Inter made dans ce repas de Noël déstructuré : un vide frigo improvisé. En effet je constate qu’un morceau de lard fumé de porc Mangalica et un exemplaire affaissé de Saint-Marcellin s’approchent dangereusement de leur date de péremption. Comme traîne aussi depuis trop longtemps une boîte d’œufs amputée seulement d’un de ses éléments parti dans une mission de dorage pâtissier, j’inscris donc une omelette au menu.
Je pose ma pièce de lard sur une planche et la
découenne avant de la couper en lardons. Une telle activité manuelle inscrite
dans un morne automatisme m’incite à la méditation. Une question m’interpelle :
que fait-on de la toison des cochons laineux ? Car enfin je n’ai jamais vu
de pulls en mangalica voisiner un pull en mohair… Pourtant une telle laine
devrait être idéale pour se sentir protégé par un temps de cochon ! Je
crains que le problème soit sa rusticité bourrue qui rendrait une telle vêture rébarbative
pour la raffinée femme du monde et même la ménagère banlieusarde,
fussent-elles tendance écolo.
Mais moi qui suis un véritable écologiste, un vrai de vrai, je profite de ce blog pour offrir une proposition inédite unissant le recyclage optimisé au bien-être animal. En effet, considérant les œufs dans leur austère nudité pré-omelettière, je ne puis m’empêcher de ressentir une profonde compassion envers ces poules au cou nu qui, nonobstant leurs viols quotidiens par un coq machiste dont elles n’osent refuser les avances tonitruantes, subissent en outre l’agression des frimas sur leurs gorges déplumées.
Dénonce ton coq ! |
J’adresse donc solennellement un appel à toutes les éleveuses écoresponsables : je suggère que vous tricotiez, à partir de ces poils transformés en laine au moyen du rouet que chaque ferme d’avant-garde devrait intégrer dans son matériel de base, de petites écharpes non seulement fonctionnelles, mais aussi seyantes grâce à une teinture à l’indigo ou au brou de noix, que nos cocottes défavorisées par Dame Nature arboreraient fièrement sous le regard dépité du pseudo-roi de la basse-cour que vous n’aurez pas manqué de châtrer comme il le mérite.
Ce cri du cœur ayant été lancé, et pas en vain je l’espère,
je poursuis ma préparation.
Je bats les œufs sans assaisonnement - le sel du lard suffira - et sans gesticulations excessives : je n’ai guère plus de sympathie pour la Mère
Poulard que pour le Père Noël. Ah, le beau couple de tristes guignols usurpateurs
dans la tradition factice !
Pas besoin de beurre, dans la poêle à feu moyen, les lardons
rendent du gras, beaucoup de gras. De quoi désespérer un diététicien, mais surtout
de quoi réjouir mon palais. Hum, que ça sent bon !
Je verse les blancs et les jaunes mélangés, je soulève les
côtés, les débordements coagulent. Il est grand temps de répartir les morceaux
du fromage que j’ai partagé en huit triangles, ignorant les cris de
Saint-Marcellin : « J’suis pas une vache-qui-rit ! ».
Le fromage doit fondre, mais le fond de l’omelette ne doit
pas être surcuit. Aussi je place la poêle sous le gril du four durant deux
minutes.
L’omelette au poilu poêlé est prête.
Doublement frittata |
Ne doutant de rien, j’entreprends de la faire s’enrouler dans un plat. Elle ne consent qu’à se plier, laissant localement un soupçon de son corps au fond de la poêle. Eh oui, après plusieurs années de valeureux service, cet ustensile n’est plus aussi antiadhésif qu’il fut. Et là, ce n’est pas un manque de corps gras qui peut lui fournir une excuse ! Mais le mal visuel n’est pas bien grand, et l’impact sur le plaisir gustatif est nul.
Oui, je sais, on ne plie pas la frittata |
Saint Marcellin avec un cochon à ses pieds, miam.
Laissons
Saint Antoine se morfondre tout seul dans son désert avant de sauver les
meubles…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire