Ail, ail, ail…
Je suis tombé en amour pour ces têtes arleusiennes d’un blond vénitien dès que je les ai vues avec leur longue tresse. Et quand je les ai approchées, leur parfum de fumée exhalée par des braises de hêtre m’a donné l’impression de gambader autour d’un feu de camp.
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Mes Arleusiennes |
C’était il y a près d’un an, et l’ivresse est la même. De temps à autre je m’empare de l’une d’elles, la jette sur la table et l’immole sur l’autel de la jouissance.
Mais tout n’a qu’un temps. J’en ai vu passer, des têtes bien sentantes sur lesquelles le défilé des jours ne semblait avoir aucune prise. Et il ne m’en reste plus qu’une demi-douzaine. Je tiens à leur offrir une finale toute en magnificence avant que leurs sœurs cadettes n’arrivent dans quelques semaines. Une fête dont elles seraient les reines…
Je me souviens qu’il y a bien longtemps j’avais enfoui des tronçons de saucisse de Toulouse sus une avalanche d’aulx tourangeaux et avait laissé mijoter longtemps à couvert sur une petite flamme. Je les savais retrouvés confits au sein d’une crème parfumée empreinte de douceur. Un délice !
Je me dis que mes têtes arleusiennes devraient être sublimées par un traitement analogue.
Je n’ai pas de saucisse de Toulouse, mais quatre côtes d’agneau m’attendent dans le frigo, et ail et mouton ont toujours fait bon ménage. De plus cette viande ne craint pas la cuisson longue…
C’est parti, je dégage les gousses avec un peu en moi la tristesse devant un chapitre qui se clôt.
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Au bord de la côte |
Il me vient à l’esprit que les saucisses avaient dispensé un gras qui n’existe pas dans les côtes. Bon, je compenserai avec deux cuillerées de graisse d’oie…
Je dore les côtes d’agneau au fond de ma sauteuse.
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Côte à la marée basse |
Puis je verse les gousses que je noie dans une grande quantité d’eau et un trait de balsamique blanc. J’ajoute une feuille de laurier, un brin de thym, un chaton de poivre long. Je sale.
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Attention, chute d'aulx ! |
Je découpe un disque de papier sulfurisé destiné à limiter l’évaporation, je pose le couvercle.
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Jouons sur la transparence |
La sauteuse est placée sur une petite flamme. Je règle le minuteur sur une durée d’une heure. Je verrai le résultat après ce délai et déciderai s’il faut prolonger ou non.
Au bout d’une demi-heure, je vérifie que tout va bien. Je vois que les gousses ne se sont pas délitées, mais il reste encore beaucoup de liquide. Je remets le couvercle et pars vaquer à d’autres occupations.
Et là, le drame. La bonne fragrance d’ail est remplacée par une odeur plus forte. J’accours vers la cuisine, mais oui, c’est bien ça, ma préparation commence à attacher. Ce n’est pas vraiment cramé, mais c’est bien caramélisé. J’ai tout faux avec ma graisse d’oie : au lieu de se mêler aux aulx pour les confire doucement, elle est restée au fond et a saisi les côtes d’agneau ainsi que les gousses à son contact. Il reste un peu de liquide, mais j’en rajoute. Je parviens facilement à décoller la croûte présente au fond de la sauteuse, elle se dilue, mais le plat a pris désormais une forte teinte brune. Tout ce que j’ose espérer, c’est que l’ail roussi ne sera pas devenu amer…
Comme mes gousses n’ont pas entièrement fondu, je suis bien obligé de continuer la cuisson, mais là je reste à côté et touille régulièrement en raclant le fond avec la mouvette.
Arrive le moment où ma pâte est devenue crémeuse.
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Bain de côtes |
Il reste néanmoins quelques parcelles irréductibles. Je comprends qu’il doit s’agir des germes, plus coriaces. Aveuglé par mon amour, envers ces aulx, je n’avais pas compris que leur jeunesse était révolue. J’aurais dû les dégermer, même si les fendre pour ce spectacle d’adieu, c’eut été me fendre aussi un peu le cœur
…
Je passe sans enthousiasme et même carrément dépité au dressage.
Faire cuire le boulghour d’accompagnement a été l’affaire de cinq minutes.
Je dispose mes côtes d’agneau et les recouvre de ma crème (?) d’aulx.
Je rehausse chaque assiette d’une volute de persil qui ne parvient même pas à égayer ce triste plat.
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Ail, ail, ail ! |
Comme je le craignais, il se dégage une touche de désagréable amertume, et les petits bouts de germes confèrent une texture peu plaisante.
Les histoires d’amour finissent mal en général, comme l’a écrit le poète.
Surtout quand les élues sont des gousses !