J’avais craqué sur mon marché favori pour du thon germon duquel la poissonnière en chef avait prélevé une tranche fort laborieusement en dépit de l’aide d’une assistante de moindre grade.
Le lendemain matin dans un supermarché dont la principale qualité est la proximité, je suis tombé en arrêt devant un empilement de barquettes en bois arborant fièrement leur contenu imprimé sur le couvercle en une élégante écriture cursive :
Bonnotte de Noirmoutier. Eureka, me dis-je en mon for intérieur, voici un accompagnement idéal pour ma darne de fils de l’océan : des filles d’une terre nourrie d’embruns…
Quelques heures plus tard, je déballais mon poisson et je rompais les sangles qui scellaient la barquette de pommes de terre.
Las, apparut devant mes yeux horrifiés une vilaine petite patate nichée au milieu de ses sœurs moins atteintes, mais qui semblaient déjà sombrer dans la déprime loin de leur île natale.
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Tu pourrais au moins te cacher ! |
Je suis parvenu cependant à surmonter cette déception analogue à celle de l’ouverture d’une bouteille de
beaujolais nouveau bouchonnée le grand soir. Pas la peine que les marketeux se décarcassent si l’intendance ne suit pas !
J’ai balancé l’immonde à la poubelle non sans l’avoir observée de près et en avoir tiré le portrait afin de le conserver dans mes archives au rayon
yakanmêmedesproduitsmoches.
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Est-ce contagieux ? |
Puis j’ai extrait quelques individus bonnottesques qui me semblaient consommables bien que plus de première fraîcheur. Je les ai vaguement grattés pour les débarrasser de leurs squames susceptibles de carboniser lors de la cuisson. Et hop, dans la sauteuse avec une grosse noix de beurre et deux verres d’eau, cuisson à couvert cinq minutes puis une dizaine de minutes couvercle enlevé jusqu’à ce que, l’eau évaporée, les pommes de terre puissent dorer sur toutes les faces. Malgré leur aspect peu avenant au départ, j’obtiens une chair moelleuse et goûteuse qui se cache sous une croûte croustillante.
À côté, le thon subit un aller-retour dans le beurre mousseux. Je termine en ajoutant le jus d’un demi-citron que je réduirai à feu vif après avoir sorti le thon. Quelques feuilles de thym citronnelle ajoutent leur parfum vivifiant.
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Germon ...et merveilles ? |
Mauvaise note pour ces bonnottes, mais bonne note néanmoins pour ce plat…
Je soulève à nouveau quelques jours plus tard le couvercle de ma cage aux Noirmoutrines.
Cette fois-ci, ces pommes de terre vont accompagner une anguille.
Je n’avais pas résisté les dimanches précédents au plaisir de m’offrir une petite anguille grillée sur la braise retour de marché que je déguste sur le pouce au déballage des courses. Cette fois-ci j’ai acheté une anguille bien frétillante qu’a bien voulu me tuer d’un coup de pince le marchand dont j’appréhende la retraite – c’est le dernier grilleur d’anguilles restant sur les trois que je voyais jadis tourner sur les foires et les marchés…
Voulant changer de mes matelotes ou anguilles à la maraîchine habituelles, je me suis souvenu d’un excellent plat dégusté il y a bien longtemps en Belgique à Gant : des
anguilles au vert.
Je me lance donc dans cette aventure.
Il me faut tout d’abord enlever la peau de la bête. C’est quand même plus facile quand l’anguille est inerte que quand elle gigote comme un beau diable… Il me suffit d’inciser au niveau du cou et de retourner comme une vieille chaussette. Au fait, pourquoi n’est-on pas censé retourner une chaussette neuve ?
Je partage en tronçons, enlève les boyaux. Je réserve dans de l’eau fraîche avec une pointe de vinaigre.
Commence la lourde tâche de préparation des herbes. Heureusement j’ai tout sur place, à quelques mètres. Je cueille oseille, mélisse, menthe, sauge, pimprenelle, estragon, thym, thym citronnelle, origan, romarin. Je vais un peu plus loin couper quelques branches d’ortie – c’est fou comme cette plante se plaît bien dans mon jardin, presque autant que la carotte sauvage…
Je cisèle sur la planche la verdure, pour les plantes aromatiques je me contente d’en prélever les feuilles.
Je hache une échalote que je dépose avec une noix de beurre demi-sel au fond d’une sauteuse. Je place sur feu moyen, et pendant la suée j’éponge mes tronçons d’anguille que j’ajoute quand l’échalote a fondu. Je retourne ces morceaux dans le beurre mousseux sur toutes les faces, j’ajoute un verre de vin blanc sec – un reste de sauvignon qui traînait au frigo, mais heureusement sous vide- et un verre d’eau. Je laisse blobloter dix minutes. Puis je verse les herbes, introduis deux petites feuilles de laurier, touille. Cinq minutes se sont passées, la réduction du liquide commence à devenir excessive, je complète d’un nouveau verre d’eau. Je poursuis la cuisson encore cinq minutes pendant lesquelles je mélange dans un bol deux jaunes d’œuf, le jus d’un citron, un verre d’eau, une petite cuillerée bombée de fécule.
Je jette un coup d’œil vers mes bonnottes. Parallèlement à la cuisson de l’anguille au vert, je les ai traitées comme de vulgaires frites. Non mais ! On veut se la jouer patate de luxe, et on se présente moisie ! Le sort d’une bintje, pas plus… Pas tout à fait quand même, car je ne les découpe pas en bâtonnets. Mais elles plongent dans un centimètre d’huile d’arachide bien chaude au fond d’une casserole. Je les fais rouler de temps à autre afin de dorer en bas, en haut, à gauche, à droite, sur les côtés. Mission accomplie !
Les herbes et l’anguille sont cuites. J’éteins la flamme sous la sauteuse. Je verse alors progressivement le contenu du bol tout en remuant. J’obtiens une sauce bien liée. J’ai encore des morceaux d’herbe apparents, ce n’est pas cette sauce uniformément verte que l’on aperçoit sur beaucoup de photos du Web, mais c’est un parti pris : je ne voulais pas mixer.
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Anguille se mettant au vert |
Je dresse les assiettes, ajoutant une seyante (?) fleur de bourrache.
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La fleur qui change tout |
Je suis plutôt content du résultat. Mais le combat fut rude, et vécu dans la souffrance : mains brûlées par les éclaboussures de gouttelettes d’huile bouillante quand j’ai eu la mauvaise idée de secouer la casserole pour faire rouler les pommes de terre, piqûres d’ortie malgré mes précautions. Dieu soit loué j’ai échappé à la coupure pendant le hachage. La cuisine est sans nul doute un sport à risque !