocon d’une cuillère paresseuse, porte à ma bouche le petit morceau à la coupe ivoirine que je barbouille d’ocre dégoulinant. Oh, mais c’est que c’est chaud, très chaud, trop chaud ! Il va me falloir patienter quelques minutes avant de me livrer au plaisir de la chair de brochet.

Hum, ça y est, je savoure paisiblement. Non loin, le vieux chat ronronne. On se sent bien.

Tu vois, Bobosse, tu sais nous régaler quand tu veux t'en donner la peine !

« Miaou… Tu vois, Felix, tu sais me régaler ! Miiiaouhhh… »

Sauf que c’était du Royal Canin… Malheureux félin, honte de ta race, pas plus de sensibilité papillaire qu’un béochien. Pas la peine d’ouvrir la bouche si c’est pour miauler de tels commentaires... C’est ça, retourne roupiller !

D’ailleurs, moi aussi, il faudrait que je songe à une petite sieste.


dimanche 1 août 2021

Farcis Palais-Royal

Il y a une quinzaine de jours, je m’étais lancé dans une piteuse tentative pour tirer parti de deux malheureuses aubergines attaquées par de sournois volatiles malfaisants alors qu’elles n’avaient même pas fini leur croissance. Je devrais plutôt écrire tirer partie, car il m’a fallu amputer les corps mutilés de la petite rondelette et de l’allongée souffreteuse. Il n’y avait finement plus grand-chose à farcir… Alors j’ai eu recours à une suppléante, une courgette sans emploi qui ne faisait guère d’efforts pour en trouver un, et que j’ai intégré d’office à cette aventure. Mon for intérieur ne devait guère croire en un avenir radieux pour ces miséreuses horticoles, car, de plus, j’ai bâclé plus ou moins consciemment la farce destinée à la promotion de ces réfugiés du quart-jardin.

Le résultat de l’activité volatile forcenée et de ma paresse résignée ne s’est pas fait attendre : des Farcis  Gargote du faubourg.

courgette farcie, aubergine farcie
Boff...



Aujourd’hui je tente de me réhabiliter avec ma recette de Farcis Palais Royal.

Je précise toutefois qu’il ne s’agit pas du Palais-Royal du Grand Véfour, mais celui des colonnes de Buren. En effet, si les pieds de tomates du jardin n’ont pas résisté aux assauts climatiques, les courgettes ne se sont pas fait prier pour pratiquer leur vocation première de pompeuses de flotte, ce qui fait qu’elles sont pléthore à envahir ma cuisine où je me creuse la tête pour savoir ce que je vais pouvoir bien faire de ces enflures hydriques aux saveurs si subtiles que l’on se demande si elles en sont. Fort heureusement à gueule vaillante rien n’est impossible, et j’ai trouvé une solution : transformer ces légumes - dont le plumage dépasse largement le ramage avec ses nuances vertes, plus ou moins striées et tachetées - en écrins aptes à accueillir une savoureuse farce, chair désormais orpheline de ses hospitalières tomates. Pour jouer ce rôle, les courgettes ne doivent pas gésir lamentablement cachées sous une couche de farce qui les écrase, mais s’ériger fièrement pour exhiber le seul atout qui camoufle leur chair triste : leur peau. Ce seront donc des colonnes de courgettes qui envahiront le plat, puis les assiettes, comme les colonnes de Buren envahirent le Palais-Royal le 30 juillet 1986 à la grande joie des chiens pisseurs mais au grand dam des amis du patrimoine.


En ce qui me concerne, no problemo : mes colonnes participent à une œuvre éphémère qui n’aura pas l’occasion de se dégrader au fil du temps qui passe…


Je commence par sélectionner quatre courgettes de bonne mine parmi les différentes variétés de l’arrivage du jour en provenance du jardin.

Spécimens de peaux


Je les partage en tronçons que je creuse à l’aide d’une cuillère afin de fournir un réceptacle pour la farce que je vais préparer pendant que le gros sel que j’ai introduit va leur faire rendre une partie de leur eau de végétation.

courgette farcie
Faire son trou

Je balance sans regret mon extraction de cœur pépineux dans le seau de transit vers le compost et extrait du réfrigérateur les 300 g de chair à saucisse achetée la veille que j’avais eu la prudence de mettre sous vide, et les verse dans une bassine en inox. Je fais défiler sur ma planche deux échalotes, trois gousses d’ail, la moitié d’un piment habanero cueilli sur le pied qui végète dans l’appartement, un petit bouquet de persil, deux feuilles de basilic, une feuille de sauge, trois brins de ciboulette. Mon couteau s’acharne tout ce petit monde qui, haché finement, vient rejoindre la chair de porc. Je mélange. J’effeuille thym, origan vert, origan jaune qui viennent parfumer ma mixture. Il me restait un vieux quignon de pain, je l’ai émietté et humecté d’un trait de balsamique blanc. Cette pâte rejoint le contenu de ma bassine. Je casse un œuf dont le blanc et le jaune vont tomber dans le petit creux que je leur ai préparé dans ce qui commence à avoir vraiment l’allure d’une farce. Je sale - au pifomètre, je l’avoue - et donne moult tours de moulin de poivre rouge. Je mélange. J’ajoute une cuillerée d’huile d’olive. Je mélange. Ma farce est prête.

Pendant ce temps, le creux de mes colonnes s’est bien rempli de l’eau de végétation. Bravo le sel, tu as fait un bon boulot ! Excuse-moi, ça ne va pas m’empêcher de te virer. Je rince les courgettes sous un filet d’eau avant de les sécher au torchon.

J’oins mon plat d’une fine couche d’huile d’olive et y dépose mes colonnes. Un peu plus serrées que dans l’enceinte du Palais-Royal. Mais elles, elles ont droit d’être gavées de farce. Bingo ! J’en ai juste la quantité qu’il faut ! Je parsème de quelques pincées de chapelure, arrose d’huile d’olive. J’insère quelques exemplaires des mêmes herbes qui entrent dans la composition de la farce, y ajoutant deux feuilles de laurier.

courgette farcie
Complétement bourrées


J’enfourne pour une précuisson d’une demi-heure à 170 °C. Je sors alors le plat et le réserve.

courgette farcie
Prêtes pour la finale...

L’heure de passer à table ne saurait tarder.

J’enfourne à nouveau mon plat, mais cette fois-ci à 190 °C pour urne dizaine de minutes.

À cette température, le dessus de la farce a bien caramélisé sous la chapelure devenue croustillante. Je dresse deux assiettes - les courgettes restantes seront servies froides arrosées d’un trait de jus de citron dans un futur repas.

Le parfum du basilic s’étant fort probablement évanoui en grande partie au cours des cuissons, je déchiquette des feuilles de basilic pour réintégrer cette saveur méditerranéenne dans ces farcis dont je reconnais qu’ils n’ont rien de niçois.

courgette farcie
Les trois colonnes

Pas niçois, les farcis Palais-Royal, mais bons quand même…


 

vendredi 30 juillet 2021

...et maintenant, le pied !


Bobosse ne se contente pas de former ses cochonnes, il nous fait aussi du pied. Un pied dodu fourré d’une farce fine (poitrine de porc et filet de poulet) avec un insert de foie gras de canard.

Mais avant de cuisiner les deux pieds façon Bobosse à ma disposition, je commence par la préparation de pickles. Les averses ont retardé la cueillette de cornichons qui en ont profité pour devenir de gros pépères aptes à devenir malossols si l’on se tourne vers l’est ou pickles si l’on s’oriente côté ouest. En ce jour, je vais être complètement à l’ouest en plongeant d’épaisses tranches de l’un de ces gros cucurbitacées dans un mélange de 1/3 de vinaigre balsamique blanc et 1/3 d’eau porté à ébullition dans lequel j’avais laissé infuser feuilles de sauge et de laurier et que j’avais parfumé d’une pincée de cinq-épices (oui, mélange quant à lui plutôt oriental…). Je laisse à frémissement deux minutes, je retire du feu, et je réserve.

pickles
Pickles en formation


J’enchaîne sur la corvée d’épluchage des patates, en l’occurrence des pommes de terre primeur de Noirmoutier. Les Cornes de gatte, alias Quenelles de Lyon, que nous venons de récolter dans le jardin eussent été plus en situation, mais voilà, les Noirmoutines ont mené de sournoises tentatives germinatrices qu’il me faut illico réprimer manu economi. Pouvaient pas attendre, ces enflures ?

L’harmonie territoriale de mes assiettes va donc être détruite par la faute de ces insulaires, néanmoins j’ose espérer que ce n’en sera pas pour autant moins savoureux. Je partage mes pommes de terre en quatre suivant la longueur avant de les cuire à l’anglaise durant une quinzaine de minutes, le temps que ces tranches deviennent très tendres sans toutefois tomber en purée. Je les dépose sur une plaque à débarrasser en inox barbouillée d’huile d’olive, les arrose d’un filet de ce même corps gras, ajoute quelques noisettes de beurre et réserve.

Je fais fondre un minuscule éclat de beurre au fond d’une petite poêle et y mets à dorer les pieds sur toutes les faces. Ce qui me prend un couple de minutes. Je fais alors glisser mes petits petons porcins (mais aussi volaillers…) chacun sur un plat à œuf en porcelaine. J’enfourne à 180 °C.

Aussitôt je m’empare de ma plaque en inox où patientent les pommes de terre, et ce plat improvisé rejoint sans tarder les pieds suant à grosses gouttes dans le four : une fine croûte va se former à la surface des tranches, dissimulant les saveurs beurrées de pommes fondantes.

Une vingtaine de minutes plus tard, les deux cuissons s’achèvent dans une parfaite synchronisation.

Je donne un tour de moulin de poivre rouge sur les pieds, et parsème de ciboulette ciselée le jus poisseux qui s’est écoulé. La chaleur permet à cette herbe de confire légèrement en diffusant ses parfums alliacés.

Au pied des pieds se vautrent les Noirmoutines. Une pluie de persil leur fera du bien. Et, comme je suis un galant homme, en dépit des enfants qu’elles ont voulu faire dans mon dos, je leur offre une rutilante fleur de capucine. Hein, ça vous change des roses trémières, les filles de l’île !

Je n’oublie pas les pickles qui relèveront ce plat à tendance un tantinet mollassonne, d’autant plus que je les échauffe d’une pincée de piment d’Espelette.

Et voilà. Y a plus qu’à…

pied façon Bobosse
Pied beau


C’est très bon.

Mais… Mais… Oserai-je l’écrire ? Je préfère quand même les pieds de Girardeau à Saumur, même dans leur version la plus simple, avec la gélatineuse tête de porc marinée au vin local à la place de la chichiteuse farce fine et son foie gras, ajout superfétatoire s’il n’est pas rehaussé comme dans la version festive des pieds saumurois - les cendrillons - par la fragrance d’une tranche de truffe.

Alors, Bobosse, rebobosse ta recette : tu peux mieux faire… Tu l'as déjà montré !


mardi 27 juillet 2021

Deux cochonnes et des blondes

Chez moi, ça va être la fiesta. Deux cochonnes sont arrivées, accueillies par des blondes.

Les blondes sont auvergnates, elles ont débarqué il y a quelques jours de Saint Flour. Les deux cochonnes, quant à elles, viennent de Lyon, bien formées par Bobosse.

Les blondes se sont prélassées dans un bain parfumé pendant un peu moins d’une demi-heure. Non loin de là les cochonnes débarrassées de leur vêtement de voyage se sont fait dorer dans un langoureux échauffement.

J’ai réuni tout ce petit monde sur le plateau et ordonné les mises en place.

Une petite noix de beurre finale...


cochonne à Bobosse, lentilles blondes de Saint Flour
..et les dépouilles d'une effeuilleuse

Tout était prêt pour me lancer dans le remake de La Dernière Bourrée à Paris.




dimanche 25 juillet 2021

Une pluie d'or

 

Je l’ai échappé belle.

En effet, dans l'intention de faire infuser un beurre safrané, j’ai voulu prendre une petite pincée de stigmates dans un petit pot que j’entamais à cette occasion. Las, ma prise a entraîné une théorie de filaments entremêlés, et c’est un essaim qui chut sur la grosse noix de beurre doux qui commençait à fondre dans la petite casserole. De quoi craindre une amertume excessive !

Mais pluie de safran n’arrête pas le gourmand. Je poursuis mon projet : relier mon jardin à la mer

Le beurre est un beurre de montagne aux parfums d’alpages - bien qu’il soit auvergnat - ce qui ne l’empêchera pas de faire bon ménage avec un cabillaud sorti des océans. Quand je dis un cabillaud, je devrais dire un pavé de cabillaud à la blancheur immaculée car privé de toute peau.

Eut-il gardé son derme, je l’aurais saisi côté peau avant de poursuivre par une cuisson basse température au four. Mais là, dans la fragilité de sa nudité, c’est une cuisson à la vapeur que je lui réserve. Toutefois je commence par raidir cette tendre chair en parsemant de fleur de sel la surface de ce pavé avant de le déposer sur du papier absorbant durant un quart d’heure - l’absorbant absorbera… Je termine en frottant la surface du pavé avec quelques feuilles du même rouleau d'essuie-tout.

Je vois que la vapeur a envahi la plaque perforée, j’y étends le cabillaud sur un carré de papier siliconé. Je laisse dans ce sauna pour sept minutes. Je coupe alors la vapeur, laissant la chaleur continuer à pénétrer la pièce à découvert, l’eau sous la plaque étant maintenue à 80 °C.
Non loin de là, juste après avoir plongé le cabillaud dans la vapeur, c’est une récolte de haricots verts du jardin - d’orgueilleux filets nains arborant la fière appellation de Triomphal, rien que ça - que je plonge dans de l’eau bouillante salée. Une petite poignée de haricots beurre les accompagne. J’égoutterai après huit minutes de cuisson à gros bouillons. 

J’ai aussi épluché et mis à glacer deux échalotes presque rondes de l’excellente variété Hermine, petites mais courageuses dans leur combat victorieux contre les pluies torrentielles et le mildiou. Je leur ai adjoint un champignon de Paris tranché en deux.

Cabillaud, haricots, échalotes, champignon arrivent ensemble à la ligne d’arrivée. Le dressage peut commencer.

Je dispose aussi harmonieusement que possible les haricots flanqués d’une échalote et d’un demi-champignon.

Je fais glisser le cabillaud sur une planche sur laquelle je partage le pavé en deux parts à l’aide d’une lame bien affilée. Une large pelle me permet de transférer sans dommage ces morceaux sur les assiettes. Ce qui n’était pas évident, car si la chair est parfaite en cuisson, bien nacrée et ferme, ses feuillets ne demandent qu’à se séparer l’un de l’autre. Je fais tomber un soupçon d’ail nouveau écrasé à l’aide d’un presse-ail sur les haricots, relève d’un petit tour de moulin de poivre rouge de Kampot.

Le beurre safrané, que j’avais retiré du feu un peu avant que la fonte soit complète a commencé à figer. Ce n’est pas plus mal : ainsi cette sauce ne s’étalera pas sans vergogne… Je me contente de poser la casserole quelques secondes sur la flamme afin que le beurre ne reste pas collé sur ses parois, et verse son contenu sur le poisson qui finira de liquéfier ce qui reste de pommade dorée.

Les assiettes sont attrayantes dans leur simplicité.

cabillaud, haricots verts, beurre safrané
Haricots sans fils, cabillaud avec filaments

Reste à vérifier le goût. Eh bien, mes craintes étaient vaines. Le beurre se révèle odoriférant, mais sans excès.

Mon porte-monnaie après ce déferlement d’Oro di Persia ? Ai-je dilapidé l’argent du ménage ? Ben, de toute façon, il me faut me dépêcher pour écouler ce petit pot de safran que j’avais négligé dans un coin, préférant ne pas l’entamer au risque de l’éventer quand j’avais des petits tubes de filaments à ma disposition - en effet par cette mise à l’écart inopportune ce safran approche de sa date limite de consommation optimale. Alors autant l’utiliser sans parcimonie…

Mais à bon escient. Et ce fut le cas !

 

mercredi 21 juillet 2021

Saltimbocca a la Pompei

 Il n’y a pas que la boustifaille pure et dure dans la vie. Aussi ai-je décidé de me livrer à une injection de culturel dans ce blog. Par chance, je détiens des informations inédites qui m’ont été fournies par un archéologue doctorant grattant la terre - ou plutôt la lave - sur le site de Pompéi. Je suis certain qu’il ne m’en voudra pas de les communiquer à mes lecteurs. Et si tel n’est pas le cas, eh bien il n’avait qu’à se taire au lieu de parader avec ses découvertes, ou tout au moins me les narrer sous le sceau du secret. Ce qu’il ne fit point - tant pis pour lui.

Tout d’abord, connaissant mon intérêt envers tout ce qui concerne l’histoire de la gastronomie, il m’a envoyé la photo de ce qu’il aurait pris pour une projection pyroclastique si deux pointes miraculeusement conservées n’avaient pas attiré son attention. Il confia donc cette pièce au service technique de son laboratoire qui rendit un verdict sans appel : mon ami et néanmoins chercheur avait mis la main sur un ancêtre du saltimbocca contemporain. L’IRM a bien fait apparaître les strates enroulées de veau et de jambon, et révèle l'incrustation de feuilles de Salvia pratensis parfaitement identifiables. L’expert conclut que l’on se trouve en présence d’un exemplaire unique particulièrement bien conservé en dépit d’une surcuisson manifeste.

Voici cette photo :



Mais ce qui va suivre est étonnant, pour ne pas dire époustouflant. Mon chercheur et néanmoins trouveur a eu une idée de génie. Et grâce à lui on peut entendre des voix figées depuis plus de deux millénaires !


Commençons par le commencement. Les fouilles avaient lieu dans la maison d’un potier, artisan à domicile interrompu en plein travail pendant que son épouse mitonnait le repas.

Mon trouveur et néanmoins ami s’intéressa à une coquille de murex 


dégagée à proximité du tour de potier, instrument finalement pas si différent de celui utilisé de nos jours par les ex-cadresses jadis dynamiques pour lesquelles une ménopause et une restructuration du personnel concomitantes ont permis de réaliser le rêve de toute une vie : s’établir en Bousie et pétrir la glaise. Ce qui donna à mon ami et néanmoins pas manuel pour un sou l'opportunité de pouvoir se renseigner sur la validité de son hypothèse auprès d’une des anciennes maîtresses et néanmoins potière : le coquillage était-il destiné à creuser d’une de ses pointes le sillon spiralé destiné à fournir un semblant de décor au vase rustique déposé sur la girelle? Ah que oui, c’était bien possible, même si elle, elle préférait son aiguille Solargil acheté chez Sennelier quai Voltaire.

Mais oui, oui, bien sûr, ça devrait fonctionner ! Et ça fonctionna…

Le murex avait transposé les vibrations sonores recueillies par sa conque dans le sillon creusé par la pointe de la coquille, tel ces appareils sommaires de la fin du XIXe siècle qui nous permettent d’entendre la voix de Caruso…



Et c’est ainsi que recueillie de la bouche du coquillage par un microphone sensible, fortement amplifiée, mais surtout filtrée par les techniques de traitement informatique contemporaines, l’on a pu pour la première fois écouter une conversation enregistrée le 24 août en l’an 79 ap. J.-C vers 13 heures.

«  Cibum cocta est ! […] »

Bon, je traduis en français, le niveau moyen en langue latine ayant beaucoup baissé depuis l’époque où je terminais mes humanités entre deux parties de flipper.

«  La viande est cuite. Mais alors j’attends toujours Marcus Polus avec ses pâtes. Je ne l’ai pourtant pas envoyé au bout du monde, la boulangerie Modestus est à deux pas.

-   Il doit être encore au lupanar. Bon, j’en profite pour terminer le décor de ce pot. Je dois le livrer demain.

-   Vas y, pédale ! Dis, tu ne trouves pas que ça sent le chaud ?

-   Bof, ça doit être encore le jeune Nero qui joue avec les amadous…

-   Non est puer egregia indole. »

Quelques craquements après ces derniers mots émouvants, et l’enregistrement s’arrête brusquement.


Je remercie mon ami et néanmoins voyeur par l’oreille de m’avoir permis ce voyage dans le temps.



Je ne puis faire autrement que d’inscrire au menu des saltimboccas

J’aplatis les escalopes de veau, Chacune, parsemée de quelques lambeaux de zeste de citron et parfumée de tours de moulin de poivre rouge et de noix de muscade, est recouverte d’une fine tranche de jambon de Parme - une et demi en fait car j’en ai trois à ma disposition. 

saltimbocca
Mise à plat

Je roule autour de quatre feuilles de sauge, dont deux violettes, laissant néanmoins dépasser une langue.

saltimbocca
S'en rouler deux

Je dépose mes saltimboccas sur le beurre mousseux d’une poêle. 

saltimbocca
Et les herbes...

Une fois dorés à feu pas trop vif, je les réserve, déglace au vin blanc sec, laisse réduire et monte avec une noix de beurre. Je vivifie par un trait de jus de citron, réchauffe rapidement les saltimboccas au sein de cette sauce avant de dresser. En accompagnement, ce seront de petites pommes de terre grenaille du jardin sautées après avoir été épluchées et blanchies. Pas très Rome antique, je sais… Mais la roquette mise en décoration, si !

saltimbocca
Saltimbocca, sauge verte, sauge violette

Finalement pas mal, ce saltimbocca. 

Hoc erat in votis !