Il y a une quinzaine de jours, je m’étais lancé dans une piteuse tentative pour tirer parti de deux malheureuses aubergines attaquées par de sournois volatiles malfaisants alors qu’elles n’avaient même pas fini leur croissance. Je devrais plutôt écrire tirer partie, car il m’a fallu amputer les corps mutilés de la petite rondelette et de l’allongée souffreteuse. Il n’y avait finement plus grand-chose à farcir… Alors j’ai eu recours à une suppléante, une courgette sans emploi qui ne faisait guère d’efforts pour en trouver un, et que j’ai intégré d’office à cette aventure. Mon for intérieur ne devait guère croire en un avenir radieux pour ces miséreuses horticoles, car, de plus, j’ai bâclé plus ou moins consciemment la farce destinée à la promotion de ces réfugiés du quart-jardin.
Le résultat de l’activité volatile forcenée et de ma paresse résignée ne s’est pas fait attendre : des Farcis Gargote du faubourg.
Boff... |
Aujourd’hui je tente de me réhabiliter avec ma recette de Farcis Palais Royal.
Je précise toutefois qu’il ne s’agit pas du Palais-Royal du Grand Véfour, mais celui des colonnes de Buren. En effet, si les pieds de tomates du jardin n’ont pas résisté aux assauts climatiques, les courgettes ne se sont pas fait prier pour pratiquer leur vocation première de pompeuses de flotte, ce qui fait qu’elles sont pléthore à envahir ma cuisine où je me creuse la tête pour savoir ce que je vais pouvoir bien faire de ces enflures hydriques aux saveurs si subtiles que l’on se demande si elles en sont. Fort heureusement à gueule vaillante rien n’est impossible, et j’ai trouvé une solution : transformer ces légumes - dont le plumage dépasse largement le ramage avec ses nuances vertes, plus ou moins striées et tachetées - en écrins aptes à accueillir une savoureuse farce, chair désormais orpheline de ses hospitalières tomates. Pour jouer ce rôle, les courgettes ne doivent pas gésir lamentablement cachées sous une couche de farce qui les écrase, mais s’ériger fièrement pour exhiber le seul atout qui camoufle leur chair triste : leur peau. Ce seront donc des colonnes de courgettes qui envahiront le plat, puis les assiettes, comme les colonnes de Buren envahirent le Palais-Royal le 30 juillet 1986 à la grande joie des chiens pisseurs mais au grand dam des amis du patrimoine.
En ce qui me concerne, no problemo : mes colonnes participent à une œuvre éphémère qui n’aura pas l’occasion de se dégrader au fil du temps qui passe…
Je commence par sélectionner quatre courgettes de bonne mine parmi les différentes variétés de l’arrivage du jour en provenance du jardin.
Spécimens de peaux |
Je les partage en tronçons que je creuse à l’aide d’une cuillère afin de fournir un réceptacle pour la farce que je vais préparer pendant que le gros sel que j’ai introduit va leur faire rendre une partie de leur eau de végétation.
Faire son trou |
Je balance sans regret mon extraction de cœur pépineux dans le seau de transit vers le compost et extrait du réfrigérateur les 300 g de chair à saucisse achetée la veille que j’avais eu la prudence de mettre sous vide, et les verse dans une bassine en inox. Je fais défiler sur ma planche deux échalotes, trois gousses d’ail, la moitié d’un piment habanero cueilli sur le pied qui végète dans l’appartement, un petit bouquet de persil, deux feuilles de basilic, une feuille de sauge, trois brins de ciboulette. Mon couteau s’acharne tout ce petit monde qui, haché finement, vient rejoindre la chair de porc. Je mélange. J’effeuille thym, origan vert, origan jaune qui viennent parfumer ma mixture. Il me restait un vieux quignon de pain, je l’ai émietté et humecté d’un trait de balsamique blanc. Cette pâte rejoint le contenu de ma bassine. Je casse un œuf dont le blanc et le jaune vont tomber dans le petit creux que je leur ai préparé dans ce qui commence à avoir vraiment l’allure d’une farce. Je sale - au pifomètre, je l’avoue - et donne moult tours de moulin de poivre rouge. Je mélange. J’ajoute une cuillerée d’huile d’olive. Je mélange. Ma farce est prête.
Pendant ce temps, le creux de mes colonnes s’est bien rempli de l’eau de végétation. Bravo le sel, tu as fait un bon boulot ! Excuse-moi, ça ne va pas m’empêcher de te virer. Je rince les courgettes sous un filet d’eau avant de les sécher au torchon.
J’oins mon plat d’une fine couche d’huile d’olive et y dépose mes colonnes. Un peu plus serrées que dans l’enceinte du Palais-Royal. Mais elles, elles ont droit d’être gavées de farce. Bingo ! J’en ai juste la quantité qu’il faut ! Je parsème de quelques pincées de chapelure, arrose d’huile d’olive. J’insère quelques exemplaires des mêmes herbes qui entrent dans la composition de la farce, y ajoutant deux feuilles de laurier.
Complétement bourrées |
J’enfourne pour une précuisson d’une demi-heure à 170 °C. Je sors alors le plat et le réserve.
Prêtes pour la finale... |
L’heure de passer à table ne saurait tarder.
J’enfourne à nouveau mon plat, mais cette fois-ci à 190 °C pour urne dizaine de minutes.
À cette température, le dessus de la farce a bien caramélisé sous la chapelure devenue croustillante. Je dresse deux assiettes - les courgettes restantes seront servies froides arrosées d’un trait de jus de citron dans un futur repas.
Le parfum du basilic s’étant fort probablement évanoui en grande partie au cours des cuissons, je déchiquette des feuilles de basilic pour réintégrer cette saveur méditerranéenne dans ces farcis dont je reconnais qu’ils n’ont rien de niçois.
Les trois colonnes |
Pas niçois, les farcis Palais-Royal, mais bons quand même…
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