mercredi 11 mars 2020

Tropézienne, trop bon ?

En 1955 à Saint-Tropez, Dieu créait la femme.

La femme


En 1955 à Saint-Tropez, Alexandre Micka créait la tropézienne.


La tropézienne

Alexandre Micka eut la bonne idée de breveter sa création.
Dieu pécha par négligence, ne prit pas de brevet, et l’on voit le résultat : de nombreuses contrefaçons de qualité fort médiocre se sont répandues dans le monde…
Néanmoins, il est vrai qu’un brevet n’est pas éternel. Celui de la tropézienne est tombé dans le domaine public en 1992, et depuis cette date des recettes douteuses ont envahi la Toile. Ne sachant à quel saint me vouer, je suis remonté vers la formule du créateur.



Malheureusement, elle ne me convient guère.
Vous me voyez verser 400 jaunes d’œufs dans ma casserole ou casser 150 œufs pour les introduire dans la cuve de mon malaxeur avant de verser 25 kg de sucre ayant atteint le stade du petit boulé ?

J’ai donc différé la réalisation d’une telle pâtisserie, me consolant en dégustant de temps à autre sa cousine, la galette bourgueilloise concoctée par la pâtisserie Brémaud à Bourgueil, petite ville tourangelle où je ne m’arrête jamais sans avoir une pensée pour le regretté Jean Carmet.

La bourgueuilloise



Mais dans sa parution de mars 2020, la revue Saveurs a publié un cours illustré de pâtisserie prodigué par Carl Marletti portant sur la tropézienne.




C’était l’occasion ou jamais de se lancer. !
Voici le résultat.

tropézienne
Tropézienne francilienne

En ce qui concerne la dégustation, c’était plutôt réussi...

tropézienne
Bien dégoulinante de bonne crème



En revanche, côté visuel, un débordement au-dessus du cercle de 18 cm préconisé (pousse trop importante ou hauteur du cercle insuffisante ?) a entraîné un léger débordement disgracieux faussant l’image de galette, et la chaleur de l’air pulsé a conféré un bronzage excessif, même s’il n’a pas nui à la saveur.
J’ai donc noté cette recette dans mes tablettes, car elle mérite d’être reprise en tenant compte des enseignements fournis par cette expérience.

dimanche 8 mars 2020

Le tour de France par un lapin

Je suis né en Vendée, près de Maulévrier, ce qui prouve qu’une mauvaise terre pour mes cousins de garenne peut-être parfaite pour le lapin de race que je suis.
Quand je me vis bien râblé, l’oreille dressée à l’écoute du monde, je résolus de quitter le pays, une bouteille de muscadet sous le bras.
Ma première étape fut un jardin versaillais où je découvris des carottes et des échalotes qui me procurèrent un royal régal. Un verre de vin blanc pour me désaltérer, un brin de thym et une feuille de laurier en dessert, et je repris la route. Un passage par la Capitale - où je ne m’attardais guère, ayant failli plusieurs fois passer sous les roues d’une voiture, n’ayant pas la dextérité de mes frères du Bois de Boulogne ou des talus du périphérique - ne me permit pas d’y trouver les champignons de Paris que j’escomptais. Il me fallut rebrousser chemin et gagner la bonne ville de Saumur : je n’allais tout de même pas aller jusqu’en Pologne afin de garder mon cap vers l’Est.
Un instant j’eus la nostalgie de mon paisible village. Elle n’était pas loin, cette ferme où ma généreuse gouvernante m’apportait ma ration alimentation 100 % végétale, vitamines et minéraux, sans OGM, sans que j’eusse besoin de la réclamer, et que je n’avais rien d’autre à faire que de rêvasser en fronçant le nez et de crotter sans retenue dans un coin de mon appartement, certain que j’étais qu’il allait être promptement nettoyé par un valet dévoué.
Mais je me suis vite ressaisi pour repartir, nanti de mes agarics cavernicoles, vers mon hospitalier jardin versaillais.
Las, ayant confondu Vénus avec l’Étoile Polaire, j’étais en Normandie. C’est ce que me révéla une vache prénommée Marguerite, avec laquelle j’avais sympathisé après qu’elle fut venue regarder quel était ce vagabond poilu qui avait passé la nuit à l’abri de la haie bordant son pré, puis s’enquérir de mes projets. Je ne lui avais pas tenu rigueur du fait qu’en entendant mon vœu de sillonner ma planète, elle se soit métamorphosée en vache qui rit - « Ah, elle est bien bonne, toi qui perds si facilement le nord… » et j’avais suivi son conseil de ne pas quitter sa contrée sans me munir d’un pot de crème.
« Ça, je connais, en Vendée, on en a aussi, mais je n’en ai jamais eu. C’est bon pour un lapin ?
- Que oui ! Tu m’en diras des nouvelles, ça te changera de la ration alimentaire, d’autant plus qu’ici elle est super, la crème, on ne trouve pas meuh…
- Pas mieux !
- Excuse-moi, parfois ma nature bouseuse reprend le dessus.
- Mais non, ne t’en fais pas, tu parles un français au poil, tu m’entendrais quand je couine ou je glapis… »
Bref, nous nous quittâmes enchantés l’un de l’autre, et nous nous promîmes de se retrouver à la même table dans un avenir dont aucun de nous pouvait présumer s’il serait proche ou lointain.
Las, on ne se refait pas. L’orientation et moi… Heureusement que trotter ne me fait pas peur ! Car j’ai visé trop bas, j’ai raté Versailles, et j’ai atterri à Dijon. Aux portes de la ville, je découvris un panneau arborant l’inscription : « Dijon, capitale de la moutarde ».
Je m’enquis de la nature de ce produit auprès d’un hérisson qui faisait sa sieste dans le fossé non loin.
« Ah, la moutarde… Capitale, certes, mais désormais avec des graines de provenance lointaine.
- Des graines ? Mais ça m’intéresse, j’aimerais bien y goûter. Enfin si c’est bon pour un lapin…
- Si c’est bon ? Mais, malheureux, pauvre ignorant, le lapin et la moutarde ont toujours fait bon ménage…
- Bof, je ne savais pas, ce n’est pas un crime. Et toi tu aimes ?
- Le hérisson que je suis ne peut qu’être favorable à tout ce qui est piquant.
- Tu me fais peur…
- Je vois que tu as sous la patte un pot de crème, utilise-la pour adoucir, et tu te régaleras, crois-moi ! »
Je me suis donc procuré un pot de moutarde de Dijon. Comment ? Eh bien par le truchement d’un vieux rat receleur qui s’est contenté de prendre la mine chafouine d’un vieux philosophe et de gémir « La nuit, tous les rats sont gris ! » en levant les yeux au ciel.
En échange, j’ai dû lui donner la moitié de mon pot de crème. Peste soit de ce rat ! Et adieu Dijon. Direction mon jardin préféré.
Sacrebleu, je suis incorrigible ! Je me croyais presque arrivé - bien qu’un peu dérouté par le relief et l’abondance de sapins quand au lieu du panneau « Versailles » espéré je lus « Saverne ». La géographie et moi, ça fait deux, alors je suis retourné dans les bois et je me suis adressé à un chevreuil au port altier qui passait par là.
« Où suis-je ?
- Qui sommes-nous, où allons-nous ? »
C’était bien ma chance, je m’étais adressé à un chevreuil métaphysicien !
Je lui tournais le dos et obtins ma réponse par le biais d’un renard, un rouquin sournois qui lorgnait mes provisions d’un regard concupiscent mais eut néanmoins le mérite de m’informer que j’étais en Alsace. Il ajouta que j’étais bien tombé et qu’il n’y aurait rien de mieux que des spätzle pour m’accompagner.
« Je n’ai besoin de personne pour me tenir compagnie. Je voyage seul, et n’en suis pas mécontent » répliquai-je. Il ricana qu’elles étaient pourtant bonnes pâtes.
Je lui tournais le dos, néanmoins un peu intrigué. La nuit, je m’introduisis dans la ville tout endormie sous ses toits où les nids attendaient les cigognes parties en villégiature ensoleillée. Comme partout il y avait un vieux rat receleur, réplique de celui rencontré à Dijon. Il se faisait fort de me procurer des spätzle - tombées d’un camion affirma-t-il, ce qui n’était pas de bonne augure pour des compagnes de voyage - en l’échange de…
« Ah, non ! Pas du peu qu’il me reste de crème ! ». Il dut se contenter de la moitié de mon pot de moutarde.
Quand je vis les spätzle, je compris que le renard s'était moqué de moi. Il s’agissait de vraies pâtes, en farine et en œuf, et non de compagnes à pattes. Pas plus mal. Et comme le vieux rat n’était pas si rat que ça, il me fit cadeau d’une carte routière pas si rongée que ça en soupirant « Maintenant avec le GPS c’est invendable.. Vous prenez la première ruelle à droite, puis encore à droite après la Bierstub, et vous tombez sur la nationale 4. Après, c’est tout droit. »
Un peu plus tard, je constatai que j’allais pénétrer dans Strasbourg. Je fis demi-tour, repassai par Saverne, faillis donner un petit bonjour au vieux rat si attentionné, mais m’abstins finalement par peur du ridicule.
Le surlendemain, j’étais bien à Versailles grâce à cette précieuse carte


C’est ainsi que je me suis retrouvé avec ce lapin à la carte.


lapin à la moutarde
...ou plutôt au menu


Pour ne pas être en reste, une pincée de curcuma lui a donné de la couleur, et je lui ai offert un bouquet de persil. Je ne sais s’il a apprécié le poivre de Voatsoperifery et les grains de piment de la Jamaïque. En ce qui me concerne, ce fut le cas.
Je lui ai fait cuire ses spätzlze. Gratos. Et il ne m’a même pas remercié. Le lapin est trop souvent ingrat…



spâtzle, lapin à la moutarde, champignons
Spätzle pour un lapin



lundi 2 mars 2020

La malédiction du pormonier

L’histoire bégaie.
Je puis reproduire la première phrase que j’écrivais il y a un an à quelques jours près  :

https://sosgrisbiche.blogspot.com/2019/03/diots-aux-legumes-aux-legumes.html

De bonnes âmes m’ont apporté de Savoie des saucisses locales, des pormoniers, ces diots intégrant des épinards et des poireaux.

pormonier
Pormoniers en habit de voyage


J’ajouterai néanmoins cette précision : il s’agit de la fabrication d’un petit artisan qui les a mis sous vide. Après le périple qu’il a subi d’un retour de montagne, je préfère ne pas laisser traîner ce produit sensible trop longtemps au réfrigérateur. Je me lance donc dans la préparation du repas dont il sera la guest-star.


Je me dirige vers le placard afin de m’emparer du paquet de crozets niché au milieu de ma réserve de pâtes. Mais où qu’c’est-il qu’il est ce fichu paquet ? Je fouille, je farfouille, je tourne, je retourne, j’extrais, je déplace, j’enlève, je remets, je rattrape au vol une boîte de fusilli, ne peux empêcher la chute de spaghetti qui s’en tireront avec quelques fractures, expulse un sachet de lentilles qui n’avait rien à faire là. Je me résous finalement à admettre que, soit ces crozets ont réussi à s’évader de ce local clos pour retourner dans leur Savoie natale - ce qui me paraît peu vraisemblable -, soit ils n’ont existé que dans mon imagination.
Je me passerai de crozets.
Je me dirige vers la rangée de bouteilles alignées pour la cuisine (huiles, vinaigres, vins et autres liquides alimentaires) afin de m’emparer du sauvignon dévolu à la cuisson. Mais où qu’c’est-il qu’il est ce fichu pinard ? Mais oui, là je me souviens, j’ai fini la bouteille en la versant sur mon rôti de veau et j’ai oublié de la remplacer…
Je me passerai de vin blanc.

Il me faut pourtant cuisiner ces pormoniers !
Improvisons une recette… J’avise une boîte d’œufs achetés l’avant-veille au marché, je sais qu’un beau morceau de Beaufort acheté à la coopérative locale qui accompagnait les pormoniers se trouve rangé au frais.  D'ailleurs je l'ai même aperçu en sortant ces saucisses... Je confectionnerai donc une omelette saucisse fromage.
J’ai vu que quelques recettes (sans doute concoctées par des membres de ligues de tempérance…) se contentent d’inviter à cuire ces saucisses dans simplement de l’eau bouillante.
C’est ce que je vais faire, à mon grand regret, espérant que ce ne sera pas la grande lessive.

pormoniers
Quand les pormoniers font pâle figure


Vingt minutes plus tard, je découpe les pormoniers en petits tronçons sur la même planche qui m’a servi à partager le beaufort en petits parallélépipèdes pendant la cuisson.
Ensuite je passe à la finalisation de l’omelette. Cinq œufs battus, force poivre, un peu de sel, le tout versé sur un mélange de beurre et d’huile d’olive.
Dès que le fond est coagulé, j’insère les découpes de pormoniers, tout en continuant à agiter la poêle, puis je parsème des morceaux de beaufort. J’ajoute quelques noisettes de beurre.

pormonier, beaufort, omelette
Quand la Normandie fond sur la Savoie


Aussitôt je pose la poêle sous le gril rougeoyant du four afin de faire fondre le fromage - pas trop longtemps, l’omelette devant rester légèrement baveuse.

omelette, pormonier, beaufort, Savoie
Omelette campagnarde savoyarde


Ben ça y est, mission accomplie ! J’ai bravé la malédiction du pormonier.

jeudi 27 février 2020

Veau très...

Veau très ficelé.
Veau très blanc.
Veau très sauté sur toutes ses faces au fond d’une cocotte dans un peu d’huile d’olive et de beurre en compagnie d’un os.
Veau très content de se vautrer sur l’échalote hachée qui l’a remplacé momentanément, suivie par les pommes de terre du jardin et les tronçons de carotte qui viennent d’être blanchies cinq minutes dans l’eau bouillante salée.
Veau très trempé par le verre de sauvignon versé sur lui.
Veau très parfumé par le bouquet garni allongé à ses côtés, les gousses d’ail, les grains de poivres (Voatsoperifery, blanc de Penja et long), le clou de girofle et le tour de moulin de muscade.
Veau très surpris par une pincée de fleur de sel.
Veau très coiffé par le couvercle.
Veau très dans la moiteur pendant une trentaine de minutes.

rôti de veau, pommes de terre, carottes
Retournement à mi-étape



Veau très content d’être libéré de ses ficelles.
Veau très mécontent d’être découpé.
Veau très cuit.

rôti de veau
En route vers la table


Veau très bon quand même.

Et moi, et moi, et moi…
Vautré sur le canapé pour une bonne sieste digestive.

mardi 25 février 2020

Rien de tielle

Ça m’apprendra !
Je me suis fié à ma mémoire liée à l’improvisation, et voilà le résultat : une tielle difforme qui n’en est pas vraiment une.

tielle, Azaïs Polito
Telle est ma tielle


Pourtant la préparation de ce plat devait être le comble de la facilité, car je disposais d’une garniture toute faite. Il s’agissait d’un bocal préparé par l’excellente conserverie Azaïs Polito.



D'ailleurs, mes jours de flemme culinaire, il m’arrive de temps à autre de me régaler des Encornets farcis à la Sétoise, de la Soupe de poissons frais "petite pêche" ou des Seiches à la Provençale.
L'histoire est simple : après une déception amoureuse avec une tielle rencontrée chez mon poissonnier, et dont les rondeurs aérophagiques masquaient une constitution famélique, ma réaction fut de gaver moi-même ma tielle chérie. Comme ce n’est pas la saison de la tomate, une nourriture pour tielle du commerce devait faire l’affaire - en la choisissant de qualité. De toute évidence, ma maison sétoise devait faire l'affaire.

La veille de l’action, je sors mon bocal du placard et je vérifie dans des sources diverses la nature de la pâte qui enveloppe la garniture de cette spécialité sétoise. Il s’agit bien de pâte à pain. Je rejette d’emblée le badigeonnage au jaune d’œuf qui ne correspond en rien à l’esprit du produit, mais retient la coloration avec du Spigol et la présence d’huile d’olive.
Après ces lectures, je pense que le déroulement futur est dans ma tête. Y a plus qu'à...


Le moment est venu.

Et là j’accumule les erreurs :
> Pour la cuisson, je choisis un cercle de 18 cm de diamètre et 4,5 cm de haut. Ce n’est pas assez large - j’ai découvert le lendemain dans la recette préconisée par Azaïs Polito que je n’avais pas pensé à consulter que la quantité correspond à un moule de 28 cm - donc la couche de garniture n’est pas assez étalée. Et c’est trop haut : la pâte repliée, bien que dépassant à peine les bords, fournit un trottoir excessivement épais.
> Je n’ai pas de Spigol sous la main, je le remplace par des filaments de safran. Ça, c’est plutôt bien. Mais c’est dans de l’eau que je trempe mes filaments, une eau devenue dorée dont je badigeonne le dessus de la tielle. Grave méprise, car c'est à cette infusion flavescente et à des coups de pinceaux sans modération que devait être destinée l’huile d’olive. Et c'est dans le pétrissage de ma pâte à pain que je l'ai introduite, alors qu’elle n’a rien à y faire...
> Je ne perce le dessus que de deux coups de fourchette, ce qui n’offre pas assez d’issues. Le couvercle de pâte se soulèvera et la couche d’air empêchera le contact avec la sauce tomate. Mais comme de toute façon l’huile n’est pas là !

tielle
Avant le four


> Je cuis ma tielle dans le four à 180 °C, ce qui est insuffisant pour la pâte à pain qui se dessèche, d’autant plus que j’ai omis d’introduire un récipient empli d’eau afin de maintenir l’humidité.


Résultat, une garniture abondante, mais dont la présence d’une pléthore de pâte à pain sans moelleux.
De plus le parfum de safran est quasi inexistant, bien que j’aie ajouté l’excédent d’eau de dorure à la garniture.

tielle, pâte à pain
...aux bords cannelés, marqués de quignons (Wikipedia)


Eh oui, une nouvelle fois ma tielle adorée (et à dorer) m’a déçu !

Curieusement le reste réchauffé le lendemain était nettement meilleur, avec sa pâte ramollie et les fragrances des filaments de safran sorties des limbes où elles s’étaient cachées primitivement, je ne sais pourquoi.
Je me promets de lancer une nouvelle Opération Tielle, et pourquoi pas en en réalisant la garniture – quand les tomates prospéreront dans le jardin.

jeudi 20 février 2020

Yeti, yeti pas ?

Hélas, mes connaissances en langue basque sont quasi nulles, sinon j’aurais hésité avant de soulever la capsule qui scellait cette bouteille :

Basa Jau, cidre basque


Pourtant, c’était bien inscrit sur l’étiquette : Basa Jaun

Rien d’étonnant alors à ce que s’échappe du flacon magique un génie poilu dont la tête hirsute frôlait le plafond de ma salle à manger soudain devenue toute petite.

Basa Jaun


Ma première frayeur passée, je me suis réjoui. Le bougre n’avait pas l’air hostile, et même si j’entendais quelques grognements, je n'y ressentais rien d’inamical - pas plus que quand un Béarnais roule les r…
Youpi, j’étais l’Aladin postmoderne !!! 
Je n’avais plus qu’à gérer mes vœux.

Premier vœu :
« Ô, bienveillant Basa Jaun devenu mon serviteur, ne prends en compte mes souhaits qu’après confirmation ! »
C’est vrai qu’avec une langue qui fourche ou une impulsion non contrôlée une catastrophe est vite arrivée….
Mais macache, je vois mon yeti des Pyrénées me regarder avec des yeux ronds. Ouais, restait quand même un problème de langage.
Une solution, le mime.
Je pointe un index vers ma bouche, remue les lèvres, puis dirige ce doigt vers lui, me colle la main en conque contre l’oreille - pourvu qu’il ne s’imagine pas que je vais entonner un chant folklorique- avant de frapper le sommet de mon crâne avec la paume.
Cet homme des bois est plus rapide d’esprit qu’il n'en a l’air. Il lève les bras vers le ciel et agite la tête dans une dénégation désolée.
Je hausse mes deux mains paume en avant à hauteur de torse pour exprimer que ce n’est pas grave et que je vais me débrouiller quand même. Il a compris, il opine du chef.
Je reformule mon vœu : je dirige à nouveau mon index vers lui pour qu'il comprenne qu'il s'agit de lui, tout en me mettant à genoux et en faisant des courbettes, puis je me désigne, exhibe une poigne serrée - je m’ébahis moi-même de l’autorité qui émane de moi -, enfin effectue une rotation horizontale de l’avant-bras droit pour suggérer les recommencements avant d’en quantifier le nombre par un index et un majeur brandis.
Là je ne suis pas certain qu’il ait compris toutes les subtilités de mon discours. En revanche son axe principal, si. Je le vois froncer les sourcils, puis reproduire le début de ma gestuelle, tel un miroir 3D, en différé et les poils en plus.
Force m’est de comprendre que la situation est toute autre que je ne me l’imaginais. C’est moi qui dois concrétiser les vœux du bon (?) géant qui me paraît désormais moins sympathique.

Mais voyons déjà  ce qu’il souhaite...
Je lui fais signe que je l’écoute en portant ma senestre vers l’oreille.
Le monstre des Pyrénées me mime une escalade, puis une redescente. Ben oui, rien d’étonnant, c’est un montagnard, ça je le sais déjà. Mais il continue. De la pointe de ses deux index, il poursuit des larmes fictives qui coulent sur ses joues. Il place une main en visière comme un loup de mer qui scrute l’horizon. Il enchaîne en tanguant de droite à gauche, extrait une pincée de la salière qui se trouve sur la table à côté de lui, se la verse dans le gosier, puis refait mine de pleurer, terminant en levant les bras au ciel et en faisant non de la tête.
Je crois que j’ai pigé : il se plaint de n’avoir jamais vu l’océan. Je vais chercher une carte postale que j’ai reçue d’Audierne l’été dernier : vue de la baie des Trépassés et l’agite sous son nez.



Son visage s’illumine, c’est bien ça.
Je le vois tourner un volant imaginaire. Il n’imagine tout de même pas que je vais l’emmener au bord de la mer, manquerait plus que mes sièges ne soient envahis de poils ! Je me retiens pour ne pas lui adresser un bras d’honneur, mais quand les monstres pyrénéens disent certaines choses, les citadins les écoutent. Et ils rusent. Je pose l’index sur mon front, prends un air complice en clignant de l’œil et lui fais signe d’attendre.
Quelque temps plus tard, je reviens avec du goémon et des huîtres que je me dépêche d’ouvrir, car je sens que mon Basa Jaun s’impatiente.

Ouf, quand j’arrive avec mon plateau je vois que son visage s’illumine...




Basa Jaun et les huîtres, c’est une histoire d’amour qui commence.