samedi 27 octobre 2018

J'ai joué au Laocoon

Il était censé l’avoir tuée… J’avais bien vu la pince serrer la tête de l’anguille, puis la queue de la bête brandie comme un fouet frapper violemment l’angle d’une caisse.
Elle était inerte quand il me l’avait tendue, lovée au fond d’un sac.
Mais voilà, quand j’avais entrepris de l’inciser afin de la dépouiller, elle était revenue du royaume des morts… Il m’a fallu la maintenir d’une main pendant que j’opérais. Je ne m’étais jamais rendu compte qu’une anguille pouvait être aussi costaude ! Tel un nouveau Laocoon, j’ai dû me livrer à un bras de fer avec cet animal serpentiforme.


Laocoon
En pleine action !



 Sauf que moi je fus vainqueur dans cet affrontement !
Je passe sur les détails sanguinolents de la mise en tronçons du vaincu...
Après le combat, je versai un filet d’huile d’arachide au fond d’une sauteuse placée sur un feu vif. Quelques instants plus tard les morceaux d’anguilles se faisaient saisir brièvement avant d’être retirés du feu.
Dans une casserole, je fis dorer sur une noix de beurre demi-sel les lardons que j’avais taillés dans un morceau de lard, puis j'y fis suer une dizaine d’échalotes grises, des cives ciselées grossièrement et une demi-carotte découpée en bâtonnets. Je vidai les ¾ d’une bouteille de vin de Chinon rouge sur ces légumes et plongeai dans le liquide une feuille de laurier et une branche de thym. Je rajoutai quelques grains de poivre de Voatsiperifery. Je me suis lancé dans une réduction pour environ un quart d’heure. Puis je recouvris les anguilles dans la sauteuse du contenu de la casserole et poursuivis la cuisson à feu doux une vingtaine de minutes.




anguille, matelote, vin de Chinon
Anguille faisant la course à l'échalote


Comme il n’est prévu de manger cette matelote d’anguille que le surlendemain, je me suis contenté de rectifier l’assaisonnement par une pincée de sel, et de transvaser le contenu de la sauteuse dans un bac que j’ai mis sous vide.

Le jour J est arrivé. Dans une poêle, des champignons de Paris escalopés en quatre reviennent dans une noix de beurre demi-sel. Je ressors la sauteuse et y vide le bac sorti du réfrigérateur contenant l’anguille en sauce. J’ajoute une petite cuillerée de vinaigre balsamique de Modène, quelques gouttes d’arôme Patrelle et les champignons cuits al dente. Je laisse encore mijoter à feu doux sept à huit minutes. Je termine par un tour de moulin de poivre rouge.


anguille, matelote, Chinon
Anguille reposant sous ses lauriers


Je répartis entre deux assiettes creuses avec des pommes de terre Prunelle dont je pensais que la couleur s’harmonisera avec les nuances brun violet du plat. Ouais, leur rendu est quand même un peu flashy… Je suis peut-être aussi tombé dans l’excès avec la touche verte du persil…

anguille en matelote, pommes de terre prunelle
L'anguille a trois prunelles


Quoi qu’il en soit, il n’y a rien à redire sur le plan gustatif.

Je n’ai pas joué au Laocoon pour rien !

vendredi 26 octobre 2018

Dans ma marinière

Sur l’étal du producteur de mes gambas vivantes, il y avait aussi des moules de bouchots qui semblaient sortir tout juste de l’océan. Deux litres de ces bivalves sont venus rejoindre les gambas dans le panier…
J’ai pu réaliser des moules marinière dont la simplicité se conjuguait avec la qualité des ingrédients utilisés :

- beurre bio savoureux fabriqué dans la ferme d’un éleveur local à la frontière du Poitou et de la Touraine.



- échalotes grises et têtes d’ail produites par un petit paysan qui tient un petit stand de ses productions sur le petit marché tourangeau voisin – deux produits d’exception à la tendre chair juteuse et regorgeant de parfums protégée par une coque robuste narguant mon couteau pour l’une et une peau résistante difficile à décoller pour l’autre qui allient à leurs qualités gustatives une durée de conservation remarquable.



- vin de cépage sauvignon bénéficiant de l’appellation IGP Val de Loire provenant d’une viticultrice dont les vignes sont à une vingtaine de kilomètres de ma maison – certes pas un vin d’exception, néanmoins fort agréable par son fruit et sa pointe d’acidité bienvenue, parfait comme vin de soif pour accompagner un fromage de chèvre, mais aussi vin de cuisine parfait.



- thym citronnelle et laurier du jardin.
- persil d’un maraîcher poitevin car cette plante ne parvient à survivre dans aucun de mes jardins…
- poivre rouge de Kampot

J’ai ainsi réussi à cuisiner les meilleures moules que j’ai pu déguster depuis longtemps.


moules marinière
Dans un esprit d'ouverture...


En fermant les yeux, j’entendais presque le ressac des vagues de l’océan !

mardi 23 octobre 2018

Agitées, les gambas...

Qu’elles étaient tentantes, ces  belles gambas agitant leurs petites gambettes et donnant des coups de rein…
Il s’agissait de crevettes impériales vivantes des Marais Charentais que leur éleveur vendait sur son étal de mon marché poitevin favori.



Une dizaine faisaient largement l’affaire pour deux, d’autant plus qu’après pesée j’ai eu droit à une onzième gratuite, attention louable mais qui ne me faciliterai pas un partage équitable dans le futur…
Je range le sac dans le coffre de la voiture. Ça gigote à tout va…
La gambas était toujours vivante.

Arrivé à la maison je transfère dans une boîte. Les bêtes font des bons de cabri.  L’une d’elles tente le saut de l’ange, elle se réfugie sous la table. Il faut chasser le décapode à quatre pattes.
La gambas était toujours vivante.

Je sors la boîte du froid où elle avait passé l’après-midi. Je soulève prudemment le couvercle. L’ambiance a l’air  paisible. Je vais pouvoir commencer la préparation. Je saisis une crevette qui a l’air toute endormie. Las, la chaleur humaine réveille la chaleur animale. Je lâche lâchement l’impériale japonaise naturalisée charentaise, surpris que je suis par un sournois coup caudal. Elle se démène sur le marbre. Va-t-elle me refaire le coup du grand plongeon ? Je la bloque et l’incarcère en détention provisoire entre les murs d’acier d’un bac.
La gambas était toujours vivante.

Je vois que ses copines commencent elles-aussi à s’agiter. Il va falloir faire vite, d’autant plus que l’opération à laquelle je dois me livrer est délicate et risque de ne pas leur plaire : il s’agit de les transpercer d’une pique en bois de la queue à la tête afin qu’elles restent droites à la cuisson.
Bon, quand fut  y aller, faut y aller.
Je m’empare d’une des crevettes et enfonce la mini brochette le plus rapidement possible dans un but humanitaire – je me souviens de la multi piqure effectuée au ralenti et d’une main tremblante à l’infirmerie du régiment  par un appelé dont pour lequel c’était la première et qui avait pris la fuite quand du sang avait jailli de l’aiguille…
Je tiens la patiente allongée sous la paume de ma main, elle se cabre.
Ça y est, c’est fait, j’ai eu le dessus, elle est désormais bien droite (sous ma botte ?).
Je  la dépose dans  un bac rectangulaire. Elle me regarde d’un sale œil et tricote l’air avec ses pattes avec  tout autant de vivacité que sur son étal matinal.
La gambas était toujours vivante.

Je recommence l’opération pour les dix suivantes. Le bac est plein et…
les gambas étaient toujours vivantes.
Je verse sur elles une marinade constituée d’un grand verre de Lillet, du jus d’un citron, de quatre cuillerées d’huile d’olive et d’herbes effeuillées ou déchirées : thym, romarin, persil, laurier.  J’y ajoute quatre pincées de fleur de sel et un tour de moulin de poivre rouge. Ça n’a pas l’air de les affecter plus que ça !
La gambas était toujours vivante.


crevette impériale vivante
Crevettes en eskimos



Je laisse mariner une bonne heure. Je plonge mon regard dans le bac, l’agitation de mes victimes se poursuit.
La gambas était toujours vivante.


Il me faut maintenant passer à la cuisson. Je ne dispose pas de plancha , je dois trouver une autre méthode : ce sera une cuisson au four.
Je dispose les crevettes impériales sur une plaque au revêtement antiadhésif.



crevettes impériales vivantes
Encore plus grandes allongées que debout


J'enfourne à 180 °C  pour six à sept minutes avec retournement à mi-cuisson,. Je termine  par un flash sous le gril allumé.
La gambas n’était plus toujours vivante…

Le dressage en assiette s’est fait avec à côté de ces  crevettes impériales des Marais Charentais badigeonnées au pinceau du vernis de la marinade quelques branches de cresson arrosées d’huile d’olive et de vinaigre balsamique et assaisonnées d’une pincée de fleur de sel.


crevettes impériales vivantes
Hommage à ces vaillantes crevettes


Je ne saurais trop vanter la saveur de ce produit exceptionnel. Pourrais-je encore prendre plaisir à manger ces tristes gambas venant de contrées lointaines qui sont hélas mon lot habituel ?

Six céteaux

Six  céteaux…



…c’est pas tard !

céteaux

lundi 22 octobre 2018

Un boeuf-carottes pas ripou...

À la vue de magnifiques carottes cultivées dans le sable des Landes, je ne pus m’empêcher d’en faire l’emplette tout en songeant déjà à l’emploi qui les mettra en valeur.
Aussitôt je m'orientais vers le bœuf à la gelée de Françoise, la cuisinière du narrateur parti à la Recherche du Temps Perdu. Ce mets dont M.de Norpois disait : « Voilà ce qu’on ne peut obtenir au cabaret, je dis dans les meilleurs : une daube de bœuf où la gelée ne sente pas la colle, et où le bœuf ait pris parfum des carottes, c’est admirable ! »
C’est donc de ce plat dont je tirerai mon inspiration et dont j’essaierai de m’approcher – sans toutefois prétendre égaler la talentueuse Françoise. D’autant plus que si moi aussi, à l'instar de cette dernière, je vivais dans l’effervescence de la création comme j’attachais une importance extrême à la qualité intrinsèque des matériaux qui devaient entrer dans la fabrication de mon œuvre, je ne pouvais compter sur les Halles de Thouars (Deux-Sèvres) pour me faire donner les plus beaux carrés de romsteck, de jarret de bœuf, de pied de veau, comme Michel-Ange passant huit mois dans les montagnes de Carrare à choisir les blocs de marbre les plus parfaits pour le monument de Jules II… Mais tout au moins je ne ferai pas cuire trop à la va-vite - comme le répondait Françoise en parlant des grands restaurateurs quand on lui demandait de dévoiler le mystère qui enrobait la constatation que personne ne faisait la gelée aussi bien qu’elle (quand elle le voulait). « Il faut que le bœuf, il devienne comme une éponge, alors il boit tout le jus jusqu’au fond », continuait-elle dans sa tentative d’explication. J’en étais bien d’accord.
Et, de fait, si le romsteck était bien présent sur les étals, nul jarret de bœuf ne répondait présent. Aussi, quitte à trahir la Michel-Ange des fourneaux, j’ai remplacé ses ingrédients par deux joues de bœuf offertes – ou plutôt vendues – par le tripier local.
Revenu à la maison, ma première tâche fut de parer les joues brutes de décrânage



et les découper. Puis je les ai fait dorer sur une cuillerée d’huile d’arachide au fond d’une cocotte en fonte, pour être remplacées par un oignon blanc haché mis à suer à feu doux avec deux gousses d’ail dégermées et deux échalotes grises ciselées. J’ai poursuivi en déglaçant avec un verre de pineau des Charentes. J’ai remis les morceaux de joue, allongé le liquide de trois verres d’eau. J’ai ajouté une feuille de laurier, une branche de thym, un brin de persil, quelques baies de genièvre et grains de poivre à queue, une petite cuillerée de sel fin.


joues de boeuf
Bain de joues...


La cocotte a bloublouté sous surveillance à feu doux durant deux heures et demie. Après ce délai la viande avait bien fondu en exprimant toute sa gélatine et s’était imprégnée des parfums des herbes et des épices.


joues de boeuf
Elles ont fondu...


Durant la dernière demi-heure j’avais fait cuire pendant une vingtaine de minutes les carottes épluchées et tranchées en rondelles dans de l’eau bouillante salée.



carottes, joues
Les carottes sont cuites



Sorties et égouttées, elles étaient al dente. Je les ai ajoutées aux morceaux de joue dans la cocotte dont j'avais retiré les aromatiques épuisés désormais inutiles, ai bien mélangé - avec précaution afin de garder les rondelles intactes. J’ai remis sur feu doux pour un quart d’heure.


boeuf carottes en gelée
In the cocotte !


Une fois la flamme éteinte, il ne me restait plus qu’à verser le contenu de la cocotte rehaussé d’un tour de moulin de poivre noir dans un plat rectangulaire et laisser refroidir avant d’enfriguer (ou enfrigoter - au choix, c’est cadeau…) tout en croisant les doigts dans l’espérance de la prise d’une vraie gelée.
Une nuit passe…

Le lendemain, je sors le plat du réfrigérateur.


boeuf en gelée
In the glass dish !
 


Hourra, la gelée se tient bien - il ne manquerait plus que ça, qu’elle fasse des caprices ! -, elle est presque transparente – il ne manquerait plis que ça, que ma présence ne la trouble ! -, bien que fort éloignée des énormes cristaux de gelée pareils à des blocs de quartz transparent obtenus par Françoise.
Et je dois dire que les tranches disposées sur les assiettes n’ont pas trop mauvaise allure…


boeuf en gelée façon Françoise, Proust
In the plate !

 

Mais surtout c’est très bon, la texture absolument pas caoutchouteuse fond dans la bouche et dégage de subtiles fragrances.
Ce temps passé à cuisiner n’était pas perdu…

samedi 20 octobre 2018

Ça ira !



maquereaux
Maquereaux SDF


Un couple de maquereaux, las de dormir sur les bancs, alla consulter la voyante la plus réputée de l’Atlantique Nord Est, une anguille surnommée La Pythonisse dans l’espérance qu’elle leur prédira un avenir meilleur.
La Pythonisse, flanquée de son fidèle poisson-chat noir, plissa ses petits yeux méchants, se tortilla, et ouvrit sa large bouche un peu édentée.
« Si j’étais en eau douce comme il m’arrive parfois, je vous ferais un tirage de brèmes. Aujourd’hui ce n’est pas le cas. Je me suis fait voler mon poisson-globe par un japonais qui l’avait pris pour un fugu. Mais fi de cette technologie superfétatoire ! Mon fluide suffira… »
La voyante s’enroula en spirale, prit un regard inspiré et marmonna d’une voix sépulcrale.
« Oui, oui, je vois ! Je vois un voyage en France… Vous y finirez comme des rois. »
« Tu crois à ça, Marie-Lisette ? Il nous prend pour des thons…
– Mais non, La Pythonisse a toujours raison. Je serai reine, tu seras roi, mon Louïe ! »
Une semaine plus tard ils débarquèrent aux Sables d’Olonne.
Le lendemain ils étaient décapités.


maquereaux en escabèche
Le couperet est tombé



Ce fut moi qui fus chargé de l’autopsie. La découverte d’un petit poisson à l’intérieur d’un estomac m’a permis de conclure qu’ils avaient dîné en mer avant d’accoster.


maquereau, nourriture
Petit poisson ne deviendra pas grand...


J’entrepris aussitôt une nouvelle dissection. Mais ce petit poisson avait le ventre vide.
La chaîne alimentaire était rompue.
Du moins dans cette extrémité… Qu’à cela ne tienne, j’allai la prolonger à l’autre bout !


Ce sera donc au menu du lendemain : maquereaux en escabèche.
Je farine les maquereaux étêtés et vidés en prenant bien soin de débarrasser la cavité de sa peau noire amère. Je les fais revenir à la poêle dans trois bonnes cuillerées d’huile d’olive deux minutes sur toutes les faces.
Auparavant, j’avais versé dans une petite casserole un verre de vinaigre de cidre, une cuillerée de vinaigre blanc, une cuillerée de balsamique blanc, trois verres d’eau, une carotte partagée en bâtonnets, la découpe d’un demi-oignon paille, une petite échalote cuisse de poulet fendue en deux, deux échalotes grises ciselées, une gousse d’ail dégermée, la moitié d’un piment habanero débarrassé de ses pépins, une feuille de laurier, une branche de thym, quelques baies de genièvre et grains de poivre rouge ; une cuillerée de gros sel de l’île de Ré. J’avais posé sur le feu, porté à ébullition, puis laissé infuser.
Je répands le contenu de la casserole ramené à ébullition sur mes maquereaux, laisse sur le feu trois minutes supplémentaires en retournant les poissons à mi-cuisson.
Je transvase en un plat que je recouvre de cellofrais avant de ranger au frigidaire une fois refroidi.
Je sors cette préparation le lendemain pour le repas du soir.


maquereaux en escabèche
Maquereaux en escabèche


C’est bon, mais surtout je suis content car j’ai réussi ma cuisson, ce qui n’était pas gagné d’avance : la chair des maquereaux se détache de l’arête tout en restant ferme. Bravo moi !


vendredi 19 octobre 2018

Retour de flamme

Voulant un repas rapide et vite préparé, j’avais acheté un flammekueche tout prêt au supermarché.
Grave erreur ! Ce produit s’est révélé infâme ! En tout cas bien pire que les acceptables flammekueches des magasins Lidl qu’il m’est parfois arrivé de manger certains soirs de retour du travail sous la pression de l’urgence et de la paresse réunis.
Aussi, ne voulant pas rester sur ce mauvais souvenir d’un produit alsacien, je me suis lancé dans la confection de flammekueches maison.

Tout d’abord j’entreprends la confection d’une pâte à pain hydratée à 50 % et tendue légèrement croustillante par l’addition d’une bonne cuillerée d’huile d’arachide, et pétrie avec l’aide de mon robot quadragénaire Kenwood Major qui vient de prendre une retraite à la campagne à la fois méritée et active.
Pendant que la pâte repose au frais sous son linceul transparent, je mélange du fromage blanc avec de la crème fraîche épaisse dans la proportion 2/3 et 1/3. J’assaisonne de sel fin et de tours de moulin de poivre rouge. J’ajoute une pincée de quatre-épices.
Je découpe un oignon blanc en tranches fines. Je fais fondre à la poêle dans une noisette de beurre.
Il s’agit maintenant de passer au dernier ingrédient. Je sors le lard fumé acheté au rayon boucherie – las, à ce même supermarché…
Je me souviens. Quand le jeune garçon boucher qui venait de faire ses preuves en tant qu’expert en découpe d’entrecôtes avait pris en main la pièce de lard dans laquelle était plantée une étiquette LARD FUMÉ nous nous étions regardés, Madame et moi, et la question avait fusé : « C’est bien du lard cru ? ». Le professionnel prit un air perplexe, considéra d’un regard scrutateur le morceau qu’il avait entre les mains, le soupesa dans une démarche obscure, prit du recul. Son regard oscilla entre la viande et l’étiquette qu’il venait de déposer sur un coin du billot. Conceptualisme ou nominalisme ? Le damoiseau tranchait mieux dans la bidoche que dans la philosophie.
Enfin la sentence tomba : « Oui, oui, il est cru ! »
Mon erreur, c’est de l’avoir crû, ce spécialiste, car ne l’aurait-il pas crû cru, ce lard, je ne l’aurais pas crû cru pour ma part, car au premier regard je l’avais crû cuit. Et là, à la maison, je déballe et je vois bien qu’il est cuit, ce lard dit cru par un garçon boucher bouché. Mais maintenant je suis confronté à la réalité : je n’ai rien d’autre sous la main en matière de lard. Dieu soit loué, ce morceau ne semble pas imprégné d’une odeur choucroutière, il a dû cuire dans un bouillon bien neutre. Résigné, je le découpe en lardons, espérant qu’un passage à la poêle leur redonnera cette fermeté que j’attends d'un lard bien né : après tout, ce lard n’a subi qu’un blanchiment un peu poussé…

Je puis donc maintenant sortir la pâte obtenue à partir de 500 g de farine T60 et la diviser en deux pâtons que j’étale au rouleau afin de me rapprocher de la surface rectangulaire de la plaque qui est à ma disposition.
Le résultat est un peu épais à mon gré, sans doute aurais-je dû partager en trois…
Premier flammekueche : je tartine la pâte de mon mélange fromager. Puis je dispose oignon et lard.


flammekueche
Chute de lard cuit cuit


J’enfourne dans le four à 250 °C et laisse une douzaine de minutes, les trois dernières avec le gril allumé.


flammekueche
Première flammekueche


C’est bon, sans être exceptionnel.


flammeküche
En part à part


Je trouve que le dessous devrait être plus cuit, je vais donc tenter d’améliorer pour le second flammekueche. Me croyant malin, je décide de remplacer la plaque de métal par une simple feuille de papier siliconé. Je pose sur la grille du four. Et le papier se plisse, j’obtiens un flammekueche  accordéon que je m’empresse de retirer et d’étendre avec son papier tant bien que mal …sur la plaque trop vite délaissée. Je passe à un plan B : hausser un peu plus la température tout en diminuant le temps passé sous le gril.


flammenkueche
Seconde flammekueche

Bilan : des mésaventures, mais pour le résultat, il n’y a pas photo avec les produits industriels, tout alsaciens fussent-ils. Même si c’est encore bien loin de la saveur obtenue dans une cuisson au four à bois…