jeudi 16 janvier 2020

Etcheworst

On ne dira jamais assez les méfaits domestiques des émissions culinaires.

C’est ainsi que je me trouve ce jour tel un candidat à cet objectif que je ne vise pourtant pas : Top Chef.

Ce matin mon épouse est revenue du marché en brandissant un sac bleu :
« Aujourd’hui, queue de lotte ! »
Je me creuse les méninges et visite le garde-manger à la recherche des ingrédients aptes à sublimer  ce poisson de pêche traditionnelle bretonne dont la fraîcheur est remarquable.
Ma première idée est de m’orienter vers une préparation à tendance exotique épicée.
Las, je m’aperçois que le stock de crème de coco est épuisé, il va falloir changer mon fusil d’épaule. Pourquoi ne pas utiliser de la crème fleurette classique et accompagner de pâtes ?
Je commence par réaliser une garniture aromatique en taillant en fine brunoise la moitié d’une carotte, une échalote et les chutes d’un petit oignon violet dont j’ai prélevé au niveau de l’équateur six cercles destinés au dressage. Je découpe en outre six pointes allongées dans le reste de la carotte.
Je fais suer ma brunoise dans une noix de beurre demi-sel puis l’arrose d’un grand verre de bouillon de crustacés (ouais, Ariake…). Suivent 25 cl de crème fluide entière de Normandie. J’assaisonne d’une pincée de sel et d’une petite cuillerée de cinq-épices. Je fais réduire à feu doux jusqu’à obtenir une sauce nappante. Je réserve.
À ce moment, un passage inopiné dans la cuisine :
« Au fait, as-tu vu le sachet de crevettes grises que j‘avais acheté pour la sauce ? »
Ben non, je ne l’avais pas vu… Pas mal concocté, ce coup de l’ingrédient surprise imposé !
Et me voilà en train de décortiquer en catastrophe mon lot de petites bestioles. Ce faisant, en enlevant les têtes et les carapaces, je me prends à regretter le bon jus parfumé que j’aurais pu réaliser grâce à elles… Trop tard, j'ai bien été piégé !
J’hésite à incorporer ces queues de crevettes grises dans ma sauce. Finalement je les réserve pour les ajouter au moment du dressage.
Je verse mes pâtes, des castellane bien conçues pour s’imprégner de sauce, dans l’eau bouillante salée. Je les égoutte après les 9 minutes de cuisson préconisées et les réserve sur un plat au four à 60 °C.
Ma dernière étape consiste à glacer les pointes de carottes au fond d’une casserole avec pincée de sel, pincée de sucre, noisette de beurre et eau à effleurement avant de plonger mes deux moitiés de queue de lotte que j’ai tranchées en trois dans la sauce, remise à température sur une petite flamme et bloblotante, où je les laisse cinq minutes en les retournant régulièrement.

J'applique alors toute mon attention dans le dressage.
Sur un côté de l’assiette j’allonge les morceaux de lotte séparés de deux centimètres environ. De l’autre côté je dispose les castellane en essayant de les répartir harmonieusement en petits fagots de trois, deux ou quatre pièces. Je verse à l’aide d’un petit pochon la sauce brassée afin de bien mélanger la brunoise et à laquelle j’ai ajouté le jus revivifiant d’un demi-citron vert. Trois aiguilles de carottes apportent leur note colorée et pointent vers le lieu où je pense imposer le vert d’un feuillage de persil. Je place les trois cercles de façon décentrée, l’un étant rompu et devenu volute. Je saisis les crevettes avec une pince pour choisir avec précision leur lieu d’atterrissage sur l’assiette. Une nouvelle tournée de sauce vient les recouvrir, à l’exception d’un petit groupe ternaire voué à mettre en évidence la présence de ces crustacés. Je fais tomber une petite pluie de persil ciselé, parsème les morceaux de lotte d’une petite pincée de zeste de citron vert. Je donne quelques tours de moulin de poivre rouge en préservant la zone blanche recouvrant le poisson. J’érige mon bouquet de feuilles de persil.
Je sens qu’il manque quelque chose, alors l’idée me vient d’apposer un trio de tranches d’ail confit d’Aomori au noir profond.
On avouera que je me suis donné du mal !

Aussi c’est en tremblant que je fais l'offrande de cette assiette à la critique.



lotte, blanquette, carotte, ail noir, castellane
Blanquette de lotte en noir et rouge


« Hum, le tout me semble bien ramassé, la disposition manque de clarté. »
Ouais, bien sûr, mais on n’a pas mis d’assiette assez grande à ma disposition.
« Les cercles d’oignon font un peu décharge avec de vieux pneus… »
Bon, j’admets la critique mais il ne faut quand même pas exagérer !
« Quant au goût, c’est plutôt bon. »
Ah, quand même !
« Mais je n’aime pas les morceaux d’ail noir, j’aurais préféré le retrouver découpé finement un peu partout. »
Mais non, c’est voulu, il y aurait eu alors une saveur de trop qui aurait tué l’équilibre de la sauce, l’ail a été ajouté comme un condiment. Un condiment, j’insiste !
« Cette petite queue de lotte était quand même un produit de qualité exceptionnelle... Elle devrait être mieux mise en évidence.»

Etchebest, sors de ce corps !
Finissons en de mon cauchemar en salle à manger.

1 commentaire:

  1. Bonjour, j'ai vécu une situation comparable la semaine dernière avec des dos de cabillaud...bien moins élaboré mais l'idée d'une sauce avec crevettes grises, des coques et quelques pétoncles m'avait effleuré l'esprit mais mon appel sur le portable de Madame est arrivé après son passage chez le poissonnier...

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