samedi 5 octobre 2019

Entre entrecôtes

Parcourant mon marché poitevin, je m’aperçois que mon farci poitevin préféré trône - une fois n’est pas coutume- sur l’étal de ma marchande détestée, celle qui en l’absence de ce produit se justifie en affirmant que c’est trop fatigant à faire, et quand il y en a, le vend à un prix supérieur à celui de l’étiquetage qu’elle modifie illico presto quand elle nous voit faire demi-tour pour demander des explications – « Oui, je m’étais trompée dans l’affichage… ». Heureusement son mari (le pôvre !) est là lui aussi aujourd’hui, et tous deux sont en train de servir des clients. Je prie le ciel que ce soit le mari qui en finisse le premier.
Alléluia, je suis exaucé, il ferme son tiroir-caisse et se tourne vers moi. Je puis partir sans être escroqué avec dans mon caddie une belle tranche de farci bien dosé sans excès en lard gras dont nous nous délecterons ce soir, masse d’un vert profond tachetée de blanc et dégageant moult saveurs herbacées, non seulement celle du chou comme c’est hélas presque toujours le cas pour les autres farcis.


Je poursuis vers le coin opposé des petites halles où ma côte de parthenaise préférée trône – comme toujours- l’étal de mon boucher préféré, celui qui me pare avec maestria son excellente viande. Hélas celui de ses garçons bouchers par lequel je déteste être servi officie à ses côtés… Je prie le ciel que ce soit le patron qui en finisse le premier.
Enfer et damnation, le pithécanthrope sournois se tourne vers moi. Je viens de constater que, contrairement à ce qu’affirmait Einstein, Dieu joue à pile ou face… Je tâte le terrain par une requête simplissime : un morceau de saucisson à l’ail maison – celui dont nous régalons car il en émane un bon parfum d’ail frais. C’était déjà trop demander, bien entendu il tente de me refiler un vieux rogaton qui traîne dans un coin, poursuit le massacre en entaillant prématurément la belle pièce neuve que je viens d’exiger avant que je puisse lui indiquer la longueur souhaitée. Ça commence bien ! Bêtement, je poursuis avec ce malfaisant, il faut dire que mon envie carnivore est la plus forte et peut être que la présence rassurante du farci parmi mes courses m’entraînent vers une indulgence coupable, toujours est-il que je m’entends lui réclamer une entrecôte, alors qu’un stupide « C’est pour combien de personnes ? » alors que je refusais le lamentable débris prédécoupé qu’il me proposait m’avait incité naguère à m’éloigner le cabas vide.
Ne voilà-t-il pas que le même scénario se reproduit ! Ai-je vieilli ? Cette fois-ci je ne tourne pas le dos, j’insiste. D’un air excédé, il sort une pièce de viande, et avant que je puisse réagir, me tranche d’un geste plus prompt qu’habile, une fine tranche qu’il étend sur un papier pour me la brandir sous le nez. Et c’est une tranche de faux-filet ! Pour tout dire, je ne suis pas porté vers le faux-filet. Ni d’ailleurs le faux en général. Qui ne préfère l’ami au faux-ami, le jeton au faux-jeton ou même le cul au faux-cul ? Il commence à m’énerver, le bougre. « Je ne veux pas un faux- filet, je veux une entrecôte ! Je hais le faux-filet, je le hais presque autant que les départementales, je veux une entrecôte, UNE ENTRECÔTE !!! ». Je montre du doigt le magnifique train de côtes à la chair cramoisie et à la graisse d’un blanc immaculé. « Ah, non, ça, c’est pour les côtes de bœuf ! » s’indigne le louche louchébem. Et, d’un air résigné, il entame l’autre face de sa bidoche, non sans m’avoir prudemment demandé l’épaisseur que je souhaitais – on en fera peut-être un garçon boucher convenable si les petits cochons ne le mangent pas, et me présente une pièce qui ressemble vaguement à une entrecôte, en plus moche. J’en ai marre, je capitule, je m’éloigne avec dans mon caddie une viande dont j’ai la crainte de ne pas me délecter le jour prochain où je la mettrai sur le gril.


Le surlendemain, il se trouve que faisant une visite au supermarché de la petite ville voisine pour un réapprovisionnement en produits de première nécessité, je n’ai pu m’empêcher de jeter un œil sur le rayon boucherie. Vision étonnante (enfin pas tant que ça, car au gré des périodes et du turn-over du personnel on alterne le pire et le meilleur), un beau train d’entrecôte, dont un panneau m’indique qu’il provient d’une bête de race limousine élevée par un agriculteur de la Vienne dont la ferme n’est pas loin de ma villégiature. Aussitôt me passe par la tête une envie de comparatif. Cette fois-ci, ce n’est pas le collectionneur compulsif de chihuahuas nourris aux croquettes dont j’ai conservé un souvenir marquant qui assure la découpe, mais un jeunot sans doute tout frais émoulu de sa formation, dont le profil émacié pour ne pas dire anémié ne laissait en rien deviner sa profession. Rien de la caricature couperosée qui opérait au marché. Cependant il me tranche et pare l’épaisseur demandée avec aisance, et je m’éloigne tout content avec mon entrecôte, disposant désormais des éléments pour effectuer un comparatif dont je souhaite secrètement qu’il tournera en défaveur de la fausse-entrecôte.


COMPARATIF


La parthenaise

La viande apparaît sombre, presque noire par endroits, à la sortie du réfrigérateur après trois jours de stockage. Normal, elle s’est desséchée, car elle a été emballée dans un papier trop étroit – un méfait de plus. Elle n’en a pas pour autant abandonné sa bonne odeur…

PARTHENAISE






La viande est savoureuse et tendre, juteuse, avec cependant de la mâche. Elle offre relativement peu de graisse, mais beaucoup de déchets.




La limousine

La viande est bien rouge après deux jours de stockage. Quant à elle, elle se trouvait dans un sachet scellé…

LIMOUSINE
 

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La viande est savoureuse et tendre, mais d’une texture très différente de celle de la parthenaise, plutôt fibreuse, se rapprochant de celle d’un onglet. Il y a une bonne quantité de graisse fondante et goûteuse. La quantité de déchets est assez faible.





Résultats :
Gustativement, les deux pièces offrent une satisfaction équivalente, bien qu’avec un caractère nettement différent. On peut simplement regretter pour la parthenaise une découpe mal située, qui nous a privés d’un nec plus ultra.

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