La pOULIPO...
Claudicante, un tantinet déplumée, elle lançait un bec menaçant mais hasardeux dans la glèbe visqueuse qui, après le passage de maintes gallinacées affamées, avait remplacé l’herbe verte de la prairie derrière la ferme. Presque jamais avec succès, car sa vue devenue défaillante ne lui permettait plus de distinguer le vermisseau appétissant qui satisferait le gésier en manque qui était le sien.
L’éleveuse l’aperçut et s’exclama : « Ma belle, il me faut te sacrifier ! Tu ne penses pas que je vais gâcher des grains de ce blé si difficile à cultiver afin de te permettre de persévérer plus avant dans ta béatitude sénile… ».
Enfin, je ne suis pas certain que ce fut exactement ce qu’elle dit…
D’aucuns prétendent que jaillirent plus simplement de ses lèvres ces phrases énergiques: « Le ramasseur des halles passe demain. L’Gustave, tu te manies les fesses ! J’veux que dans deux heures l’ensemble de ces bêtes aient été saignées et plumées. »
Cependant, quelle que fut la manière que retint l’avicultrice afin d’exprimer un désir de rajeunissement du cheptel, le fait est que la bête gisait ce matin entre canards et lapins sur l’étal d’un de mes marchands habituels des halles de ma ville.
Et, puisque précisément j’avais une envie de recette de grand-mère, elle fut jetée dans le cabas parmi mes achats et parvint, bien parée par le vendeur, dans ma cuisine.
Le matin suivant, débutant ma recette, je réalise une farce. Le veau haché est mélangé avec les abats de l’animal et de la mie de pain trempée dans du lait. Puis je bats un jaune et un blanc, les parfume avec des grains de piper nigrum fraîchement écrasés, de la muscade râpée et une pincée de quatre-épices, les verse dans la bassine sur la chair et pétris. Puisque Henri le Quatrième fut le grand zélateur du plat que j’entreprends de réaliser, il me semble judicieux de ciseler quelques feuilles de la plante sans laquelle la béarnaise ne saurait exister (bien que je sache qu’en réalité cette sauce n’est pas issue de la patrie du Vert-Galant mais est née dans un restaurant baptisé Henri IV) et de hacher quatre caïeux d’ail. Ce mélange vient dissiper ses fragrances dans la farce que je finis de malaxer par mes mains viriles avant que je l’insère dans la cavité ventrale qui en sera le refuge ultime. Je rabats la peau, ne laissant aucune issue à emprunter et empêchant ainsi une funeste déliquescence…
Je n’ai plus qu'à tirer sur les fils déjà mis en place par le spécialiste plus agile que je ne le suis en matière de bridage, et à ligaturer fermement.
La bête est maintenant prête à être immergée.
Bien ficelée |
J’emplis d’eau une grande marmite. Je prends un tissu immaculé dans lequel j’enferme un spécimen de chacune des racines que j’ai pu déterrer du jardin ainsi qu’une branche de céleri. Je ficelle persil, thym et laurier au sein d’une feuille d’une verdeur inattendue, puisqu'elle est tranchée dans un prétendu Bleu d’hiver. Et vlan, ça finit dans le bain avec l’animal. En plus, un bulbe de Paille des Vertus hérissé de piques parfumées, quelques sphères de piment de Cayenne, ainsi que diverses variétés pipéracées.
Cette marmite va rester tranquillement sur le feu...
Près de deux heures plus tard, il est grand temps de me remettre à cuisiner au lieu de me prélasser. À cet instant, j’extrais les végétaux ayant terminé d'exhaler leurs parfums en évacuant le sac, et les remplace par les divers légumes de la garniture finale : c’est reparti pendant une petite demi-heure.
Un quart d’heure avant la fin, j’entreprends de préparer une sauce suprême.
Dans une sauteuse en cuivre je jette le tiers d’une plaquette de beurre et six cuillerées de farine. Sur le feu, je verse sur ce mélange devenu une pâte bien lisse presque un litre du liquide parfumé puisé dans la marmite. Je mélange avec vigueur, laissant bien cuire la farine. La sauce naissante épaissit. Je puis déjà me saisir du récipient de crème fraîche qui hiberne au réfrigérateur, en prélever quatre cuillérées qui finissent elles aussi dans la sauteuse. Et que je te mélange et que je te remélange, avec une énergie sans faille. Je réserve. Le jaune destiné à lier n’arrivera qu’au dernier instant, le récipient ayant été réchauffé, mais écarté ensuite de la flamme afin d’éviter un excès de température.
Il me faut passer à la phase ultime.
J’extrais de la marmite l’animal qui me semble parfaitement cuit - il résiste quand je le titille de ma lame acérée mais ne se désagrège nullement - et le fends en deux par le milieu. La farce ne s’émiette pas et n’est pas sèche. J'en respire le fumet. Hum, un parfum bien agréable enchante mes narines !
J’étends les deux hémi-bêtes sur un plat, l’une présentant la chair revêtue de sa peau, l’autre exhibant la farce qu’elle renferme.
Puis les légumes pêchés dans la marmite à l’aide d’une araignée viennent cerner la reine du festin.
Avant d’amener le plat sur la table, je l’enduis de quelques cuillerées de la sauce suprême que je viens de finaliser.
Suprêmement servie |
Je dispenserai à la demande les parts de la viande ainsi que de sa farce, et chacun se servira des légumes qui l’inspirent afin de dresser l’assiette de ses envies qu’il agrémentera ad libitum de la sauce restée dans la sauteuse.
L'aile, la cuisse ? ...ad libitum |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire