Ce jour je change de peau : de diariste culinaire je me transforme en reporter dégustateur. L’exhibitionniste se mue en voyeur…
En effet mon infante puînée fête son cinquième anniversaire.
Elle a fixé elle-même les grandes lignes du repas : il devra comprendre un coquillage, des frites, et pour le gâteau ce sera soit marron, soit pomme - ou pourquoi pas les deux.
Ce sera effectivement les deux, car le prix de mon infiltration au sein de ces agapes sera la réalisation d’une tarte florentine aux pommes selon la recette alléchante du site
La cuisine de Bernard.
https://www.lacuisinedebernard.com/2011/05/la-tarte-florentine-aux-pommes.html
Pas de difficulté particulière, sauf que ne disposant pas de cercle
22x5cm, il a fallu composer avec un moule à manqué de
24x7cm. Le côté positif, c’est que la hauteur permettait un aspect plus gâteau que tarte, en revanche j’ai dû me livrer à de savants (?) calculs pour ajuster les quantités, basés en ce qui concerne la garniture sur le rapport des volumes et en ce qui concerne la pâte sur le rapport des surfaces. Ce qui a conduit à des pesées un peu plus exotiques que des 200 g, 150 g ou 125 g ainsi qu’à un certain à peu près pour la quantité d’œufs… Quant au temps de cuisson, quelques minutes seront ajoutées. Au feeling…
Toujours est-il que le soir sortait du four un beau gâteau doré apte,en dépit de sa catégorie amateur, à être confronté dans l’open du lendemain au pro dopé aux marrons.
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Pas de marrons pour ma pomme |
Bon, après ce flash-back, je puis maintenant entrer dans le vif du sujet.
Quand nous arrivons sur le lieu du festin, ma fille est en pleine préparation et, surprise, elle est assistée d’un commis de huit ans d’âge : l’infante aînée.
Sur le plan de travail, une ribambelle d’assiettes sur lesquelles sont étendues des rondelles de noix de coquilles Saint-Jacques.
« Elles sont extra-fraîches, le poissonnier me les a décoquillées ce matin...»
Aucun doute, leur blancheur nacrée immaculée et leur fermeté n’autorisent aucun doute. Par-dessus, la jeune assistante est en train de disposer en étoile des pétales de mangue. Puis elle verse au centre des assiettes une cuillerée de confit d’algue sortie d’un pot.
Suivent, dans un dressage à quatre mains, les taches rosâtres d’une sauce confectionnée à partir du corail des Saint-Jacques - « J'ai ajouté du corail d'oursin et du jus de citron vert...» - et les petites coulées prélevées de l’intérieur de fruits de la passion.
Le commis a mission de parsemer d’éclats de pistache - « Oh, pas autant, il n’en restera pas pour les dernières assiettes, et puis ça n’est pas un plat de pistaches à la coquille Saint-Jacques ! ». La jeune classe a compris, elle prélève l’excès et modère ses ardeurs.
Il s’agit maintenant d’assaisonner. Ma fille se charge du sel et surtout de la noix de Tonka qu’il faut râper avec une parcimonie dont on ne saurait être assuré de la part de l’infante de service. On lui délègue néanmoins les tours de moulin de poivre blanc de Penja. On a eu raison de lui faire confiance, même si elle s’est désolée d’un petit surplus local vite évacué dû plus au moulin qu’à son pilote.
Mission réussie aux cuisines.
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L'enfance de l'art ? |
Le commis peut se métamorphoser en serveuse pour disposer les assiettes devant les convives.
Force m’est de constater que cette entrée est une réussite, fraîche et parfumée sans excès afin de préserver en bouche la saveur de la noix de Saint Jacques. La pointe d’acidité du fruit de la passion et la note croquante des pistaches font merveille pour l’équilibre de ce plat.
Il est temps maintenant de passe au plat principal. J’ai une idée sur sa nature, car j’ai aperçu une masse dorée à l’intérieur du four.
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Où l'on voit un observateur mettre les pieds dans le plat |
« Je parie qu’il s’agit d’un bœuf Wellington.
-Gagné ! »
J’apprends par la même occasion que ma fille a dû se battre pour obtenir une pièce sans barde, simplement ficelée, qu’elle a pu saisir sur une poêle.
Après refroidissement, ce rôti a été débarrassé de sa ficelle et emmailloté dans une pâte feuilletée – commandée chez un pâtissier - doublée d’une duxelles de girolles, trompettes-de-la-mort, champignons de Paris et échalote. « J’ai fait attention de bien la dessécher et la laisser refroidir avant de l’étendre sur la pâte ! Mais là, il y a 35 minutes que j’ai enfourné, ça doit être cuit. Pourvu que le feuilleté ne soit pas ramolli et que la viande soit restée saignante à cœur ! »
Je reconnais bien là l’anxiété de ma fille et son manque d’assurance sur ses talents culinaires. Elle devrait pourtant commencer à être rassurée par de nombreux précédents repas réussis…
Et puisque maintenant un commis dévoué est à sa disposition…
D’ailleurs j’aperçois que le Wellington a bénéficié de moult ornementations : feuilles, étoiles, comète et cœur.
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On lui a décerné des étoiles |
« C’est…
-Oui, c’est bien mon assistante qui l’a décoré ! »
Le bœuf Wellington vient s’allonger sur la planche qui l’amènera jusqu’à la table.
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Planche de contact |
Sur la plaque à induction mijote la sauce : de la fourme d’Ambert fondant dans de la crème fraîche. Elle sera vigoureusement poivrée à sa sortie du feu (ou plutôt des rayons…)
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L'Ambert du décor |
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Un deuxième commis entre en scène : mon gendre. Il est chargé de la cuisson des frites à l’extérieur, devant la porte-fenêtre de la cuisine. Elles ont déjà été blanchies et attendaient dans des saladiers. Il s’agit de frites classiques de pommes de terre, mais aussi de panais, de patates douces et de betteraves rouges.
Quelques minutes plus tard le bœuf Wellington est découpé sur la table.
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Qui veut la tête de Wellington ? |
Une tranche est déposée sur chaque assiette. À ses côtés la maîtresse de maison ajoute une cuillerée de sauce au bleu et une poignée de frites diverses. C’est le héros (la hérose ?) de la fête qui doit être contente : elles sont là, ses frites, et même en couleur.
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Quand Wellington a la frite |
Ma fille avait bien tort de s’inquiéter : pointe de feuilleté resté pâteux, une viande parfaitement cuite, goûteuse et tendre, une duxelles sentant bon le sous-bois : que du bonheur. Je n’émettrai qu’une critique : la sauce madère traditionnelle aurait beaucoup mieux fonctionné avec cette pièce rôtie qu’une sauce au bleu, trop grasse.
Pour suivre, le plateau de fromages, attaqué modérément par des convives déjà repus. Pourtant il était sympathique avec son saint-nectaire fait à point, son cendré de Niort ceint de sa feuille de châtaignier, son jeunot de cantal et sa tome à la truffe dont la saveur de haut goût faisait pardonner la fatuité.
Mais chacun sait qu’il faudra faire honneur au gâteau d’anniversaire - auX gâteauX d’anniversaire.
Je vois qu'ils viennent d’être déposés sur le plan de travail, en attente de bougies.
J'observe mon adversaire.
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Le marron de service |
Pas de doute, il ne fait pas le poids devant moi !
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Poids léger contre poids lourd |
Ils arrivent sur la table, la jeune infante gonfle ses joues. Elle doit reprendre son souffle plusieurs fois avant que la dernière petite flamme ne vacille et ne soit remplacée par un brin de fumée vite disparu. Bravos de l’assistance...
Les parts atterrissent dans les assiettes à dessert : marron et pomme se voisinent. D’un côté, un excellent gâteau de pâtissier, mais où le marron semble singulièrement absent, une épaisse couche d’une crème dominatrice certes aérienne mais à la note d’agrume très marquée étouffant dans la bogue toute expression de la châtaigne ; de l’autre côté un gâteau un peu pépère mais aux saveurs plus subtiles qu’il n’y paraît, et pour lequel ma petite fille peut se réjouir de la présence caracolante de son fruit préféré.
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S'en payer de bonnes tranches |
Quant à moi, c’est de croquer la couverture croustillante aux amandes que j’avais mise de côté pour la bonne bouche qui constitue le point final gourmand de ce repas, tout en levant ma flûte de champagne
en l’honneur de la demi-décennaire.