mercredi 14 août 2019

Autarcie, si, si, si ?

Autarcie, non, non, non ! Mais presque…

Car pour le repas les ingrédients étaient :
- courgettes du jardin (2 variétés, grosse et petites taille - plus ferme et avec peu de pépins)
- tomate cœur-de-bœuf du jardin (la vraie)
- oignon paille du jardin
- laurier du jardin
- thym du jardin
- basilic du jardin

Mais je ne suis pas vég-âne, alors il a fallu ajouter à cette liste une viande, en l’occurrence deux steaks taillés dans l’onglet, et j’ai beaucoup de mal à abriter un bœuf dans mon appartement et à lui faire descendre l’escalier pour aller brouter dans mon jardin.
Seules solutions pour l’autosuffisance :
- le bœuf sur le toit, mais je crains de susciter une certaine hostilité envers moi dans l’immeuble.



- le mouton, dont je pourrais proposer les services de tonte de pelouse au propriétaire du rez-de-jardin, qui m’assurerait aussi la laine permettant à Madame de me tricoter un pull pour l’hiver, ou bien le goret fort utile pour le tri sélectif des déchets végétaux - bestiaux tous deux susceptibles cependant de m’attirer tout autant l’inimitié des voisins.
- plus faciles à camoufler (sauf le coq réveille-matin) les petits animaux, tels que la poule qui m’offrirait des œufs par la même occasion, mais d‘une compagnie peu avenante dans sa bêtise picorante, le canard que j’exclue d’emblée faute de mare (je ne me vois pas lui mettre la laisse deux fois par jour afin de le mener à la Pièce d’eau des Suisses, au Grand Canal ou au Bassin de Neptune), l’oie qui m’obligerait à placarder sur ma porte, tout comme les Alsaciens affichent « Attention, chien mordant ! » l’inscription « Attention, oie pinçant ! », le lapin, animal de compagnie propre à amuser les jeunes générations et que je pourrais remplacer par un sosie après son passage à la casserole afin d’éviter tout traumatisme enfantin, mais que je me refuse à abriter entre mes murs connaissant ses tendances cablophages susceptibles de me priver d’Internet (que deviendrais-je alors…), enfin le hamster, d’un intérêt gastronomique douteux.
De toute façon il me faut de l’huile, et mon petit olivier poitevin que mon optimisme invétéré me poussait à imaginer apte dans un quart de siècle à me fournir un flacon d’une huile dorée et parfumée vient de succomber à l’attaque sournoise d’une débroussailleuse. Certes, il me reste mes noyers, mais l’huile de noix possède un point de fumée trop bas pour la cuisson…
Et puis le citron, les épices..
D’ailleurs, il y en a, du jus de citron, dans mon plat de légumes autarcie, si, si. Un trait en fin de cuisson, avant d’ajouter les feuilles de basilic déchirées.

courgettes, tomates
Casserole d'autarcie potagère


Avec ce bœuf pas clandestin, c’était quand même un très bon repas.

À l’impossible, nul n’est tenu. Alors, deux jours plus tard, l’autarcie, le retour, mais autar-sinisée avec un wok, même si les légumes proviennent encore tous du jardin.
Je commence par décortiquer une douzaine de gambas fraîches. Je réserve les têtes.
Je sépare les feuilles de choux pe-tsaï, des rescapés de la canicule au jardin.
Je découpe petits oignons en tranche et tomates charnues en quartiers.
Je pose mon wok sur son support et pousse la flamme au maximum.

wok
Il HOOQ


Je verse une bonne cuillerée d’huile d’arachide et quand elle commence à fumer je fais tomber les têtes des gambas. J’attends la coloration pour arrêter le feu et laisser infuser afin de parfumer l’huile. des fragrances du crustacé.

gambas
Ah, ces gambas...


Une demi-heure plus tard, je débarrasse le wok des têtes de gambas à l’aide d’une pince, je lance à nouveau la flamme.
Je verse les tranches d’oignon, puis, quelques secondes plus tard, quand elles sont devenues transparentes, les feuilles de pe-tsaï. Suivent les gambas et les tomates. J’arrose d’un petit verre de vin de riz hua-tiao-chiew



Je termine par un trait de sauce soja qui suffira à saler le plat.
Deux minutes plus tard le liquide a beaucoup réduit au fond du wok que je puisse alors poser sur la table au creux d’un autre anneau.

wok de gambas au pe-tsaï
Wok de gambas au pe-tsaï


Ce plat fusion à la fois proxivore et exovore a bien fonctionné, Avec cette cuisson rapide le chou avait des côtes ayant conservé un agréable croquant, les tomates n’étaient pas tombées en bouillie et la chair des gambas était idéalement nacrée.
Surtout, c’était bon !

samedi 10 août 2019

Daurade, j'adore

Trois belles daurades sauvages sont sur mon plan de travail.
Comme je manque d’inspiration, je laisse à Georges-Louis Leclerc de Buffon le soin de se lancer dans leur description.

Plusieurs poissons présentent un vêtement plus magnifique que la dorade ; aucun n’a reçu de parure plus élégante. Elle ne réfléchit pas l’éclat éblouissant de l’or et de la pourpre, mais elle brille de la douce clarté de l’argent et de l’azur. Le bleu céleste de son dos se fond avec d’autant plus de grâce dans les reflets argentins qui se jouent sur presque toute sa surface, que ces deux belles nuances sont relevées par le noir de la nageoire du dos, par celui de la nageoire de la queue, par les teintes foncées ou grises des autres nageoires, et par des raies longitudinales brunes qui s’étendent comme autant d’ornemens de bon goût sur le corps argenté du poisson. Un croissant d’or forme une sorte de sourcil remarquable au-dessus de chaque œil ; une tache d’un noir luisant contraste, sur la queue et sur l’opercule, avec l’argent des écailles ; et une troisième tache d’un beau rouge, se montrant de chaque côté au-dessus de la pectorale, et mêlant le ton et la vivacité du rubis à l’heureux mélange du bleu et du blanc éclatant, termine la réunion des couleurs les plus simples, et en même temps les mieux ménagées, les plus riches, et cependant les plus agréables. Les Grecs, qui ont admiré avec complaisance ce charmant assortiment, et qui cherchoient dans la Nature la règle de leur goût, le type de leurs arts, et même l’origine de leurs modes, l’ont choisi sans doute plus d’une fois pour le modèle des nuances destinées à parer la jeune épouse, au moment où s’allumoit pour elle le flambeau de l’hyménée. Ils avoient du moins consacré la dorade à Vénus. Elle étoit pour eux l’emblème de la beauté féconde : elle étoit donc celle de la Nature ; elle étoit le symbole de cette puissance admirable et vivifiante, qui crée et qui coordonne, qui anime et qui embellit, qui enflamme et qui enchante, et qu’un des plus célèbres poètes de l’antique Rome, pénétré de l’esprit mythologique qu’il cherchoit cependant à détruire, et lui rendant hommage même en le combattant, invoquoit sous le nom de la déesse des grâces et de la reproduction, dans un des plus beaux poèmes que les anciens nous aient transmis. Mais cette idée tenoit, sans doute, à une idée plus élevée encore. Cette sorte d’hiéroglyphe de la beauté céleste n’avoit pas été empruntée sans intention du sein des eaux. Ce n’étoit pas seulement la Nature créatrice et rèparatrice qui devoit indiquer cette consécration de la dorade. Les idées religieuses des Grecs n’étoient qu’une traduction poétique des dogmes sacrés des premiers Egyptiens. L’origine des mystères de Thèbes, liée avec la doctrine sacerdotale de l’Asie, remonte, comme cette doctrine, aux derniers grands bouleversemens que le globe a éprouvés. Ils ne sont que le récit allégorique des phénomènes qui ont distingué les différens âges de la terre et des cieux. Cette histoire des dieux de l’Orient et du Midi est tracée sur un voile sacré, derrière lequel la vérité a gravé les fastes de la Nature. Et cet emblème, qui n’étoit pour les Grecs que le signe de la beauté productive, doit avoir été pour les anciens habitans de l’Inde, de la Perse et de l’Egypte, le symbole de la terre sortant du milieu des flots, et recevant sur sa surface vivifiée par les rayons du dieu de la lumière tous les germes de la fécondité et tous les traits de la beauté parfaite.

On pardonnera à mon collaborateur de ne pas tenir compte du Règlement (EU) n°1379/2013, qui confère à la dorade royale et à elle seule la dénomination daurade.
Mais quittons Buffon pour nous tourner vers le bouffon de la bouffe que je suis. Peut-être que non ? Ah, bon, on confirme ? Mais cette raillerie, en un mot, m’importune ; brisons là, s’il vous plaît : je vais de ce pas cliquer sur le mot fin.


Coupable maladresse : j’ai tapé le mot faim.

Mes spari aurati reviennent donc sur la table. Le poissonnier les a vidés, ébarbés (avec quelques oublis qu’il me faut réparer) et contrairement à mes instructions les a même écaillés. Il ne sera donc pas possible de soulever simplement la coque de poissons autopapillotés pour découvrir les filets immaculés… Honte à ce bourrin de poissonnier à l’ouïe défectueuse ! Quel thon !
Je vais quand même me contenter de cuire ces daurades simplement posées sur la grille du four.
Mais auparavant je cisèle la moitié d’un oignon violet, un petit bouquet de persil, trois gousses d’ail et une tranche de citron jaune.
farce de daurade
L'heure hache



Je parsème les cavités ventrales de mes poissons d’une bonne pincée de gros sel, y ajoute quelques grains de poivre Voatsiperifery.

Je dois m’interrompre, car j’entends du bruit. Un troglodyte, prenant sans nul doute mon appartement pour une caverne, s’est introduit par la fenêtre entrebâillée et, s’étant rendu compte de son erreur, cherche à trouver la sortie. Découragé, il réfléchit perché sur un radiateur et ne semble pas étonné de me voir arriver. Il prend même la pose, attendant patiemment que je puisse lui tirer le portrait. Clic, clic, clic.. Ça y est, le petit oiseau est sorti !

oiseau
Troglodyte urbain



Après cet intermède, je peux reprendre la farcissure. D’abord mon hachis réparti, puis dune feuille de laurier, un tiers de rondelle de citron et une brindille de thym.
Je sale la peau des daurades et l’enduit légèrement d’huile d’olive passée au pinceau afin d’éviter une adhérence intempestive sur les barres de la grille.

daurade
Je leur ai fait une bonne farce


J’enfourne à 220 °C. Je laisse le thermostat à cette température cinq minutes, puis laisse une vingtaine de minutes four fermé mais éteint. Le four est descendu en température vers les 120 °C.
Je fais faire volte-face à la grille et remets le thermostat à 130 °C pour parachever la cuisson du côté des poissons qui était à l’opposé de la soufflerie à l’étape initiale, c’est-à-dire le ventre avec sa farce qui me semble encore manquer un peu de cuisson. Je laisse six ou sept minutes.
Je sors alors les bêtes et les allonge sur mes assiettes rectangulaires avec juste trois tomates cerises, deux brins de persil frisé et une fine pluie de piment d’Espelette, qui fourniront de petites notes colorées mais n’empêcheront pas de disposer de l’espace nécessaire pour procéder à la levée individuelle des filets (y a pas de raison que ça ne soit que moi qui bosse dans cette maison !) et écarter les arêtes.

daurade
C'est cuit pour elle

daurade, four
Daurade trois points



Pendant la cuisson des poissons, je me suis livré à la préparation de l’accompagnement : un riz au curry.
Le riz était tout simplement un brave riz long dur à cuire, celui que nos colonies nous fournissaient pendant mon enfance, avant l’arrivée des riz thaï, basmati et tutti quanti.
J’ai partagé le reste de mon oignon violet en pétales que j’ai mis à fondre sur une cuillerée d’huile d’olive. J’ai versé un verre de riz qui a commencé à nacrer. A suivi une cuillerée de curry que j’ai laissé torréfier quelques secondes. Puis j’ai arrosé de deux verres et demi de bouillon de crustacée obtenu à partir d’un sachet lyophilisé. J’ai pensé que je pouvais additionner quelques chutes de persil et oignon ciselé qui étaient restées sur la planche et au fond de la plaque où j’avais farci mes poissons. Une feuille de laurier, deux brins de thym, quelques gouttes de Tabasco rouge, un disque de papier siliconé couvrant le tout, et c’était parti pour vingt minutes à feu doux dans la casserole coiffée d’un couvercle.

riz au curry
Papier de riz


Le riz est cuit à point, les grains se détachent bien. Je brasse avec un trait d’huile d’olive herbacée.et transvase dans un plat mis précédemment à chauffer. Chacun se servira à table dans des coupelles placées à côté des assiettes où trônent les daurades royales.

riz au curry
Curry


Eh bien, il me semble que c’est la meilleure cuisson de daurade que j’ai jamais pratiquée. Le fait d’avoir ciselé oignon, persil, ail et citron a permis qu’ils apportent juste l’humidité nécessaire pour conserver une chair moelleuse mais restée quand même ferme, et dispensent par la même occasion tous leurs parfums.
Bon, mes deux convivesses ont trouvé que j’avais eu la main lourde dans le dosage du curry. Mais ce n’est que pure calomnie !

MISE AU POINT :

Tout ornithologue, même pas distingué, aura remarqué que l'oiseau qui a envahi mon antre n'est pas un troglodyte., mais un zozio dont j'ignore l'identité, n'ayant qu'une compétence très réduite en ce domaine. Dommage, l'aventure eut été plus belle.

En revanche, j'ai bien été confronté il y a quelques semaines à un troglodyte, qui avait élu domicile dans le creux d'une branche morte d'un fusain ancestral gisant à quelques mètres de la porte de ma cuisine poitevine.

oiseau troglodyte
Troglodyte, le vrai

Ce malheureux n'a guère apprécié l'arrivée des étrangers quez nous étions à ses yeux au sein de se qu'il considérait comme son domaine. Et quant à lui, ce n'est que furtivement que j'ai pu le photographier en catastrophe (comme le démontre le résultat…) à travers la vitre.

mardi 6 août 2019

Dorés ?

Beaucoup de choses peuvent être dorées : une jeunesse, une tranche de pain, Gustave, une tranche de livre, un faisan, la pilule, un bouton, Julien, la légende, le staphylocoque, un parachute, etc, etc, et même navant (mais c’est depuis peu…).
Je peux ajouter à cette liste le pourpier. Car du jardin vient d’arriver une récolte de pourpier doré à grandes feuilles. Il est bien loin du pourpier sauvage qui poussait dans la cour de ma grand-mère et dont j’aimais croquer quelques feuilles en passant, enchanté à la fois par son parfum subtil, sa texture al dente et sa discrète touche d’acidité. Mais je retrouve quand même un plaisir indéniable à déguster cette variété apprivoisée qui est à la rampante squatteuse horticole ce que le chien est au loup.
Alors ce soir ce sera une salade de pourpier auquel se joindront quelques découpes de petites tomates heureusement elles aussi du jardin. Une vinaigrette confectionnée avec l’excellente huile d’olive des pentes de l’Etna, et c’est un régal qui arrive sur la table.


pourpier
Salade de pourpier doré à grandes feuilles

Il accompagne des rillons. Pas dorés du tout, quant à eux… Pâlichons, pas maillardisés le moins du monde. Que s’est-il passé ? La semaine précédente j’avais acheté de magnifiques rillons bien colorés et goûteux dans cette même boutique de boucher charcutier dont je suis un habitué. Je les aurais bien refusés, attendant un jour plus faste, mais j’allais bientôt m’engager sur l’autoroute, alors c’était ça ou rien en plus des rillettes pour la dégustation nostalgico-traditionnelle de charcutaille tourangelle arrosée d’un chinon de derrière les fagots les cartons marquant le retour au bercail.
Dieu soit loué, la viande est de qualité, mais ces rillons ressemblent plutôt à un de ces confits de porc comme on les confectionne en Périgord… Ce que je savais déjà, car ces pièces sont le reste de la cérémonie de clôture de villégiature.


Dorées en revanche les andouillettes non pas de Touraine mais d’Anjou que j’avais aussi rapportées dans mes bagages. Ces andouillettes, intégrant dans leur recette un soupçon de saumur-champigny, c’est moi qui leur ai donné cette peau colorée et croustillante dans une petite poêle sur une noisette de beurre. Dans une autre poêle plus grande j’ai déversé des rondelles de carottes et de pommes de terre sur une grosse noix de beurre demi-sel en train de fondre, j’ai versé deux verres d’eau, j’ai ajouté trois gousses d’ail dégermées et une feuille de laurier, et j’ai laissé sur feu moyen coiffé d’un couvercle une douzaine de minutes. Puis j’ai laissé l’eau restante s’évaporer à découvert sur feu doux. Quand il ne restait presque plus de liquide côté légume et que la cuisson était achevée côté andouillettes, j’ai versé le jus de la petite poêle sur les carottes et pommes de terre, y laissant les andouillettes à sec. J’ai haussé les deux flammes afin de colorer légèrement les légumes et de rendre croustillante la peau des andouillettes en les saisissant sur toutes les faces.
Une fois cette opération effectuée, j’ai éteint les deux feux et déposé les deux oblongues tripailles au milieu de la poêle végétarienne. Pas de chichis, je me contente de poser le récipient sur la table…

andouillettes au saumur-champigny
Où l'andouillette a pris de la bouteille


Ces andouillettes, pourtant semi-industrielles, achetées sans conviction dans un supermarché poitevin pour dépanner au-cas-où, puis délaissées, sont fort bonnes, et le goût du saumur-champigny est bien présent en dépit du seulement 1 % de vin AOC Saumur-Champigny indiqué sur l’étiquette. La sauce sans la sauce ! Que demander de plus ?



Ah, ces préjugés de bobo… J’ai honte.

vendredi 2 août 2019

Usulégume à titre temporaire

Un voisin de jardin est parti en vacances dans son pays natal, le Portugal. Nous nous chargeons de l’arrosage de sa parcelle, et en contrepartie nous bénéficions de l’usulégume des récoltes périssables - et peut-être à son retour d’une bouteille d’huile de ses oliviers familiaux ?

C’est ainsi qu’un sac empli de ces haricots plats qui font le bonheur des ménagères lusitaniennes a atterri dans ma cuisine,

haricots plats
Des plats pour mon plat


S'y ajoutaient quelques petites tomates dont la maturité est en avance sur celle des nôtres qui commencent tout juste à rougir (de honte de leur retard ?)…


J’avais aussi dans mes réserves un énorme oignon blanc issu d’un bouquet acheté sur un marché tourangeau à un paysan incasable en raison de sa taille imposante  (l’oignon, pas le cultivateur, quant à lui plutôt petit mais râblé sous son visage matois). Il me fallait donc trouver une recette propre à intégrer cette pléthore oignonesque.
Tout de suite m’est venue à l’esprit la côte de veau Foyot. Bon, c‘est décidé, je vais acheter trois côtes - le repas étant prévu pour trois convives, cette démarche me semble aussi adéquate que rationnelle… Néanmoins je vais troquer le veau contre du cochon. Pourquoi ? À vrai dire, je ne sais pas, peut-être parce que dans mon imaginaire le Portugal est plus porcin que vitulin…


Arrive le moment de passer à l’action. Et là je me demande si mon choix est si opportun que ça.
Pour la côte Foyot, chapelure, emmenthal et long séjour au four. Et il fait encore chaud sous notre ciel francilien… Foyot attendra l’hiver, ou tout au moins l’automne !
Qu’y a-t-il comme autre recette gourmande en oignon ? Appelons Soubise à la rescousse. Je révise en relisant mes sources la recette de la sauce éponyme. Mais oui, il faut bien ajouter la compotée d’oignon à la même quantité de sauce béchamel. Bof… Finalement cette sauce Soubise classée dans les sauces blanches ne me semble pas vraiment adaptée. Mais heureusement un additif à son propos fourni par Joseph Favre dans son Dictionnaire Universel de Cuisine me sauve la mise :
Remarque. - Si la sauce soubise devait être servie brune, on remplacerait la sauce béchamel par un fond blanc de volaille, de façon à pouvoir y joindre facilement de la glace de viande ou de la purée de tomate.

Me sentant absout du crime de lèse-orthodoxie par le maître, je me lance dans une sauce à ma façon.
Je découpe mon dodu oignon blanc en étroits pétales que je mets à fondre sur une poêle dans une bonne noix de beurre demi-sel fermier. Quand ces pétales devenus transparents commencent à colorer, j’ajoute une petite cuillerée de miel d’acacia, un demi-verre de vinaigre de cidre, mène à début de caramélisation. Puis je dilue une petite cuillerée d’une pâte de fond brun dans un demi-verre d’eau bouillante, et je verse dans la poêle.
Je continue la réduction, ajoute une pincée de piment d’Espelette et réserve quand il ne reste presque plus de liquide.

oignon blanc, sauce
Le blanc est taché...


Je partage mes haricots plats en tronçons que je mets à cuire dans l’eau bouillante une quinzaine de minutes. Je les sors, les plonge dans l’eau froide, les égoutte dans une passoire. Parfait, ils sont tendres mais al dente. Je réserve.

Je cisèle deux gousses d’ail et un brin de persil du jardin. Je réserve.

Je fends la couenne des côtes de porc, non pas ibériques mais normandes, afin que d’éviter une déformation de la surface à la cuisson.

côtes de porc
Tri-côtes


Je remarque en passant que l’épaisseur de gras a bien diminué depuis quelques mois. Si le phénomène se poursuit, j’envisage de changer de crémerie porcherie !
D’autant plus que la découpe sur l'étal par une malheureuse vendeuse esseulée est lamentable, produisant de nombreux éclats d’os qu’il me faut repérer et éliminer… Heureusement, la saveur de la viande reste encore convenable. Diététique, que de crimes commet-on en ton nom !
Je réserve.

Pour terminer cette mise en place, je monde quelques tomates dont je disperse la chair au fond d’une poêle dans une grosse noix de beurre demi-sel fondant sur un léger trait d’huile d’olive.

tomates, beurre demi-sel
Ilots de tomates


Je réserve.

Le tiers convive est arrivé. Je cuis les côtes de porc à feu vif au sein d’une poêle en acier qui en dépit de ses 36 cm se révèle à peine assez grande pour que les trois pièces de viande puissent s’y installer confortablement. Une fois la surface dorée des deux côtés, je baisse la flamme, continuant dans une cuisson douce afin de ne pas dessécher la chair. D’autant plus que la viande n’est pas aussi persillée que je l’aurais espéré…

Je replace la poêlée de tomates sur le feu, la recouvre des haricots plats. Je complète d’une nouvelle noix de beurre, parsème de persillade, et coiffe d’un couvercle Avec une flamme minuscule, je puis espérer que les haricots se réchaufferont sans cuire et resteront al dente.

Les côtes de porc me semblent presque cuites. J’éteins le gaz sous elles et laisse finir la cuisson par inertie avant de faire se reposer la viande quelques instants.

Le moment est venu de placer une côte sur chaque assiette et de l’entourer des tronçons de haricots plats rehaussés en goût et en couleur par les éclats de tomate.
Pendant que je me livrais à cette opération de dressage, j’avais remis à température ma sauce aigre-douce aux oignons, y ajoutant un trait de balsamique afin de lui donner un dernier coup de fouet gustatif. Cette sauce Soubise  très revisitée que je baptiserai Superbise est devenue bien sirupeuse. Je la répartie sur les côtes et conclue par une tombée de persil ciselé et de poivre rouge du moulin.

côte de pors, haricot plat
Côtes de porc sauce Superbise garniture lusitanienne


Constat : tout ce petit monde de provenances diverses s’est accordé en parfaite harmonie. C’était bon, je n’ai pas eu lieu de suer à grandes gouttes, et la petite note acide permettait de réveiller des papilles plutôt enclines à siester…
Allez, petites papilles endormies sous le cagnard, debout ! Ce n’est pas une petite chienne en fin de vie qui va faire la loi !



D'autant moins qu'un clafoutis aux nectarines, pas trop sucré et aux fruits légèrement acidulés passe aussi à l'action.


clafoutis, nectarine
Clafoutis : Madame le fit



lundi 29 juillet 2019

Calme plats

La chaleur n’incitait pas à allumer une flamme ni à tourner le bouton du four.
Aussi ce sont plutôt des ready mades même pas à réchauffer qui défilèrent sur ma table.

Une exception, avant de quitter mes terres poitevines, j’ai confectionné un plat vaguement-saumurois : des galipettes qui se sont transformées en culbutos.
En effet il me restait dans mon réfrigérateur quatre gros champignons de Paris commençant à s’épanouir et un paquet de chair à saucisse. J’ai nettoyé les agarics troglodytes et détaché leurs queues que j’ai hachées. Sur la planche mon couteau a aussi ciselé deux échalotes, deux gousses d’ail, un brin de persil et les feuilles d’une branche d’estragon. J’ai mélangé le fruit de ces découpes avec la chair à saucisse, ajoutant un trait de cognac, plusieurs tours de moulin de poivre noir, une pincée de quatre-épices et quelques gouttes de Tabasco rouge.
J’ai farci de ce mélange les champignons qui, plutôt qu’en ces galipettes auxquelles elles étaient au départ destinées se sont transformés en culbutos ventrus que j’ai déposés au fond d’un plat creux en inox. J’ai arrosé d’un verre de sauvignon, noyant par la même occasion un brin d’estragon et une feuille de laurier.

galipette, champignon de Paris, farce
Galipette plus haut que son chapeau


J’ai enfourné à 180 °C, et 40 minutes plus tard j’ai pu sortir mes poussahs bronzés, mais au cœur tendre, qui sont venus faire la galipette dans nos assiettes.

champignons de Paris, galipettes
Poussahs dans le jus


Ce n’était pas mauvais, mais j’avoue que ça m’avait fait suer…



Et revenu en ville pour y être poursuivi par cette abominable tête de Râ, j’ai assuré le service minimum.
Souvent buffet froid, comme pour ces maquereaux fumés accompagnés de raifort servis avec pour accompagnement un tzadziki maison réalise avec un concombre du jardin.

maquerau fumé
Le meilleur saur


tzadziki
Fraîcheur grecque


Traiteur, micro-onde, à l’aide !...…………………………….



Puis, enfin, le vilain Râ ayant perdu un peu de sa superbe, j’ai osé allumer le feu et faire danser les poêles et les bœufs.
Ouais, un seul bœuf seulement… Ouais, rien qu’un steak taillé dans l’araignée....
Mais bien deux poêles, l’une pour la viande et l’autre pour cuire à cru dans du beurre fermier de la grenaille du jardin parfumée par un quintet de gousses d’ail de provenance identique n’ayant même pas pris la peine de tomber la chemise.

steak, araignée
Grosse araignée


pommes de terre sutées, grenaille
Le goût de la grenaille


Certes, là encore, un repas gourmand, mais pas de quoi fouetter un blog, convenons-en !

samedi 20 juillet 2019

Revenons-en aux fèves

Après ma longue séance de décorticage de fèves du jardin transhumantes, je n’en avais cuisiné qu’une partie avec les filets de canette.
Il aurait été dommage de perdre le reste de ces bons grains…
Alors j’ai joué à « Mojette pousse-toi de là ».

Comme un benêt j'ai toujours persévèré dans ma manie de ne marier le jambon de Vendée qu’avec la mojette. Certes cette recette de bonne fame est fameuse, mais cette bonne
( enfin pas toujours, il me souvient…
 http://sosgrisbiche.blogspot.com/2017/06/vendeen-usage-de-faux.html )
charcuterie mérite d’avoir d’autres ambitions. Sortons de la routine ! C’est d’autant moins un sacrilège envers la tradition que de l’accompagner de fèves que le Marais Poitevin n’a aucune raison de renier ces cousines dodues des mojettes.

Le plat du jour sera donc jambon de Vendée/écrasée de fèves.

Je plonge mes fèves décortiquées dans une sauteuse où une grosse noix de beurre fermier demi-sel fond dans un verre d’eau.


fèves
Fèves, le retour


Je laisse à couvert sur feu moyen six ou sept minutes jusqu’à ce que les grains deviennent facilement friables sous la fourchette. Une fois l’écrasée obtenue, j’y incorpore une nouvelle noix de beurre et laisse sur la petite flamme qui suffit pour maintenir à température.


fèves
Fourchette, son oeuvre


Les deux tranches de jambon font juste un aller-retour sur la poêle gril bien chaude…

jambon de Vendée
Jambon bon



Et c’est comme ça que nous nous sommes régalés en toute simplicité…
D’ailleurs il me semble que ce devait être ainsi que l’on savourait la cuisse de goret avant Christophe Colomb…

vendredi 19 juillet 2019

Le travailleur de la mer

Oh ! Combien de gourmets, combien de gastronomes
Qui sont partis joyeux pour des courses économes
Devant de mornes étals se sont évanouis !
(Oceano box)

C’est confiant que je roulais vers mon marché du Haut Poitou, me réjouissant à l’avance de ramener dans mon filet de beaux poissons presque frétillants tout juste sortis de l’océan venant de Croix-de-vie, des Sables-d’Olonne ou de La Cotinière…
Las, se battaient en duel ce jour-là quelques filets de saumon d’élevage défraîchis, des soles mollassonnes, et des sardines à l’œil vitreux. Un morceau de thon rouge tirant au brun ne déparait pas ce désastre. Côté crustacés, ça ne valait guère mieux : de ternes langoustines voisinaient des crabes en phase de bave finale. Seules des gambas ou des crevettes roses de Madagascar arboraient une fraîcheur toute frigorifique, les crevettes de l’Atlantique Nord-Est faisant grise mine. Jadis, on lavait plus blanc que blanc, désormais nous allons pouvoir décortiquer plus gris que gris… Le homard manquait à l’appel, sans doute attiré par une destinée plus glorieuse que de figurer sur ma modeste table.
Donc, changement de menu. Je me tourne vers l’ostréiculteur qui il y a quelques mois m’avait vendu de délicieuses crevettes impériales vivantes issues de sa production. Il est hélas un peu trop tôt pour renouveler ce plaisir - ces gambas sont encore à l’état de larves gourmandes s’empiffrant de leurs proies au fond des claires. Mais huîtres et palourdes sont bien là, ainsi que de magnifiques moules bien pleines, et sauveront mes envies océanes.
Il y a aussi le vendeur d’anguilles. Il me fournira le repas retour de marché, une anguille qu’il vient de griller sur la braise mangée avec comme nappe le papier qui l’emballe. Finalement j’aurai quand même un poisson…
Rendu paresseux par la chaleur ambiante, je pensais me contenter de cette version anguillaire. Mais en parcourant les allées du marché, je découvre sur les tréteaux d’un des cultivateurs bios de service de sympathiques bouquets de cives. Alors mes démons cuisiniers s’emparent encore de moi et me poussent à envisager la confection d’un civet d’anguille. Je retourne donc auprès de mon marchand afin de me procurer une grosse anguille sauvage. Je suis un peu inquiet devant sa vigueur et son agitation quand elle est sortie de la bassine, me souvenant de dépeçages sordides. Y aura-t-il un retour en gore ? Le maître de céans, qui n’a visiblement pas envie de me la tuer et de la dépouiller – mais qui aurait envie sous le soleil ardent… - veut calmer mon angoisse, « Une heure au congélateur, et c’est un jeu d’enfant… ». Je n’ai jamais pratiqué le congélateur, cette méthode me semblant déloyale envers une bête à laquelle sa vitalité extravertie donne toute sa valeur aussi bien symbolique que gustative, mais cette fois-ci je vais essayer, il m’arrive de baisser les bras, surtout quand l’été m’agresse. Je m’éloigne, ayant déjà un arrière-goût de renoncement dans l’âme, entendant les coups de queue frappant les parois de la poche isotherme de mon Caddie®. J’achète le lard et les champignons nécessaires à la préparation de ce plat. Je m’émerveille de ne pas avoir attendu le retour à la maison pour y avoir pensé. Je suis en progrès…

Alors mon après-midi sera celle d’un travailleur de la mer.
Je sors l’anguille du congélateur. Pouah ! Le mucus figé n’est pas du tout appétissant… Mais au moins la bête est roide. Je profite de cette anesthésie pour inciser sournoisement à la limite de la tête. Décidément, je n’aime pas le procédé. Je me fais l’effet d’un docteur Mabuse abusant d’une patiente endormie…
Endormie, mais pas pour longtemps. La température ambiante commence à faire son effet pendant qu’en sueur je m’évertue à retourner la peau glissante comme une vieille chaussette. Visiblement cette pauvre bête est engoncée dans deux pointures au-dessous de la taille qui lui aurait convenu et à moi aussi… Je perçois un début d’agitation. C’est la course contre la montre. Victoire, elle est nue ! Mais je dois désormais la maintenir d’une main ferme pour la décapiter et découper les tronçons. La tête ouvre la bouche dans un dernier reproche « Traître que tu es ! » et me fusille d’un regard méprisant.
Il me faut maintenant parer les morceaux avant de les plonger dans de l’eau glacée additionnée d’un trait de vinaigre blanc.


anguille
Je suis le chef de gore


Je prépare une marinade comportant la moitié d’une bouteille de chinon, deux cuillerées de vinaigre de cidre, trois gousses d’ail fumé non épluchées, trois feuilles de laurier, l’extrémité d’une branche de romarin, une branche d’origan, une branche de thym, quelques feuilles de sauge, trois piments de la Jamaïque, une cuillerée de grains de poivre noir, deux clous de girofle, quelques gouttes de Tabasco vert. J’essuie les morceaux d’anguille, les plonge dans la marinade. Le récipient, fermé par un film, va rester au réfrigérateur jusqu’au lendemain, avec retournement des tronçons de temps à autre.


anguille
Anguille au bain


Mais mon après-midi de labeur n’est pas terminé. Ce sont deux douzaines d’huîtres qu’il me faut ouvrir.


huitres
Vingt-quatre fois huitres


Oui, je sais, pour un écailler, c’est de la rigolade. Mais pour moi, qui opère à l’ancienne par la charnière, c’est quand même un nouvel effort. Encore que ce soit à table avec les palourdes rétives que j’ai le plus de difficultés…
Et puis enfin l’océan est sur la table. Ma récompense !


Le lendemain, je hache un gros oignon blanc. J’en prélève le tiers pour mon civet d’anguille.
Je nettoie et découpe les cives.
J’essuie deux champignons de Paris de taille moyenne que j’escalope après en avoir raccourci la queue.
Je tranche le lard fumé en lardons que je verse dans une sauteuse avec une petite noix de beurre.
Quand ils commencent à dorer, j’y fais tomber l’oignon blanc que je laisse suer, puis j’ajoute les champignons de Paris. Quand ils ont rendu leur eau, je sors l’anguille de la marinade avec une araignée en essayant d’égoutter les tronçons le plus possible. Elle rejoint la sauteuse.
Je singe avec une cuillerée bombée de farine T65. Je brasse et attends que cette farine soit cuite pour ajouter la marinade passée à travers un chinois. Je baisse le feu, complète avec une gousse d’ail que je viens d’éplucher coupée en trois, les cives, et des éléments extraits de la marinade : une gousse d’ail avec sa peau, une feuille de laurier. Je coiffe et laisse réduire à feu doux.


civet d'anguilles
Sans la coiffe


Au bout de 20 minutes la sauce a bien épaissi. Je laisse refroidir et réserve au réfrigérateur jusqu’au lendemain…

Mais mon après-midi de labeur n’est pas terminé. Ce sont les moules qu’il me faut traiter. Dieu merci, ça va, elles n’ont peu de byssus et sont toutes bien fermées. Un jeu d’enfant.
Je prends le reste de l’oignon blanc haché dont un tiers est dans le civet, cisèle un petit bouquet de persil et verse tout ça dans un faitout où fond une grosse noix de beurre. Suivent des brins de romarin, de thym et d’origan, ainsi que trois gousses d’ail hachées finement. J’arrose de deux verres de sauvignon, porte à ébullition. Les moules sont précipitées dans ce bain chaud, et j’ai à peine le temps de coiffer qu’elles commencent à s’ouvrir. Je remue de temps à autre, et rapidement ce sont toutes les coquilles qui se sont épanouies. Il ne reste plus qu’à donner deux ou trois tours de moulin de poivre rouge, parsemer d’un soupçon de persil et oignon frais, et terminer par une bonne noix de beurre fermier.

moules de bouchot, moules marinières
Bouches bées...



L’océan était encore sur ma table, et c’était bien bon. Récompense bis !



Le surlendemain je mets à réchauffer mon civet d’anguille à feu doux. J’y ajoute un verre de chinon et une cuillerée de vinaigre balsamique. Pendant que la réduction se poursuit à petit feu et que la sauce devient de plus en plus nappante, je mets à cuire à l’anglaise six pommes de terre de l’île de Noirmoutier que je viens de gratter afin de les débarrasser de leur peau fine.
Les pommes de terre sont cuites, je viens de le vérifier avec la pointe d’un couteau. Je dresse deux assiettes.
La sauce est parfaite, onctueuse et parfumée. Une merveille, si l’on me permet un brevet d’autosatisfaction que pour ma part je trouve bien mérité.

civet d'anguilles
Civet, civet pas ?



L’océan le marais était encore sur ma table, et c’était bien bon. Récompense ter !