En cuisinant mes endives, j’avais un sentiment de trahison envers la mémoire de Pierre Desproges dont je pleure toujours la disparition prématurée.
En effet n’a-t-il pas écrit que
l’endive, en tant que vivante apologie herbacée de la fadeur, est l’ennemie de l’homme qu’elle maintient au rang du quelconque, avec des frénésies mitigées, des rêves éteints sitôt rêvés, et même des pinces à vélo. L’homme qui s’adonne à l’endive est aisément reconnaissable, sa démarche est moyenne, la fièvre n’est pas dans ses yeux, il n’a pas de colère… J’étais d’autant plus amer - alors que l’endive actuelle, elle, ne l’est guère, s’étant débarrassée du peu de caractère qui la sauvait de la médiocrité - que j’ai même éprouvé un certain plaisir en les dégustant.
Fort heureusement, je viens de découvrir un autre texte qui me rassérène.
J’ose espérer que, si c’était moi qui avais partagé sa cabine d’ascenseur, Pierre Desproges n’aurait pas éprouvé la nécessité de rédiger cette déclaration de mépris envers son compagnon de montée :
L’idée ne m’effleura même pas de partager avec lui ma passion pour les chroniques de Vialatte et les bordeaux vieux, ou mon mépris pour le football et les endives braisées, ou alors il faut mettre très très peu d’eau, afin que l’endive "transpire" un maximum, et relever le plat d’une pincée de poivre vert moulu qu’on aura soin de saupoudrer en toute fin de cuisson, afin de n’en pas épuiser le fumet.
En tout cas je sais maintenant que depuis l’au-delà il m’a pardonné mon indulgence coupable envers l’endive et cet éloge inattendu d'une préparation de ce légume honni auquel je me sens obligé de me livrer.
En effet, il me faut bien l’avouer, je me suis vraiment régalé avec ces endives braisées que je venais de préparer. Certes, mon traitement fut différent de celui proposé par Desproges - recette que je vais essayer de reproduire un jour, même si je ne suis pas un fanatique du poivre vert, alors si tendance quand ces lignes furent écrites… - mais l’esprit reste le même : ne pas diluer le peu de saveur qu’offre cette blanche verdure tout en y ajoutant des parfums salvateurs.
J’ai commencé par faire tomber mes endives coupées en deux dans une grosse noix de beurre demi-sel - étendues côté découpe puis côté externe - au fond d’une poêle coiffée d’un couvercle.
Puis j’ai arrosé d’un trait de balsamique blanc que j’ai laissé réduire à découvert jusqu’à un début de caramélisation. Je me suis alors emparé dans la corbeille à fruit de deux oranges délaissées en raison de leur acidité et les ai pressées pour verser leur jus sur la cuisson. J’ai ajouté un brin de romarin cueilli la veille au jardin. J’ai ensuite poursuivi la réduction à petit feu. Quand le liquide est devenu sirupeux, j’ai éteint la flamme et donné un léger tour de moulin de poivre rouge de Kampot.
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Où l'endive est passée à l'orange |
Les endives, à la fois fondantes et légèrement
al dente, avaient conservé un soupçon d’amertume de bon aloi, et l’alliance de l’orange et du romarin a fonctionné à merveille. Il ne faut pas non plus oublier la pointe d’acidité qui émoustillait les papilles.
Qui aurait pu dire qu’un jour je me serais autant régalé avec des endives ?
D’autant plus qu’à leur côté des onglets de veau n’étaient pas prêts à jouer les seconds rôles.
Je les ai parfumés d’une pincée de
ras el hanout avant de les faire dorer sur les deux faces. Eux aussi ont eu droit à un trait de balsamique blanc - rehaussé par une feuille de laurier.
La cuisson s’est terminée par le déglaçage de la poêle par le jus d’un citron.
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La fibre est là... |
J’ai pris beaucoup de plaisir avec cette viande fibreuse qu’est l’onglet de veau - presque autant qu’avec un sanglant onglet de bœuf. La chair en était tendre et moelleuse, et comme pour l’endive le traitement revigorant avait donné une personnalité à ce morceau plutôt fade, il faut bien le reconnaître (toutefois, comme il s’agissait d’un veau bien élevé je retire le mot fadeur, non, c’était une saveur subtile qui ne demandait qu’à être étayée pour révéler sa personnalité…).
Alors soit rassuré, ô timide onglet, je te kiffe grave !