mercredi 21 février 2018

Un végétarien fréquentable

Le seul végétarien que je reçois à ma table, c’est le piment végétarien.
Gloire à ce végétarien qui dégage un parfum incomparable et dont la finesse en bouche n’a d’égale que la vigueur en terre ! En effet un pied de cette variété de piment, séjournant en mon appartement sur un coffre à côté d’une fenêtre résiste depuis plus de quatre ans aux multiples aléas de sa vie ingrate dans un pot étriqué en me fournissant abondamment de ses fruits en toutes saisons : manques d’arrosage durant les absences, tailles sauvages de ses rameaux, chutes malencontreuses en raison de sa dimension en regard du peu de poids de son récipient, rien ne l’a empêché de poursuivre sa tâche. Parfois j’ai craint le pire, feuilles en berne ou jaunissement, branches mortes, mais non, un bon arrosage, parfois une petite dose d’engrais, et cette plante incomparable se redressait, plus fière que jamais, et me manifestait une gratitude que je ne méritais pas par une abondante fructification.


C’est ainsi que cette semaine, confronté à une pléthore de piments végétariens ornant les branches de cette merveille de la nature, je me suis dit qu’il était de mon devoir d’effectuer une cueillette afin que ce pauvre arbuste ne se soit pas dévoué pour rien.
Récolter est une chose, mais il me fallait aussi concocter une recette afin d’en mettre en valeur le produit.
J’avais deux tranches d’un espadon de Méditerranée, c’était un bon point de départ. Mais en revanche, question légumes, la saison n’était pas très propice : pas d’aubergines, pas de tomates…
Finalement voici le déroulement que j’ai improvisé…
Je dépose mes tranches d’espadon dans une marinade :
jus de deux citrons jaunes et d’un citron vert
rondelles de deux oignons blancs et découpe de leurs tige
morceau de gingembre frais haché
trois gousses d’ail hachées
trois clous de girofle
mes piments végétariens, rouges, verts et oranges (les plus odoriférants…) découpée en tranches ou fendus dans leur longueur
une cuillerée extraite d’un bocal de piments habaneros confits au vinaigre
fleur de sel
tours de moulin de poivre rouge de Kâmpôt


Je laisse au frais en retournant les tranches de temps en temps durant un peu plus d’une heure.

espadon, marinade, piment végérarien
Le bain de l'espaadon


Puis je sors l’espadon en l’égouttant le mieux possible.
Je verse un abondant filet d’huile d’arachide au fond d’une poêle en inox placée sur un feu vif. J’y dépose les tranches de poisson que je parsème de graines à roussir (un mélange de graines de moutarde, de fenugrec et de cumin). Une minute et demie sur chaque face, je retire et je réserve.
Je baisse la flamme et fais suer dans cette même poêle les pétales un oignon rouge partagé en huit avec une pincée de sel. J’ajoute les tronçons d’une banane pas très mûre découverte dans la corbeille à fruit que commence à faire dorer dans l’huile sur toutes les faces. Trois minutes plus tard, je verse la marinade en remettant la flamme au maximum en la complétant d’un trait minimaliste de sirop de canne. J’y plonge aussi une feuille de laurier et une branche de thym.
Au bout de quelques minutes, le mélange a réduit et commence à caraméliser.

espadon, banane, piments végétariens
Va donc, eh, banane !


Je le détends alors avec le jus d’un citron jaune et le verse dans un plat au creux d’un riz thaï que j’ai fait cuire simultanément sur le feu voisin. L’espadon retourne dans la poêle et je le remets à température par un aller-retour à feu vif. Il rejoint le plat où je le saupoudre d’une pincée de curcuma et je lui fais supporter un piment végétarien. J’y ajoute des feuilles de basilic vietnamien frais coupé du jardin. Quelques gouttes du jus de citron vert… Et la touche finale sera conférée par le zeste d’un combava.

espadon, piment végétarien
Espadon végétarien


Le résultat était probant, ce plat aigre-doux titillait les narines et les papilles par sa symphonie d’odeurs et de saveurs…
Ce n’était pas tout, j’avais sorti le sirop de canne à sucre, il me restait un demi-citron vert et au cours de mes recherches j’avais découvert un fruit de la passion tout ridé, mais dont la découpe m’avait permis de découvrir à l’intérieur un vivier de grains parfumés.
Avec ces produits et l’ambiance des îles qui régnait, un ti-punch s’imposait.


ti punch
Avec modération ?


mardi 20 février 2018

Cassons la croûte sur la banquise

Dans un élan qui m’étonne encore d’avancée vers le Progrès, j’ai choisi, en dépit du souvenir d’une cuisson peu convaincante de foie gras au sein de mon four micro-ondes, d’utiliser ce même engin pour confectionner des œufs à la neige.
Eh bien la modernité a parfois du bon ! Modernité d’ailleurs toute relative, car ce type de four existe depuis 1947…
Or donc, plutôt que de jeter des blocs de blancs à becs (car montés convenablement en neige avec un soupçon de sucre) dans une eau frémissante ou un lait sauvé in extremis du débordement, je moule une portion de la mousse neigeuse au creux d’un bol. Je renverse au-dessus d’un plat sur quelques millimètres d’eau chaude et j’enfourne au micro-ondes. Je règle la durée de fonctionnement sur 1 min 10 s (la puissance du four est 800 W). À la sortie, je découvre un blanc parfaitement cuit de façon uniforme, pas caoutchouteux et qui ne dégouline pas de liquide de cuisson.
Ces fermes bolées sont étendues sur un torchon avant de venir flotter sur la crème anglaise préparée avec les jaunes de façon très traditionnelle - encore que l’usage de la sonde thermique…
Las, le grand saladier ne peut trouver sa place dans le réfrigérateur, il me faut me contenter d’un de ceux de taille moyenne. Donc point d’îlots flottant sur la mer jaune, mais une couverture quasi-totale…
À tel point qu’un hôte un peu ours m’a lancé : « Je m’attendais à aborder des îles ; et c’est la banquise ! ». Pour autant, ce ne fut pas la débâcle, même après le réchauffement climatique et la marée brune d’un caramel…

oeufs à la neige, îles flottentes, caramel
Déferlante

Après avoir cassé la croûte dont des éclats furent plantés dans la neige, il fut possible d’accéder à l’onctueuse nappe phréatique.
De quoi dégager de savoureuses assiettes…

oeufs à la neige, caramel
Où le caramel a volé en éclats...

dimanche 18 février 2018

Poule au pot sans o

Après l'omelette sans e, la poule au pot sans o.
La pOULIPO... 

Claudicante, un tantinet déplumée, elle lançait un bec menaçant mais hasardeux dans la glèbe visqueuse qui, après le passage de maintes gallinacées affamées, avait remplacé l’herbe verte de la prairie derrière la ferme. Presque jamais avec succès, car sa vue devenue défaillante ne lui permettait plus de distinguer le vermisseau appétissant qui satisferait le gésier en manque qui était le sien.
L’éleveuse l’aperçut et s’exclama : « Ma belle, il me faut te sacrifier ! Tu ne penses pas que je vais gâcher des grains de ce blé si difficile à cultiver afin de te permettre de persévérer plus avant dans ta béatitude sénile… ».
Enfin, je ne suis pas certain que ce fut exactement ce qu’elle dit…
D’aucuns prétendent  que jaillirent  plus simplement de ses lèvres ces phrases énergiques:  « Le ramasseur des halles passe demain. L’Gustave, tu te manies les fesses ! J’veux que dans deux heures l’ensemble de ces bêtes aient été saignées et plumées. »
Cependant, quelle que fut la manière que retint l’avicultrice afin d’exprimer un désir de rajeunissement du cheptel, le fait est que la bête gisait ce matin entre canards et lapins sur l’étal d’un de mes marchands habituels des halles de ma ville.
Et, puisque précisément j’avais une envie de recette de grand-mère, elle fut jetée dans le cabas parmi mes achats et parvint, bien parée par le vendeur, dans ma cuisine.
Le matin suivant, débutant ma recette, je réalise une farce. Le veau haché est mélangé avec les abats de l’animal et de la mie de pain trempée dans du lait. Puis je bats un jaune et un blanc, les parfume avec des grains de piper nigrum fraîchement écrasés, de la muscade râpée et une pincée de quatre-épices, les verse dans la bassine sur la chair et pétris. Puisque Henri le Quatrième fut le grand zélateur du plat que j’entreprends de réaliser, il me semble judicieux de ciseler quelques feuilles de la plante sans laquelle la béarnaise ne saurait exister (bien que je sache qu’en réalité cette sauce n’est pas issue de la patrie du Vert-Galant mais est née dans un restaurant baptisé Henri IV) et de hacher quatre caïeux d’ail. Ce mélange vient dissiper ses fragrances dans la farce que je finis de malaxer par mes mains viriles avant que je l’insère dans la cavité ventrale qui en sera le refuge ultime. Je rabats la peau, ne laissant aucune issue à emprunter et empêchant ainsi une funeste déliquescence…
Je n’ai plus qu'à tirer sur les fils déjà mis en place par le spécialiste plus agile que je ne le suis en matière de bridage, et à ligaturer fermement.
La bête est maintenant prête à être immergée.

poule au pot
Bien ficelée


J’emplis d’eau une grande marmite. Je prends un tissu immaculé  dans lequel j’enferme un spécimen de chacune des racines que j’ai pu déterrer du jardin ainsi qu’une branche de céleri. Je ficelle persil, thym et laurier au sein d’une feuille d’une verdeur inattendue, puisqu'elle est tranchée dans un prétendu Bleu d’hiver. Et vlan, ça finit dans le bain avec l’animal. En plus, un bulbe de Paille des Vertus hérissé de piques parfumées, quelques sphères de piment de Cayenne, ainsi que diverses variétés pipéracées.
Cette marmite va rester tranquillement sur le feu...
Près de deux heures plus tard, il est grand temps de me remettre à cuisiner au lieu de me prélasser. À cet instant, j’extrais les végétaux ayant terminé d'exhaler leurs parfums en évacuant le sac, et les remplace par les divers légumes de la garniture finale : c’est reparti pendant une petite demi-heure.
Un quart d’heure avant la fin, j’entreprends de préparer une sauce suprême.
Dans une sauteuse en cuivre je jette le tiers d’une plaquette de beurre et six cuillerées de farine. Sur le feu, je verse sur ce mélange devenu une pâte bien lisse presque un litre du  liquide parfumé puisé dans la marmite. Je mélange avec vigueur, laissant bien cuire la farine. La sauce naissante épaissit. Je puis déjà me saisir du récipient de crème fraîche qui hiberne au réfrigérateur, en prélever quatre cuillérées qui finissent elles aussi dans la sauteuse. Et que je te mélange et que je te remélange, avec une énergie sans faille. Je réserve. Le jaune destiné à lier n’arrivera qu’au dernier instant, le récipient ayant été réchauffé, mais écarté ensuite de la flamme afin d’éviter un excès de température.
Il me faut passer à la phase ultime.
J’extrais de la marmite l’animal qui me semble parfaitement cuit - il résiste quand je le titille de ma lame acérée mais ne se désagrège nullement - et le fends en deux par le milieu. La farce ne s’émiette pas et n’est pas sèche. J'en respire le fumet. Hum, un parfum bien agréable enchante mes narines !
J’étends les deux hémi-bêtes sur un plat, l’une présentant la chair revêtue de sa peau, l’autre exhibant la farce qu’elle renferme. 
Puis les légumes pêchés dans la marmite à l’aide d’une araignée viennent cerner la reine du festin.
Avant d’amener le plat sur la table, je l’enduis de quelques cuillerées de la sauce suprême que je viens de finaliser.

poule au pot, sauce suprême, racines
Suprêmement servie


Je dispenserai à la demande les parts de la viande ainsi que de sa farce, et chacun se servira des légumes qui l’inspirent afin de dresser l’assiette de ses envies qu’il agrémentera ad libitum de la sauce restée dans la sauteuse.


poule au pots, légumes, sauce suprême
L'aile, la cuisse ? ...ad libitum


samedi 17 février 2018

FARCE suite MENT et fin

Dernières tranches du farcement passées à la poêle dans la fonte du confit puis mises au four où il fait un chaud de canard  - à tel point que l’on voit bien que ce dernier a la chair de poule…

farcement, confit de canard
Finita la farsa

jeudi 15 février 2018

Suivre Savoie

La neige a fondu, et c’est bien dommage. Car elle aurait créé une ambiance idéale pour mon plat de ce jour, un farcement savoyard.

C’est donc en voyant les gouttes de pluie dégouliner sur les vitres que je m’attelle à la réalisation de cette recette.
Je commence par râper un peu plus d’un kilo et demi de pommes de terre. Des bintjes achetées au marché que je dois non seulement éplucher, mais aussi débarrasser de pas mal de noir… Honte à ce producteur ! Je n’ai plus le courage de râper à la main, ce qui sans doute serait préférable, mais j’ai hâte de voir se terminer la corvée de patates, alors je sors le robot, et zou, les tubercules sont avalés par l’engin en quelques secondes…

robot Cuisinart, râper
Râpons !
Je verse le résultat dans un torchon afin d’essorer le magma tant que peut se faire, le jus tombant dans un saladier en verre qui supporte une passoire contenant la bintje râpée qui y versera ses dernières larmes. Le liquide va décanter, et je pourrai ainsi récupérer la fécule déposée au fond du récipient.

fécule, pomme de terre, râpage
Fécule maison

Puis je hache un oignon, découpe un morceau de lard demi-sel en petits lardons, et verse le tout dans une poêle où j’ai fait fondre une petite cuillerée de saindoux. Je laisse fondre quelques minutes et réserve.

farcement, oignon, poitrine demi-sel
Pour une bonne farce...
  
Pendant que cette préparation refroidit, je tapisse soigneusement ma rabolire barbouillée de saindoux avec des tranches de lard fumé coupées  à environ un demi-millimètre d’épaisseur par le charcutier. Je prends bien soin de couvrir de la même façon le fonds et la cheminée.
Coup de chance, le nombre de tranches, quarante - comme les académiciens et les voleurs… -, colle pile-poil avec la quantité nécessaire pour couvrir la surface !
Je range au frais ma raboline prête à accueillir l’appareil que j’entreprends sitôt de réaliser.

Dans un cul-de-poule je déverse la pomme de terre râpée, ajoute le contenu de la poêle, deux cuillerées de farine, la fécule des bintjes recueillie au fond du saladier, deux œufs, une cuillerée de crème fraîche. Je mélange bien à la main en introduisant une vingtaine de pruneaux non dénoyautés et en assaisonnant de plusieurs tours de moulin de poivre noir, de noix de muscade râpée sur la Microplane et de deux pincées de quatre-épices.

farcement, bintje, pruneaux
Après avoir reçu quelques pruneaux
Je m’empare de la raboline et l’emplis de ma préparation en prenant soins de ne pas décoller les tranches qui revêtent ce récipient. Je tasse sans excès. Il ne me reste plus qu’à replier la tapisserie afin de recouvrir le dessus du farcement cru.

farcement, lard fumé
En recouvrement...
Je coiffe la raboline de son couvercle et la dépose au fond d’un grand faitout contenant l’eau nécessaire pour un bain-marie au trois-quarts de sa hauteur.
J’enfourne à 180°C et j’ajoute de temps à autre de l’eau chaude afin de maintenir le niveau.



Trois heures et demie plus tard, je défourne.

raboline, farcement
Raboline sortant de son bain
Arrive l’instant le plus stressant, le démoulage. Est-ce que les feuilles de lard fumé ne vont pas rester collées ou le contenu s’effondrer lamentablement ?
Retournons, une main sur le plat remplaçant le couvercle, l’autre sous la raboline dont la chaleur commence à transpercer la manique… Un, deux, trois. Non, je ne le sens pas… Recommençons, en se plaçant un peu mieux. Un deux... Courage ! Un deux, trois, hop, hop-là comme on dit non pas en Savoie mais en Alsace… Ça y est, le farcement se dresse fièrement sur son plat, intact ( adjectif qui s’applique au mets, mais aussi à la porcelaine, qui eut pu aussi bien y passer... ).
J’imagine la déception du lecteur. Quoi de plus réjouissant à lire que le récit d’un beau plantage !
Non mais vous n’espériez tout de même pas que j’allai me priver d’un bon farcement pour le plaisir d’amuser la galerie ! Alors contentez-vous de cette œuvre dans la banalité de son achèvement :

farcement
Fieffé fier farcement !


Il ne me reste plus qu’à trancher et à servir. J’ajoute sur chaque assiette une des saucisses italiennes parfumées au romarin achetées chez le traiteur italien des halles locales mises à dorer sur une poêle pendant la fin de cuisson du farcement.

farcement, saucisse italienne
On s'en paye une bonne tranche
Un couple qui fonctionnera…
Le temps d'un repas.

dimanche 11 février 2018

Le royaume d'Aster X

Je suis bien placé pour parler du couronnement d’Aster X, car c’est moi qui me suis chargé de l’organisation de la cérémonie.
Aster, dit le Maritime, est arrivé béni par l’Abbé de Somme.

Aster dans sa jeunesse
Il s’est ébroué tout d’abord au fond d’une passoire, avant de plonger dans le bain parfumé que je lui avais préparé…


Mais commençons par le commencement !
Ce sont d’abord deux soles venues tout droit de Saint Gilles-Croix de Vie qui se présentent en première ligne, si j’ose dire. Je les habille, en tire huit filets. Leurs parures sont jetées dans une petite casserole sur une noix de beurre demi-sel commençant à fondre en compagnie de deux échalotes tranchées en deux, de trois épaisses rondelles de carotte, d’une feuille de laurier, d’un brin de thym.
Il va sans dire que tout ce petit monde se met à suer sur la petite flamme bleue allumée sous ses pieds. Compatissant, j’arrose d’un vert de vin blanc -un Gros-Plant du Pays Nantais- et de deux verres d’aqua simplex. Je bombarde de trois grosses baies de piment de la Jamaïque et d’une dizaine de petits grains de poivre de Voatsiperifery. Un quart d’heure plus tard, il ne reste qu’un demi-verre de liquide concentrant les saveurs. Je le transfère dans une autre casserole à travers un chinois.
Aster qui n’est pas encore classé X se plonge avec bonheur dans ce bain. Il ne me reste plus qu’à l’oindre de chrême de Sainte-Mère. Un nouveau petit tour sur le feu que j’interromps après une bonne réduction et...
Vive Aster X, le roi du jour !
Je le réserve.


Je me consacre alors aux hôtes de céans.

En premier, quatre tranches fines de ventrèche roulée arrivées du Pays Basque.
Je laisse leur manteau de couenne rougi par le piment au vestiaire, je les allonge au fond d’une poêle et les couvre d’un drap de papier siliconé. Mais elles se comportent comme des enfants : « On ne veut pas dormir, il fait trop chaud ! » et gigotent pour se lever. J’emploie la manière forte en les maintenant par le poids d’un aplatisseur à viande. Non mais ! Quelque temps après, elles ont bien sué, se tiennent raides, et je peux les laisser sommeiller dans un coin.

Les autres invitées sont plus nombreuses, ce sont des lentilles vertes du Berry qui arborent avec fierté leur Label Rouge.
Un peu plus du double d’eau, un oignon cloué, un morceau de carotte, une feuille de laurier, un brin de thym, poivre long, poivre blanc de Penja… Vingt minutes à petit bouillon, une pincée de fleur de sel, encore cinq minutes… Les lentilles sortent guillerettes de leur caldarium. Mais elles ne sont pas entièrement satisfaites. Il me faut leur prodiguer un massage avec un bon beurre. « Du Surgères ! », réclament-elles. Comment ces berrichonnes connaissent-elles cette petite ville du Pays d’Aunis ? Toujours est-il que je m’exécute.

Désormais tout est prêt pour la fête finale.
Arrivent les filets de sole qui plongent dans du beurre demi-sel mousseux. Deux oignons blancs fendus en deux sur toute leur longueur s’invitent à leur côté. J’arrose abondamment de beurre fondu pendant deux minutes, puis je glisse la poêle au four à 70°C le temps de placer l’hémicycle des lentilles et de remettre en température la ventrèche. Aster X doit aussi s’échauffer avant son entrée.
Je dispose les filets de sole  comme quatre banquette sur lesquelles trônera Aster X - allongé à vrai dire comme un roi fainéant…
Les tranches de ventrèche se bousculent pour être au premier rang, alors que les oignons blancs s’allongent mollement à leurs pieds, tels des chiens fidèles.
Je tapisse le sol de tours de moulin de poivre noir de Kampot et de poudre de piment d’Espelette.
Aster X arrive, majestueux.
Il prononce sa fière devise : « Toujours vert ! »
Le chœur des Berruyères répond en écho : « Toujours vertes ! »

Le règne d’Aster X a commencé.

sole, lentille verte du Berry, aster maritime, ventrèche
Sacre d'Aster X


Pas pour longtemps.  Une révolution de palais vient l’interrompre prématurément.
Je confie à mon épouse : « Eh oui, il était trop bon… »
Elle me confirme : « Ça, c’est bien vrai ! »


mercredi 7 février 2018

Les crêpes de la Saint-Eutyche

Pour des raisons indépendantes de ma volonté, il m’a fallu différer la préparation des crêpes du jour de la Chandeleur à celui de la Saint-Eutyche…
Pour autant, le résultat gustatif n’en fut pas tellement modifié, et de toute façon, au regard de l’instrument de cuisson utilisé, il m’eut été difficile de faire sauter une crêpe tout en serrant une pièce dans ma main gauche.


Or donc, en cet après-midi du 4 février de l’an de grâce 2018, jour où l’on fête  le Bienheureux Saint Eutyche -qui, sous l'empereur Dioclétien, fut emprisonné, resta sans nourriture ni eau pendant douze jours avant de mourir noyé-, je me lance dans la séance de rattrapage de ma Chandeleur manquée.

Je confectionne deux pâtes.
La première, celle destinée aux crêpes sucrées se compose de :
500 g de farine type 65
1 l de lait
5 œufs
100 g de sucre
50 g de beurre
½ cuillerée à soupe de gros sel gris


Je verse la farine et le sel dans un grand cul-de-poule et crée un puits en son centre.
Je bats les œufs avec le quart du lait dans un petit cul-de-poule. Je transvase ce mélange au creux  de la farine, et l’incorpore précautionneusement  avec une spatule afin de ne pas avoir de grumeaux. Dans la pâte relativement ferme obtenue j’ajoute le sucre puis progressivement le reste de lait. Je peux terminer au fouet, tout en veillent à ne pas rendre mousseux.
Je réserve au frais. Le beurre, fondu, sera ajouté au moment de la cuisson.

pâte à crêpe
Pâte 1
La seconde, celle dévolue aux galette salées, se compose de :
500 g de farine  de sarrasin
1 œuf
1 poignée de gros sel gris
1 litre d’eau à augmenter selon résultat.


Je verse la farine et le sel dans une bassine et crée un puits en son centre. J’y dépose l’œuf battu avec un peu d’eau, et je pétris. J’ajoute ensuite un verre prélevé sur le litre d’eau, continue à pétrir, puis ajoute le reste. Ce ne sera pas suffisant, il me faudra ajouter encore un peu d’eau pour obtenir la consistance voulue. Je réserve au frais.

galette, sarrasin, blé noir
Pâte 2



Quatre heures plus tard, je sors la billig, l’enduis de saindoux avec  le tampon.
Je commence par les crêpes au froment qui s’entassent sur un plat, environ une quinzaine…

billig, crêpe
Billig et froment
J’enchaîne sur les galettes au blé noir, qui se superposent sur un autre plat,  en nombre à peu près équivalent…

galette, sarrasin
Billig et sarrasin


C’est le moment de passer à la dégustation.


Galette complète jambon, œuf et emmenthal :

galette complète
C'est complet !
Galette andouille de Guéméné, compotée d’oignon :

galette, blénoir
J'ai fait l'andouille
Galette jambon, emmenthal :

galette, crêpe
Moins un
 Crêpe au sucre :

crêpe, sucre, beurre demi-sel
Tout est à l'intérieur
Bien entendu, avec chaque galette ou crêpe, une grosse noix de beurre demi-sel !


Finalement, je me suis à peu près rattrapé aux branches des Chandeliers du 2 février…