Les Jaunes gros du Poitou avaient eu le malheur de gémir que ce n’était pas possible, qu’ils crevaient de soif.
« Et pas un Zumain pour venir nous verser à boire… Nous allons tous mourir, comme les Cardons emportés par la déshydratation dans leur prime jeunesse ! Pauvre de nous… »
Les Bleus de Solaize, énervés, avaient répliqué que si l’on manquait d’eau, c’était peut-être parce que de gros patapoufs irresponsables n’avaient pas su se rationner après la disparition des Zumains.
« Arrêtez de chougner. Nous aurions pu tenir jusqu’à la prochaine pluie. Toujours compter sur les Zumains, c’est lamentable.
- Ah, ces bleus qui prétendent nous donner la leçon ! Parce que vous, vous n’étiez pas benaizes quand une rigole d’eau du puits s’écoulait à vos pieds ou sous la douche de l’arrosoir d’un Zumain. N’attendiez point qu’il mouille, à c’t’époque ! Toute votre ramijhaudée, elle en a bien profité, des Zumains. Quand un jardinier vous débarrassait du luma qui vous chatouillait le pied, on s’attendait toujours à ce que vous lui sautiez au cou pour le biger !
- Des ciboulettes qui avaient fréquenté une cervelle de canut l’avaient mille fois répété à mon pauvre père : méfie-toi des jaunes. Il me l’a aussi seriné. Mon père avait raison !
- Eh, pauvres guignols… Tout ça ne vous empêche pas de rester à poireauter bêtement…
- Sauf que nous, nous poireautons avec dignité.
- Tu parle, quand est-ce que vous allez fermer votre goule ?
- Et vous, arrêter vos pillandreries ? »
Un peu plus loin des épinards avachis sont réveillés par les éclats de voix.
« Qu’est-ce qu’ils disent ?
- Ben, tu sais bien que nous sommes devenus durs de la feuille… »
Ils se tournent vers la planche voisine.
« Vous y comprenez quelque chose ?
- Oh non. Bettes nous sommes, bettes nous resterons. C’est tout ce que nous savons. À part le fait que nous avons soif… »
Mais soudain un portillon s’ouvre. Cri unanime : « Un Zumain ! »
Ils n’arrivent pas à y croire.
« Un Zumain, ça existe encore ?
- Certainement, mes amis. Libérés, délivrés… Enfin presque. Mais je puis désormais venir vous servir à boire. À qui qu’on dit merci ? »
Un pied rabougri qui a dû en voir bien d’autres s’exclame : « À Lama et Delon ».
Cet ancien combattant doit mériter les lauriers au-dessus de sa tête.
« Mais non, merci Monsieur le Préfet ! »
Nouveau cri unanime : « Fayot ! »
C’est ainsi qu’un Zumain fut intronisé dans le clan des légumes.
C’est ainsi que sur ma table arriva un plat de poireaux de bonne taille, bleus et jaunes mélangés (quoi de mieux pour obtenir un légume vert) néanmoins tendres sous la vinaigrette à l’échalote et à la moutarde.
Et ça devait finir ainsi... |
C'est ainsi que deux jours plus tard, ce sont des épinards qui sont tombés dans le beurre d’une poêle. Je n’en avais jamais encore mangé au goût si prononcé. Un concentré d’épinard !