Je ne voudrais pas passer pour une aigrie.
Mais tout de même…
En 2018, j’étais une vedette, mon portrait s’affichait partout.
Même le président de la République avait tenu à m’honorer de sa visite.
Certes la petite tape que Macron m’a donnée sur le mufle était un peu timide - un Chirac, l’homme qui savait murmurer à l’oreille des bovins, n’aurait pas hésité à me mettre la main aux fesses - mais au moins j’étais sous les sunlights. On me photographiait, me filmait… Bref, j’étais une star.
Et dire que désormais je me consacre à des animations de supermarché pour promouvoir, devinez quoi ? Même pas le bon lait prodigué par mes sœurs, produit dont je pourrais au moins me réjouir de vanter les qualités, non, un petit pinard de Marcillac. Appellation AOC ? Ce serait trop beau… Un jaja gouleyant, au dire des amateurs, mais qui reste un simple vin de pays, celui que l’on débouche entre potes, mais pas pour fêter un César…
Je n’ambitionnais pas une carrière aussi longue que celle de La Vache qui rit, mais passer aussi vite aux oubliettes…
Et aujourd’hui, c’était le pompon !
Au départ j’étais plutôt contente. J’avais reçu une invitation à venir à Versailles, aussi je m’attendais à assister à un festin royal. Pensez-vous ! Je trouve mon picrate auvergnat s’aérant péniblement dans un coin d’une table ronde qui n’a rien de celle de preux chevaliers, même pas habillée d’une nappe.
Je le reconnais, au début j’ai ressenti quand même une petite pointe de nostalgie qui a remonté mon moral en berne. L’Aubrac était là, sous la forme de saucisses accompagnées d’un aligot bien filant.
Aligot home |
Une performance quand on voit les conditions dans lesquelles ce plat a été réalisé. Vive les grandes cuisines de la campagne où même une grosse vache comme moi pourrait trouver sa place. J’ai vu le moment où il n’y aurait plus assez d’espace pour étirer l’aligot ! C’est peut-être pour cette raison que le maître de céans a commencé par enrouler les prémices de ruban autour de sa spatule - maryse en plastoc, quelle hérésie !
Bigoudi d'aligot |
Puis il a fini par se rendre compte que, de toute façon, son bras avait des limites…
Jusqu'où ? |
Malgré ma déprime, j’ai quand même bien ri quand il s’évertuait à se débarrasser des fils pour partager l’aligot entre deux assiettes. Il a fini par recourir aux ciseaux ! La cuisine urbaine, c’est quelque chose…
En revanche j’ai vite perdu cette gaîté quand l’on est passé au fromage. Devinez ce que l’olibrius sans vergogne est venu déballer à mes pieds : un roquefort.
Coulet presque coulant... |
Pas un de ces bons fromages de lait de vache comme on sait les faire en Aubrac. Non, un fromage de brebis. Beurk, ça puait le vieux bélier ! D’autant plus qu’il s’agissait d’un vétéran de 16 mois d’âge, le Castelviel de Gabriel Coulet. Et quand j’ai vu arriver le piteux papier d’alu froissé qui avait préservé tant bien que mal le roquefort déjà entamé, je me suis demandé si un acharnement thérapeutique à coups de pénicillium n’avait pas été pratiqué dans l'EHPAD fromagère de cet appartement sinistre. Le pire, c’est que le zigoto avait l’air de se régaler de ces puantes bouchées ovines qu’il faisait descendre goulûment dans son estomac blindé à l’aide du pichtegorne rural dont j’assure la promotion.
Heureusement ce spectacle peu ragoûtant avait une fin, et j’ai soupiré d’aise quand on est passé au dessert. Je dois reconnaître une certaine cohérence dans le déroulement du menu, puisqu’il s’agissait d’un gâteau aux noix du Rouergue, non loin de chez moi : le Pastissou.
Hélas ce gugus, inconséquent dans son numéro de simulacre ethnique, a fini le repas en dédaignant la bouteille dont mon corps photogénique est le prestigieux faire valoir. Il a préféré accompagner cette pâtisserie auvergnate d’une tasse de moka venu d’Éthiopie ! Avec un dernier affront, présenter ce Pastissou cul par-dessus tête, la fine couche de meringue en dessous *…
Je ne suis pas méchante, parfois vache simplement, mais en voyant le couteau trancheur se détacher laborieusement de la découpe pour faire apparaître une couche de caramel bien collante enrobant les éclats de noix, je n’ai pu m’empêcher de souhaiter que l’usurpateur y laissât son dentier**.
Un beau cul |
Vivement mon retour au pays !
* Tel est mon bon plaisir, je trouve la pâte sablée plus esthétique que la morne plaine livide de la meringue.
** Je tiens à préciser que je ne porte pas de dentier, alors dégage et va-t’en ruminer dans ton coin !
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