samedi 6 juin 2020

Flamant rose, violet et pourpre

La cigogne n’est plus la seule a assuré des livraisons.
Le flamant rose s’est mis de la partie.



20 h 43 : il s’envolait des terres de Marignane.
Le lendemain matin, j’ai entendu un grand bruissement d’ailes sur mon palier. Ce brave animal venait de se poser. Il n’arrivait pas les pattes vides : il m’apportait deux bourriches, l’une d’huîtres, l’autre de fruits de mer divers.

Le soir même nous nous régalions d’un plateau de deux douzaines d’huîtres. J’ai été fort heureusement surpris de leur qualité, moi qui ai un préjugé défavorable envers celles sortant de la Méditerranée. Il faut dire que j’ai le souvenir d’un restaurant de Mèze qui avait osé servir un plateau d’huîtres abominables où les coquilles, en sus d’une chair au bord de l’agonie, contenaient de belles noix de vase dont on pouvait obtenir quelques gouttes de pétrole brut par première pression à froid. Mais j’ai sans doute eu tort de généraliser en mettant toute l'ostréiculture locale dans le même panier, fuyant dès lors cette origine comme la peste. Le reste du repas était à l’avenant. Plutôt que de tout mettre sur le dos du malheureux coquillage, c’est plutôt celui du sinistre gargotier qu’il m’eût fallu charger…
En tout cas les huîtres que j’ai reçues étaient exceptionnelles. Mais en contrepartie quelle galère ce fut pour moi que leur ouverture ! Moi qui enchaîne avec aisance les figures libres avec mon couteau sur les spécimens de l’Atlantique et force les coquilles pour découvrir leur trésor avec la virtuosité d’un Arsène Lupin devant un coffre-fort, devant ces résistantes j’ai dû me démener, additionnant des attaques aussi vaines que sournoises, tentatives par la charnière, sur le côté, avec la lame fine et large, avec celle pointue et triangulaire, que sais-je encore... Autant dire que j’étais en sueur quand je suis enfin venu à bout de la vingt-sixième bête, en arrivant presque à regretter les treize à la douzaine qui m’ont permis de déposer vingt-cinq Perles de Camargue sur le plateau (j’en avais massacré un exemplaire que je me suis enfilé discrètement mine de rien avant de balancer les débris de coquilles au milieu de la poubelle des couvercles). Après avoir ajouté quelques violets, j’ai pu apporter l’objet des réjouissances du jour sur la table.

perles de Camargue, violets
Enfilons les Perles...


Je me suis réconforté de mon dur labeur à l’aide de quelques verres d’un Côtes de Gascogne Domaine du Tariquet servi bien frais.



Un pain de seigle maison nous a fourni des tranches qu’il ne restait plus qu’à tartiner de beurre demi-sel pour que la fête soit complète.

pain de seigle
Il est épanoui




Le lendemain, il me faut sans attendre tirer profit de la seconde bourriche dont je n’avais extrait que quelques violets la veille. Elle contient en plus des violets un filet empli de murex vivants et cinq bottes ligaturées contenant chacune une dizaine de couteaux. Puisque Méditerranée il y a, ces produits seront traités en aïoli.
Je commence par préparer ce dernier. J’écrase une douzaine de gousses à l’aide d’un presse-ail et déverse la purée obtenue au fond d’un bol. J’ajoute une pincée de sel et quelques gouttes de jus de citron. Je sais bien que ce n’est pas orthodoxe, mais je monterai l’aïoli assisté d’un jaune d’œuf. Je crains que l’ail ne reste accroché au fouet si j’utilise cet instrument, aussi je me contenterai d’une fourchette. J’attaque à l’huile d’arachide en doses prudentes. Alléluia, le mélange devient crémeux. Encore de l’huile, cette fois-ci sans ménagement, et il devient ferme. Je détends avec le jus d’un demi-citron, et je poursuis à l’huile d’olive. Je goûte, c’est parfait, la consistance est réussie et le parfum d’ail est très présent sans âcreté. Je réserve.
Je cuis les murex - ayant dégorgé auparavant un couple d’heures - dans de l’eau salée en compagnie de feuilles de laurier, de romarin, de thym, d’un éclat de fenouil et de grains de poivre noir. Départ dans l’eau tiède, frémissements pendant 25 minutes et refroidissement dans le bouillon.
Je fais ensuite bouillir de l’eau dans une grande casserole parfumée par un demi-citron, des feuilles de laurier, des feuilles de sauge, une branche de thym, une branche de romarin, une tranche de fenouil, des grains de poivre blanc. Je fais tomber une grosse poignée de gros sel dans ce bouillon et déverse les couteaux qui ne resteront à cuire que deux minutes avant que je les retire à l’aide d’une araignée pour les réserver au fond d’une plaque à débarrasser.
En ce qui concerne les violets, je les servirai crus, simplement fendus afin que l’on puisse en extraire la goûteuse chair avec une cuillère.
Pendant que je me livrais à ces préparations, j’avais mis à cuire à la vapeur pour une vingtaine de minutes une grosse poignée de pommes de terre primeurs de l’île de Ré qui ne vont rien n’y comprendre devant leurs nouvelles fréquentations, les taillages d’un couple de carottes et deux tranches de fenouil. Cinq minutes avant la fin, j’ajoute des sommités de brocoli, ce qui n’est pas une bonne idée car la cuisson à la vapeur ne confère pas une couleur très glamour à ce légume. J’aurais certes mieux fait de les jeter quelques instants dans de l’eau bouillante fortement salée. Mais il est trop tard, brocoli jacta est !
Tout est prêt. Il s’agit désormais de dresser. Pour ce faire, je m’empare des larges assiettes à pizza. Quelques couteaux conserveront leur belle mais fragile coquille. Les autres apparaîtront décortiqués sur l’assiette, entre murex et violets. Les légumes viennent apporter leurs touches de couleur (ou pas…). Finalement ce sont les violets qui fourniront les notes les plus vives. Les murex qui cachent jalousement leur compétence teinturière au fond de leur coquille

Murex, pourpre
La  découverte de la pourpre - Theodoor van Thulden (1606-1669


se situent plutôt dans le registre des formes, même si leurs nuances minérales sont plutôt plaisantes. J’ai réparti la sauce aïoli dans des petits ramequins individuels dont la couleur noire met bien en valeur le jaune pâle. Enfin deux aigrettes de feuilles de fenouil fournissent le volume à la fois précis et aéré dont l’absence se faisait sentir dans cet étalage de fruits de mer.

aïoli, murex, couteaux, violets, fruits de mer
Couteaux tentant d'éloigner violets et murex


Mais autant dire que cette composition chiadée (mais oui, mais oui…) ne va pas faire long feu, la gueule reprenant vite la primauté sur l’esprit.
Ce que je ne regrette nullement. Vive la Camargue*!

*à ce propos j’ai dans mon placard un riz rouge auquel je devrais bien trouver rapidement une vocation…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire