Il était une fois à Parme un homme et un chat. Le matou s’appelait Badabada, et était le seul compagnon de son maître. En effet celui-ci avait été abandonné par sa femme (1), et tentait de se consoler par le chianti et la pasta.
Le malheureux venait de poser une étique escalope de vitello sur un coin de sa table. Il comptait bien la déguster avec les pâtes qu’il s’apprêtait à confectionner. Pour ce faire, en cuisinier méthodique qu’il était, il avait fait une mise en place : une assiette avec un petit monticule de farine, et une autre où il avait cassé deux œufs. Et comme il voulait les servir en gratin, il avait râpé un bout de parmesan dur comme pierre retrouvé dans un coin du buffet et écrasé au mortier de marbre de Carrare (2) un antique quignon de pain ainsi réduit en miettes.
Le chat Badabada lorgnait depuis un certain temps vers la désirable escalope, bon, l’homme avait le dos tourné, c’était le moment de passer à l’action. Un bond vers le butin, et…
Et l’animal était sournois, mais aussi maladroit (3). L’escalope lui échappa, vola pour s’écraser sur la farine avant de rebondir et plonger dans les œufs que l’homme était en train de battre, éclaboussant en même temps la chemise pourtant déjà assez maculée comme ça (1).
C’est alors que l’homme eut une idée de génie comme seuls les Italiens peuvent avoir. Il traîna l’escalope poisseuse dans les miettes de pain et la poudre de parmesan. Puis il la jeta dans une poêle où fondait un morceau de beurre.
L’escalope panée était née. Je dirai même mieux : l’escalope milanaise. (4)
(1)- Cette femme était partie avec un ancien Chartreux (a), et depuis elle était surnommée la Chartreuse de Parme (b).
(a) Pas un félin, mais un moine
(b) À cette époque, il était très mal vu pour une femme de partager sa vie avec un ecclésiastique défroqué. Stendhal eut connaissance de cette anecdote qui lui inspira son célèbre roman, où l’on ne la reconnaît guère tant il en a modifié le cadre, les personnages et le déroulement, licence que l’on lui pardonnera bien volontiers.
(2)- Le seul objet luxueux que son ex-épouse n’avait pas emporté (a) (b).
(a) Et ce uniquement en raison de son poids.
(b) De toute façon, ni son Chartreux ni elle ne s'adonnaient aux joies de la cuisine, se livrant (au moins pour encore quelques années) à d’autres activités tout aussi sensuelles dont ils maîtrisaient mieux les recettes.
(3)- J’ai connu aussi un chat maladroit qui.. Mais ceci est une autre histoire !
(4) - Selon certains, le déroulement fut autre. Devant le méfait du chat Badabada, l’homme entra dans une de ces colères noires que seuls les Italiens peuvent avoir. De fureur, il jeta l’escalope violemment sur la table où elle s’écrasa dans les miettes de pain, renversant au passage le petit bol de parmesandont le contenu s’éparpilla sur l’escalope sauteuse. L’homme , dépité, la posa dans la poêle préparée pour simplement dorer une viande immaculée. Il trouva que finalement ce n’était pas si mauvais que ça. L’escalope parmesane était née. Mais ceci est une autre version !
Je tenais à faire figure sur cette page l’histoire authentique de la création de l’escalope milanaise, tant de blogs se contentant de colporter des billevesées ramassées sans discernement au gré d’errements sur la toile.
Mais il s’agit maintenant de passer à la pratique. Mes plats, ce sont des haricots plats et de fines (avec modération, bien entendu) escalopes de veau. Pour autant, il ne donnera pas dans la platitude : les saveurs y seront.
Si alliance des saveurs il y aura, je jouerai aussi sur des alliances de formes : les losanges des haricots, le cercle du citron et l’ovale de la tomate.
C’est d’ailleurs par cette dernière, une tomate du jardin bien charnue, que je commence. Je la découpe en deux selon son axe, la débarrasse des quelques pépins qui apparaissent et la recouvre d’une persillade que je viens de ciseler. Si le persil est maraîcher, l’ail a été arraché la veille au jardin. J’en mets une tête entière - elle n’est pas très grosse. Je place dans un petit plat en ajoutant quelques noisettes de beurre demi-sel que je parfume d’une pincée de ras-el-hanout.
Tomate pourfendue |
Et j’enfourne pour 6 minutes à 180 °C. Je réserve, je remettrai à température au moment du dressage
Sortie de four |
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Puis je découpe les haricots plats en losanges que je blanchis 7 minutes dans l’eau bouillante salée.Je retire à l’aide d’une araignée pour les transvaser dans le beurre demi-sel mousseux d’une poêle où ils ne resteront qu’une à deux minutes sur une petite flamme, le temps de les poindre d’une couche de gras les empêchant de s’oxyder et de virer au gris.
J’ai préparé les assiettes avec la farine, deux œufs battus, de la chapelure de mie de pain mélangée à du parmesan râpé. Mes deux escalopes passent successivement de l’une à l’autre. Je recommence une seconde fois les épisodes œuf et chapelure, ça y est, la viande est bien enrobée.
J’allonge mes deux escalopes dans une poêle antiadhésive où j’ai fait fondre une grosse noix de beurre dans une cuillerée d’huile d’arachide. La menée de la cuisson ? Eh bien elle se fait en alternant les accélérations et les ralentissements, vigilant ainsi qu'on l’était à l’époque où l’on conduisait vraiment et où l’on ne s’ennuyait pas comme c’est le cas du pauvre automobiliste traité en irresponsable qui se traîne en compagnie des autres veaux, les yeux braqués sur les 80 du compteur et non sur la route. Alors, pour mes escalopes ce sera en premier lieu une flamme suffisamment vigoureuse pour permettre de saisir rapidement la panure sur chaque face et la faire croûter, puis une baisse pour cuire doucement la viande en préservant son enrobage, puis une hausse modérée pour éviter le desséchement, plusieurs fois de suite avec des retournements, et enfin quelques secondes avec le feu au maximum pour à la fois donner la couleur et le croustillant.
En même temps j’ai remis la tomate au four à 70 °C et la poêlée de haricots plats sur un petit feu (en y ajoutant le peu de persillade qui restait sur la planche) pour tout remettre à température.
Je me dépêche de retirer les escalopes de la poêle et de les poser sur les assiettes. Je fais glisser les demi-tomates, ajoute les haricots plats. Je termine par les rondelles de citron.
L'escalope de Monsieur |
L'escalope de Madame |
À l’inventeur de l’escalope milanaise, quel qu’il soit, le gourmand reconnaissant !!!
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