Aster, dit le Maritime, est arrivé béni par l’Abbé de Somme.
Aster dans sa jeunesse |
Mais commençons par le commencement !
Ce sont d’abord deux soles venues tout droit de Saint Gilles-Croix de Vie qui se présentent en première ligne, si j’ose dire. Je les habille, en tire huit filets. Leurs parures sont jetées dans une petite casserole sur une noix de beurre demi-sel commençant à fondre en compagnie de deux échalotes tranchées en deux, de trois épaisses rondelles de carotte, d’une feuille de laurier, d’un brin de thym.
Il va sans dire que tout ce petit monde se met à suer sur la petite flamme bleue allumée sous ses pieds. Compatissant, j’arrose d’un vert de vin blanc -un Gros-Plant du Pays Nantais- et de deux verres d’aqua simplex. Je bombarde de trois grosses baies de piment de la Jamaïque et d’une dizaine de petits grains de poivre de Voatsiperifery. Un quart d’heure plus tard, il ne reste qu’un demi-verre de liquide concentrant les saveurs. Je le transfère dans une autre casserole à travers un chinois.
Aster qui n’est pas encore classé X se plonge avec bonheur dans ce bain. Il ne me reste plus qu’à l’oindre de chrême de Sainte-Mère. Un nouveau petit tour sur le feu que j’interromps après une bonne réduction et...
Vive Aster X, le roi du jour !
Je le réserve.
Je me consacre alors aux hôtes de céans.
En premier, quatre tranches fines de ventrèche roulée arrivées du Pays Basque.
Je laisse leur manteau de couenne rougi par le piment au vestiaire, je les allonge au fond d’une poêle et les couvre d’un drap de papier siliconé. Mais elles se comportent comme des enfants : « On ne veut pas dormir, il fait trop chaud ! » et gigotent pour se lever. J’emploie la manière forte en les maintenant par le poids d’un aplatisseur à viande. Non mais ! Quelque temps après, elles ont bien sué, se tiennent raides, et je peux les laisser sommeiller dans un coin.
Les autres invitées sont plus nombreuses, ce sont des lentilles vertes du Berry qui arborent avec fierté leur Label Rouge.
Un peu plus du double d’eau, un oignon cloué, un morceau de carotte, une feuille de laurier, un brin de thym, poivre long, poivre blanc de Penja… Vingt minutes à petit bouillon, une pincée de fleur de sel, encore cinq minutes… Les lentilles sortent guillerettes de leur caldarium. Mais elles ne sont pas entièrement satisfaites. Il me faut leur prodiguer un massage avec un bon beurre. « Du Surgères ! », réclament-elles. Comment ces berrichonnes connaissent-elles cette petite ville du Pays d’Aunis ? Toujours est-il que je m’exécute.
Désormais tout est prêt pour la fête finale.
Arrivent les filets de sole qui plongent dans du beurre demi-sel mousseux. Deux oignons blancs fendus en deux sur toute leur longueur s’invitent à leur côté. J’arrose abondamment de beurre fondu pendant deux minutes, puis je glisse la poêle au four à 70°C le temps de placer l’hémicycle des lentilles et de remettre en température la ventrèche. Aster X doit aussi s’échauffer avant son entrée.
Je dispose les filets de sole comme quatre banquette sur lesquelles trônera Aster X - allongé à vrai dire comme un roi fainéant…
Les tranches de ventrèche se bousculent pour être au premier rang, alors que les oignons blancs s’allongent mollement à leurs pieds, tels des chiens fidèles.
Je tapisse le sol de tours de moulin de poivre noir de Kampot et de poudre de piment d’Espelette.
Aster X arrive, majestueux.
Il prononce sa fière devise : « Toujours vert ! »
Le chœur des Berruyères répond en écho : « Toujours vertes ! »
Le règne d’Aster X a commencé.
Sacre d'Aster X |
Pas pour longtemps. Une révolution de palais vient l’interrompre prématurément.
Je confie à mon épouse : « Eh oui, il était trop bon… »
Elle me confirme : « Ça, c’est bien vrai ! »