Il s’agissait de crevettes impériales vivantes des Marais Charentais que leur éleveur vendait sur son étal de mon marché poitevin favori.
Une dizaine faisaient largement l’affaire pour deux, d’autant plus qu’après pesée j’ai eu droit à une onzième gratuite, attention louable mais qui ne me faciliterai pas un partage équitable dans le futur…
Je range le sac dans le coffre de la voiture. Ça gigote à tout va…
La gambas était toujours vivante.
Arrivé à la maison je transfère dans une boîte. Les bêtes font des bons de cabri. L’une d’elles tente le saut de l’ange, elle se réfugie sous la table. Il faut chasser le décapode à quatre pattes.
La gambas était toujours vivante.
Je sors la boîte du froid où elle avait passé l’après-midi. Je soulève prudemment le couvercle. L’ambiance a l’air paisible. Je vais pouvoir commencer la préparation. Je saisis une crevette qui a l’air toute endormie. Las, la chaleur humaine réveille la chaleur animale. Je lâche lâchement l’impériale japonaise naturalisée charentaise, surpris que je suis par un sournois coup caudal. Elle se démène sur le marbre. Va-t-elle me refaire le coup du grand plongeon ? Je la bloque et l’incarcère en détention provisoire entre les murs d’acier d’un bac.
La gambas était toujours vivante.
Je vois que ses copines commencent elles-aussi à s’agiter. Il va falloir faire vite, d’autant plus que l’opération à laquelle je dois me livrer est délicate et risque de ne pas leur plaire : il s’agit de les transpercer d’une pique en bois de la queue à la tête afin qu’elles restent droites à la cuisson.
Bon, quand fut y aller, faut y aller.
Je m’empare d’une des crevettes et enfonce la mini brochette le plus rapidement possible dans un but humanitaire – je me souviens de la multi piqure effectuée au ralenti et d’une main tremblante à l’infirmerie du régiment par un appelé dont pour lequel c’était la première et qui avait pris la fuite quand du sang avait jailli de l’aiguille…
Je tiens la patiente allongée sous la paume de ma main, elle se cabre.
Ça y est, c’est fait, j’ai eu le dessus, elle est désormais bien droite (sous ma botte ?).
Je la dépose dans un bac rectangulaire. Elle me regarde d’un sale œil et tricote l’air avec ses pattes avec tout autant de vivacité que sur son étal matinal.
La gambas était toujours vivante.
Je recommence l’opération pour les dix suivantes. Le bac est plein et…
les gambas étaient toujours vivantes.
Je verse sur elles une marinade constituée d’un grand verre de Lillet, du jus d’un citron, de quatre cuillerées d’huile d’olive et d’herbes effeuillées ou déchirées : thym, romarin, persil, laurier. J’y ajoute quatre pincées de fleur de sel et un tour de moulin de poivre rouge. Ça n’a pas l’air de les affecter plus que ça !
La gambas était toujours vivante.
Crevettes en eskimos |
Je laisse mariner une bonne heure. Je plonge mon regard dans le bac, l’agitation de mes victimes se poursuit.
La gambas était toujours vivante.
Il me faut maintenant passer à la cuisson. Je ne dispose pas de plancha , je dois trouver une autre méthode : ce sera une cuisson au four.
Je dispose les crevettes impériales sur une plaque au revêtement antiadhésif.
Encore plus grandes allongées que debout |
J'enfourne à 180 °C pour six à sept minutes avec retournement à mi-cuisson,. Je termine par un flash sous le gril allumé.
La gambas n’était plus toujours vivante…
Le dressage en assiette s’est fait avec à côté de ces crevettes impériales des Marais Charentais badigeonnées au pinceau du vernis de la marinade quelques branches de cresson arrosées d’huile d’olive et de vinaigre balsamique et assaisonnées d’une pincée de fleur de sel.
Hommage à ces vaillantes crevettes |
Je ne saurais trop vanter la saveur de ce produit exceptionnel. Pourrais-je encore prendre plaisir à manger ces tristes gambas venant de contrées lointaines qui sont hélas mon lot habituel ?