« Vieille morue !
- Ta gueule, pauvre patate ! »
Il est quand même navrant d’entendre un légume et un poisson se donner des noms d’oiseau. Surtout aux prémices de cette période pascale.
Je n’étais d’ailleurs pas le seul à être outré. Un œuf ne put s’empêcher de réprimander ces tristes zigotos.
« N’avez-vous pas honte de vous comporter ainsi la veille du Vendredi saint. Déjà que mes frères et moi avons dû renoncer à notre pèlerinage à Rome, les vols de la compagnie Bell’s Airway ayant été annulés, il nous faut par surcroît assister à de malvenues prises de bec… »
Je ne doutais pas que pourtant les prises de bec devaient faire partie du quotidien de leur génitrice : le mot me semblait mal choisi. Mais effectivement ce n’était pas une raison pour tolérer cette chienlit. Je décidais donc d’intervenir.
Une bonne douche froide suivie d’un long bain nocturne dans l’eau glacée devait calmer la morue excitée. Il faut parfois savoir renouer avec les bonnes vieilles méthodes des aliénistes du temps passé… Je repoussai au lendemain une balnéothérapie quant à elle chaude pour la patate qui me regardait d’un sale œil et me repliai vers un lieu plus serein afin d’y bénéficier du sommeil du juste.
Le lendemain matin, ma décision était prise. Il fallait sévir.
Ne cédant à aucun attendrissement, je soumis la patate à des embruns bouillonnants durant une quinzaine de minutes Elle en sortit en robe des champs, accoutrement dont je la dévêtis aisément avant de l’allonger dans sa jaune nudité sur une planche. Eh oui, ensuite, il m’a fallu trancher…
La morue connut un sort plus paisible : une eau frémissante avait remplacé l’océan impétueux. Elle en émergea d’ailleurs tout attendrie, m’affirma qu’elle ne méritait pas ce surnom de vieille peau dont des malfaisants l’affublaient.
« Et ça ? » répliquai-je en la débarrassant de lambeaux gluants grisâtres qui me collaient aux doigts.
« Sans compter tes déplorables arêtes… On peut dire que tu n’es pas une chair facile !
- Mais si, mais si. Ah, effeuille-moi, effeuille-moi… Oui, mais pas tout de suite, pas trop vite, sache me convoiter, me désirer, me captiver. »
Oui, je le confesse, en ce vendredi qui fut plus sain que saint, cette morue bien dessalée est passée à la casserole. Ou plutôt au plat en terre.
Ce plat était tartiné de beurre et d’ail écrasé. J’ai dressé un lit de tranches de pomme de terre. Je l’ai parsemé de fines lamelles découpées dans une gousse d’ail et saupoudré d’une pluie de poivre rouge.
J’y ai étendu ma morue à la blancheur virginale (tu parles !). Quatre œufs qui jouaient les faux durs sous prétexte qu’ils avaient passé huit minutes dans l’eau bouillante l’encadraient en une garde rapprochée.
« Tu es sûr que l’on a besoin d’eux ?
- Aujourd’hui, sans nul doute.
- Ah bon… »
Mais je ne compte pas en rester là. Je prépare une béchamel pas trop épaisse que je rallonge du même volume de crème. Je parfume en râpant une noix de muscade.
J’en verse la moitié. Je ne puis m’empêcher d’y ajouter un mauvais jeu de mots.
« Avec la bénédiction de la béchamel… »
Suit une nouvelle couche de pommes de terre que je noie du reste de liquide onctueux encore tiède.
Estocade finale de la lance d’une feuille de laurier - « Eh voilà, tu es lauréate… » - et de la pique d’une branche de romarin - « J’ai descendu dans mon jardin… ».
La suite est torride : vous pensez, vingt minutes à 160 °C ! L'épectase l’est encore plus, certes brève, mais à 190 °C.
Ah, morue à dorer !!!
Morue alitée |
« Je ne me sens pas dans mon assiette… »
Morue épanouie |
« Ben maintenant tu y es ! »
Merci pour l'idée, la morue a laissé la place à un dos de cabillaud en surplus du "Drive" et les patates avaient pour patrie Noirmoutier...En plus, une pointe de piment d'Espelette et une autre de quatre-épices pour la Béchamel...Pas mal...
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