dimanche 25 juillet 2021

Une pluie d'or

 

Je l’ai échappé belle.

En effet, dans l'intention de faire infuser un beurre safrané, j’ai voulu prendre une petite pincée de stigmates dans un petit pot que j’entamais à cette occasion. Las, ma prise a entraîné une théorie de filaments entremêlés, et c’est un essaim qui chut sur la grosse noix de beurre doux qui commençait à fondre dans la petite casserole. De quoi craindre une amertume excessive !

Mais pluie de safran n’arrête pas le gourmand. Je poursuis mon projet : relier mon jardin à la mer

Le beurre est un beurre de montagne aux parfums d’alpages - bien qu’il soit auvergnat - ce qui ne l’empêchera pas de faire bon ménage avec un cabillaud sorti des océans. Quand je dis un cabillaud, je devrais dire un pavé de cabillaud à la blancheur immaculée car privé de toute peau.

Eut-il gardé son derme, je l’aurais saisi côté peau avant de poursuivre par une cuisson basse température au four. Mais là, dans la fragilité de sa nudité, c’est une cuisson à la vapeur que je lui réserve. Toutefois je commence par raidir cette tendre chair en parsemant de fleur de sel la surface de ce pavé avant de le déposer sur du papier absorbant durant un quart d’heure - l’absorbant absorbera… Je termine en frottant la surface du pavé avec quelques feuilles du même rouleau d'essuie-tout.

Je vois que la vapeur a envahi la plaque perforée, j’y étends le cabillaud sur un carré de papier siliconé. Je laisse dans ce sauna pour sept minutes. Je coupe alors la vapeur, laissant la chaleur continuer à pénétrer la pièce à découvert, l’eau sous la plaque étant maintenue à 80 °C.
Non loin de là, juste après avoir plongé le cabillaud dans la vapeur, c’est une récolte de haricots verts du jardin - d’orgueilleux filets nains arborant la fière appellation de Triomphal, rien que ça - que je plonge dans de l’eau bouillante salée. Une petite poignée de haricots beurre les accompagne. J’égoutterai après huit minutes de cuisson à gros bouillons. 

J’ai aussi épluché et mis à glacer deux échalotes presque rondes de l’excellente variété Hermine, petites mais courageuses dans leur combat victorieux contre les pluies torrentielles et le mildiou. Je leur ai adjoint un champignon de Paris tranché en deux.

Cabillaud, haricots, échalotes, champignon arrivent ensemble à la ligne d’arrivée. Le dressage peut commencer.

Je dispose aussi harmonieusement que possible les haricots flanqués d’une échalote et d’un demi-champignon.

Je fais glisser le cabillaud sur une planche sur laquelle je partage le pavé en deux parts à l’aide d’une lame bien affilée. Une large pelle me permet de transférer sans dommage ces morceaux sur les assiettes. Ce qui n’était pas évident, car si la chair est parfaite en cuisson, bien nacrée et ferme, ses feuillets ne demandent qu’à se séparer l’un de l’autre. Je fais tomber un soupçon d’ail nouveau écrasé à l’aide d’un presse-ail sur les haricots, relève d’un petit tour de moulin de poivre rouge de Kampot.

Le beurre safrané, que j’avais retiré du feu un peu avant que la fonte soit complète a commencé à figer. Ce n’est pas plus mal : ainsi cette sauce ne s’étalera pas sans vergogne… Je me contente de poser la casserole quelques secondes sur la flamme afin que le beurre ne reste pas collé sur ses parois, et verse son contenu sur le poisson qui finira de liquéfier ce qui reste de pommade dorée.

Les assiettes sont attrayantes dans leur simplicité.

cabillaud, haricots verts, beurre safrané
Haricots sans fils, cabillaud avec filaments

Reste à vérifier le goût. Eh bien, mes craintes étaient vaines. Le beurre se révèle odoriférant, mais sans excès.

Mon porte-monnaie après ce déferlement d’Oro di Persia ? Ai-je dilapidé l’argent du ménage ? Ben, de toute façon, il me faut me dépêcher pour écouler ce petit pot de safran que j’avais négligé dans un coin, préférant ne pas l’entamer au risque de l’éventer quand j’avais des petits tubes de filaments à ma disposition - en effet par cette mise à l’écart inopportune ce safran approche de sa date limite de consommation optimale. Alors autant l’utiliser sans parcimonie…

Mais à bon escient. Et ce fut le cas !

 

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