vendredi 31 janvier 2020

Errance proche-orientale


Dans l’assiette, sur une feuille de salade du jardin :

-une chiffonnade de bastorma d’Arménie (mais préparé dans la région parisienne par la diaspora…)



-des tranches de fromage halloum de Chypre (quant à lui authentiquement cypriote)  passées sur le gril



-des pickles de concombres sauvages du Liban (préparés à côté la vallée de la Bekaa)



-un filet d’huile d’olive (d’Italie, certes, mais aux bonnes fragrance herbacées)
-une pincée de thym-zaatar (ouais, bien libanais)

Le tout a donné une sorte de plat-mezzé bien agréable.

bastorma, halloumi, concombre sauvage
Concombres-serpents carnivores


En dessert, un assortiment de pâtisseries  extraite d’une boîte concoctées par un excellent artisan du Liban :



bormas (roulés aux pistaches), assabih (doigts de Zénobie), boaj (aumônières), kol w chkor (mange et remercie), basma aux pistaches ou aux pignons et rectangles aux pistaches.

baklava
La ronde des desserts


Un délice ! Même pour les becs salés...

mardi 28 janvier 2020

De pie en pie

Le lendemain de mon Burns Night Supper, je reste encore scotché à la maison.
Les infantes sont de passage, et je pense que des petits pâtés seraient bien dans le registre de leurs goûts culinaires.
Au menu, donc Mini Steak and Gravy Pies et Mini Scotch Pies, compagnons de voyage du défunt (pas tout à fait, il y a un peu de reste…) haggis. Je les enfourne pour un quart d’heure à 160 °C.
À leur sortie, ils sont un peu pâlichons.

steak and gravy pie, scotch pie
Plateau des Highlands


En Écosse, on ne s’embarrasse pas de dorure à l’œuf…
Mais ils sont cependant fort bons, même s’ils n’atteignent pas le haut niveau charcutier des Melton Mowbray Pies à la savoureuse coque croustillante s’émiettant dans la bouche et à la goûteuse farce de porc découpé en petits morceaux liés par une gelée odoriférante.

Les Scotch Pies ne contiennent que du bœuf haché.

scotch pie
Coupe transversale suivant le diamètre


Les Steak and Gravy Pies renferment des dés de viande de bœuf baignant dans une sauce aux oignons un peu sucrée.
Mais des épices bien dosées relèvent le tout avec bonheur. Et, à mes yeux, c’est précisément cette simplicité qui fournit le charme discret (mais pas du tout de la bourgeoisie...) de ces pies. En mordant dedans, je m’imagine traînant dans des quartiers mal famés pendant l’époque victorienne, me réconfortant dans le brouillard frigorifiant par l’achat à un marchand ambulant de ces petits disques encore tièdes pour lesquels des silhouettes emmitouflées de guenilles font la queue en tapant du pied le pavé glacé de leurs galoches rapetassées..
Je suppose que les infantes n’ont pas la même approche, mais elles n’en font pas moins honneur aux pies déposées dans leurs assiettes.
En revanche la salade de roquette qui accompagne a nettement moins de succès...

Suit une tranche de Blue Stilton achetée au fromager local. Aucun doute, ce produit mérite bien son surnom de roi des fromages - à condition de savoir partager son titre sur d’autres territoires.

Arrive le dessert : un Cranachan.

cranachan
Qu'importe le flocon si l'on a l'ivresse


Dans chaque verre, un lit de flocons d’avoine caramélisés au four avec de la cassonade, une couche de coulis de framboise réalisé avec des framboises décongelées passées au tamis, deux cuillerées de miel fondu (sauf pour les enfants, !) dans du whisky, du Caol Ila Moch pour changer de celui choisi pour le trifle de la veille,



une bonne épaisseur de crème fouettée mélangée avec du yaourt grec (Mavrommatis), puis - bis repetita placent - encore les mêmes strates : flocons, coulis, miel whisky et crème fouettée. Pour terminer, un soupçon de flocons d’avoines et trois framboises fraîches.
Le constat est unanime : c’est un bon dessert, presque rafraîchissant. Mais force est de reconnaître qu’il n’est pas tout à fait de saison avec ses framboises…

Je n’en ai pas pour autant fini avec mes produits d’Outre-manche. Le jour suivant, je me déguise en Britannique moyen pour manger un saucisses haricots blancs sauce tomate.
Les saucisses sont des Pork Haggis And Herb Sausages.
Les haricots sont issus d’une boîte Heinz  Beanz qui traînait dans mon placard en attendant des jours meilleurs et qui doit se réjouir de ces retrouvailles entre compatriotes.



Assis devant mon assiette, j’ai l’impression de rentrer à la maison pour grailler la pitance concoctée par bobonne après ma journée de labeur dans un bureau de la Standard Life Aberdeen.

Heinz Beanz, Haggis and herbs sausages
Menu du jour


Du réconfort après la férule du petit chef…*

Les joies de la middle class !


*   Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec la réalité de cette firme honorable choisie arbitrairement parmi tant d'autres ne saurait être que pure coïncidence, 


lundi 27 janvier 2020

Scotché à la maison

Au début de ce mois de janvier, la dégustation de saucisses hongroises aux abats m’a fait songer au haggis. J’ai alors pris conscience que la date de la Burns Night était proche.

Burns night supper


Cette année, je n’allais pas laisser passer cette occasion de rendre hommage à ce si délicieux  mets, le haggis !
J’organiserai un Burns Night Supper.


burnsnight



Le tout était de se procurer un tel produit frais en la nation de l’influenceur malfaisant Jacques Bodoin. Pas question de l’acheter en boîte, vous me voyez attaquer le fer-blanc avec ma dague pour la cérémonie ! Et s'il existe bien une boutique au cœur de Paris spécialiste des produits anglais introuvables ailleurs, les haggis pansus y sont hélas vendus surgelés.
À force de recherches, je finis par découvrir une boucherie d’Édimbourg qui livre en France à des tarifs plutôt corrects. J’y commande mon Chieftain Haggis, ainsi que divers autres produits scotchisants. Je peux choisir ma date de livraison : ce sera le 22 janvier, un peu avant la festivité.

En effet, le matin de la date prévue, le livreur d’UPS sonne à ma porte et dépose le colis posté la veille au soir en Écosse. Le haggis est là avec ses compagnons charcutiers, au milieu de poches réfrigérantes.

Le 23 janvier, une mise en jambes s'impose pour déjà se plonger dans l’atmosphère des Highlands (eh oui, j’ai une gueule d’atmosphère…). Je fais griller à la poêle sur une noix de saindoux les Award Winning Breakfast Pork Sausages que je détourne cependant de leur vocation matinale.

Breakfast pork sausage


Avec une salade verte, elles constituent un excellent repas, bien épicées qu’elles sont sous leur croûte caramélisée.

Le lendemain soir, que la fête commence !

En entrée, ce seront des scotch eggs - achetés en catastrophe chez Marks & Spencer pour remplacer la  Cullen skink, soupe au haddock primitivement prévue dont le principal ingrédient manquait à l'appel.

scotch egg


Pas vraiment de tradition, mais pas mauvais quand même.



L’heure est enfin venue de passer au cérémonial.

Je dépose sur le plat de service (désolé, il n’est pas en argent comme le voudrait la tradition) le haggis que j’avais sorti un peu plus d’une heure et demie auparavant du réfrigérateur, encore préservé par son emballage de plastique  sous vide

chieftain haggis


dont je l’ai débarrassé pour l’emmitoufler de papier d’alu puis l’enfourner à 160 °C, baignant dans 2 cm d’eau à renouveler régulièrement pour maintenir la hauteur d’immersion.


Normalement, ça devrait se dérouler ainsi (avec cependant des variantes de style suivant le lieu ou l'orateur...) :



Mais je n’ai pas de joueur de cornemuse sous la main. Quant à moi, pratiquer cet instrument, même pas en rêve ! Pas plus que je ne serais capable de retenir le texte de Robert Burns et de le déclamer, même en version française :

À un Haggis

Bénie soit votre honnête et attrayante face,
Grand chef de la race des puddings !
Au-dessus d’eux tous vous prenez place,
Panse, tripes ou boyaux :
Vous êtes bien digne d’un bénédicité
Aussi long que mon bras.

Voilà que vous remplissez le tranchoir qui gémit,
La croupe semblable à une montagne lointaine ;
Votre broche servirait à raccommoder un moulin
En cas de besoin,
Tandis que par vos pores coulent des gouttes
Semblables à des grains d’ambre.

Voyez le Travail rustique apprêter son couteau
Et vous couper avec dextérité,
Creusant vos belles entrailles ruisselantes,
Comme un fossé ;
Et alors, oh ! quelle vue glorieuse,
Une vapeur chaude et succulente !

Alors cuillers contre cuillers s’allongent et luttent,
Le diable emporte la dernière, ils poussent en avant,
Jusqu’à ce que leurs ventres tout gonflés bientôt,
Soient tendus comme des tambours ;
Alors le vieux maître de la maison, quasi près de crever,
Marmotte les grâces.

Est-il un homme qui devant son ragoût français,
Ou une olla qui donnerait une indigestion à une truie,
Ou une fricassée qui la ferait vomir
A force de dégoût,
Regarde d’un oeil moqueur et méprisant
Un pareil dîner ?

Pauvre diable ! voyez-le devant ses rogatons,
Et faible comme un roseau desséché ;
Sa jambe grêle est une vraie lanière de fouet,
Son poing une noix.
Lui, se jeter à travers la mêlée et le flot sanglant,
Il en est incapable !

Mais observez le paysan nourri de haggis,
La terre tremblante résonne sous son pas ;
Mettez une lame à son large poing,
Il la fera siffler,
Et il coupera jambes, bras et chefs,
Comme des têtes de chardons.

Ô vous, puissances, qui prenez soin des hommes
Et leur dressez leur menu,
La vieille Ecosse n’a pas besoin de fricot liquide
Qui rejaillit dans les écuelles ;
Mais, si vous souhaitez sa prière reconnaissante,
Donnez-lui un haggis !

(Traduction de Léon de Wailly)

Aussi je me contente de bredouiller une vague louange et de plonger mon tranche lard déguisé en rapière (je ne me souviens plus d'où j’ai pu ranger ce fucking Ka-Bar qui m’aurait pourtant donné fière allure quand je l’aurais brandi après l’avoir sorti de son fourreau…) dans la panse dodue dont la peau s’éclate, découvrant la farce odoriférante. Malheureusement (?), il ne reste aucune trace photographique de ce grandiose épisode, car il est extrêmement difficile de manier à la fois la lame et l’objectif, en tout cas plus que de réunir l’épée et le goupillon.

Ceci fait, je puis disposer à côté du haggis la purée crémée de pomme de terre et l’écrasée de rutabaga qui patientaient au bain-marie et parsemer de ciboulette ciselée.
Et voilà le travail :

haggis, neeps and tatties, burns night
Haggis, Neeps & Tatties

L'heure est maintenant au partage.

haggis


Succulentes, ces assiettes, surtout quand on alterne les bouchées avec un de mes whiskys écossais préféré.


whisky, rock oyster

.

Mais la cérémonie n’est pas finie. C’est le moment de passer au dessert.
Dans les verres faisant office de coupes, un Tipsy Laird Trifle (en français, un trifle du Lord pompette…).
Il est réalisé en suivant (à peu près…) une recette de l’excellente ressource que représente le blog Chez Becky et Liz pour l’amateur de cuisine britannique.

http://www.chezbeckyetliz.com/2015/01/tipsy-laird-trifle.html

Au fond, des morceaux de génoise (maison !), puis une couche de fruits rouges (de chez Picard…) décongelés dans du whisky, le même que celui accompagnant le haggis, une cuillerée de whisky pour faire bonne dose, une louche de crème anglaise réalisée dans la matinée, le tout coiffé de crème fouettée mélangée de miel (ici d’acacia, mais du miel de bruyère eut été plus approprié si j’en avais eu à disposition…).

trifle, tipsy laird


C’était une construction agréable, car pas trop sucrée.

Et comme il se doit, nous finissons par le fromage. Une part de Blacksticks Blue,

Blacksticks blue


un bleu plutôt crémeux qui mérite sa place sur un plateau, même en France.



Voilà, ce Burns Night Supper 2020 est clos.

Je songe déjà à la Version 2021


jeudi 23 janvier 2020

Mon jumeau

Mon jumeau est allongé sur la table. Je m’empare d’un couteau et m’approche..
Rassurez-vous, bien que né sous le signe des Gémeaux, je n’ai pas de frère jumeau, mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do. Il n’y aura pas de drame familial : il s’agit d’un jumeau de veau. Mais non, pas le frère, non, mais un morceau sorti de ce veau. De la cuisse, pour être plus précis. On ne sort pas toujours de la cuisse de Jupiter, parfois l’on sort de la cuisse d’un veau. La vie est ainsi faîte !
À côté, il y a aussi une queue. De veau elle aussi. Je n’ai pour le moment pas à m’occuper d’elle : elle a déjà été tronçonnée et ficelée par le boucher. En revanche, il me faut découper le jumeau en gros cubes.
C’est chose faite. Maintenant c’est un oignon paille et une carotte que je tranche, l’un en grosse brunoise, l’autre en rondelles d’un demi-centimètre d’épaisseur. J’épluche dans la foulée quatre gousses d’ail.
Pour continuer ma mise en place, je sors une feuille de laurier, une branche de thym, une autre de romarin, je dégoupille une boîte de tomates pelées San Marzanno dell Agro Sarnese Nocerino DOP qui traînait dans le placard et débouche une bouteille de Gros-Plant du Pays nantais. Enfin j’écrase au mortier sur une pincée de gros sel quatre baies de piment de la Jamaïque, une douzaine de grains de poivre blanc de Penja, sept grains de poivre de Voatsiperifery et deux clous de girofle en y ajoutant une cuillerée de paprika doux.
La mise en place est terminée, je pose une cocotte en fonte sur le feu, en recouvre le fond d’une cuillerée d’huile d’olive, et fais revenir les morceaux de veau assaisonnés jusqu’à coloration sur toutes les faces. Je réserve cette viande sur une plaque, baisse la flamme et fait suer le taillage d’oignon et de carotte parsemé de sel fin. J’ajoute les gousses d’ail, puis déglace avec un verre de vin blanc que je porte à ébullition. Se joue alors la grande scène : le jumeau et la queue, le retour. Ceci fait, je recouvre du contenu de la boîte de tomates, plonge les herbes et ajoute le contenu du mortier.

jumeau de veau, queue de veau
La queue pour les tomates


Je prévois de laisser la cocotte mijoter à feu doux durant environ trois quarts d’heure en retournant les morceaux de viande de temps à autre.
Aussitôt cette cuisson lancée, j’extrais cinq anchois salés de leur bocal.



Je les mets à dessaler pendant une demi-heure dans un petit bac empli d’eau glacée. Pendant ce temps j’épluche et partage en deux des topinambours que je réserve dans l’eau citronnée d’un bac.
Je taille des lardons dans un morceau de lard paysan d’Alsace et les fais sauter à sec jusqu’à ce qu’ils deviennent translucides au fond d’une poêle antiadhésive. Je réserve.

lard paysan d'Alsace
Un jumeau pour les lardons


Bon, les anchois devraient être maintenant dessalés. Il me faut les fileter.

anchois salés, Collioure
Pas de vice dans le filetage


Une fois cette opération effectuer, j’intègre ces filets d’anchois dans la cocotte, les déposant à la surface de la sauce qui a déjà bien réduit.

sauté de veau, anchois
Opération terre-mer


Il ne reste plus qu’une dizaine de minutes avant la fin de la cuisson du veau. Je plonge les topinambours dans l’eau bouillante salée et citronnée.

Il ne reste plus que cinq minutes avant la fin de la cuisson du veau. Je fais tomber les lardons dans la cocotte. Je donne un tour de moulin de poivre rouge et vivifie la sauce du jus d'un demi-citron.

queue deveau, jumeau de veau, anchois, lardons
Retour sur terre


Il ne reste plus que zéro minute avant la fin de la cuisson du veau.



Je sors de la cocotte le fagot de tronçons de queue pour le déposer au fond du plat de service où je le débarrasse de la ficelle qui l’entoure. Suivent les morceaux de jumeau qui ont bien rétréci, il faut l’avouer, mais c’est pour la bonne cause : ils ont dispensé leur gélatine et rendu la sauce onctueuse. Une sauce que je m’empresse de déverser sur le plat avant de le réserver au four à 60 °C, le temps que le légume accompagnateur soit prêt.

sauté de veau
Fin de cuisson


Instants que je mets à profit pour ciseler une poignée de feuilles de persil plat.

Ça y est le topinambour est à point, je l’ai vérifié à l’aide de la pointe d’un couteau. Je le transfère à l’aide d’une araignée dans un plat en porcelaine petit frère de celui qui contient le sauté de veau, le parsème du persil ciselé.

Il ne restera plus qu’amener le tout sur la table de la salle à manger

Topinambours




Sauté de veau décoré de caprons



et à panacher dans les assiettes la tendre facilité des morceaux de jumeau et la goûteuse complication des tronçons de queue de veau.

mercredi 22 janvier 2020

Carry-d'en-Terre




Une telle liesse festive, ça ne vous tente pas ?
Moi, pas tant que ça…
Du moins pas jusqu’à ce que je me sois approché et vu le contenu des assiettes.



Car nous sommes aux oursinades de Carry-le Rouet, où ces agapes traditionnelles (tu parles, depuis les années soixante…) attirent quelques Provençaux et beaucoup de pigeons.
Mais voilà, je suis tombé sur un reportage télévisuel (félicitations aux organisateurs pour l'efficacité de leur comm concernant ces rendez-vous de janvier et février !)  montrant ces orgies d’oursins, et la vision de ces assiettes pleines de piquants m’a alléché.

Pas question de me rendre là-bas, mais si je ne vais pas à l’oursinade, l’oursinade ira à moi. Oui, cette idée m’a trotté dans la tête, et plus elle est revenue, plus elle m’a… elle m’a… sacrebleu, c’est bien ma chance, on m'a refilé un verbe défectif, le seoir est tombé et il n’en reste que des morceaux ; mais ce n’est pas grave, je vais réparer ça, voilà c’est fait : plus cette idée est revenue, plus elle m’a sis !

Le lendemain, l’idée me sied toujours, et je me fais ma petite oursinade en solitaire (Madame n’est pas fan de la châtaigne de mer…), bien loin de la côte méditerranéenne, en pleine terre francilienne.
De toute façon, là-bas ou ici, ce sont les mêmes bêtes : elles arrivent tout droit de Galice (heureusement pour cette pauvre Méditerranée déjà suffisamment exploitée), et elles ont parcouru la même distance, 1500 km environ…

oursinade
Sur la table de Carry-d'en-Terre


Oui, vraiment, mon oursinade d’appartement est une réussite. J’ai bien l’intention d’en faire une tradition !

dimanche 19 janvier 2020

Austro-Hongrois, en pire....

L’histoire bégaie…

Encore des malgré-nous en Alsace !
Sous la férule d’un Empire Austro-Hongrois ressuscité de braves Knackwürste strasbourgeois se sont vus enrôlés de force dans le corps des Wiener Wûrstchen pour monter à l’assaut à côté des féroces Káposztával Töltött Paprika hongrois.

Káposztával Töltött Paprika, poivrons farcis, Hongrie, knacks
Paprikas farcis de choux à l'aigre doux, knackwurtzs


Mon palais fut incendié par ces Magyars sans pitié qui l’ont investi, piétinant au passage les betteraves rouges de mon jardin. En comparaison, en dépit de leur dotation en gaz raifort, nos Bas-Rhinois n’étaient que des enfants de chœur.
Rien de nouveau. Un précédent comparatif m’avait déjà poussé à rédiger ce constat :
La capsaïcine a battu la gluconasturtiine par KO !

De toute façon, j’aurais dû me méfier, considérons les blasons de l’Empire Austro-Hongrois : ce ne sont que sens interdits !



jeudi 16 janvier 2020

Etcheworst

On ne dira jamais assez les méfaits domestiques des émissions culinaires.

C’est ainsi que je me trouve ce jour tel un candidat à cet objectif que je ne vise pourtant pas : Top Chef.

Ce matin mon épouse est revenue du marché en brandissant un sac bleu :
« Aujourd’hui, queue de lotte ! »
Je me creuse les méninges et visite le garde-manger à la recherche des ingrédients aptes à sublimer  ce poisson de pêche traditionnelle bretonne dont la fraîcheur est remarquable.
Ma première idée est de m’orienter vers une préparation à tendance exotique épicée.
Las, je m’aperçois que le stock de crème de coco est épuisé, il va falloir changer mon fusil d’épaule. Pourquoi ne pas utiliser de la crème fleurette classique et accompagner de pâtes ?
Je commence par réaliser une garniture aromatique en taillant en fine brunoise la moitié d’une carotte, une échalote et les chutes d’un petit oignon violet dont j’ai prélevé au niveau de l’équateur six cercles destinés au dressage. Je découpe en outre six pointes allongées dans le reste de la carotte.
Je fais suer ma brunoise dans une noix de beurre demi-sel puis l’arrose d’un grand verre de bouillon de crustacés (ouais, Ariake…). Suivent 25 cl de crème fluide entière de Normandie. J’assaisonne d’une pincée de sel et d’une petite cuillerée de cinq-épices. Je fais réduire à feu doux jusqu’à obtenir une sauce nappante. Je réserve.
À ce moment, un passage inopiné dans la cuisine :
« Au fait, as-tu vu le sachet de crevettes grises que j‘avais acheté pour la sauce ? »
Ben non, je ne l’avais pas vu… Pas mal concocté, ce coup de l’ingrédient surprise imposé !
Et me voilà en train de décortiquer en catastrophe mon lot de petites bestioles. Ce faisant, en enlevant les têtes et les carapaces, je me prends à regretter le bon jus parfumé que j’aurais pu réaliser grâce à elles… Trop tard, j'ai bien été piégé !
J’hésite à incorporer ces queues de crevettes grises dans ma sauce. Finalement je les réserve pour les ajouter au moment du dressage.
Je verse mes pâtes, des castellane bien conçues pour s’imprégner de sauce, dans l’eau bouillante salée. Je les égoutte après les 9 minutes de cuisson préconisées et les réserve sur un plat au four à 60 °C.
Ma dernière étape consiste à glacer les pointes de carottes au fond d’une casserole avec pincée de sel, pincée de sucre, noisette de beurre et eau à effleurement avant de plonger mes deux moitiés de queue de lotte que j’ai tranchées en trois dans la sauce, remise à température sur une petite flamme et bloblotante, où je les laisse cinq minutes en les retournant régulièrement.

J'applique alors toute mon attention dans le dressage.
Sur un côté de l’assiette j’allonge les morceaux de lotte séparés de deux centimètres environ. De l’autre côté je dispose les castellane en essayant de les répartir harmonieusement en petits fagots de trois, deux ou quatre pièces. Je verse à l’aide d’un petit pochon la sauce brassée afin de bien mélanger la brunoise et à laquelle j’ai ajouté le jus revivifiant d’un demi-citron vert. Trois aiguilles de carottes apportent leur note colorée et pointent vers le lieu où je pense imposer le vert d’un feuillage de persil. Je place les trois cercles de façon décentrée, l’un étant rompu et devenu volute. Je saisis les crevettes avec une pince pour choisir avec précision leur lieu d’atterrissage sur l’assiette. Une nouvelle tournée de sauce vient les recouvrir, à l’exception d’un petit groupe ternaire voué à mettre en évidence la présence de ces crustacés. Je fais tomber une petite pluie de persil ciselé, parsème les morceaux de lotte d’une petite pincée de zeste de citron vert. Je donne quelques tours de moulin de poivre rouge en préservant la zone blanche recouvrant le poisson. J’érige mon bouquet de feuilles de persil.
Je sens qu’il manque quelque chose, alors l’idée me vient d’apposer un trio de tranches d’ail confit d’Aomori au noir profond.
On avouera que je me suis donné du mal !

Aussi c’est en tremblant que je fais l'offrande de cette assiette à la critique.



lotte, blanquette, carotte, ail noir, castellane
Blanquette de lotte en noir et rouge


« Hum, le tout me semble bien ramassé, la disposition manque de clarté. »
Ouais, bien sûr, mais on n’a pas mis d’assiette assez grande à ma disposition.
« Les cercles d’oignon font un peu décharge avec de vieux pneus… »
Bon, j’admets la critique mais il ne faut quand même pas exagérer !
« Quant au goût, c’est plutôt bon. »
Ah, quand même !
« Mais je n’aime pas les morceaux d’ail noir, j’aurais préféré le retrouver découpé finement un peu partout. »
Mais non, c’est voulu, il y aurait eu alors une saveur de trop qui aurait tué l’équilibre de la sauce, l’ail a été ajouté comme un condiment. Un condiment, j’insiste !
« Cette petite queue de lotte était quand même un produit de qualité exceptionnelle... Elle devrait être mieux mise en évidence.»

Etchebest, sors de ce corps !
Finissons en de mon cauchemar en salle à manger.