Longtemps, j’ai cuisiné de bonne heure. Parfois, à peine mon fourneau allumé, mes moules s’ouvraient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Elles sont cuites » Mais, sans conteste, c’était de voir la tranche rouge d’un thon brunir en quelques secondes avant que je ne la retourne prestement, m’appliquant à conserver à la chair ce carmin miraculeux conférant à ce poisson la vigueur animale d’un taureau entrant dans l’arène, qui me procurait le plus grand plaisir culinaire, me donnant la sensation de transformer dans un instant aussi bref que magique un simple parallélépipède mollasson et embué en un mets exquis caparaçonné dans une croûte basanée, alors que d’autres plats laborieusement préparés après forces découpes et longs mitonnages ne réjouissaient guère plus mes papilles - ni même celles de mes convives.
À l’ombre des crevettes en fleur
Elles ne batifolaient pas sur les planches de Deauville (pas plus que sur ma plancha d’ailleurs), mais jouaient les Bathing Beauties au large du Grau du Roi.
Elles sont arrivées chez moi toutes fraîches et toutes pimpantes après une nuit de voyage en sleeping-car.
Elles se sont plaintes du froid qui régnait dans le convoi. Ah, cette maudite clim !
Je n’ai pas tardé à les réchauffer.
...en fleur de sel |
La prisonnière
La banane se sentait mal dans sa peau. Alors je l’ai dévêtue.
Elle voulait s’échapper, alors je l’ai emprisonnée dans des feuilles de filo.
Ni une ni deux, ce fut le four. Elle voulait s’échapper. Pas question ! De quoi se plaignait-elle ? Elle était nourrie de sucre et de beurre. Sans parler du vieux rhum...
Une prison dorée |
Label thynnus disparu
Eh oui, toujours pas de Thunnus thynnus à l’horizon…
Pour le remplacer, des rougets ont pris le même convoi que les crevettes.
Des rougets barbets. Heureusement pour elles, pas des rougets grondins qui auraient pu les importuner par leurs grognements, ni des barbeaux toulonnais montant à Panam pour agrandir leur territoire. Ce sont eux, ces rougets, qui sont allés s’allonger sur la plancha.
Rougets et fiers de l'être |
Ils n’avaient pas les foies en arrivant chez moi. Honte à eux ! Pourtant, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’étaient pas des durs à cuire…
Pas mauvais parfumés par du basilic du jardin écrasé au mortier avec simplement du gros sel et de l’huile d’olive fruitée.
Alors, on fait moins les fiers ? |
Je regrette toutefois mon thon rouge dont l’absence m’obsède.
Je me console avec un riz pilaf au safran cuit dans un bouillon de crustacées…
Tiens, une feuille de quatre-épices... |
Le thon retrouvé
Je le cherchais bien loin. Et il était tout proche.
En effet il m’attendait sur l’étal d’un poissonnier des halles
Il avait été pêché en Méditerranée - le vendeur l’affirmait, juré, promis, croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer. De plus c’était un morceau de ventrèche, entrelardé à souhait. Du nanan !
Il a reposé une heure à température ambiante (il faut laisser du temps au thon…). J’entrouvre délicatement le papier qui lui sert d’écrin.
Je me contente de le parsemer de sel fin.
Thynnus est là ! |
Je l'allonge sur le gril badigeonné au pinceau d’une huile d’olive sans ambition qui saura s’effacer… Quand la fonte est devenue bien chaude, mais sans excès, je fais exécuter un aller-retour à la ventrèche avant de la déposer sur une planche.
Pas de doute, il s'éclate ! |
Je me hâte de procéder à la découpe. La cuisson sera-t-elle réussie ? Eh bien oui, la tranche offre l’aspect que je souhaitais. Et la chair centrale est bien tiède.
Force d'intervention japonaise |
J’apporte la planche sur la table.
À côté, j'offre une salade de salicornes, parfumée par le vinaigre de Maury que j’ai mélangé à l’huile d’olive noble, tendance herbacée. Un petit oignon blanc nouveau ciselé finement vient la vivifier.
Une touche végétale... |
J’ai porté un fragment de ce thon à ma bouche, mêlant les fragrances maillardesques de la surface et la rusticité marine brute du cœur resté saignant, le tout lié par la rondeur propre à ce gras morceau.
Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de thon que l’on m’avait servi jadis à la terrasse d’un restaurant vendéen, alors que ma jeune épouse se régalait de sardines grillées. Ce thon avait été pour moi une révélation. Pour la première fois l’empreinte de la houle du grand large était au bout de ma fourchette.
Cependant cette réminiscence thonière façon madeleine ne m’arrange pas. Elle a introduit en moi une sournoise interrogation. Ce thon est-il vraiment de la Méditerranée ?
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