« Salut, je suis le cervelas de Lyon. Je viens me faire embriocher… »
J’ignorais que mes talents d’embriocheur étaient connus jusqu’à la capitale des Gaules et des gones, mais, flatté que j’étais, je me suis prêté au jeu.
« Bon, pour commencer, la formule magique, ce sera cette fois-ci :
Farine : 200 g
Levure de boulanger : 10 g
Sucre : 1 cuil. à soupe
Sel : 1 demi-cuil. à café
Œufs : 2
Jaune : 1
Beurre mou : 80 g »
Je pétris, finis par le beurre. Je laisse pousser une demi-heure, je pétris à nouveau, je boule et recouvre d’un film. Je mets au réfrigérateur pour trois heures.
« Je peux maintenant m’occuper de toi. Allez, zou, dans le bain ! »
Le cervelas de Lyon plonge dans l’eau d’une grande casserole. Sournoisement j’allume une flamme.
Bientôt l’eau frémit et le cervelas râle.
« Eh, c’est trop chaud !
- Que non, juste la température qu’il faut. Ça ne bout même pas ! Tu veux être embrioché, oui ou non ?
- Oui, mais…
- Il n’y a pas de mais qui tienne, Monsieur le douillet… »
Le cervelas reste coi désormais, même si je lui trouve un air un peu crispé.
« Quarante minutes sont passées, tu vas pouvoir sortir. Je t’allonge et je te déshabille..
- Quoi !!!
- En tout bien tout honneur, mais il faut être nu pour être embrioché.
- Je ne suis pas certain que je veuille vraiment être embr…
- Courage, le plus dur est fait. »
Saucisson sorti des eaux |
Ou reste à faire, car j’ai bien du mal à le dépouiller. Sa vêture est mince, se détache mal et se déchire. C’est la première fois que je rencontre ce problème avec un cervelas en l’embriochant. Et puis je ne sens pas le bon effluve parfumé caractéristique monter vers mes narines. Je deviens soupçonneux.
« C’est sûr que tu es un cervelas de Lyon ?
- Ben oui, je suis un cervelas…
- Mais pas de Lyon, je parie.
- Ben non, de Versailles. »
C'était bien ça ! C’est le charcutier local qui l’a préparé. Certes, le meilleur traiteur de la ville, ses plats sont bien réalisés et plutôt généreux, mais en ce qui concerne les spécialités régionales, à part celles de la Touraine d’où il est originaire, ce n’est pas la réussite. Ses francforts, par exemple, défigureraient une choucroute alsacienne. Mais tant pis… Je ferai avec.
« Je ne sais pas si vous méritez d’être embrioché, Monsieur l’imposteur…
- Je ne suis pas lyonnais pure souche, mais je suis quand même pistaché !
- Ouais, pistaché mais menteur… Cependant quand la pâte est pétrie, il faut la cuire. Je serai bon prince. Il sera fait quand même selon ton souhait.
- Merci, ô merci !
- Ne m’embrasse pas, tu risquerais de me tacher. Et pour l’instant tu vas aller au frais.
- Tout nu ? Ah non !
- Jamais content. Finalement tu es un guignol, c’est ton seul côté lyonnais. »
Deux heures plus tard, je sors la pâte et le cervelas déchu, devenu saucisson à cuire.
J’étends la pâte.
Le lit douillet |
« J’ai fait ton lit, tu vas pouvoir t’allonger
- Eh, pourquoi tu m’enfarines ?
- C’est pour mieux te border, mon enfant. »
Je rabats les bords, les colle avec le même jaune d’œuf étendu d’eau qui servira à badigeonner.
Les pans se sont refermés |
« Eh, c’est trop serré, j’étouffe !
- C’est ça être embrioché. N’est-ce pas ce que tu m’as demandé ?
- J’ai dû confondre avec entarté…
- Tu n’es pas encore assez célèbre pour ça ! Allez, un dernier coup de pinceau… »
Un peu de fond de teint |
J’enfourne à 180 °C pour un peu plus d’une demi-heure.
Plus tout nu, mais tout bronzé |
« Et voilà, tu es embrioché ! Tu es content ?
- Je me sens partagé… »
Saucisson partagé |
Perplexe, j’ai effectué des recherches pour expliquer le boyau inhabituel de ce saucisson, et j’ai pu lire sous la plume de Laurent Mariotte :
Les règles ne sont pas les mêmes pour le cervelas et pour le saucisson à cuire traditionnel. Le choix des matières premières et le hachage des morceaux sont les deux étapes qui font la différence.
« On utilise un boyau de bœuf pour le cervelas tandis qu’on utilise un boyau de porc plus épais pour le saucisson à cuire. »
Porc, plus épais ? Mais là la peau de ce saucisson à cuire était au contraire plus fine que d’habitude…
En revanche sur un site spécialisé je découvre :
Menu de bœuf :
Paroi plus épaisse que menu de porc, gris rose
Menu de porc :
Texture fine presque transparente, nervuré, clair, beige clair
Chez Bobosse comme chez Sibilia, il s'agit bien de bœuf pour les cervelas. Mais aussi pour les saucissons à cuire...
Qui croire ?