mardi 26 février 2019

Les aventures de Gordon's Pimm's




Non, il ne s’agit pas du voyage désastreux dans le Grand Nord décrit par Edgar Poe, texte que j’ai lu autrefois dans le livre dont j’avais réclamé l’achat en passant chez Gibert au cours de mon enfance à ma mère réticente - « Mais tu es trop jeune… » -, caprice que je n’ai jamais regretté car j’ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ces œuvres. Et j'y ai trouvé bien plus que ce que la couverture racoleuse laissait escompter...



Le voyage dont il est question ici est un voyage dans le temps que j’ai voulu entreprendre en croisant une bouteille de Pimm’s n° 1…



La vue de cette proustomadeleine liquide m’a transporté dans ma folle jeunesse et ces années où, après une tournée des petits ducs, il me plaisait de faire une ultime halte afin de serrer une dernière fois la paluche à Dionysos avant de tomber dans les bras de Morphée.
Un de mes points de chute était le Mayflower, là où la rue Descartes rejoint la rue Mouffetard où se trouvait mon studio. J’aimais y siroter en bonne compagnie des cocktails que préparait Stéphane, le barman.
Selon mon humeur, il s’agissait d’un Aphrodite, mélange de curaçao bleu et de gin - Gordon’s ! - noyé sous du champagne, ou bien d’un Pimm’s.
Me revient en mémoire un verre mordoré où un couple de cerises à l’eau-de-vie faisait trempette. Un couple, ou plus… Car chaque fois que l’on renouvelait cette consommation une nouvelle cerise s’ajoutait, deux, trois, quatre…
Et ce qui devait se passer arriva. Tard le soir (ou, plus vraisemblablement, un peu avant l’aurore) , je me livrais à des brèves de comptoir avec un ancien condisciple de prépa néanmoins ami, quand nous fûmes pris d’une angoisse existentielle après la troisième tournée. Jusqu’où pouvait se poursuivre cette croissance cerisière ? La série tendait-elle vers l’infini ? Nous tentâmes de résoudre ce problème de façon expérimentale. Trois, quatre, cinq, six cerises. Puis encore six cerises. Avions-nous convergé vers une limite ? Nous nous concertâmes. La rigueur scientifique nous forçait à envisager une erreur de calcul de Stéphane. Nous commandâmes donc un nouveau Pimm’s chacun. Pas de doute, l’effectif restait stabilisé à six. L’hypothèse fut lancée, dans un cadre probabiliste, que la série devenait une constante pour n > 5, n étant l’effectif des verres de Pimm’s consommés.
Nous nous séparâmes satisfaits de cette contribution à la mixologie - science qui à cette époque était encore balbutiante…


Le flot de ces souvenirs me pousse à franchir le seuil du caviste. Il me faut une bouteille de Pimm’s n° 1, mais aussi un bocal de cerises à l’eau-de-vie…

C’est ainsi que je me trouve en train de tenter de reconstituer cette boisson du temps jadis dont le barman Stéphane ne m’a pas transmis la recette. Quelles manipulations étaient les siennes ? Tout ça est bien lointain, et comme l’arbre cache la forêt la cerise cache le cocktail dans ma mémoire.
Je trouve par des recherches sur Internet des formules qui ne me satisfont qu’à moitié. Mais tant pis, je me lance ;
J’emplis un verre de glaçons, je verse une mesure de 5 cl de Pimm’s, puis autant de soda. J’ajoute une demi-tranche de concombre et un petit quartier d’orange sanguine. Je dépose religieusement deux cerises mémoriales.

Pimm's
Verre et revers

                                                          
Eh bien ce n’est pas mauvais, mais l’effet madeleine de Proust ne répond pas présent. J‘ai obtenu une boisson rafraîchissante, et non pas ce verre fouettant le palais tel que je l’espérais.
Pourquoi ?
En premier lieu, était-ce bien du Pimm’s n° 1 qui était utilisé, car il existait alors d’autres numéros chez Pimm's ? Le soda entrait-il dans la composition ? N'était-ce pas plutôt un autre alcool qui était ajouté ? Ou même rien du tout ? Tout simplement, comme je l’ai constaté pour la vodka à la cerise, la teneur alcoolique du Pimm's a-t-elle connu depuis cette heureuse époque une réduction drastique ?
Quoi qu’il en soit, ma recherche du temps perdu a échoué.

Pour parachever le tout, mon épouse se penche vers mon écran et m’assène :
« Tu as coupé l’orange comme un sagouin, la trace du pédoncule, ça fait moche… »
Moi qui avais pensé donner ainsi plus de matière et chasser l’ennui qui naît de l’uniformité !
Mais le mal est fait, je ne vois plus la photo du même regard…
« Tu as peut-être raison, je vais préparer un autre Pimm’s pour une nouvelle séance de photos. »
Hélas, Madame connaît l’anecdote des cerises
« Tss tss, je te vois venir, il y aura trois cerises, et puis la photo sera encore loupée… »
Elle ajoute d’un air faux cul que, oui, finalement, ma prise de vue n’est pas si mal que ça.
Les célibataires ne sont pas assez conscients de la liberté qui est la leur.

Et désormais une nouvelle question me tracasse. Gordon, Gordon’s (1769) / Pym, Pimm’s (1823) /  glace, glaçons / Edgar Poe (1809-1849) alcoolique notoire. Simples coïncidences ?
Il faudrait les capacités déductives d’un Dupin formé à l’herméneutique pour venir à bout de cette énigme…



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