Cette année, je n’allais pas laisser passer cette occasion de rendre hommage à ce si délicieux mets, le haggis !
J’organiserai un Burns Night Supper.
Le tout était de se procurer un tel produit frais en la nation de l’influenceur malfaisant Jacques Bodoin. Pas question de l’acheter en boîte, vous me voyez attaquer le fer-blanc avec ma dague pour la cérémonie ! Et s'il existe bien une boutique au cœur de Paris spécialiste des produits anglais introuvables ailleurs, les haggis pansus y sont hélas vendus surgelés.
À force de recherches, je finis par découvrir une boucherie d’Édimbourg qui livre en France à des tarifs plutôt corrects. J’y commande mon Chieftain Haggis, ainsi que divers autres produits scotchisants. Je peux choisir ma date de livraison : ce sera le 22 janvier, un peu avant la festivité.
En effet, le matin de la date prévue, le livreur d’UPS sonne à ma porte et dépose le colis posté la veille au soir en Écosse. Le haggis est là avec ses compagnons charcutiers, au milieu de poches réfrigérantes.
Le 23 janvier, une mise en jambes s'impose pour déjà se plonger dans l’atmosphère des Highlands (eh oui, j’ai une gueule d’atmosphère…). Je fais griller à la poêle sur une noix de saindoux les Award Winning Breakfast Pork Sausages que je détourne cependant de leur vocation matinale.
Avec une salade verte, elles constituent un excellent repas, bien épicées qu’elles sont sous leur croûte caramélisée.
Le lendemain soir, que la fête commence !
En entrée, ce seront des scotch eggs - achetés en catastrophe chez Marks & Spencer pour remplacer la Cullen skink, soupe au haddock primitivement prévue dont le principal ingrédient manquait à l'appel.Pas vraiment de tradition, mais pas mauvais quand même.
L’heure est enfin venue de passer au cérémonial.
Je dépose sur le plat de service (désolé, il n’est pas en argent comme le voudrait la tradition) le haggis que j’avais sorti un peu plus d’une heure et demie auparavant du réfrigérateur, encore préservé par son emballage de plastique sous vide
dont je l’ai débarrassé pour l’emmitoufler de papier d’alu puis l’enfourner à 160 °C, baignant dans 2 cm d’eau à renouveler régulièrement pour maintenir la hauteur d’immersion.
Normalement, ça devrait se dérouler ainsi (avec cependant des variantes de style suivant le lieu ou l'orateur...) :
Mais je n’ai pas de joueur de cornemuse sous la main. Quant à moi, pratiquer cet instrument, même pas en rêve ! Pas plus que je ne serais capable de retenir le texte de Robert Burns et de le déclamer, même en version française :
À un Haggis
Bénie soit votre honnête et attrayante face,
Grand chef de la race des puddings !
Au-dessus d’eux tous vous prenez place,
Panse, tripes ou boyaux :
Vous êtes bien digne d’un bénédicité
Aussi long que mon bras.
Voilà que vous remplissez le tranchoir qui gémit,
La croupe semblable à une montagne lointaine ;
Votre broche servirait à raccommoder un moulin
En cas de besoin,
Tandis que par vos pores coulent des gouttes
Semblables à des grains d’ambre.
Voyez le Travail rustique apprêter son couteau
Et vous couper avec dextérité,
Creusant vos belles entrailles ruisselantes,
Comme un fossé ;
Et alors, oh ! quelle vue glorieuse,
Une vapeur chaude et succulente !
Alors cuillers contre cuillers s’allongent et luttent,
Le diable emporte la dernière, ils poussent en avant,
Jusqu’à ce que leurs ventres tout gonflés bientôt,
Soient tendus comme des tambours ;
Alors le vieux maître de la maison, quasi près de crever,
Marmotte les grâces.
Est-il un homme qui devant son ragoût français,
Ou une olla qui donnerait une indigestion à une truie,
Ou une fricassée qui la ferait vomir
A force de dégoût,
Regarde d’un oeil moqueur et méprisant
Un pareil dîner ?
Pauvre diable ! voyez-le devant ses rogatons,
Et faible comme un roseau desséché ;
Sa jambe grêle est une vraie lanière de fouet,
Son poing une noix.
Lui, se jeter à travers la mêlée et le flot sanglant,
Il en est incapable !
Mais observez le paysan nourri de haggis,
La terre tremblante résonne sous son pas ;
Mettez une lame à son large poing,
Il la fera siffler,
Et il coupera jambes, bras et chefs,
Comme des têtes de chardons.
Ô vous, puissances, qui prenez soin des hommes
Et leur dressez leur menu,
La vieille Ecosse n’a pas besoin de fricot liquide
Qui rejaillit dans les écuelles ;
Mais, si vous souhaitez sa prière reconnaissante,
Donnez-lui un haggis !
(Traduction de Léon de Wailly)
Aussi je me contente de bredouiller une vague louange et de plonger mon tranche lard déguisé en rapière (je ne me souviens plus d'où j’ai pu ranger ce fucking Ka-Bar qui m’aurait pourtant donné fière allure quand je l’aurais brandi après l’avoir sorti de son fourreau…) dans la panse dodue dont la peau s’éclate, découvrant la farce odoriférante. Malheureusement (?), il ne reste aucune trace photographique de ce grandiose épisode, car il est extrêmement difficile de manier à la fois la lame et l’objectif, en tout cas plus que de réunir l’épée et le goupillon.
Ceci fait, je puis disposer à côté du haggis la purée crémée de pomme de terre et l’écrasée de rutabaga qui patientaient au bain-marie et parsemer de ciboulette ciselée.
Et voilà le travail :
Haggis, Neeps & Tatties |
L'heure est maintenant au partage.
Succulentes, ces assiettes, surtout quand on alterne les bouchées avec un de mes whiskys écossais préféré.
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Mais la cérémonie n’est pas finie. C’est le moment de passer au dessert.
Dans les verres faisant office de coupes, un Tipsy Laird Trifle (en français, un trifle du Lord pompette…).
Il est réalisé en suivant (à peu près…) une recette de l’excellente ressource que représente le blog Chez Becky et Liz pour l’amateur de cuisine britannique.
http://www.chezbeckyetliz.com/2015/01/tipsy-laird-trifle.html
Au fond, des morceaux de génoise (maison !), puis une couche de fruits rouges (de chez Picard…) décongelés dans du whisky, le même que celui accompagnant le haggis, une cuillerée de whisky pour faire bonne dose, une louche de crème anglaise réalisée dans la matinée, le tout coiffé de crème fouettée mélangée de miel (ici d’acacia, mais du miel de bruyère eut été plus approprié si j’en avais eu à disposition…).
C’était une construction agréable, car pas trop sucrée.
Et comme il se doit, nous finissons par le fromage. Une part de Blacksticks Blue,
un bleu plutôt crémeux qui mérite sa place sur un plateau, même en France.
Voilà, ce Burns Night Supper 2020 est clos.
Je songe déjà à la Version 2021…