Une relation piquante |
Cette rencontre était émouvante, mais, quitte à passer pour un pervers, il me faut avouer que j’aurais préféré carrément une orgie d’oursins s’éclatant la gonade…
Me demandant bien d’où me venait cette attirance vers des individus à l’accueil a priori peu amène, alors que nul atavisme provincial ne m’y prédisposait, j’ai eu recours à une séance sur le divan du célèbre psychanalyste Sigmund Chaud-Rond.
Je fus invité à m’allonger, et je me laissais aller à une remontée de mes souvenirs ponctuée par les lapidaires « tiens, tiens… » et « intéressant ! » de mon aspirateur de confidences soulevant les vieux moutons accumulés dans les recoins de ma mémoire.
Je me revois en classe de quatrième disséquant ces bestioles.
Oursin, coupe |
L’un de mes camarades, plus déluré ou plus opportuniste que les autres, je ne sais, porte un petit bout à sa bouche et déclare : « Mais c’est que c’est bon, ce machin-là… ». Chacun fait de même, jusqu’à ce que le professeur, ayant remarqué ce manège, nous tance : « Je ne vous ai pas invités à une dégustation gastronomique ! Je vois que vos croquis n’ont guère avancé, remarquez, il vous sera peut-être difficile de représenter les massacres que j'aperçois sur vos paillasses, il faudrait que vous fussiez de nouveaux Leonard de Vinci, ce qui est loin d’être le cas… ». Il se penche au-dessus de mon épaule : « Mon ami, ne vous vexez pas si je vous dis que votre lanterne d’Aristote ressemble plutôt à un lampion. Quoi qu’il en soit, je ramasserai vos chefs-d’œuvre dans une demi-heure ! ».
Pas loin du lycée, c’est le jour du marché. Je le traverse avec deux copains. Nous avisons l’étal d’un poissonnier. Mais oui, il vend des oursins… Il nous vient alors une idée. Nous abordons le commerçant. « Nous sommes des élèves du lycée, et en ce moment nous étudions les Échinodermes. Ça serait vraiment sympa si vous nous donniez quelques oursins pour nos travaux pratiques, on doit en disséquer. ». Il est bien brave, ce marchand, il saisit une page de journal et y enferme une demi-douzaine de ces animaux.
Notre subterfuge a fonctionné, nous recommençons l’opération auprès des autres poissonniers, et bientôt notre trio de malfaisants peut s’attabler dans un coin et ouvrir tant bien que mal avec un vieux canif les oursins posés sur les journaux à même le trottoir qui nous servent de nappe. Sortir la partie comestible rien qu’avec la pointe de la lame du canif et le bout des doigts n’est pas facile, mais mon dieu que c’est bon, ce festin gratuit…
Je m’attendais à ce que mon auditeur rémunéré émette un « Ah, ah, nous y voilà ! », mais non, rien, le silence. Ou non, plutôt un petit ronflement… Il s’était endormi, le bougre !
Je me levai de mon divan où pourtant j’aurais aimé entreprendre une sieste moi aussi. Je sortis sur la pointe des pieds. Mais la séance n'allais pas être aussi gratuite que les oursins de ma jeunesse. Une virago qui devait être la secrétaire - à moins que ce soit l’épouse ou la maîtresse – m'a barré le chemin. « Eh, Monsieur, il vous faut payer maintenant. Pour des raisons thérapeutiques, bien sûr ! Et en liquide, c’est indispensable pour l'efficacité de votre séance… ».
Et c’est ainsi que, des années plus tard, j’ai payé le repas de mes copains de lycée !
Revenons à mon tête à tête d’oursins. En manque d’oursinade, je cherche à compenser en me gavant d’huîtres.
Mais qu’est-ce que je vois : un cochon jaune au milieu du plateau…
Ben, mon cochon ! |
Un cochon jaune
Qui coure dans le goémon
Je l’attrape par la queue,
Je le montre à madame
Cette dame m’affirme :
Trempe-la dans l’huile,
Trempe-la dans l’eau,
Ça fera un bigorneau
Tout chaud.
Il me semble qu’il va me falloir une nouvelle séance d’analyse chez ce brave docteur Sigmund Chaud-Rond…
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