vendredi 29 mars 2019

L'est pas panais

L’est pas panais, non, mais persil tubéreux !

persil tubéreux
Persil tubéreux


Et dire que je les avais aperçues au fond du bac à légumes, ces racines extraites de la terre de notre jardin, et que j’avais fait la confusion…
Heureusement qu’une (belle) jardinière plus experte que moi m’a rappelé qu’il s’agissait de la dernière récolte du persil à grosses racines hâtif (finalement pas tant que ça, il a su patienter) semé l’année dernière. Alors je leur ai trouvé une vocation : ces racines de persil tubéreux allaient me servir à confectionner une sauce veloutée et parfumée pour accompagner des grenadins de veau.


J’épluche et découpe grossièrement les racines de persil tubéreux (en fait trois pièces). Je mets à blanchir ces morceaux dans de l’eau bouillante salée durant quatre minutes, je réserve une petite louche de l’eau de cuisson et vide la casserole dans une passoire. Je réintègre le persil tubéreux dans la casserole, le recouvre de 20 cl de crème liquide et ajoute la louchée d’eau de cuisson. Je râpe un soupçon de noix de muscade au-dessus de ce contenu et remets à couvert sur feu pour une douzaine de minutes, surveillant de temps à autre l’évaporation. Là, c’est parfait : les morceaux baignent dans un liquide qui commence à devenir crémeux.
Je verse le tout dans le bol de mon mixeur plongeant.



Quelques tours à la vitesse maxi, et j’obtiens un résultat conforme à mes espérances : une sauce onctueuse et bien nappante. Je la réserve en la reversant dans la casserole et rectifiant l’assaisonnement.

Parallèlement j’avais laissé dorer dans une poêle à feu doux de petites rattes du Touquet (le mot grenaille utilisé par le vendeur me semble présomptueux) au milieu d’un lac de beurre mousseux.
J’enlève le couvercle et hausse légèrement la flamme pour le sprint final..
J’assaisonne les grenadins de veau et les dépose au fond d’une poêle à feu moyen sur une noisette de beurre. La cuisson est rapide, car je veux laisser le cœur rosé.
Je peux commencer à dresser. Je pose les grenadins sur les assiettes chaudes. Pendant que je répartis les pommes de terre à côté de la viande, je remets la sauce à température. Sauce que je verse alors mi-grenadin mi-porcelaine dans chaque assiette et parsème d'une pincée de piment d'Espelette.

grenadin de veau, persil tubéreux, rattes
Vue sur la chute du lac Tubéreux.


Les rattes ne m’enthousiasment guère : leur peau est restée coriace autour de la chair fondante… Vivement les petites grenailles nouvelles !
J’avais lu je ne sais où que le persil tubéreux se révélait moins sucré que le panais. En savourant ma sauce parfumée, mon impression est inverse… Serais-je tombé sur l’exception qui confirme la règle ?
Ah, j’oubliais le grenadin… Eh bien tendre à souhait, resté un peu juteux avec son cœur rosé bien que la tranche ne soit pas assez épaisse pour assurer une cuisson optimale. Je ne comprends toujours pas pourquoi désormais il faut toujours se battre avec les bouchers pour qu'il ne vous découpe pas une feuille de papier à cigarette en guise d'escalope, entrecôte ou autre faux-filet. Le temps des "il y en a un peu plus, je vous le mets quand même" est bien révolu !

jeudi 28 mars 2019

Le grain et le mulet

Astérix arrive en brandissant un poisson « C’est un mulet ! ».
« J’espère que tu ne l’as pas acheté chez Ordralfabétix… », s’alarme Obélix.
« T’inquiètes, il a été pêché hier dans la mer celtique, il me l’a juré !
- Par Toutatis, tu crois cet escroc… Je ne te savais pas si niais.
- Je ne crois que ce que je vois. Ce poisson est bien raide, il a l’œil vif encore plus que toi. Au lieu de critiquer sottement mes achats, va plutôt me chercher un dolmen…
- Pour quoi faire ?
- Eh bien tout simplement parce que je vais cuire ce mulet à la plancha. »
Obélix revient avec une grande pierre plate sur le dos.
« Excuse-moi, j’ai pris le plus petit, le dolmen de La Lutte, tu sais, celui sur le terrain de Houellebix.
- Va pas être content !
- Ce n’est qu’un emprunt, je lui ramènerai. En attendant, je vais chercher le reste… »
Cinq minutes plus tard Obélix est de retour avec un pied de dolmen coincé sous chaque bras.

« Et voilà, c’est installé. Regarde, c’est du solide. Je peux m’asseoir dessus ! »
Et la construction s’écroule dès qu'il y pose son vaste fessier. Astérix s’esclaffe, puis le rassure :
« Tu n’as plus qu’à le remonter. Heureusement, ce poisson est moins lourd que toi, alors ça devrait résister. »
Astérix allume un feu sous le dolmen, puis, quand la pierre est chaude, dépose le poisson.

mulet, plancha
Pêché dans la Mer Celtique


« Il est juste vidé, j’ai laissé les écailles, ça va faire une croûte que l’on n’aura plus qu’à soulever pour découvrir les bons filets qui vont nous régaler.
- Tu ne trouves pas qu’il nous regarde d’un sale œil ?
- Tu ne ferais pas pareil si tu étais à sa place ?
- Pas de raison que j’y sois, je ne suis pas un mulet.
- Non, tu serais plus proche de l’âne… »

Le temps de poursuivre cette passionnante discussion, le poisson est cuit.

poisson, mulet grillé
Dans une coque d'écailles


« Et les légumes ?
- Zut, j’ai oublié… Bon, je vais cueillir quelques mâches dans mon jardin, un peu de l’huile d'olive de l’amphore prélevée chez les Romains en prise de guerre et une larme de vinaigre de cidre, et voilà, on l’a, notre garniture.

Obélix s’essuie la moustache.
« C’était fameux…
- Ah, tu vois, Cétautomatix n’est qu’une mauvaise langue. Ordralfabétix a parfois du poisson frais…
- Parfois ! Parfois… Mais j’ai quand même encore un petit creux, voire un gros.
- Je m’en suis douté. Si tu n’as pas ta portion de sanglier, tu cries toujours famine. Alors je t’ai préparé quelque chose qui devrait te caler grave ! Tu te souviens, j’avais découvert dans un coffre appartenant à un Normand un manuscrit encore maculé de sang où il y avait une recette, celle d’un dessert appelé teurgoule.

teurgoule
Manuscrit trouvé à Saragosse chez Grossebaf


- Ah oui, il y a plus d'un de ces malfaisants dont j’avais effectivement bien tordu la goule. Pas besoin de dessert magique pour ça ! »
Astérix extrait d’un sac une terrine dont le contenu est recouvert d’une peau bistre.
« J’ai sorti cette teurgoule du four hier soir.

teurgoule
L'évacuation de la teurgoule


Les grains de riz ont cuit doucement plus de quatre heures et demie.
- Ils sont fous ces Normands !
- Mais regarde le résultat : crémeux, fondant dans la bouche.

teurgoule
Entreprise de fouille


- Ouais, sauf la peau…
- Ne la mange pas ! »

Obélix racle le fond de la terrine.
« Ouf, ça va mieux… Maintenant, je me prendrais bien un petit calva pour faire descendre. Pas terribles comme guerriers, ces Normands, mais question distillation, ce sont des chefs ! Tu te rappelles, leurs banquets bien arrosés ? »


mardi 26 mars 2019

Diots aux légumes aux légumes

De bonnes âmes m’ont apporté de Savoie des saucisses locales, des pormoniers, ces diots intégrant des épinards et des poireaux. Ce qui ne me facilite pas la tâche rédactionnelle… Bon, je sais, dans pormonier, il y a porc. Mais à part ça ?
Que n’étaient-ce des diots ! On aurait pu écrire bien des choses en somme.

Gourmand : bon diot de bon diot, qu’il est bon ce diot !
Voltairien : si le diot n’existait pas, il faudrait l’inventer…
Philosophe : dans son tonneau, je ne crois pas que le diot gêne.
Clavierien : qu’est-ce que j’ai fait au bon diot ?
Rural : où qu’il se cache, l’diot du village ?
Accueillant : entrez dans la maison du bon diot, elle vous est ouverte.
Cornélien : il est le diot du peuple et celui des soldats.
Technicien : dois-je le remettre dans la cassette aux diots ?
Apeuré : ça me fait froid dans le diot…


Voilà à peu près ce que j’aurais dit si la saucisse fût autre.
Mais ce sont des pormoniers que je dois cuisiner, diot me pardonne…
Point de crozets, cette fois-ci. J’improvise une recette.
Je découpe les branches d’un céleri, je taille une gosse carotte en mirepoix. Je fais revenir les pormoniers au fond d’une poêle où j’ai fait fondre une noisette de beurre. J’ajoute carotte et céleri branche ainsi que deux gousses d’ail et une feuille de laurier. J’assaisonne d’une pincée de sel fin. Quand ces légumes ont sué, je verse de l’eau sur une hauteur de 1 cm environ. Je couvre et laisse à feu moyen durant dix minutes. Puis j’enlève le couvercle. Au bout d’une vingtaine de minutes, il ne reste presque plus de liquide. Je mélange deux petites cuillerées de maïzena dans un demi-verre de vin blanc - du gros-plant en l’occurrence - en évitant la formation de grumeaux. J’arrose les diots et leurs légumes avec cette potion (magique, je l’espère). Je laisse sur le feu encore cinq minutes.
Le plat de pormoniers est prêt. Il ne me reste plus qu’à le verser dans la porcelaine de service.

pormonier, diot, Savoie
Pormonier : le bon diot sans concession


Eh bien nous nous régalons, l’accord est parfait entre les saucisses et les légumes, le vin apporte une pointe d’acidité bienvenue, et le jus lié confère une rondeur de bon aloi.
Merci mon presque diot

dimanche 24 mars 2019

Halibut, ah l'est beau !

Beau, Mr Halibut, alias M. Flétan…
Mais je ne saurai jamais s’il fut tué avec toute la bienveillance humaniste qui s’impose, car il était déjà sous forme de filets quand je l’ai acheté. Alors je n’ai pas pu voir son sourire.



En tout cas j’ai soigné sa dernière demeure.
Embaumé à l’unilatérale et à l’huile d’olive, je l’ai allongé sur une immaculée porcelaine de Chauvigny avant de l’asperger respectueusement d'une ultime onction bouillante.
À ses côtés j’ai déposé de minces tranches de fenouil glacées au fond d’une poêle dans un verre d'eau additionné d’une pincée de sel, d’un soupçon de sucre et d’une grosse larme d’huile d’olive.
J’ai ajouté des pimientos del piquillo d’un rouge éclatant avant de terminer par des branches de céleri d’un vert tendre arrosées d’huile d’olive de Kalamata et de quelques gouttes de balsamique blanc puis parsemées de quelques grains de fleur de sel de l'île de Ré.

flétan, halibut, fenouil, pimentios, céleri-branche
Ci-gît Mr Halibut


vendredi 22 mars 2019

Hollandaise aux landaises

Elles méritaient bien cet hommage, une offrande de sauce hollandaise, ces belles asperges blanches des sables à la chair juteuse et nacrée.
Toujours des Landes comme les asperges vertes de la veille, mais d’un autre village, Vert - ce qui me fait regretter que dans un esprit d’harmonie mes virides turions n’eussent pas été cultivés au Blanc dans l’Indre. Je remarque toutefois la modération bien provinciale de ce Vert occitan qui ne tombe pas dans l’extrémisme francilien de Vert-le-Grand et Vert-le-Petit…

Mais revenons à nos moutons…

Mouton qui est tout d’abord un bœuf gras de Bazas dont un faux-filet est posé sur la poêle pour accompagner les asperges.

faux-filet, bazadaise
Faux-filet, vraie bazadaise


Moutons qui sont aussi quatre jaunes d’œuf que je plonge dans la cuve de mon vénérable Mycook pro 1.8 (pensez donc, il date de 2006 !)



avec 30 g d’eau, 20 g de vin blanc, 150 g de beurre, le jus d’un demi-citron et une pincée de sel.

sauce hollandaise, Mycook
Hollandaise déstructurée


Je laisse tourner l’appareil 12 minutes à la vitesse 3 et à la température de 60 °C.

sauce, Mycook
Roule, ma poule, ou plutôt roule, Mycook


Il en sort une sauce hollandaise parfaite, onctueuse à souhait. Ce qui confirme l’adage que c’est dans les vieux pots, fussent-ils motorisés, que l’on fait les meilleures soupes.
Enfin mes moutons-asperges plongés six minutes dans l’eau bouillante.

Tout s’est parfaitement enchaîné.
Les asperges sont allongées dans un plat sur un linge, la hollandaise a été versée dans une saucière


asperges, sauce hollandaise
Hollandaise toute en rondeur attaquée par des pointes d'asperges


et le faux-filet repose sur une planche.
Pour résumer, l’Occitanie est accueillie chez moi ! Avec en plus une belle hollandaise... C'est bien agréable.

mercredi 20 mars 2019

De l’influence de Nicéphore Niépce sur la cuisson des asperges.

Elles sont là, arrivées des Landes dans la matinée… De belles asperges vertes !
Je les écussonne, je les érige dans leur cage de cuisson.

asperges vertes, Landes
L'Adour en cage


Dans un bahut je porte à ébullition de l’eau dans laquelle j’ai jeté une poignée de gros sel et y plonge la prison d’inox enfermant ses captives pour quatre minutes, non pas montre en main (elle a autre chose à faire) mais minuteur sur frigo.
L’autre chose, c’est de photographier les fières têtes vertes droites dans leur botte (oui, je sais, l’image est hardie…) émergeant d’une mer tempétueuse.
Je me lance dans cette tâche, cherchant un angle de vue suffisamment expressif tout en évitant les vilains reflets et surtout les agressions de vapeur sur un Canon qui n’apprécie pas vraiment les champs de bataille où je l’emmène en première ligne.

asperges vertes
Quand ma cuisine fait des vagues


Or donc mon Canon mitraille, quand, soudain, achtung :
Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip…

Je cours déposer l’appareil photo en endroit sûr, j’appuie sur le bouton qui cloue le bec à l’alerteur de service, j’éteins la flamme sous le bahut, je m’empare d’une araignée qui me permet d’extraire les virides turions et les coucher au fond d’un plat qui se révèle de dimension miraculeusement adaptée.

asperges vertes
Les treize turions


Las ! Mes asperges ne sont pas aussi al dente que je l’aurais souhaité.
Tout ça à cause du temps perdu à évacuer le Canon en zone neutre.
Ah, si Nicéphore n’avait pas commencé…

table servie
La table servie (1829)


Bon, certes la texture n‘est pas optimale, mais la saveur y est, avec en plus l’accompagnement d’une bonne vinaigrette. Sa recette ? Eh bien une cuillerée de balsamique blanc dans laquelle j’ai fait fondre une pincée de sel fin avec quatre cuillerées d’une huile grecque de Kalamata, particulièrement fruitée.



Bref, un bon repas avec à côté des asperges sur la table quelques tranches de mortadelle pistachée achetées chez le traiteur italien des halles locales.

mortadelle, caprons
Elle est mortadelle

Et des caprons.

lundi 18 mars 2019

Charbonniers délocalisés

Les spaghetti alla carbonara étaient réalisés dans le respect de la recette traditionnelle.
Mais si les pâtes, des spaghetti alla chitarra, venaient d’Italie, il n’en était pas de même pour les autres ingrédients.
Si les lardons étaient bien taillés dans de la joue de cochon, il ne s’agissait pas de la guanciale transalpine, mais d’une sœur d’origine corse, la vuletta : joue de porc noir nourri de glands et de châtaignes salée, séchée, et affinée 18 mois. Autant dire que les arômes qui s’en dégageaient étaient somptueux…

vuletta
Joue


S’il y avait bien un bout de parmesan parmi ceux que j’ai râpés, les autres morceaux étaient découpés non dans du pecorino, mais dans mon reste de tomme de chèvre basque : j’avais échangé les brebis toscanes contre les biquettes pyrénéennes…
Les œufs, bios bien sûr, provenaient tout bêtement d’un élevage yvelinois. Ils firent leur possible pour se montrer à la hauteur de la tâche de reconstitution folkloculinaire qui leur était assignée en compagnie des autres ingrédients. Unis aux fromages sous la forme de trois œufs entiers et un jaune battus avec énergie, ils ont fourni une crème mousseuse que j’ai relevée de vigoureux tours de moulin de poivre noir - noir comme du charbon…

sauce , spaghetti carbonara
Jaune et noir



Dans le saladier, les spaghetti cuits al dente, les lardons découpés dans la vuletta arrosés de l’abondante graisse parfumée dégagée lors de leur passage dans une poêle brûlante, et enfin la mixture crémeuse.
Un bon brassage avec l’ajout d’une petite louchée d’eau de cuisson des pâtes, et il ne reste plus qu’à plonger la cuillère à spaghetti dévolue au transfert dans les assiettes.

spaghetti alla carbonara, vuletta, guanciale
Spaghetti alla carbonara délocalisés



Eh bien, oserai-je le dire, la vuletta est si puissante en goût que j’ai finalement eu la main trop lourde dans sa proportion.
Ah, ces Corses, il faut toujours s’en méfier…