lundi 22 octobre 2018

Un boeuf-carottes pas ripou...

À la vue de magnifiques carottes cultivées dans le sable des Landes, je ne pus m’empêcher d’en faire l’emplette tout en songeant déjà à l’emploi qui les mettra en valeur.
Aussitôt je m'orientais vers le bœuf à la gelée de Françoise, la cuisinière du narrateur parti à la Recherche du Temps Perdu. Ce mets dont M.de Norpois disait : « Voilà ce qu’on ne peut obtenir au cabaret, je dis dans les meilleurs : une daube de bœuf où la gelée ne sente pas la colle, et où le bœuf ait pris parfum des carottes, c’est admirable ! »
C’est donc de ce plat dont je tirerai mon inspiration et dont j’essaierai de m’approcher – sans toutefois prétendre égaler la talentueuse Françoise. D’autant plus que si moi aussi, à l'instar de cette dernière, je vivais dans l’effervescence de la création comme j’attachais une importance extrême à la qualité intrinsèque des matériaux qui devaient entrer dans la fabrication de mon œuvre, je ne pouvais compter sur les Halles de Thouars (Deux-Sèvres) pour me faire donner les plus beaux carrés de romsteck, de jarret de bœuf, de pied de veau, comme Michel-Ange passant huit mois dans les montagnes de Carrare à choisir les blocs de marbre les plus parfaits pour le monument de Jules II… Mais tout au moins je ne ferai pas cuire trop à la va-vite - comme le répondait Françoise en parlant des grands restaurateurs quand on lui demandait de dévoiler le mystère qui enrobait la constatation que personne ne faisait la gelée aussi bien qu’elle (quand elle le voulait). « Il faut que le bœuf, il devienne comme une éponge, alors il boit tout le jus jusqu’au fond », continuait-elle dans sa tentative d’explication. J’en étais bien d’accord.
Et, de fait, si le romsteck était bien présent sur les étals, nul jarret de bœuf ne répondait présent. Aussi, quitte à trahir la Michel-Ange des fourneaux, j’ai remplacé ses ingrédients par deux joues de bœuf offertes – ou plutôt vendues – par le tripier local.
Revenu à la maison, ma première tâche fut de parer les joues brutes de décrânage



et les découper. Puis je les ai fait dorer sur une cuillerée d’huile d’arachide au fond d’une cocotte en fonte, pour être remplacées par un oignon blanc haché mis à suer à feu doux avec deux gousses d’ail dégermées et deux échalotes grises ciselées. J’ai poursuivi en déglaçant avec un verre de pineau des Charentes. J’ai remis les morceaux de joue, allongé le liquide de trois verres d’eau. J’ai ajouté une feuille de laurier, une branche de thym, un brin de persil, quelques baies de genièvre et grains de poivre à queue, une petite cuillerée de sel fin.


joues de boeuf
Bain de joues...


La cocotte a bloublouté sous surveillance à feu doux durant deux heures et demie. Après ce délai la viande avait bien fondu en exprimant toute sa gélatine et s’était imprégnée des parfums des herbes et des épices.


joues de boeuf
Elles ont fondu...


Durant la dernière demi-heure j’avais fait cuire pendant une vingtaine de minutes les carottes épluchées et tranchées en rondelles dans de l’eau bouillante salée.



carottes, joues
Les carottes sont cuites



Sorties et égouttées, elles étaient al dente. Je les ai ajoutées aux morceaux de joue dans la cocotte dont j'avais retiré les aromatiques épuisés désormais inutiles, ai bien mélangé - avec précaution afin de garder les rondelles intactes. J’ai remis sur feu doux pour un quart d’heure.


boeuf carottes en gelée
In the cocotte !


Une fois la flamme éteinte, il ne me restait plus qu’à verser le contenu de la cocotte rehaussé d’un tour de moulin de poivre noir dans un plat rectangulaire et laisser refroidir avant d’enfriguer (ou enfrigoter - au choix, c’est cadeau…) tout en croisant les doigts dans l’espérance de la prise d’une vraie gelée.
Une nuit passe…

Le lendemain, je sors le plat du réfrigérateur.


boeuf en gelée
In the glass dish !
 


Hourra, la gelée se tient bien - il ne manquerait plus que ça, qu’elle fasse des caprices ! -, elle est presque transparente – il ne manquerait plis que ça, que ma présence ne la trouble ! -, bien que fort éloignée des énormes cristaux de gelée pareils à des blocs de quartz transparent obtenus par Françoise.
Et je dois dire que les tranches disposées sur les assiettes n’ont pas trop mauvaise allure…


boeuf en gelée façon Françoise, Proust
In the plate !

 

Mais surtout c’est très bon, la texture absolument pas caoutchouteuse fond dans la bouche et dégage de subtiles fragrances.
Ce temps passé à cuisiner n’était pas perdu…

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