lundi 10 août 2020

Promesse de Gascon ?

 J’ai d’abord eu un mouvement d’étonnement en voyant cette photo :


J’avais gardé, par leur fréquentation dans une époque pas si lointaine que ça, le souvenir de gîtes ruraux nettement plus avenants, pour ne pas dire pimpants.

La France d’en bas en serait-elle arrivée à ce triste niveau de décrépitude ? Un tel hébergement pour les cochons de payants que sont les touristes… Quelle honte ! Dans quel monde vivons-nous?


Mais un regard plus approfondi m’oriente vers ce qui me semble être la vraie explication.

Voilà le résultat de trop de liberté accordée à des cochons. Surtout s’ils sont gascons…

Perce-Bedaine et Casse-Trogne

Sont leurs sobriquets les plus doux ;

De gloire, leur âme est ivrogne !

Perce-Bedaine et Casse-Trogne,

Dans tous les endroits où l’on cogne

Ils se donnent des rendez-vous…

Perce-Bedaine et Casse-Trogne

Sont leurs sobriquets les plus doux.

Et zou, l’on commence par quelques incivilités, l’on va fourrer son groin dans le champ d’un voisin, l’on glande en territoire prohibé. Les petits larcins deviennent de gros casses, et l’on se laisse aller à chourrer des camions qui permettent de s’établir un camp style voleurs de poules (ou plus si affinités).

Cependant il y a une justice. La fumette devient fumage au bois de hêtre, et l’on passe du car jacking au fast cooking.

Quant à moi, je passe à la dépouille. Celle de quatre saucisses achetées sur le Net à un dealer landais souteneur de truies gasconnes. Dans quel monde vivons-nous ! N’empêche… Pourtant, que la saucisse est belle, comment peut-on s’imaginer en voyant une harde de gorets qu’la charcutaille va arriver ?


Si je vire cette peau, c’est pour le bon motif : obtenir une chair à saucisse de qualité afin de réaliser mon plat. Et dire que quelqu’un s’est évertué à pratiquer l’embossage, pour voir le fruit de son labeur destroy quelques jours plus tard… Dans quel monde vivons-nous !


Mon plat, c’est un alignement de fleurs de courgettes farcies entrelardé, si j’ose dire, de petites tomates coiffées de la même farce.

Alors, bien entendu, c'est par la confection de cette dite farce qu'il me faut commencer. 

Avant mon opération dépouille, j’ai mis à tremper une grosse poignée de mie prélevée sur un pain maison 

pain maison
Avant le sacrifice


dans un demi-verre de lait prélevé sur la bouteille de lait cru destinée à être transformé en yaourts maison. Le pain a absorbé presque entièrement le liquide, je peux donc verser ce mélange dans le cul-de-poule où se trouve la chair à saucisse. Je cisèle le plus finement possible une petite échalote, trois gousses d’ail, un brin de persil et des feuilles de romarin. Je bascule ma planche sur le récipient, fait tomber les feuilles d’une branche de thym et d’une autre d’origan. J’assaisonne de plusieurs tours de moulin de poivre rouge et d’une bonne pincée de piment d’Espelette. Je mélange bien, manu coqui - des pognes même pas passées au gel hydroalcoolique.

L’heure de la tâche la plus ardue est venue : farcir mes dix fleurs de courgettes (d’espèces diverses mais à l’ouverture de la corolle aussi rétive pour les unes que pour les autres…). Je confectionne avec ma mixture des ballons de rugby pour Lilliputiens que j’insère tant bien que mal par la petite ouverture. M’est avis que la prochaine fois je passerai ma farce au mixer afin d’obtenir une sorte de crème épaisse à insérer avec une poche à douille...

Bon, j’ai enfin réussi à farcir mes fleurs de courgette. Je les aligne au fond d’un plat en fonte rectangulaire que j’ai barbouillé d’huile, côte à côte et en alternance (comme de vulgaires étudiants). Je m’empare de petites tomates arrivées le matin du jardin, Des Gardener’Delight… Vont-elles mériter leur nom de variété ? Pour l’instant, je les décapite, m’emparant sans vergogne de ces soustractions afin de combler un petit creux qui commence à se manifester dans mon estomac - ben oui, elles sont charnues, sucrées et parfumées, j’en ai même oublié de parsemer ma prise de guerre d’une pincée de sel. Je répartis le reste de farce sur les surfaces découpées et dispose mes dix fruits entre les fleurs de courgette. J’ajoute une feuille de laurier, une branchouillette de romarin et un chouïa de persil.

Eh ben ça y est, le plat est prêt à passer au four. 

fleurs de courgettes farcies
Gasconades


Il y restera à peu près une demi-heure à 170 °C.

Je le sors, la cuisson me semble réussie, néanmoins je réenfourne pour cinq minutes à 200 °C afin d’obtenir une coloration. Je verse un trait d’huile d’olive final.

tomates, fleurs de courgettes, farcis
Les fleurs sont cuites


Le plat arrive sur la table, l’on se sert avec une bonne franquette toute méridionale. En même temps, à deux, c’est plutôt facile. Et l'on se régale. Le Gascon a tenu sa promesse. Cochon qui s'en dédie!

farcis, fleurs de courgettes
Diversité...



Ces farcis sont copieux, il reste de quoi se régaler une seconde fois. Le lendemain ces reliefs seront présentés froids, en les arrosant de quelques gouttes de balsamique blanc. Comme souvent, ce service différé est encore le meilleur, par l’alchimie de fragrances s’étant joyeusement mélangées.

Et personne ne pourra venir me dire que ce n’est que du réchauffé !


lundi 3 août 2020

À la recherche du thon perdu



Longtemps, j’ai cuisiné de bonne heure. Parfois, à peine mon fourneau allumé, mes moules s’ouvraient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Elles sont cuites » Mais, sans conteste, c’était de voir la tranche rouge d’un thon brunir en quelques secondes avant que je ne la retourne prestement, m’appliquant à conserver à la chair ce carmin miraculeux conférant à ce poisson la vigueur animale d’un taureau entrant dans l’arène, qui me procurait le plus grand plaisir culinaire, me donnant la sensation de transformer dans un instant aussi bref que magique un simple parallélépipède mollasson et embué en un mets exquis caparaçonné dans une croûte basanée, alors que d’autres plats laborieusement préparés après forces découpes et longs mitonnages ne réjouissaient guère plus mes papilles - ni même celles de mes convives.


À l’ombre des crevettes en fleur

Elles ne batifolaient pas sur les planches de Deauville (pas plus que sur ma plancha d’ailleurs), mais jouaient les Bathing Beauties au large du Grau du Roi.



Elles sont arrivées chez moi toutes fraîches et toutes pimpantes après une nuit de voyage en sleeping-car.
Elles se sont plaintes du froid qui régnait dans le convoi. Ah, cette maudite clim !
Je n’ai pas tardé à les réchauffer.

crevettes roses, Méditerranée
...en fleur de sel




La prisonnière

La banane se sentait mal dans sa peau. Alors je l’ai dévêtue.
Elle voulait s’échapper, alors je l’ai emprisonnée dans des feuilles de filo.
Ni une ni deux, ce fut le four. Elle voulait s’échapper. Pas question ! De quoi se plaignait-elle ? Elle était nourrie de sucre et de beurre. Sans parler du vieux rhum...

banane en pâte filo
Une prison dorée



Label thynnus disparu

Eh oui, toujours pas de Thunnus thynnus à l’horizon…
Pour le remplacer, des rougets ont pris le même convoi que les crevettes.
Des rougets barbets. Heureusement pour elles, pas des rougets grondins qui auraient pu les importuner par leurs grognements, ni des barbeaux toulonnais montant à Panam pour agrandir leur territoire. Ce sont eux, ces rougets, qui sont allés s’allonger sur la plancha.

rougets, Méditerranée
Rougets et fiers de l'être


Ils n’avaient pas les foies en arrivant chez moi. Honte à eux ! Pourtant, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’étaient pas des durs à cuire…
Pas mauvais parfumés par du basilic du jardin écrasé au mortier avec simplement du gros sel et de l’huile d’olive fruitée.

rougets de sable, Méditerranée
Alors, on fait moins les fiers ?



Je regrette toutefois mon thon rouge dont l’absence m’obsède.
Je me console avec un riz pilaf au safran cuit dans un bouillon de crustacées…

riz safrané
Tiens, une feuille de quatre-épices...




Le thon retrouvé

Je le cherchais bien loin. Et il était tout proche.
En effet il m’attendait sur l’étal d’un poissonnier des halles
Il avait été pêché en Méditerranée - le vendeur l’affirmait, juré, promis, croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer. De plus c’était un morceau de ventrèche, entrelardé à souhait. Du nanan !

Il a reposé une heure à température ambiante (il faut laisser du temps au thon…). J’entrouvre délicatement le papier qui lui sert d’écrin.
Je me contente de le parsemer de sel fin. 

thon rouge, thynnus
Thynnus est là !


Je l'allonge sur le gril badigeonné au pinceau d’une huile d’olive sans ambition qui saura s’effacer… Quand la fonte est devenue bien chaude, mais sans excès, je fais exécuter un aller-retour à la ventrèche avant de la déposer sur une planche.

thon rouge
Pas de doute, il s'éclate !


Je me hâte de procéder à la découpe. La cuisson sera-t-elle réussie ? Eh bien oui, la tranche offre l’aspect que je souhaitais. Et la chair centrale est bien tiède.

Force d'intervention japonaise


J’apporte la planche sur la table. 
À côté, j'offre une salade de salicornes, parfumée par le vinaigre de Maury que j’ai mélangé à l’huile d’olive noble, tendance herbacée. Un petit oignon blanc nouveau ciselé finement vient la vivifier.


salicorne, salade, vinaigre de Maury
Une touche végétale...




J’ai porté un fragment de ce thon à ma bouche, mêlant les fragrances maillardesques de la surface et la rusticité marine brute du cœur resté saignant, le tout lié par la rondeur propre à ce gras morceau.


Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de thon que l’on m’avait servi jadis à la terrasse d’un restaurant vendéen, alors que ma jeune épouse se régalait de sardines grillées. Ce thon avait été pour moi une révélation. Pour la première fois l’empreinte de la houle du grand large était au bout de ma fourchette.

Cependant cette réminiscence thonière façon madeleine ne m’arrange pas. Elle a introduit en moi une sournoise interrogation. Ce thon est-il vraiment de la Méditerranée ?

samedi 1 août 2020

Et qu'ça saute en bouche !

Sur l’étal du marchand de primeurs, des cocos de Paimpol.
Cocos de Paimpol rouges, que c’est marqué sur la pancarte.
Un coco rouge de Paimpol ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Et pourquoi… pourquoi pas ?

Vérification faite ça n’existe vraiment pas. Si, quand même, j'en voie un : Marcel Cachin.
Mes haricots demi-secs auraient mieux fait de se présenter sans étiquette…

Quand j’écosse ces usurpateurs, je découvre des graines - d’ailleurs plus striées de rose que de rouge - qui ressemblent furieusement à celles des Borletti italiens. Ce n’est pas plus mal, car ces haricots sont destinés à accompagner des saltimboccas…

J'inonde le fruit de mes coups de pouce en déversant de l'eau dans une casserole que je place sur une petite flamme. Je fais aussi plonger dans ce liquide une carotte découpée en tronçons, les quartiers d’un oignon blanc nouveau, un bouquet garni, un clou de girofle, trois baies de piment de la Jamaïque et un sextuor de grains de poivre blanc de Penja. Je laisse bouillonner doucement en coiffant le récipient (cocos mis à couvert et non à couver comme l’avait fait croire une faute de frappe fort heureusement corrigée !). Je prends la précaution d’avoir à portée de main une petite casserole d’eau chaude afin de refaire le niveau si besoin est. Et besoin sera.

Pendant ce temps je prépare les saltimboccas. Les escalopes tranchées par le boucher sont bien fines, je n’éprouve pas le besoin de les frapper avec mon aplatisseur. Je les parsème de poivre rouge et les sale sur une face, celle qui ne sera pas en contact avec le jambon de parme que j’étends dessus après les avoir retournées : pour ce côté il m’a suffi de poivrer. Je dispose quelques feuilles de sauge du jardin au tiers de la longueur et enroule du veau et du jambon jusqu’à un tour complet. Je fixe ce petit paquet à l’aide de deux cure-dents en bois. Il reste une languette qui dépasse, ce n’est pas plus mal, car elle permet d’apercevoir le jambon de Parme.

Je goûte un haricot. La chair est cuite, mais la peau demeure trop présente. Une dizaine de minutes de cuisson supplémentaire, et ça devrait être bon !

Juste le temps qu’il me faut pour cuire les saltimboccas.
Au fond d’une poêle en cuivre doublée d’inox je fais fondre à feu moyen une noix de beurre, y fait suer des rondelles découpées dans un petit oignon violet. J’introduis les saltimboccas et les fais dorer sur toutes leurs faces en haussant la flamme. J’ajoute une gousse d’ail partagée en trois, un brin de persil et une feuille de sauge. Sans tarder je déglace avec un grand verre de vin blanc, en l’occurrence le gros-plant dévolu à la cuisine que j’avais sous la main.
Je termine en enfournant la poêle dans le four à 60 °C.

Je vérifie : les haricots sont cuits à point, leur peau n’offre plus une présence désagréable.
Je vide donc le contenu de la casserole dans une passoire que je laisse s’égoutter au-dessus d’une petite bassine. 
Mais la casserole n’en a pas fini, allez, oust, au boulot ! J’y fais fondre une grosse noix de beurre demi-sel et y fais tomber une petite tomate du jardin que j’avais partagée en quartiers.
Je débarrasse les haricots du bouquet garni, et ils reviennent en pays connu : la casserole placée sur un tout petit feu. Je brasse délicatement. Non, il n’y a pas assez de beurre… J’en rajoute une seconde grosse noix. J’éteins la flamme, mélange encore avec tout autant de douceur et verse dans un plat en terre réchauffé au four à côté des saltimboccas.

Tout est prêt désormais…

Les saltimboccas :

saltimbocca
Sautent-en-bouche


Les haricots cocos :

haricots cocos
Cocos brandissant des drapeaux rouges




À TABLE !!!

mardi 28 juillet 2020

Sans thon de Provence

L’avalanche de courgettes dévalant du jardin vers mon garde-manger m’avait donné l’idée d’en confectionner un gratin. Et quoi de mieux qu’une belle tranche de thon rouge passée sur le gril pour l’accompagner sur la table.

J’étais donc tout réjoui de trouver, exhibées sur l’étalage d’un poissonnier des halles de ma bonne (est-ce toujours vrai ?) ville, des tranches de thon arborant cette information :

THON DE MÉDITERRANÉE (Thunnus thynnus) 
- pêché au filet tournant

Cependant, vu de plus près la couleur de la chair ne correspondait pas à cette espèce, et le prix était étonnamment bas (enfin tout est relatif…) pour un tel poisson, d’autant plus que ce commerçant n’a pas l’habitude de brader ses produits.
Question au vendeur :
« Il vient d’où, ce thon ? »
Réponse :
« Il vient du Pacifique »
Et finalement, c’était du thon albacore…
« Ah, zut, on a oublié de changer l’étiquette ce matin ! »
Depuis cette discussion il y a quelques jours, l’étiquette a toujours été oubliée d’être changée. C’est fou comme les relents iodés peuvent rendre certains poissonniers distraits….
Il va sans dire que j’ai rayé définitivement cette poissonnerie de mes fournisseurs. Ce qui est désolant, c'est qu'elle fut jadis fut la meilleure de Versailles, tant pour la qualité que pour la variété de ses poissons et crustacés. Boycott qui ne me privera guère…
Encore que... Hélas, les autres établissements, si la qualité y est moins déplorable, n’offrent toutefois qu’un choix d’espèces très limité. Fini le temps où un vendeur compétent me proposait des poissons inhabituels, comme cette dorade coryphène - m’avertissant du caractère très iodé de sa chair - qui fut pour moi une plaisante découverte ; terminés ces jours où je retrouvais sur l’étal des pouces-pieds qui exhalaient pour moi les relents d’anciennes vacances à la Pointe du Raz ou une lamproie qui allait ensanglanter la cuisine.
D’ailleurs, il y a quelques jours, dans le dépit que me provoque ce manque de possible, je me suis résolu à ouvrir un bocal de lamproie à la bordelaise.


Pot lamproie, pour assurer l'intérim



lamproie à la bordelaise
J'ai ajouté la feuille de persil


C’était très convenable, peut-être aussi bon que si je l’avais cuisiné moi-même. Mais voilà, j’étais privé du plaisir de la préparation…*

Or donc j’en étais au moment où je me trouvais sans ce thon espéré et où il me fallait trouver une solution de remplacement.
Le sauveur m’apparut sous la forme d’un espadon de bonne mine dont je me fis prélever deux tranches (les trios se feront servir trois tranches, les quatuors en demanderont quatre, et cætera - à partir d’un certain nombre l’on pourra acheter la bête entière).
Me voici donc à la maison, songeur devant mon poisson de substitution.
Souvent gâte-sauce varie, et bien fol est qui s’y fie. L’espadon me fait songer aux mers du Sud, aux plages de sable blanc bordées de cocotiers. C’est décidé, adieu courgettes, bonjour champignons !
Je vais les préparer en les relevant d’une touche d’exotisme. Ce sont des champignons de Paris au chapeau brun foncé - les meilleurs.
Je les escalope, puis les fais tomber en compagnie d’une échalote hachée dans une cuillerée d’huile d’olive où a fondu une noisette de beurre. Je verse dans la poêle un pack de 25 cl de crème de coco, ajour une gousse d’ail haché, une feuille quatre-épices (il faut bien que je tire profit de mon stock…). Par bonheur un piment rouge, le premier de l’été, vient d’arriver le matin même du jardin. Je le hache grossièrement pour l’introduire pendant que ma crème de coco réduit. Une pincée de curcuma ajoute un peu de couleur à cette sauce trop terne. Le jus d’un demi-citron vert lui confère son parfum et une touche d’acidité.
La consistance souhaitée va bientôt être atteinte. Il est temps de déposer les tranches d’espadon que j’ai parsemées d’une pincée de sel fin quelques minutes auparavant sur le gril oint d’huile d’olive.
Un aller-retour à feu vif, et je dépose sur l’assiette. Suivent les champignons que je parsème de persil ciselé. Une cuillerée de ketchup au chipotle vient barbouiller un coin de la tranche d’espadon. Enfin une tranche de citron vert apporte sa couleur - mais pas que, il suffira de la presser pour obtenir l’acidité réveil papille.





espadon, champignons de Paris
Illuminé par le faux thon


Les assiettes viennent sur la table, suivies par le pot de ketchup au chipotle, à la disposition de l’amateur (que je suis) et de l’amatrice (qui ne l’est pas moins).

Pas thon, mais bon quand même…

* Je présume qu’un ch’ti lecteur de ce blog à qui j’ai confessé ne connaître le Potjevleesch que par les conserves (et quand même aussi par un repas dans un restaurant lillois…) doit ricaner en lisant ces lignes… Mais voilà, pour la lamproie j’ai connu la préparation maison avant ses substituts.

lundi 27 juillet 2020

Jyfoutou baveux


Un hacker (de lapin) s’est emparé de ce blog pour y déverser son fiel. Un lapin à plume… Tu parles !
Un hacker (d’oie) eut été plus légitime dans ce rôle de corbeau.
Bref, ce hacker (de pirate) s’est complu à me caricaturer comme un snobinard prétentieux en quête d’une originalité factice.
Non, bibi n’est pas un bobo, comme le prouve ce plat d’une simplicité biblique que j’ai réalisé dans un esprit aussi prosaïquement ménager qu’utilitairement jardinatoire. Mais fort bon quand même.

Aïe aïe aïe je m’égare, j’entends déjà ce vil locataire de clapier ricaner à mes dépens de ce style alambiqué proche du sien, sauf que chez moi l’alambic ne distille pas le venin. Ma plume est peut-être aussi médiocre que la sienne mais je ne l’ai pas trempée dans de l’encre antipathique.

Ô plume, suspens ton vol et reviens à l’office !



MON JYFOUTOU

Contraintes :
1-ne pas laisser perdre des fins ou débuts de saisons de cueillettes du jardin, récoltes trop maigres pour assurer seules l’accompagnement d’un plat.
2-terminer un saucisson corse déjà bien entamé.
3-évacuer de la boîte où ils se morfondent depuis trop longtemps cinq œufs (je ne sais même plus à quoi le sixième a servi…)
4-s’empresser de terminer un paquet de beurre au lait cru qui n’a pas l’endurance d’un beurre pasteurisé, même si le goût en est largement meilleur (toutefois avant qu’il rancisse…).

Procédure :
1-laver et parer les petites carottes.
2-écosser les fèves, déshabiller les gaines et les blanchir brièvement.
3.-écosser les petits pois et les blanchir un peu moins brièvement que les fèves.
4-éplucher une échalote et la hacher grossièrement.
5-dégermer deux gousses d’ail partagées en deux.
6-faire fondre le beurre dans une poêle.
7-faire suer l’échalote dans le beurre mousseux saupoudrée d’une pincée de sel.
8-verser les carottes dans la poêle et verser un grand verre d’eau, ajouter l’ail, une feuille de laurier, un brin de thym, un brin de romarin.
9-couvrir et laisser à feu moyen une dizaine de minutes (en introduisant les petits pois à la cinquième minute.
10-pendant ce temps enlever la peau du saucisson corse, s'octroyer l'extrémité avec la ficelle afin de s'auto-récompenser,déguster cette prime, et trancher sur une planche
11-découvrir, verser les fèves et les rondelles de saucisson ; il ne reste alors pratiquement plus de liquide.

légumes du jardin, omelette
En attente d'œufs


12-dans un cul-de-poule battre les œufs au fouet après les avoir assaisonnés.
13-recouvrir les légumes débarrassés du thym, du romarin et du laurier.
14-ramener l’œuf vers le centre à l’aide d’une maryse tout en agitant la poêle.
15-une fois le fond bien pris, recouvrir la poêle d’un couvercle et finir la cuisson à feu très doux afin que le dessus coagule.
16-retirer le couvercle, normalement on doit avoir obtenu un jyfoutou baveux.
17-faire tomber quelques pincées de piment d’Espelette sur cette bave.

Jyfoutlette baveuse


Il ne reste plus qu’à savourer en s’exclamant :

BAVO L’ARTISTE !

vendredi 24 juillet 2020

La vengeance du Lapin à plume

Un âne est bien capable d’écrire ses mémoires, alors qu’est-ce qui empêcherait qu’un lapin comme moi ne prenne la plume.
Oh oui, je sais, l’éternelle antienne, l’équation immuable : lapin = crétin. Devrais-je pour autant ronger ma carotte et mon frein sans réagir ? Eh bien non, je vais taper du pied et ricaner en frisant ma moustache, car l’histoire suivante va mettre en scène un humain crétin.
Il se croyait malin pourtant quand, sortant d’un papier les deux cuisses d’un de mes malheureux frères, ce méchant bougre prit un air pontifiant pour affirmer qu’il allait revisiter la recette de sa grand-mère dont, je me suis laissé dire, il a souvent vanté les prouesses lapinocides. On allait voir ce qu’on allait voir. Et j’ai vu, ce qu’on…
Mais j’anticipe. Ce débile de première, qui a certainement abusé des cartoons, s’était imaginé qu’avec les petites carottes cueillies dans son jardin ce serait l’accord parfait : un Bugs Bunny sommeille en tout lapin, comme chacun sait…



Quelle créativité ! Bravo l’artiste
.
Alors il a entrepris de glacer le fruit de sa réflexion baignant à affleurement au sein d’une eau légèrement salée de fleur de sel de l’Île de Ré (quel snobinard de bas étage…) et sucrée d’une pincée de Daddy Cristal (je m’étonne que ce ne fût pas de ce Sucre Noir D’Amami qui doit pourtant bien trôner dans son placard, écrasant vergeoise et cassonade de son mépris) dans laquelle avait fondu une noisette de Beurre des Montagnes. Les petites boules et fuseaux rubiconds étaient coiffés d’un disque de papier siliconé découpé avec la maestria - du moins le croyait-il - d’un concurrent de Top Chef. Pourtant il aurait fallu voir quelques minutes auparavant ce pseudo-chef domestique, plus près du paillasson que des étoiles, en train de brosser avec une énergie de façade ces carottes qui n’en demandaient pas tant, puis tentant d’extraire d’une main mal assurée la terre accumulée à la périphérie du feuillage avec l’aide de la pointe d’un couteau acheté chez Dehillerin et non pas chez un vulgaire Leclerc…
Finalement, les carottes sont cuites. Ce Monsieur ne colle pas la casserole dans un coin - il réserve…

J’aurais dû m’en douter. Une confection de pickles va suivre, c’est si tendance. Dans une petite casserole un verre de vinaigre de cidre Maille, mais aussi une petite cuillerée de Balsamique de Modène IGP, du bon, là pas de Maille qui lui aille. Il a porté à ébullition et ajouté une petite cuillerée de sucre ainsi qu’une pincée de sel. Il a ôté le récipient de la flamme et y a plongé des cubes taillées dans un petit concombre venu lui aussi du jardin. « Il est bien ferme ! » s’est-il réjoui en parlant tout seul dans sa barbe pendant qu’il tranchait. Certes, plus que toi, vieux gâteux !

Dans la foulée, il avait aussi prélevé des cercles dans un oignon violet à l’aide d’une mandoline. Bravissimo, il ne s’est pas coupé les paluches, il en fut sans doute aussi étonné que je le suis. Dommage, son sang vermeil qu’il eût sans doute préféré bleu aurait fait merveille pour obtenir un plaisant camaïeu avec le cinabre de la carotte.
Quelques chutes de ce bulbe rejoignirent le concombre.
Monsieur dépose la casserole dans un angle du plan de travail - il réserve.

Mais que devient ce pauvre lapin ?
Eh bien notre Q.I.-sinier a bien cogité pour renier sans en avoir l’air la bonne cuisine de son aïeule. Il a commencé sa recette de façon identique : les cuisses assaisonnées sont dorées sur une noix de beurre au fond d’une poêle en compagnie de carotte, oignon, ail, laurier, thym, romarin.

lapin, carotes
Cuisse tôt


Puis elles sont arrosées de deux verres de vin blanc sec. La cuisson s’est poursuivie à feu doux jusqu’à évaporation presque complète. Un précieux jus s'était formé.

C’est à ce moment que la créativité du petit-fils a conduit à rompre les amarres. La bonne ménagère poitevine du temps jadis aurait simplement parsemé les cuisses d’une persillade et laissé mijoter ce plat parfumé quelques instants sur le feu avant d’apporter la poêle sur la table.
Mais on n’arrête pas le progrès. Notre énergumène s’est cru malin d’étaler la persillade sur des feuilles de filo barbouillées au pinceau de beurre fondu. Il a ajouté des lambeaux d’estragon.

lapin, persillade
Persillade et estragonade


Pour achever cette revisite, il a refermé les feuilles de filo autour des cuisses pour obtenir de petits paquets.

Continuant sur sa lancée, ce triste individu ne s’est pas contenté de saboter une bonne vieille recette du Haut Poitou. Il a fallu en outre qu’il s’attaque à un pilier de la gastronomie saumuroise en revisitant aussi de façon aussi barbare la galipette.
Au lieu du grand champignon traditionnel récolté tardivement dans les caves, c’est un petit champignon de Paris brun qui s’était épanoui après quelques jours passés dans un bac du réfrigérateur qui a servi de récipient non pas à des rillettes mais à du lard gras salé finement haché au couteau (il me faut reconnaître qu’il s’est donné du mal - et il ne s‘est même pas coupé, dommage, l’andrinople de son sang aurait fait merveille en contraste avec le lard albugineux) et mélangé avec le reste de persillade et force poivre rouge.

Les cuisses prisonnières furent étendues sur une grille au fond d’une plaque, et à côté furent déposées les mini-galipettes.

lapin, filo
Inspiré par une blague à tabac ?


Ce petit monde fut enfourné à 160 °C pour une dizaine de minutes avant de terminer par cinq minutes à 180 °C - en même temps que les carottes étaient remises à température en achevant leur glaçage. Le jus restant au fond de la poêle finissait paisiblement sa réduction.

L’humain crétin était tout content, il allait pouvoir passer au dressage de ses magnifiques assiettes relevant la tradition de touches de modernité.
Tout se passa comme prévu. Il marmonna « N’est-elle pas belle mon assiette ? ». Certes, plus que toi, débris malfaisant…

lapin, carottes, galipette, pickles
Croustillant de lapin, ses fraîches carottes du jardin et sa petite galipette, pickles de concombre



Phase finale : l'arrivée sur la table.
Le tambouilleur de mes deux, la mine réjouie, planta la fourchette de sa senestre afin de retenir le paquet doré, croustillant et odoriférant. De sa dextre il entreprit de découper une tranche de l’un de ces lapins qu’il avait osé affubler du sobriquet de crétins.
Il fut stoppé dans son élan. Il était tombé sur un os. Il n’avait pas pensé à les enlever !

Quand je disais qu’il y a des humains crétins !

mardi 21 juillet 2020

L'Aubracage du siècle

Mon voyage en Aubrac autour de mon fourneau, faut l’clore.
Autant terminer en beauté, dans une épure de ruralité rêvée

Pour ce faire je vais réaliser une truffade tout ce qu’il y a d’authentique. Préparée et bonne comme là-bas - tout au moins je l’espère.
Je commence par éplucher mes pommes de terre de variété Ditta garanties bio et les trancher, non pas avec une mandoline, mais façon mémé au couteau (hélas pas mon Laguiole, car il est un peu trop petit pour cet usage…) sur une planche. Ne le répétez à personne : j’en choisis une en polystyrène, et dédaigne celle en bois de charme (discret de la paysannerie). Sans regret, car, après tout, n’est-ce pas une façon de signifier qu’un minimum de saine modernité n’est pas absent de nos hameaux ?
Je m’arrête de pourfendre à tout va quand j’ai obtenu suffisamment de disques pour recouvrir la poêle de 32 cm. Il s’agit d’un ustensile en acier bien culotté par plus d’un quart de siècle d’usage.
Je lave à grande eau mes découpes de pommes de terre, les sèche au sein d’un bon vieux torchon rapetassé en maints endroits.
Je verse au fond de ma poêle une cuillerée de graisse d’oie dans laquelle je fais fondre à feu doux des petits lardons découpés dans un morceau de lard gras salé. Quand ce dernier a bien rendu sa graisse je hausse la flamme et déverse les tranches de pommes de terre. Ditta jacta est, comme aurait pu le dire un célèbre massacreur d’Arvernes…

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Du lard et la manière


Un quart d’heure plus tard, j’ai réussi à dorer mes patates sur les deux faces.

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Les pièces jaunes de l'Aubracage


« Comment ça, des patates, patate toi-même, nous sommes de vaillantes Solanacées et tu pourrais être poli…
-  Je ne vous permets pas de me tutoyer, nous n’avons pas nourri les cochons ensemble, et c’était simplement pour éviter une répétition, pas de quoi fouetter une crème. »
D’ailleurs, à propos de crème, c’est le moment d’en verser une cuillerée sur mes tubercules.
« Tubercules, mon…
-  Ah non, vous n’allez pas vous remettre à ces interruptions intempestives, laissez-moi écrire cuisiner paisiblement ! »

Je reprends le fil de la recette, excusez-les, après tout ce ne sont que des légumes…
Or donc, il s’agit d’une bonne crème épaisse de montagne, fleurant bon le lait et le terroir.



Je remue la poêle pour la répartir.

Dans un cul-de-poule attendent des petits cubes que j’ai taillés dans un pain de tome fraîche de l’Aubrac.



J’en parsème mes disques dorés pataugeant dans la crème, brasse avec la délicatesse qui peut être mienne quand je m’en donne la peine.
Eh oui, ça fond, et bientôt ce sera notre tour de fondre de plaisir, transportés dans un buron perdu sur les pentes herbeuses.
Tiens, à ce propos, je tiens à répondre à celles ou ceux qui pissent froid même en été que le buron est un refuge habité en période d’estive et que la réalisation de cette roborative truffade n’a donc rien d’incongru en juillet - bien au contraire, le lait de fabrication de la tome étant parfumé par les herbages dont se gavent les troupeaux.
Un peu de persil du jardin ciselé, et nous sommes définitivement arrivés au buron. Nous nous attablons.

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Truffade Komlaba



Je me sens chef de buron...