dimanche 3 janvier 2021

Bon an, mâle an ?

Sacré Père Noël ! Vexé parce que l’année dernière j’avais suggéré que l’on allumât une flambée dans les cheminées afin qu’il y brûlât ses roustons de pédophile libidineux, il a déposé au pied de mon sapin de fortune un ouvrage intitulé  "PHOTO culinaire". Comme si j'en avais besoin !

Sapin de fortune

Il va voir de quelle bûche je me chauffe, ce rancunier moisi de la barbe ! Il veut de la couleur dans mes images, il en aura son soûl pour mon repas du réveillon de la Saint Sylvestre. Et s’il continue à ironiser sur mes pauvres clichés volés entre hachages et touillages, je l’invite à venir en discuter à ma table pour un repas photogénique arrosé d’un champagne bien pétillant grâce au liquide vaisselle ajouté. Je servirai mon frichti (sauté de renne aux petits végétaux oubliés dans la hotte ?) dans une cocotte à double fond pour économiser les produits et faciliter leur disposition : légumes à la frimousse avenante car quasi crus et viande simplement maquillée aux épices à leur sortie du frigo. Ce plat sera néanmoins bien fumant, un bâton d’encens fera l’affaire. Je n’oublierai pas l’apéritif versé sur du verre trempé pilé n’offrant pas cette fâcheuse tendance à la fonte dont est victime la glace d’aqua simplex. Ma porte cheminée t’est ouverte, vieux fripon !


SAINT SYLVESTRE


Les hostilités contre l’année 2020 sont déclarées

Pour commencer, la politique du Byrrh…

Je sers cet apéritif, assez discret afin de laisser les papilles disponibles pour la suite du repas, avec des amuse-gueules maison : Sablés salés microscopiques aux noisettes épicées selon une recette du blog La Cuisine de Bernard et Biscuits au comté découverts sur le blog Du Miel et du Sel que j’ai saupoudrés de carvi noir et de grains d’anis vert.

gâteaux d'apéritif
Promenons nous sur le bois


Chapitre boisson, j’ai placé dans un seau à glace une bouteille de riesling « de grès ou de force » 2018 Catherine Riss à laquelle succédera une bouteille de champagne plutôt décevante du reste, mais pas assez cependant pour que j’exhibe ce cru sur le banc d’infamie en en dévoilant l’étiquette.


Je prépare deux corbeilles de pain :

L’une d’un Pain norvégien préparé par un artisan bordelais élu meilleur boulanger de France en 2017.

pain norvégien
Un goût très fjord ?

Moi qui suis souvent réticent devant l’apport de ces graines si tendance, je me régalerai en le dégustant avec le poisson fumé. Sa croûte caramélisée éclate en flaveurs.

Du même, un autre pain, très abouti lui aussi, qui se révélera un excellent accompagnateur pour le foie gras de canard et les fromages : le Pain du Courneau.

pain du Courneau
Quand je vois ça après en avoir terminé la cuisson au four...




Nous pouvons passer au repas.


LA TRUITE DU LAC DE MONTBEL FUMÉE

Je dispose d’un filet de cette truite élevée dans les eaux d’un lac pyrénéen non loin du château de MontSégur.

truite fumée
Bien élevée

La bête est belle...

truite fumée
J'me paye une bonne fumette

Elle a été fumée au bois de hêtre par l’atelier Fumette au Cap Ferret dont j’avais déjà apprécié l’excellent mulet noir pêché dans le bassin d’Arcachon. Avant de lever des tranches à l’aide de mon couteau à saumon, je prépare un pesto de mâche.

Pesto de mâche :

Je lave et essore un gros bouquet de feuilles de mâche cueillies la veille dans le jardin.

Je les introduis dans le mini-préparateur et complète avec un grand trait d’huile d’olive non filtrée et une petite cuillerée de Condimento Balsamico Bianco de la maison Acetaia Reale. Je mixe avec une pincée de gros sel jusqu’à l’obtention d’une purée verte. J’ajoute six ou sept noisettes et donne des impulsions jusqu’à ce qu’elles soient grossièrement concassées. Je râpe un petit cube de parmesan et le mélange avec ma préparation. Je réserve jusqu’au moment du dressage.

Je viens de partager le filet de truite en tranches fines que je dispose au centre de mes assiettes. En contraste avec mon vert pesto de mâche je dispose quelques taches de raifort rouge polonais à la betterave.

truite fumée, pesto, raifort
Le cercle de la truite disparue

Aucun doute cette truite - qui a le mérite de ne pas se maquiller sournoisement au carotène pour se faire passer pour ce qu’elle n’est pas - surpasse la plupart des saumons fumés, même ceux qui exhibent le Label Rouge. Un pur délice dans ses équilibres de saveur. De plus, à ses côtés, mon pesto de mâche ne démérite pas. Le repas débute bien !


CONFRONTATION EST OUEST

Pour suivre deux produits d’excellence vont se trouver face à face. J’avais déjà inscrit à mon menu un foie gras de canard de Touraine mi-cuit aux épices arrivé avec ma poule et mon oie farcie de Noël.

Mais quand j’ai découvert que je pouvais me faire livrer à domicile un pâté Maréchal de Contades du chef Thierry Schwartz, de surcroît préparé à partir de foies gras d’oies élevées en Alsace, je n’ai pu résister. Ni une ni deux, j’ai commandé...

J’étais curieux de confronter le résultat d’une confection professionnelle de haut vol au souvenir gardé de mes laborieuses réalisations d’amateur.

Maréchal de Contades
Maréchal du temps jadis

https://sosgrisbiche.blogspot.com/2017/12/compte-de-noel.html


Le produit arrivé d'Obernai est resté dans son cartonnage, je ne l'ai découvert qu’une heure avant le début du repas.

thierry Schwartz, pâté
Un vieux parchemin...

Niché dans son emballage sous vide, il arborait à ses côtés un document enroulé retenu par une grosse ficelle (celle du métier de marketing ?). Sous un sceau en cire, tout, tout ce que vous désirez savoir - non pas sur le sexe sans avoir jamais osé le demander, mais sur ce fameux pâté et ses rapports avec Thierry Schwartz par la même occasion…

Thierry Schwartz, maréchal de Contades, pâté
Je l'ai déroulé...

À ce déballage culturel en succèda un autre, plus matérialiste : j'ai fait prendre l’air au pâté.

Alors, Maréchal, te voilà ! À vrai dire, avec tes bandes, tu ressembles plutôt à un colonel. Mon ex, avec ses chevrons, donnait plus dans le maréchalat, même si ce n’étaient que des attributs de maréchal des logis… Mais bon, je ne te jugerai qu’à l’action, sur le terrain de manœuvres gourmandes. Pour l’instant, je te décore provisoirement… 

pâté Maréchal de Contades, foie d'oie d'Alsace
En attente dans son cantonnement

Repos !


Je me suis aussi occupé de mon foie bourgueillois qui comme son frère obernois est sorti prendre l’air. Je l’ai allongé sur une planche et en ai découpé six tranches que j’ai alignées sur les deux assiettes de service. J'ai réservé.


L’EST

Je découpe deux parts dans le pâté Maréchal de Contades. Je les dépose seules dans les assiettes, avec juste une branchette de cresson pour masquer leur nudité.

Maréchal de Contades de Thierry Schwartz
Rien à ajouter !

Y a pas à dire, Monsieur Chef Schwartz mérite sa réputation. La pâte au saindoux croustille et fond dans la bouche à la fois, la farce de veau regorge de parfums, le foie gras d’oie alsacien est onctueux et dispense une saveur délicate bien éloignée de la rudesse campagnarde d’un foie gras de canard.

Vive l’Alsace !


L’OUEST

C’est précisément le moment d’entrer en scène pour le foie gras de canard mi-cuit aux épices.

Lui, il n’aura pas peur d’affronter un condiment, contrairement à ce trouillard de maréchal entravé par délicatesse. Je dispose à ses côtés une cuillerée de White Fig Spread, un confit de figue blanche citronné.

confit de figue
Figue pas barbaresque

Sur la table, les assiettes de foie de canard expulsent et remplacent sans vergogne celles de foie d’oie.

foie gras de canard, épices
En  file de canards...

Je suis heureusement surpris. Quelle subtilité, pour un canard ! Et les épices (poivre, anis, cannelle) sont parfaitement dosées. L’inconditionnel de l’oie que je suis se sent obligé d’admettre que ce produit artisanal est une réussite.

Vive la Touraine !


LES FROMAGES

Sur le plateau, trois variétés de fromage…

gorgonzola à la truffe, vieux Stilton, crottins
On a failli n'y voir que du bleu

En premier, un gorgonzola truffé de la maison Carozzi, très équilibré entre ce fromage si goûteux et un champignon sans artifices.

En deuxième un vieux Stilton.

En troisième des crottins de Chavignol artisanaux, surtout là pour tenter de rééquilibrer ce plateau penchant abusivement vers les pâtes persillées. Choix que j’assume en toute sérénité cependant !


LE DESSERT : Crème pyrénéenne

Bis repetita nocent

Un lever de tôt matin pour un parcours glacial sous les averses n’a pas empêché de rentrer bredouille une seconde fois de la chasse à la pâtisserie. Toutes les maisons de qualité étaient carrément fermées ce 31 décembre dans notre bonne ville ! Allez donc essayer d’être locavore…

J’ai donc mis en place un plan d’urgence avec les ressources à ma disposition.

Là encore, merci Bernard. Celui du blog. Je me suis inspiré de sa recette de crème catalane en la revisitant, y ajoutant une touche basque. Ce sera donc une crème pyrénéenne.

Crème pyrénéenne :

Dans les 40 cl de lait que je porte à ébullition avec 45 g de sucre, point de cannelle. Je la remplace par cinq grains cardamome verte et laisse infuser. Je bats dans un cul-de-poule 45 g de sucre avec 100 g de jaune d’œuf. Une fois le mélange blanchi j’incorpore 30 g de maïzena. Je place le récipient dans un bain-marie. J’ajoute le lait tiède parfumé par la cardamome et 10 cl de patxaran, cette liqueur basque aux prunelles sauvages.

paatxaran
La prunelle sous vos yeux

Je mélange et laisse épaissir en remuant sans répit avec le fouet.

Quand la crème est parvenue à la consistance voulue, je la verse dans deux ramequins en terre. Je réserve.

Ça, c’était en début d’après-midi. Désormais minuit approche. 

Je parsème les ramequins d’une pluie de sucre en poudre que je fais caraméliser au chalumeau. J’ajoute un trait de sucre muscavado de l’île Maurice.

crème catalane revisitée
Presque une crème brûlée

Je craignais que le parfum de la liqueur ne soit évaporé. Mais non, il est bien là. Curieusement presque plus présent que dans un verre…



2020 EST MORT, CHAMPAGNE !!!

Après avoir levé les flûtes et réceptionné les vœux caracolant sur les fibres optiques, un expresso de Moka Buku - un café éthiopien que j’apprécie particulièrement - sera le bienvenu. Ensuite un petit cigare et un verre de Port Askaig Isley, un whisky dont la teneur en tourbe serait insupportable si le degré d’alcool n’était pas aussi fort, et dont les 57,1 % vol emporteraient le gosier s’il n’était pas aussi tourbé : un mariage de déraison exceptionnellement réussi.

L’an de grâce 2021 débute sous de bons auspices !




mardi 29 décembre 2020

Noël, no elles...

Point de petites-filles…

Cette année, les repas de Noël se sont déroulés sans elles ni nos enfants.


Je me suis cependant mis aux fourneaux.

J’ai même anticipé ces repas festifs quelques jours auparavant avec un petit plateau de fruits de mer non encore atteints par la hausse faramineuse des prix pendant les fêtes 

fruits de mer
Huitre jours avant Noël

et des crépinettes de pieds de porc farcies de foie gras et de truffe concoctées par un charcutier qui lui aussi se mettait en jambes avant le grand jour.

crépinette, pieds de porc, truffe, foie gras
C'est déjà le pied

De mon côté, je me suis mis en concurrence avec ce vaillant artisan en entreprenant de confectionner une terrine au lièvre. Je précise, bien au lièvre et non de lièvre, avant que l’on ne me débusque pour me tomber sur le râble, m’accusant de description mensongère.

Je dispose de :

2 cuisses de lièvre (environ 500 g)

800 g de poitrine de veau

800 g de gorge de porc

500 g d’épaule de porc

350 g de foies de volaille

1 sachet de 50 g de morilles séchées françaises

2 têtes d’ail noir d’Aomori japonais

2 crépines

Le 19 décembre, me voici donc en train de désosser mes deux cuisses de lièvre.

cuisse de lièvre
Il ne fera pas de vieux os

La chair est séparée des tibias et fémurs, mais il me faut encore la dénerver. Ceci fait, je jette les os et les parures dans une casserole en compagnie de quelques rondelles de carotte et d’oignon afin de les pincer à feu vif avant de les recouvrir d’eau. Je laisse pendant une heure, désormais à feu doux : mon intention est d’obtenir un bouillon parfumé qui mouillera la poudre utilisée pour la préparation de la gelée.

Je découpe ces morceaux de lièvre en lèches que je dépose dans une petite bassine en inox. Je m’empare du morceau de poitrine de veau et y prélève à peu près la même quantité de lèches. Elles viennent rejoindre les précédentes. J’ajoute des branches de thym, origan et romarin ainsi qu’une feuille de laurier et une douzaine de baies de genièvre. J’arrose d’un grand verre de Byrrh et d’un petit de genièvre de Houlle (le Sud et le Nord réunis !) et laisse mariner deux heures.

terrine de lièvre, lèches
Lèche et relèche

Dans un bol je recouvre mes morilles d’eau tiède à efflorescence et je les laisse se réhydrater.


Allez, courage, poursuivons !

Je mixe la moitié de mes foies de volaille avec deux échalotes épluchées et taillées grossièrement. Je fais revenir la crème obtenue dans une grosse noix de beurre doux en assaisonnant de sel fin et d’un tour de moulin de poivre noir.

J’écarte du feu pour laisser refroidir ce gratin.

terrine de lièvre
Pour Noël, le gratin

J’enchaîne avec la préparation de la gelée : je dilue le sachet de gelée Maggi avec le bouillon au fumet de lièvre.

J’échange le minipréparateur contre mon gros robot multifonction.


Je partage le veau et le porc en gros cubes. J’en introduis la moitié dans l’appareil et donne quelques impulsions en appuyant sur la touche pulse afin d’obtenir un hachis grossier que je verse dans un cul-de-poule. L’autre moitié de la viande est hachée plus finement et vient rejoindre elle aussi le cul-de-poule.

Je passe au brassage final de la chair de la terrine.

J’ajoute le gratin, le reste d’eau de trempage des morilles filtré, la marinade des lèches, un œuf entier, une cuillerée de grains de poivre de Voatsoperifery, trois petites cuillerées de quatre-épices, du poivre rouge de Kampot issu de nombreux tours de moulin, les feuilles détachées d’une branche d’origan et celles de romarin hachées finement sur la planche.

Comme j’ai environ 2500 g de viande, j’assaisonne de 40 g de sel fin de l’île de Ré.

Je mélange bien.

La gelée est tiède. J’en incorpore la moitié, ainsi que les morilles. L’autre moitié est réservée au froid.

terrine de lièvre
En chair à pâté


Il me faut passer au montage. Ma terrine au couvercle lièvresque dont il faut tirer les oreilles pour la décoiffer est particulièrement adaptée. Je la tapisse de crépine. Point de barde. J’en avais commandé une par téléphone, mais elle ne figurait pas dans le paquet préparé par le charcutier éleveur de porc. Alzheimer ou négligence ? Il ne me reste plus qu’à m’en passer… Heureusement que la gorge comporte beaucoup de gras !

J’alterne les lèches au sein de la chair. S’y ajoutent des petits dès du reste des foies de volaille taillés au couteau sur une planche. Arrivé à mi-hauteur de la terrine, j’aligne des gousses d’ail noir du Japon. Non, il ne s’agit pas d’imiter la truffe ! La couleur n’est qu’une simple coïncidence. J’ai simplement pensé que cette note sucrée et parfumée serait bien à sa place dans une terrine comportant du gibier…

J’arrive au sommet. J’allonge une branche de thym et une feuille de laurier, lâche un quintet de grains de poivres et replie la crépine. Je pose le couvercle. Zut, j’y suis allé fort sur le remplissage, je ne puis fermer entièrement la terrine. Tant pis, l’interstice est faible, la cuisson se fera au bain-marie, donc il ne devrait pas avoir de desséchement notable. J’y vois même un avantage : je peux introduire facilement une sonde de température, ce qui est d’ordinaire mission impossible à travers ce couvercle sur lequel le lièvre de porcelaine monte une garde implacable.

En dépit de cette surcharge, il me reste encore beaucoup de farce et de lèches. Je me lance donc dans le montage d’une seconde terrine, quant à elle circulaire. Et ça tombe bien, elle est illustrée d’une gravure représentant une hase gambadant dans les herbages…

Ouf, c’est terminé.

Le four est à 160 °C. Je pose mes terrines sur la lèchefrite où elles baignent à mi-cuisse (de lièvre…) dans une eau frémissante que je renouvellerai au besoin.

L’alerte de la sonde est réglée à 85 °C. La sonnerie retentit après un peu plus de deux heures. Je sors les terrines et les laisse refroidir. Elles resteront au réfrigérateur toute une nuit.

Je fais refondre le reste de gelée que j’avais réservée et une fois tiède je verse une bonne partie de ce liquide sur les terrines. Il va combler les vides. J’attends que la gelée reprenne de la viscosité pour en recouvrir la surface des terrines où elle figera aussitôt, les revêtant d’un miroir brillant.

Les terrines retournent aussitôt vers leurs frimas. Le jour n’est pas encore venu ! Mais mes pouvoirs de divination me permettent de présenter le résultat que je découvrirai plus tard…

terrine de lièvre
Tranche du 26 décembre



JEUDI 24 DÉCEMBRE


Je commence la mise en place en milieu d’après-midi.

Le plat prévu consiste en une poule de Gournay qui demande une longue cuisson en cocotte, cette variété mâtinée de poule scandinave arrivée avec les Normands étant aussi coriace qu’elle est savoureuse.


Je lui prépare un lit de garniture aromatique comprenant de la carotte, du céleri-rave, les deux provenant du jardin, et un oignon doux des Cévennes. Ces produits sont découpés en une brunoise pas trop finement taillée. Je les réserve. Je ne tarderai pas à sortir la bête afin qu’elle se mette à température ambiante.

Toutefois il me faut me livrer auparavant à une autre tâche, plutôt délicate pour moi qui manque de pratique en ce domaine.

La veille est arrivée une petite cagette contenant huit ormeaux sauvages. Bien respectueux de la loi, arborant chacun leur bague codée…

ormeau
L'ormeau en cage

Il s’agit maintenant pour moi de les décoquiller. Je me livre à ce sport à l’aide d’une cuillère. Je crains un massacre, mais non, ça se passe aussi bien qu’avec une coquille Saint-Jacques, peut-être même mieux, car il ne reste pratiquement aucune trace du pied au fond des coquilles nacrées que je lave et réserve pour le service. Je prive ces malheureux ormeaux de leur bec en pratiquant deux entailles et les débarrasse de leur barde et des boyaux. Je les lave sous le robinet et les réserve au frais dans un petit bac en inox.

C’est désormais l’heure de passer à la cuisson de ma gournaisienne qui frime toute enrubannée.

poule de Gournay
Poule enrubannée


Mais auparavant il me faut la préparer. Je la décapite, séparant le cou que je déposerai au milieu des légumes pour qu’il ajoute du goût. Je retire le foie et le cœur que je réserve au frais. Ouais, la bête a été plumée vite fait ! La bucler est impératif. Je m’exécute. Je pense que ma poule est désormais présentable. Du sel, du poivre et une belle pincée de curry à l’intérieur : elle est prête à passer à la casserole.

Je fais dorer le cou et suer carotte, céleri-rave et oignon au fond de ma cocotte sur une noix de beurre demi-sel.

La poule de Gournay s’allonge bien au chaud, je coiffe d’un couvercle. La cocotte passe au four à 160 °C pour 20 minutes. Puis je passe à 130 °C pour 2 heures.


Je poursuis ma mise en place en ciselant finement une gousse d’ail, deux échalotes et quelques brins de persil. C'est pour les ormeaux. Je réserve.


Je pare trois petites carottes rondes du jardin, les coupe en deux, puis les mets à glacer dans une casserole. Avant que tout le liquide soit évaporé, je réserve.

Je dispose de chanterelles tourangelles. Je raccourcis leurs queues. Je n’ai pas grand-chose à faire pour les nettoyer : elles sont très propres. Je les fais sauter rapidement dans une poêle au milieu d’un mélange de beurre et d’huile d’olive, parsemées de feuilles d’estragon. La cuisson des champignons achevée, je les réserve.

Cette étape est terminée, je verse un verre de sauvignon dans la cocotte. Je lie avec le foie et le cœur hachés finement.

poule de Gournay
Poule en or

Je recoiffe la cocotte et la laisse dans le four dont j’ai baissé la température à 70 °C.


Je me tourne alors vers les ormeaux que je viens d’extraire de leur bac pour les poser côte à côte sur une planche. Je prends une première pièce, l’insère dans un torchon et la frappe avec mon lourd aplatisseur à viande en métal. Ah, après ce traitement, tu seras tendre, c’est sûr ! Je réitère cette opération pour chaque ormeau.


Le repas de Noël va pouvoir commencer.

La terrine de lièvre apparaît sur la table. 

terrine de lièvre
Le lièvre arrive


Je tire les oreilles de la hase en porcelaine.

terrine de lièvre
Quand ça décoiffe

Je découpe.

Je suis rassuré, les tranches sont de bonne tenue et d’elles s’émane un appétissant parfum ! Je les accompagne de confit d’oignons de Sisco - un savoureux produit corse artisanal. 



Je verse dans les verres un Chinon rouge 2015 - Les Picasses de la maison Olga Raffault. Nous finirons la bouteille avec la poule de Gournay.

J'entame ma part de terrine.

terrine de lièvre
Miam !!!

C’est bon… Pourquoi pas un peu de rab ? Mais vite fait, car mon devoir m’appelle !


Je retourne à la cuisine. Opération ormeaux

Dans une poêle antiadhésive, je fais fondre la moitié d’un paquet de bon beurre demi-sel breton. Quand il est bien mousseux, j’y dépose les ormeaux et laisse sur le feu une minute et demie environ. 

ormeau
Océan de beurre mousseux

Je retourne les bêtes, les parsème d’une pincée de cinq-épices et éteins le feu. J’ajoute la persillade.

Je dispose les coquilles sur deux ardoises. Avec une pince je transfère chaque pièce dans son écrin de nacre. J’effeuille quelques tiges de cerfeuil au-dessus de la poêle et mélange avant de noyer les ormeaux sous le beurre parfumé.

ormeau
Ils ont retrouvé leur écrin de nacre

Je dépose nos assiettes alias ardoises sur la table pour dégustation.

J’ouvre une bouteille de Ménetou-Salon 2019 de la maison Clément.

La transformation de ces animaux coriaces en une chair aussi tendre tient du miracle… Flaveur, texture, tout y est pour notre bonheur… Avec en prime huit futurs cendriers écolos. Que demander de plus ? Un miracle, vous dis-je !

J’en oublierais presque de sortir ma poule de Gournay de sa quiétude cocottière pour la déposer sur la planche sacrificielle avant de réduire le jus dans lequel baigne la garniture de légumes en brunoise.

Mais je me reprends. Au boulot, me dit ma conscience. Je replace les champignons et les carottes sur le feu afin, pour les premiers, de les remettre à température, et, en ce qui concerne les secondes, en terminer le glaçage.

La cuisson de la poule est bonne, je peux prélever sans difficulté les deux cuisses qui seront sur les assiettes pour ce soir de Noël.

Je passe au dressage. À côté de la cuisse, la garniture de légumes (céleri-rave, carotte, oignon doux) arrosée du jus réduit de la cocotte et les chanterelles sautées à l’estragon. Je dispose un trio de demi-carottes rondes glacées. Je disperse pour conclure une petite pincée de curry sur le pourtour de l’assiette.

poule de Gournay
La ferme cuisse de ma poule


Et puisqu’il me faut tout faire dans ma gargote privée, j’assure aussi le service en apportant les assiettes sur la table. Dont la mienne : une sorte de self-service…

Mais quand même meilleur que celui pratiqué dans un restau-U ou dans une cantine d’entreprise ! Même quand le cuistot met les petits plats dans les grands pour une occasion festive...

La poule est ferme comme il sied à une bête ayant longuement cavalé à la recherche d’insectes et de vermisseaux, sa chair est goûtue à souhait. Le fumet puissant des champignons vient agréablement chatouiller les narines. Quant aux légumes du jardin, il est évident qu’ils ne peuvent que surpasser en saveur ceux achetés dans un supermarché. Finalement, du self-service de cette catégorie, j’en redemande…


Fromage ? Oui, mais symbolique. Uniquement un morceau de gruyère. Gruyère suisse d’alpage au lait cru, remarquable par sa saveur, pas de ce fromage que l’on râpe tristement sur sa platée de Panzani…


Dessert ? Oui, mais une bûche, point. Non pas pour se la jouer dans la distinction en ricanant d’une tradition obsolète, mais tout simplement parce que nous avions repéré une intéressante bûche sur le catalogue d’un pâtissier de la ville et pensions l’acheter dans la matinée ; sauf qu’à 10 heures du matin, tout avait été déjà vendu. Chez cet artisan, mais aussi chez ses confrères ! Nous nous sommes donc rabattus sur deux pâtisseries individuelles, certes de qualité, mais pas vraiment noëlesques.


Ne restait plus après le petit festin de ménage et la veillée qu’à régler le réveil afin de commencer à temps la préparation du repas du 25 décembre.




VENDREDI 25 DÉCEMBRE


Il ne me reste guère de temps pour préparer le repas…

Heureusement j’ai opté pour une formule rapide. Après le self-service ; le fast-food !

Ma seule tâche consiste à éplucher et parer un panais du jardin que j’ai choisi pour sa forme en virgule, puis à le glacer sur une poêle avec une petite couche d’eau additionnée d’une pincée de sel, d’une autre de sucre, d’une noisette de beurre et de quelques gouttes de jus de citron.

Ah non, j’allais oublier. Il me faut aussi préparer du cresson que, bien lavé et essoré, je dépose dans un saladier. À côté, j’anticipe une vinaigrette d’huile vierge de colza et vinaigre de cidre que je réserve dans un petit bol pour la verser sur ces feuilles et brasser au dernier moment afin d’éviter qu’il ne soit cuit par l’acidité.

J’ouvre aussi la bouteille d’Oratoire de Chasse-Splen 2017 qui accompagnera le repas afin qu’elle s’aère.


Nous allons bientôt passer à table. Une table habillée d’une nappe rouge comme la houppelande d’un père Noël… Très raccord, pas vrai ?

Pour commencer, j’allume le four et le règle à 150 °C. J’y introduis une Tourte de la Vallée (de Munster, je présume…) concoctée par un traiteur de Colmar. Elle doit se réchauffer pendant une quarantaine de minutes. Le temps de s’offrir un petit apéro…

Je découpe deux parts que j’apporte simplement accompagnées d’un cornichon aigre-doux alsacien lui aussi.

tourte de la Vallée
Au bord de la vallée


Grosse déception, cette tourte est nettement moins savoureuse que celle que j’achète de temps à autre à un artisan chrcutier de Lapoutroie. J’aurais mieux fait de lui rester fidèle. De plus les cornichons ne sont pas croquants. Mais là c’est de ma faute : je les avais remisés trop longtemps au placard…

Mea culpa, mea maxima… Mais je n’ai pas le temps de me frapper la poitrine et battre ma coulpe. Il me faut enchaîner sur le plat principal. Le four est maintenant réglé sur 160 °C. J’y enfourne pour une dizaine de minutes deux tranches d’oie farcies avec du magret et canard, foie gras, foie de volaille, épices et herbes aromatiques que j’ai achetée au même éleveur de volailles de races anciennes qui m’avait fourni la poule de Gournay. Je remets à température les demi-panais et ouvre un bocal de châtaignes.



Je vais faire simple : je place le bocal sur le plateau du four micro-ondes après y avoir ajouté une noix de beurre. Deux minutes, et les châtaignes sont chaudes, arrosées de beurre fondu.

Je passe au dressage des deux assiettes après avoir assaisonné le cresson enduit de sa vinaigrette.

oie facie
Assiette n° 1

oie farcie
Assiette n° 2

Petite déception, c’est bon, certes, mais ce n’est pas un régal. L’oie farcie est un peu sèche. Sans doute eussé-je dû enfermer les tranches dans du papier d’alu, quitte à avoir une peau mollassonne cernant la viande et la farce.

Mea culpa, mea minima culpa


Le fromage là encore un passage furtif, s’incarnant en un chèvre de Sainte-Maure un peu sec comme je les aime.

Toujours pas de bûche, mais elle sera remplacée avantageusement par un nougat richelais - un cousin rural du nougat de Tours…

nougat richelais
Noël, ce n'est pas toujours du nougat



SAMEDI 26 DÉCEMBRE

Elles, là… Elles sont passées récupérer les cadeaux pour lesquels des lutins sans doute formés par Coliposte s’étaient trompés de cheminée.

Leur grand-mère leur a préparé une bûche aux amandes glacée au chocolat, une recette trouvée dans Cuisine magazine. Il s’agit d’un roulé de biscuit aux amandes (en fait une sorte de biscuit joconde réalisé avec un sabayon d’œufs entiers et non des blancs montés en neige) renfermant un crémeux aux amandes et recouvert de chocolat fondu avec du sucre glace travaillé au beurre pommade.

bûche de Noël
La bûche : silence, on tourne

Les imprécisions dans la description du déroulement laissaient un doute sur la viabilité finale, mais heureusement le résultat s’est révélé, sinon convaincant, tout au moins correct et plutôt agréable en bouche, bien qu’un peu trop sucré à mon goût. En tout cas mes petites filles ont aimé et bientôt il ne restait plus grand-chose de cette bûche tronçonnée et retronçonnée…

bûche de Noël
Bientôt finie


Elles ont eu droit aussi aux leckerli qu’elles avaient réclamé. Même qu'ils étaient rangés dans une belle boîte.

Ces savoureux petits gâteaux de Noël alsaciens sont confectionnés à partir d’une pâte obtenue par un mélange de fruits sec concassés, d’écorces d’agrumes confites, d’épices, de poudre à lever et de farine, le tout travaillé avec un mélange de sucre et de miel chaud que l’on laisse reposer à température ambiante pendant trois à quatre jours. On l’étale ensuite laborieusement - ça fait les muscles ! - avant d’enfourner sur une plaque 20 minutes à 180 °C. 0 la sortie du four, on glace avec un mélange de sucre glace et d’eau et l’on découpe en carrés fissa, car le produit durcit rapidement.

leckerli
Carrés sur ronds


Les proportions ?

350 g de miel

250 g de sucre en poudre

280 g d’amandes et noisettes

Le zeste râpé de 2 citrons

250 g d’écorces confites d’orange et citron

30 g de cannelle moulue

8 clous de girofle moulus

1 bonne pincée de muscade râpée

4 cuillères à café de poudre à lever

570 g de farine

4 cl de kirsch

200 g de sucre glace

Je ne saurais trop insister sur la qualité de la cannelle à utiliser dans cette recette, le pire voisinant l’excellence pour cette épice qui parade en première ligne dans cette confiserie.

C’est très bon, ce ne sont pas mes petites filles qui me contrediront. Quant à moi, ce que je préfère, c’est de grignoter les chutes de bord un peu cramées lors de la découpe sur la planche…


Et après ces instants de partage Noël s’envole à tire d’elles…

Il s’est fait la paire, Noël.


dimanche 20 décembre 2020

La raie papa

C’est décidé, le beau tronçon d’aile de raie qui vient d’atterrir sur mon plan de travail, je la traiterai façon tradi. À la grenobloise.

Pas tout à fait cependant, car sa cuisson sera plutôt moderniste : lente à 80 °C.

Je dépose au fond du réceptacle à eau de mon cuiseur vapeur Dejelin 

ma pièce de raie bien débarrassée du mucus gluant qui la tapissait.

Je la recouvre d’eau à effleurement. Le liquide dépasse le niveau maxi prescrit, mais ce n’est pas grave car il n’y aura pas d’ébullition… Je règle le thermostat et programme le minuteur sur 25 minutes. J’ajoute un demi-citron dont je presse le jus, une poignée de gros sel, deux feuilles de laurier, une branche de thym, une douzaine de baies de piment de la Jamaïque. Je place le rehausseur et le couvercle. Zou, c’est parti !

J’ai largement le temps de mettre à cuire les quatre pommes de terre de la variété Agata que je viens d’éplucher. Pendant que cette casserole vit sa vie le feu aux fesses, je m’empare d’un reste de pain fait maison, y découpe une tranche d’un centimètre d’épaisseur environ que je partage en petits carrés. Ces cubes de mie sont jetés au fond d’une petite poêle où fond une noisette de beurre Dès qu’ils sont bien imbibés et commencent à colorer, j’éteins la flamme et réserve.

Je passe à la préparation des dés de citron. Misère ! Le gros citron que j’ai choisi me laisse apparaître une peau hippopotamesque avec un zist d’une épaisseur impressionnante. Après avoir enlevé les douves du petit tonneau jaune que j’ai obtenu en tronçonnant les extrémités de cet agrume, puis séparé les suprêmes confinés entre des cloisons filandreuses et farcis de moult pépins, je récupère beaucoup moins de chair que je pouvais l’espérer vue la taille du fruit. La raison voudrait que je sacrifie un second citron, mais j’en ai ras le bol de m’évertuer à la désincarcération et à la chirurgie. Je ne suis pas le SAMU du citron, qu’on se le dise ! Alors je ferai avec…

D’autant plus que la sonnette du cuiseur vient de retentir. Je vérifie la cuisson de la pointe d’un couteau : c’est bon, je puis sortir mon tronçon de l’eau. Ma lame passe de raie en patate. Parfait, Agata est prête aussi.

Mais avant l'évacuation je repose ma poêle avec ses croûtons sur un feu moyen et y jette une grosse, une très grosse noix de beurre. Soit environ le tiers de ce paquet de beurre…

Quand ce beurre commence à colorer, je retire l’ustensile du feu et y verse la moitié d’un petit bocal de câpres. Et mes quelques misérables dés de citron 😕 .

Une araignée capture le tronçon de raie et le dépose sur une planche où je le dépouille de ses peaux.

Comme ce morceau est tout en longueur, je le partage en quatre selon une croix, obtenant deux morceaux épais et deux autres plus fins correspondant à l’extrémité de la voilure. Je les répartis équitablement entre deux assiettes, ajoute les pommes de terre et verse la sauce grenobloise sur la raie.

Le poissonnier a ajouté à son paquet un bouquet de persil frisé. Pourquoi ne pas disperser quelques feuilles arrachées aux tiges pour conférer un peu de verdure et de fraîcheur ?

Un tour de moulin de poivre rouge sur les pommes à l’anglaise, et les assiettes sont prêtes à gagner la table sacrificielle.

raie grenobloise
La raie avec des dés

Repas gourmand où cette recette traditionnelle est encore meilleure avec ce process moderniste de cuisson de la raie. En effet la chair a conservé de la tenue, n’est absolument pas délavée, filandreuse ou/et presque crue au voisinage du cartilage - comme cela se produit trop souvent avec une cuisson traditionnelle dans un rondeau posé sur une flamme si l’on a mal évalué les températures et l’inertie. Résultat d'autant plus satisfaisant qu’il ne s’agissait même pas d’une raie bouclée…

Pas de surveillance et d’angoisse… Qui dit mieux ? 

La recette de papa façon pépère… Ça me va !


jeudi 17 décembre 2020

Le plongeon de Saint Jacques

 Six coquilles Saint-Jacques sont arrivées dans ma cuisine. Pour finir dans mes assiettes…

« Alors ces assiettes, de quoi se composent-elles ? », va m’interroger un pèlerin lecteur égaré que je vais héberger quelques instants à l’abri de ce blog.

De quoi ? Ben, de moult produits, car j’ai décidé d’envoyer Saint Jacques en Extrême-Orient.

Mais avant ce voyage, il me faut parer les noix sorties de leurs coquilles, les débarrassant même de leurs coraux qui, simplement plongées dans le beurre demi-sel mousseux d’une poêle et abondamment bombardées de poivre blanc de Muntok moulu grossièrement, fourniront une petite mise en bouche.

Je réserve les six noix de Saint Jacques arrosées du jus d’un demi citron vert dans un bac.

J’équeute six champignons shiitaké frais cultivés en Bretagne et les nettoie avec un chiffon humidifié. Je les réserve. L’autre moitié du citron vert vient les préserver de l’oxydation.

Je prélève dans une carotte longue du jardin des lanières d’un demi millimètre d’épaisseur à l’aide d’une mandoline. Sur une planche je les formate en parallélogrammes allongés qui viennent rejoindre les shiitakés dans leur bac.

Ma première idée était de réaliser un bouillon en préparant un dashi et le parfumant des chutes de champignon, des parures de Saint Jacques, ainsi que des découpes d’oignon et de carotte. Mais je prends conscience que dans mes réserves se trouvent des sachets de soupe miso wakamé et champignons Ariaké qui pourrait tout aussi bien faire l’affaire. Toutefois je tiens à en vérifier la composition. Je lis :

Miso (82 %) (eau, fèves de soja, riz, sel), champignons (4,5 %), wakamé (4,5 %), bonite (poisson), extrait de levure, oignon vert, fibre de soja.

Ça me convient et m’évitera d’ouvrir mes sacs de kombu séché et de katsuobushi de bonite qui se conserveront bien mieux non entamés. J’ouvre donc l’un de ces sachets, le vide dans une casserole contenant 20 cl d’eau bouillante ; brasse bien et réserve.

Je continue ma mise en place en prélevant les grains d’un citron caviar venant du Guatemala qui se révèle d’une maturité optimale et très odoriférant - ce qui n’est pas toujours le cas, hélas… Je les réserve dans une petite coupelle.

Tant qu’à faire, je m’empare d’une seconde coupelle pour y déposer la touffe de piment cheveux d’ange que prélève du sac bien fermé où je les conserve. J’en goûte un filament. Il est très parfumé et fort juste comme il le faut pour un tel plat, réveillant les papilles, mais ne les tuant pas.

Je termine en lavant et séchant deux feuilles lancéolées de coriandre vietnamienne et deux feuilles de pimprenelle aux folioles dentelées provenant de bouquets cueillis le jour même au jardin. Je les étale sur un papier absorbant.

Passons à la cuisson des shiitakés. Je fais fondre une bonne noix de beurre doux (de baratte et de Normandie réunies) dans une cuillerée d’huile d’olive. J’y fais tomber ces champignons. Il faut bien une dizaine de minutes pour qu’ils soient cuits, tournés et retournés plusieurs fois, parsemés de sel fin en phase terminale.

Je profite de ce délai pour remettre la soupe miso à température avant de la répartir entre deux assiettes creuses chauffées préalablement.

[ Je dispose trois shiitakés sur le bord de l’assiette.

La poêle est libre. Je fais subir un aller et retour aux noix de Saint Jacques sur la graisse chaude parfumée par les champignons. Trois pièces viennent faire trempette à côté de ces derniers.

Il ne me reste plus qu’à planter lamelles de carotte, coriandre vietnamienne et pimprenelle avant de déposer une évanescente pincée de flocons de sel de Maldon et une petite cuillerée de grains de citron caviar sur la surface bronzée des noix de Saint Jacques.

Je termine en ébouriffant un petit chignon de piments cheveux d’ange qui vient coiffer l’assiette. ] X 2

Saint Jacques, shiitake, miso
Saint Jacques aux cheveux d'ange

Une symphonie de flaveurs !

Seule la Saint Jacques n’est pas contente. Car elle ne parade plus en soliste… Mais qui qui est le compositeur et chef d’orchestre ? C’est moi ! 

Alors rejoins la fosse et joue ta partition !


dimanche 13 décembre 2020

Civet ou civet pas ?

Mon civet de sanglier sauvage sera un vrai civet.

Ceci à double titre.

En premier lieu, je me suis procuré une botte de cives. En second lieu, je ferai une liaison au sang.

Sur une page de son site GRETA GARBURE, on peut lire ces lignes écrites par Blandine Vié :

Ce qui caractérise avant tout le civet des autres plats en sauce à base de vin (daube par exemple), c’est sa liaison finale, faite avec le propre sang de l’animal, réservé pour l’occasion. Il est donc impératif de pouvoir en disposer.

En quoi elle a parfaitement raison.


Mais commençons par le commencement…

Mon sanglier se trouve, déjà découpé en morceaux, dans un sac sous vide. Il provient d’une bête sauvage, abattue dans les Vosges. Ça, c’est l’aspect positif. L’inconvénient de cette commande en ligne, c’est que je n’ai pas de volailler pouvant me fournir un petit bocal de sang. Alors, voyant que pas mal de ce liquide contenu dans la viande a exsudé dans le paquet, après son ouverture j'en déverse le contenu dans une passoire.

Le sang s’écoule dans un bol ; j’y ajoute un trait de vinaigre de vin de Maury et une cuillerée de genièvre de Houlle pour l’empêcher de coaguler et réserve. Je dépose les morceaux de sanglier au fond d’une plaque à débarrasser sur un papier absorbant.

Je cisèle un oignon long et trois échalotes du jardin. Je taille une carotte de même provenance en mirepoix. J’épluche trois gousses d’ail de Lautrec. Je nettoie et découpe en tronçons la botte de cives, n’enlevant que quelques centimètres à l’extrémité des feuilles. Un cube de gingembre frais finit en julienne.

Je prépare un bouquet garni : feuille de laurier, thym, origan, sommité de céleri branche et queues de persil, le tout enserré entre deux verts de poireau.

Je place ma cocotte en fonte sur un feu vif, et y mets à saisir les morceaux de sanglier que j’ai eu soin de bien éponger un à un au papier absorbant avant de les assaisonner de fleur de sel. Sage précaution, car il se produit malgré tout un petit écoulement de jus au fond de la cocotte. Mais fort heureusement Maillard ne désarme pas pour si peu…

La viande a pris couleur, je baisse la flamme, je complète d’une noix de beurre demi-sel, je verse les légumes. Oignon et échalote commencent à fondre, les segments de cive tombent doucement. Je singe avec une cuillerée de farine T65 des Moulins de Versailles.

Je débouche une bouteille de vin portugais acheté à la boutique lusitanienne des halles locales. 

Pas cher, environ six euros… Je vérifie en m’octroyant le fond d’un verre qu’il correspond bien à la vocation culinaire affirmée par le vendeur ainsi qu'à la description trouvée sur Internet :

Couleur rubis. Arômes intenses de fruits sauvages, de fraises et de groseilles et d’eucalyptus. Bouche soyeuse et volumineuse avec des tanins ronds et une finale onctueuse

Bon, ce n’est pas faux…

Mon devoir de vérificateur accompli, je vois que la farine a fini de roussir et je verse les deux tiers de la bouteille dans la cocotte. J’y fais plonger mon bouquet garni, une douzaine de baies de genièvre, une petite cuillerée de poivre de Voatsoperifery. Je me prépare à prélever quelques zestes de citron ou d’orange afin de donner une note d’agrume quand me vient une autre idée. Je soulève le couvercle d’une petite boîte enfermant des baies de Szechuan vertes. Je renifle. Le parfum floral qui se dégage me semble parfait pour rehausser celui d’une sauce de civet. Je prélève une cuillerée. Dilemme… Mortier or not mortier. J’écrase une baie entre les dents. Ce n’est pas bien résistant, après une cuisson longue, leur présence ne devrait pas poser de problème. Allez, oust, dans la cocotte. Je termine par une pincée de gros sel, une autre de quatre-épices et une dernière de cannelle moulue.

Je pense que je n’ai rien oublié. Je ferme la cocotte et l’enfourne à 170 °C.

Au bout d’une heure, je retourne les morceaux de sanglier, et remets au four pour une demi-heure.

Pendant ce temps je pare et nettoie des champignons de Paris. Je les escalope et les réserve arrosés de jus de citron.

Je découenne une tranche de lard séché, portugais comme le vin. Faut bien simplifier l’itinéraire des courses ! Je la partage en petits lardons. Comme j’ai à cœur de bien accomplir mon rôle de vérificateur, aussi bien du solide que du liquide, je m’octroie l’entame. C’est bon. Quoi, je n’ai pas vérifié le sanglier. ? Ben non, pas de suidé cru pour moi. Pour le tænia, j’ai déjà donné ! Le devoir a ses limites.

Bib, bip, bip… Ah, tiens, la demi-heure est déjà passée ? Je sors la cocotte du four, la décoiffe. Je pique la viande de la pointe d’un couteau. Ça y est presque, mais pas tout à fait. Je décide de poursuivre la cuisson sur une vingtaine de minutes. Le niveau de liquide a fortement baissé, je rajoute un verre de vin rouge et, tant qu’à faire, une cuillerée de vinaigre de Maury pour conférer un peu d’acidité.

Je remets au four.

Je profite de ce délai supplémentaire pour sauter rapidement les champignons avec les lardons dans une poêle où une noix de beurre fondue sur un trait d’huile d’olive. Pas besoin de sel, celui du lard suffira.

champignon de Paris, lardons
Lard et la manière

Je débarrasse les quelques petits oignons que j’ai pu extraire de la récolte du jardin de leurs pelures, et je les fais glacer dans une petite casserole - encore trop grande. 

oignons glacés
Roule, ma boule

J’ai pris l’initiative d’ajouter au sel, au sucre et au beurre une petite cuillerée de vinaigre blanc dans la petite flaque d’eau de la cuisson…

C’est le moment de ressortir la cocotte du four. Mon couteau me confirme que la viande est cuite à point. J’évacue le bouquet garni. Je déverse les lardons et les champignons, donne un tour de moulin de poivre rouge de Kampot, brasse délicatement. Les petits oignons glacés atterrissent à la surface du civet.

civet de sanglier
C'est pas de la daube !

Hum, ça sent rudement bon ! Mais hélas ce plat, je ne vais pas le déguster tout de suite. Je préfère le réserver pour le lendemain, afin de laisser tous les arômes s’entremêler, se disputer avant un accord final où chacun trouvera sa juste place.


Ce lendemain est arrivé. 

J’espère qu’il ne déchantera pas.

J’avais prévu de réaliser des spätzle maison, mais je n’en ai pas eu ni le temps (qui a bon dos…) ni le courage (qui est le fond qui me manque le plus - à part le fond de gibier). Je les ai remplacés avantageusement par des knepfle Valfleuri. Que cette honorable maison en soit ici remerciée !


Pendant les dix-huit minutes que nécessite la cuisson de cet accompagnement, je réchauffe doucement le civet en l’enfournant à 130 °C. À la sortie, je place la cocotte découverte sur une petite flamme jusqu’à un début de bloubloutage. Je retire la cocotte du feu, dissous dans la sauce trois fèves de chocolat noir Caraïbe 66 % Valrhona.

Et je m’empare de mon bol de sang. Je l’incorpore doucement petit à petit dans la sauce. Pour être franc, la transformation visuelle n’est pas manifeste. Mais cet ajout ne serait-il que symbolique, il s’agit d’un symbole fort. 

J’ai concocté un VRAI civet!

Je dresse deux assiettes, ajoutant des crôutons de pain que je viens de dorer dans du beurre mousseux..

civet de sanglier
Sanglier entoué de jeunes croûtons


Et en plus, il est délicieux !