Trois belles daurades sauvages sont sur mon plan de travail.
Comme je manque d’inspiration, je laisse à Georges-Louis Leclerc de Buffon le soin de se lancer dans leur description.
Plusieurs poissons présentent un vêtement plus magnifique que la dorade ; aucun n’a reçu de parure plus élégante. Elle ne réfléchit pas l’éclat éblouissant de l’or et de la pourpre, mais elle brille de la douce clarté de l’argent et de l’azur. Le bleu céleste de son dos se fond avec d’autant plus de grâce dans les reflets argentins qui se jouent sur presque toute sa surface, que ces deux belles nuances sont relevées par le noir de la nageoire du dos, par celui de la nageoire de la queue, par les teintes foncées ou grises des autres nageoires, et par des raies longitudinales brunes qui s’étendent comme autant d’ornemens de bon goût sur le corps argenté du poisson. Un croissant d’or forme une sorte de sourcil remarquable au-dessus de chaque œil ; une tache d’un noir luisant contraste, sur la queue et sur l’opercule, avec l’argent des écailles ; et une troisième tache d’un beau rouge, se montrant de chaque côté au-dessus de la pectorale, et mêlant le ton et la vivacité du rubis à l’heureux mélange du bleu et du blanc éclatant, termine la réunion des couleurs les plus simples, et en même temps les mieux ménagées, les plus riches, et cependant les plus agréables. Les Grecs, qui ont admiré avec complaisance ce charmant assortiment, et qui cherchoient dans la Nature la règle de leur goût, le type de leurs arts, et même l’origine de leurs modes, l’ont choisi sans doute plus d’une fois pour le modèle des nuances destinées à parer la jeune épouse, au moment où s’allumoit pour elle le flambeau de l’hyménée. Ils avoient du moins consacré la dorade à Vénus. Elle étoit pour eux l’emblème de la beauté féconde : elle étoit donc celle de la Nature ; elle étoit le symbole de cette puissance admirable et vivifiante, qui crée et qui coordonne, qui anime et qui embellit, qui enflamme et qui enchante, et qu’un des plus célèbres poètes de l’antique Rome, pénétré de l’esprit mythologique qu’il cherchoit cependant à détruire, et lui rendant hommage même en le combattant, invoquoit sous le nom de la déesse des grâces et de la reproduction, dans un des plus beaux poèmes que les anciens nous aient transmis. Mais cette idée tenoit, sans doute, à une idée plus élevée encore. Cette sorte d’hiéroglyphe de la beauté céleste n’avoit pas été empruntée sans intention du sein des eaux. Ce n’étoit pas seulement la Nature créatrice et rèparatrice qui devoit indiquer cette consécration de la dorade. Les idées religieuses des Grecs n’étoient qu’une traduction poétique des dogmes sacrés des premiers Egyptiens. L’origine des mystères de Thèbes, liée avec la doctrine sacerdotale de l’Asie, remonte, comme cette doctrine, aux derniers grands bouleversemens que le globe a éprouvés. Ils ne sont que le récit allégorique des phénomènes qui ont distingué les différens âges de la terre et des cieux. Cette histoire des dieux de l’Orient et du Midi est tracée sur un voile sacré, derrière lequel la vérité a gravé les fastes de la Nature. Et cet emblème, qui n’étoit pour les Grecs que le signe de la beauté productive, doit avoir été pour les anciens habitans de l’Inde, de la Perse et de l’Egypte, le symbole de la terre sortant du milieu des flots, et recevant sur sa surface vivifiée par les rayons du dieu de la lumière tous les germes de la fécondité et tous les traits de la beauté parfaite.
On pardonnera à mon collaborateur de ne pas tenir compte du
Règlement (EU) n°1379/2013, qui confère à la dorade royale et à elle seule la dénomination daurade.
Mais quittons Buffon pour nous tourner vers le bouffon de la bouffe que je suis. Peut-être que non ? Ah, bon, on confirme ? Mais cette raillerie, en un mot, m’importune ; brisons là, s’il vous plaît : je vais de ce pas cliquer sur le mot
fin.
Coupable maladresse : j’ai tapé le mot
faim.
Mes
spari aurati reviennent donc sur la table. Le poissonnier les a vidés, ébarbés (avec quelques oublis qu’il me faut réparer) et contrairement à mes instructions les a même écaillés. Il ne sera donc pas possible de soulever simplement la coque de poissons autopapillotés pour découvrir les filets immaculés… Honte à ce bourrin de poissonnier à l’ouïe défectueuse ! Quel thon !
Je vais quand même me contenter de cuire ces daurades simplement posées sur la grille du four.
Mais auparavant je cisèle la moitié d’un oignon violet, un petit bouquet de persil, trois gousses d’ail et une tranche de citron jaune.
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L'heure hache |
Je parsème les cavités ventrales de mes poissons d’une bonne pincée de gros sel, y ajoute quelques grains de poivre Voatsiperifery.
Je dois m’interrompre, car j’entends du bruit. Un troglodyte, prenant sans nul doute mon appartement pour une caverne, s’est introduit par la fenêtre entrebâillée et, s’étant rendu compte de son erreur, cherche à trouver la sortie. Découragé, il réfléchit perché sur un radiateur et ne semble pas étonné de me voir arriver. Il prend même la pose, attendant patiemment que je puisse lui tirer le portrait. Clic, clic, clic.. Ça y est, le petit oiseau est sorti !
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Troglodyte urbain |
Après cet intermède, je peux reprendre la farcissure. D’abord mon hachis réparti, puis dune feuille de laurier, un tiers de rondelle de citron et une brindille de thym.
Je sale la peau des daurades et l’enduit légèrement d’huile d’olive passée au pinceau afin d’éviter une adhérence intempestive sur les barres de la grille.
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Je leur ai fait une bonne farce |
J’enfourne à 220 °C. Je laisse le thermostat à cette température cinq minutes, puis laisse une vingtaine de minutes four fermé mais éteint. Le four est descendu en température vers les 120 °C.
Je fais faire volte-face à la grille et remets le thermostat à 130 °C pour parachever la cuisson du côté des poissons qui était à l’opposé de la soufflerie à l’étape initiale, c’est-à-dire le ventre avec sa farce qui me semble encore manquer un peu de cuisson. Je laisse six ou sept minutes.
Je sors alors les bêtes et les allonge sur mes assiettes rectangulaires avec juste trois tomates cerises, deux brins de persil frisé et une fine pluie de piment d’Espelette, qui fourniront de petites notes colorées mais n’empêcheront pas de disposer de l’espace nécessaire pour procéder à la levée individuelle des filets (y a pas de raison que ça ne soit que moi qui bosse dans cette maison !) et écarter les arêtes.
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C'est cuit pour elle |
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Daurade trois points |
Pendant la cuisson des poissons, je me suis livré à la préparation de l’accompagnement : un riz au curry.
Le riz était tout simplement un brave riz long dur à cuire, celui que nos colonies nous fournissaient pendant mon enfance, avant l’arrivée des riz thaï, basmati et tutti quanti.
J’ai partagé le reste de mon oignon violet en pétales que j’ai mis à fondre sur une cuillerée d’huile d’olive. J’ai versé un verre de riz qui a commencé à nacrer. A suivi une cuillerée de curry que j’ai laissé torréfier quelques secondes. Puis j’ai arrosé de deux verres et demi de bouillon de crustacée obtenu à partir d’un sachet lyophilisé. J’ai pensé que je pouvais additionner quelques chutes de persil et oignon ciselé qui étaient restées sur la planche et au fond de la plaque où j’avais farci mes poissons. Une feuille de laurier, deux brins de thym, quelques gouttes de Tabasco rouge, un disque de papier siliconé couvrant le tout, et c’était parti pour vingt minutes à feu doux dans la casserole coiffée d’un couvercle.
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Papier de riz |
Le riz est cuit à point, les grains se détachent bien. Je brasse avec un trait d’huile d’olive herbacée.et transvase dans un plat mis précédemment à chauffer. Chacun se servira à table dans des coupelles placées à côté des assiettes où trônent les daurades royales.
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Curry |
Eh bien, il me semble que c’est la meilleure cuisson de daurade que j’ai jamais pratiquée. Le fait d’avoir ciselé oignon, persil, ail et citron a permis qu’ils apportent juste l’humidité nécessaire pour conserver une chair moelleuse mais restée quand même ferme, et dispensent par la même occasion tous leurs parfums.
Bon, mes deux convivesses ont trouvé que j’avais eu la main lourde dans le dosage du curry. Mais ce n’est que pure calomnie !
MISE AU POINT :
Tout ornithologue, même pas distingué, aura remarqué que l'oiseau qui a envahi mon antre n'est pas un troglodyte., mais un zozio dont j'ignore l'identité, n'ayant qu'une compétence très réduite en ce domaine. Dommage, l'aventure eut été plus belle.
En revanche, j'ai bien été confronté il y a quelques semaines à un troglodyte, qui avait élu domicile dans le creux d'une branche morte d'un fusain ancestral gisant à quelques mètres de la porte de ma cuisine poitevine.
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Troglodyte, le vrai |
Ce malheureux n'a guère apprécié l'arrivée des étrangers quez nous étions à ses yeux au sein de se qu'il considérait comme son domaine. Et quant à lui, ce n'est que furtivement que j'ai pu le photographier en catastrophe (comme le démontre le résultat…) à travers la vitre.