Quelque jours après la mise en jambe que constituaient les navets salés accompagnés de quelques charcuteries, il était temps de revenir en Alsace pour une plantureuse choucroute garnie.
Encore que mes expériences
es choucroute soient plus franciliennes qu’alsaciennes. Car il ne serait venu à aucun de nos proches bas-rhinois l’idée de commander une choucroute au restaurant, et l’on préférait nous présenter sur les tables familiales des spécialités locales moins accessibles à Paris.
En revanche ma référence est la choucroute de mon grand-père provenant de choux cabus ayant vu défiler au-dessus de leur tête les Constellations décollant vers les U.S.A. ou nos colonies (Orly soit qui Mali pense…) qu’il avait découpés et saumurés dans un tonneau confectionné de ses mains. Sur la table de la salle à manger, elle débordait de lards, saucisses, jarrets, palettes et autres charcutailles que mon père allait se procurer chez Schmid à côté de la gare de l’Est et confiait ensuite aux bons soins de mon aïeul.
Mais je pourrais aussi dresser une carte des choucroutes de brasseries parisiennes qui m’ont apporté plaisir ou désillusion.
En premier lieu, la regrettée brasserie Chez Hansi
dont j’ai vu hélas la décadence quand on a commencé à nous servir des plats au fond cramé et surtout quand est apparue cachée entre un boudin et une knackwurst une coquille de moule passée sans doute inaperçue dans la récupération du chou d’une choucroute de la mer, spécialité récemment ajoutée à la carte pour faire tendance…
Choucroute de la mer qui était d’ailleurs fameuse chez son créateur au début des années quatre-vingt-dix, Guy-Pierre Baumann : avenue des Ternes j’aimais déguster sa choucroute aux trois poissons, bar, haddock et saumon, accompagnée de son beurre blanc.
Il y avait aussi les brasseries en face de la gare de l’Est, pouvant offrir le pire ou le meilleur, dont je garde le souvenir pour l’une d’elles de ma secrétaire offrant une avant-première du futur sketch de Muriel Robin (tickets-restaurants en sus…) en comptabilisant les écots de chacun des participants d'un repas festif (?) devant mes collaborateurs consternés et un serveur narquois.
À propos de gare, s'était ouverte pendant une période trop brève sur le côté de celle de Montparnasse une brasserie DAB qui avait eu la bonne idée de choucroutes à thème pour la garniture. Ma favorite était celle aux saucisses, comportant bratwurst, saucisse de Nuremberg, saucisse au cumin et knacks.
Non loin de mon travail, j'ai pu fréquenter quelques années une brasserie place Stalingrad où j’ai craint un moment l’apoplexie pour un Georges Séguy venu en voisin de la place du Colonel Fabien, rubicond derrière sa platée de choucroute, mais non, Dieu merci pour lui, il devait vivre encore de nombreuses années.
Dans le quartier latin, je m’asseyais de temps à autre sur les moleskines du Balzar, non pas tant pour la choucroute, à vrai dire assez quelconque, mais pour l’atmosphère qui y régnait et m’attribuer un brevet d’intellectuel.
En revanche, je n’ai jamais mis les pieds chez Lipp, n’ayant ayant aucune envie de grimper à l’étage dont je ne doute pas que mon manque de notoriété m’y exilerait.
Bon, existent bien d’autres adresses choucroutières où j’ai traîné mes fourchettes, comme L’Européen en face de la gare de Lyon, avec son immuable
Classique choucroute de Saverne : Échine, saucisse de francfort, Montbéliard, saucisson à l’ail, lard, saucisse blanche.
Ou encore la Brasserie Bofinger, où, ayant eu la mauvaise idée de demander une table près de l’estrade où allait jouer un orchestre de jazz, nous avons vu les francforts sautiller au rythme de la batterie (le drummer charmeur de saucisses, c’est quand même autre chose que le flûtiste charmeur de serpents !) avant de sortir du restaurant sans avoir pu échanger une parole durant le repas, le médecin faisant partie de mes compagnons de table pronostiquant une baisse d’audition définitive.
Et pour conclure en mocheté cette liste non exhaustive, la brasserie elle aussi voisine de la Place de la Bastille où un serveur venant d’apprendre qu’il était congédié se vengeait en déversant les restes de choucroute dans les seaux à glace des clients…
Mais aujourd’hui, c’est de ma choucroute à moi dont il me faut parler.
Je commence par ouvrir le pot de choucroute que je rince brièvement dans une passoire.
|
Le seau l'y laisse |
Au fond d’une marmite je fais fondre un gros oignon haché dans du saindoux en compagnie de trois gousses d’ail, de baies de genièvre et de grains de coriandre.
|
J'ai un bon fond |
Je verse la choucroute que je fais revenir quelques minutes en y ajoutant une poignée de petits lardons découpés dans du lard fumé paysan.
|
Accueil des lardons |
J’arrose de deux verres de riesling que je complète d’eau et dépose un jambonneau fumé.
Je laisse sur feu moyen une demi-heure. Puis suivent un morceau de lard demi-sel
mis auparavant à dessaler et une pièce de kassler fumé.
Encore une demi-heure, et ce sont les saucisses au cumin qui plongent dans la marmite.
La cuisson se prolonge trois quarts d’heure à petit feu.
|
L'enfonce du lard
|
Une vingtaine de minutes avant de servir, je mets à cuire les pommes à l’anglaise d’accompagnement. Dans une poêle, je fais dorer à petit feu sur une noisette de beurre les saucisses paysannes
et la saucisse blanche
qui me restait après l’utilisation des deux autres avec le navet salé.
À la fin de cuisson des pommes de terre, je plonge dans leur eau frémissante les knacks.
Toutes les cuissons sont terminées. Je découpe lard, kassler et jambonneau, puis entreprends de dresser le plat.
Je m’évertue tant bien que mal à faire tenir toute cette charcutaille sur la colline de choucroute.
|
Bien disposé ? |
Ça y est, le plat de choucroute garnie est sur la table !
|
Le pied dans le plat |
Ouais, je sais, ça fait beaucoup pour deux. Mais il faut ce qu’il faut, la choucroute ne supporte pas la lésinerie. Et c’est bon réchauffé…
En fait, cette choucroute sera trois fois présente au menu !