lundi 27 janvier 2020

Scotché à la maison

Au début de ce mois de janvier, la dégustation de saucisses hongroises aux abats m’a fait songer au haggis. J’ai alors pris conscience que la date de la Burns Night était proche.

Burns night supper


Cette année, je n’allais pas laisser passer cette occasion de rendre hommage à ce si délicieux  mets, le haggis !
J’organiserai un Burns Night Supper.


burnsnight



Le tout était de se procurer un tel produit frais en la nation de l’influenceur malfaisant Jacques Bodoin. Pas question de l’acheter en boîte, vous me voyez attaquer le fer-blanc avec ma dague pour la cérémonie ! Et s'il existe bien une boutique au cœur de Paris spécialiste des produits anglais introuvables ailleurs, les haggis pansus y sont hélas vendus surgelés.
À force de recherches, je finis par découvrir une boucherie d’Édimbourg qui livre en France à des tarifs plutôt corrects. J’y commande mon Chieftain Haggis, ainsi que divers autres produits scotchisants. Je peux choisir ma date de livraison : ce sera le 22 janvier, un peu avant la festivité.

En effet, le matin de la date prévue, le livreur d’UPS sonne à ma porte et dépose le colis posté la veille au soir en Écosse. Le haggis est là avec ses compagnons charcutiers, au milieu de poches réfrigérantes.

Le 23 janvier, une mise en jambes s'impose pour déjà se plonger dans l’atmosphère des Highlands (eh oui, j’ai une gueule d’atmosphère…). Je fais griller à la poêle sur une noix de saindoux les Award Winning Breakfast Pork Sausages que je détourne cependant de leur vocation matinale.

Breakfast pork sausage


Avec une salade verte, elles constituent un excellent repas, bien épicées qu’elles sont sous leur croûte caramélisée.

Le lendemain soir, que la fête commence !

En entrée, ce seront des scotch eggs - achetés en catastrophe chez Marks & Spencer pour remplacer la  Cullen skink, soupe au haddock primitivement prévue dont le principal ingrédient manquait à l'appel.

scotch egg


Pas vraiment de tradition, mais pas mauvais quand même.



L’heure est enfin venue de passer au cérémonial.

Je dépose sur le plat de service (désolé, il n’est pas en argent comme le voudrait la tradition) le haggis que j’avais sorti un peu plus d’une heure et demie auparavant du réfrigérateur, encore préservé par son emballage de plastique  sous vide

chieftain haggis


dont je l’ai débarrassé pour l’emmitoufler de papier d’alu puis l’enfourner à 160 °C, baignant dans 2 cm d’eau à renouveler régulièrement pour maintenir la hauteur d’immersion.


Normalement, ça devrait se dérouler ainsi (avec cependant des variantes de style suivant le lieu ou l'orateur...) :



Mais je n’ai pas de joueur de cornemuse sous la main. Quant à moi, pratiquer cet instrument, même pas en rêve ! Pas plus que je ne serais capable de retenir le texte de Robert Burns et de le déclamer, même en version française :

À un Haggis

Bénie soit votre honnête et attrayante face,
Grand chef de la race des puddings !
Au-dessus d’eux tous vous prenez place,
Panse, tripes ou boyaux :
Vous êtes bien digne d’un bénédicité
Aussi long que mon bras.

Voilà que vous remplissez le tranchoir qui gémit,
La croupe semblable à une montagne lointaine ;
Votre broche servirait à raccommoder un moulin
En cas de besoin,
Tandis que par vos pores coulent des gouttes
Semblables à des grains d’ambre.

Voyez le Travail rustique apprêter son couteau
Et vous couper avec dextérité,
Creusant vos belles entrailles ruisselantes,
Comme un fossé ;
Et alors, oh ! quelle vue glorieuse,
Une vapeur chaude et succulente !

Alors cuillers contre cuillers s’allongent et luttent,
Le diable emporte la dernière, ils poussent en avant,
Jusqu’à ce que leurs ventres tout gonflés bientôt,
Soient tendus comme des tambours ;
Alors le vieux maître de la maison, quasi près de crever,
Marmotte les grâces.

Est-il un homme qui devant son ragoût français,
Ou une olla qui donnerait une indigestion à une truie,
Ou une fricassée qui la ferait vomir
A force de dégoût,
Regarde d’un oeil moqueur et méprisant
Un pareil dîner ?

Pauvre diable ! voyez-le devant ses rogatons,
Et faible comme un roseau desséché ;
Sa jambe grêle est une vraie lanière de fouet,
Son poing une noix.
Lui, se jeter à travers la mêlée et le flot sanglant,
Il en est incapable !

Mais observez le paysan nourri de haggis,
La terre tremblante résonne sous son pas ;
Mettez une lame à son large poing,
Il la fera siffler,
Et il coupera jambes, bras et chefs,
Comme des têtes de chardons.

Ô vous, puissances, qui prenez soin des hommes
Et leur dressez leur menu,
La vieille Ecosse n’a pas besoin de fricot liquide
Qui rejaillit dans les écuelles ;
Mais, si vous souhaitez sa prière reconnaissante,
Donnez-lui un haggis !

(Traduction de Léon de Wailly)

Aussi je me contente de bredouiller une vague louange et de plonger mon tranche lard déguisé en rapière (je ne me souviens plus d'où j’ai pu ranger ce fucking Ka-Bar qui m’aurait pourtant donné fière allure quand je l’aurais brandi après l’avoir sorti de son fourreau…) dans la panse dodue dont la peau s’éclate, découvrant la farce odoriférante. Malheureusement (?), il ne reste aucune trace photographique de ce grandiose épisode, car il est extrêmement difficile de manier à la fois la lame et l’objectif, en tout cas plus que de réunir l’épée et le goupillon.

Ceci fait, je puis disposer à côté du haggis la purée crémée de pomme de terre et l’écrasée de rutabaga qui patientaient au bain-marie et parsemer de ciboulette ciselée.
Et voilà le travail :

haggis, neeps and tatties, burns night
Haggis, Neeps & Tatties

L'heure est maintenant au partage.

haggis


Succulentes, ces assiettes, surtout quand on alterne les bouchées avec un de mes whiskys écossais préféré.


whisky, rock oyster

.

Mais la cérémonie n’est pas finie. C’est le moment de passer au dessert.
Dans les verres faisant office de coupes, un Tipsy Laird Trifle (en français, un trifle du Lord pompette…).
Il est réalisé en suivant (à peu près…) une recette de l’excellente ressource que représente le blog Chez Becky et Liz pour l’amateur de cuisine britannique.

http://www.chezbeckyetliz.com/2015/01/tipsy-laird-trifle.html

Au fond, des morceaux de génoise (maison !), puis une couche de fruits rouges (de chez Picard…) décongelés dans du whisky, le même que celui accompagnant le haggis, une cuillerée de whisky pour faire bonne dose, une louche de crème anglaise réalisée dans la matinée, le tout coiffé de crème fouettée mélangée de miel (ici d’acacia, mais du miel de bruyère eut été plus approprié si j’en avais eu à disposition…).

trifle, tipsy laird


C’était une construction agréable, car pas trop sucrée.

Et comme il se doit, nous finissons par le fromage. Une part de Blacksticks Blue,

Blacksticks blue


un bleu plutôt crémeux qui mérite sa place sur un plateau, même en France.



Voilà, ce Burns Night Supper 2020 est clos.

Je songe déjà à la Version 2021


jeudi 23 janvier 2020

Mon jumeau

Mon jumeau est allongé sur la table. Je m’empare d’un couteau et m’approche..
Rassurez-vous, bien que né sous le signe des Gémeaux, je n’ai pas de frère jumeau, mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do. Il n’y aura pas de drame familial : il s’agit d’un jumeau de veau. Mais non, pas le frère, non, mais un morceau sorti de ce veau. De la cuisse, pour être plus précis. On ne sort pas toujours de la cuisse de Jupiter, parfois l’on sort de la cuisse d’un veau. La vie est ainsi faîte !
À côté, il y a aussi une queue. De veau elle aussi. Je n’ai pour le moment pas à m’occuper d’elle : elle a déjà été tronçonnée et ficelée par le boucher. En revanche, il me faut découper le jumeau en gros cubes.
C’est chose faite. Maintenant c’est un oignon paille et une carotte que je tranche, l’un en grosse brunoise, l’autre en rondelles d’un demi-centimètre d’épaisseur. J’épluche dans la foulée quatre gousses d’ail.
Pour continuer ma mise en place, je sors une feuille de laurier, une branche de thym, une autre de romarin, je dégoupille une boîte de tomates pelées San Marzanno dell Agro Sarnese Nocerino DOP qui traînait dans le placard et débouche une bouteille de Gros-Plant du Pays nantais. Enfin j’écrase au mortier sur une pincée de gros sel quatre baies de piment de la Jamaïque, une douzaine de grains de poivre blanc de Penja, sept grains de poivre de Voatsiperifery et deux clous de girofle en y ajoutant une cuillerée de paprika doux.
La mise en place est terminée, je pose une cocotte en fonte sur le feu, en recouvre le fond d’une cuillerée d’huile d’olive, et fais revenir les morceaux de veau assaisonnés jusqu’à coloration sur toutes les faces. Je réserve cette viande sur une plaque, baisse la flamme et fait suer le taillage d’oignon et de carotte parsemé de sel fin. J’ajoute les gousses d’ail, puis déglace avec un verre de vin blanc que je porte à ébullition. Se joue alors la grande scène : le jumeau et la queue, le retour. Ceci fait, je recouvre du contenu de la boîte de tomates, plonge les herbes et ajoute le contenu du mortier.

jumeau de veau, queue de veau
La queue pour les tomates


Je prévois de laisser la cocotte mijoter à feu doux durant environ trois quarts d’heure en retournant les morceaux de viande de temps à autre.
Aussitôt cette cuisson lancée, j’extrais cinq anchois salés de leur bocal.



Je les mets à dessaler pendant une demi-heure dans un petit bac empli d’eau glacée. Pendant ce temps j’épluche et partage en deux des topinambours que je réserve dans l’eau citronnée d’un bac.
Je taille des lardons dans un morceau de lard paysan d’Alsace et les fais sauter à sec jusqu’à ce qu’ils deviennent translucides au fond d’une poêle antiadhésive. Je réserve.

lard paysan d'Alsace
Un jumeau pour les lardons


Bon, les anchois devraient être maintenant dessalés. Il me faut les fileter.

anchois salés, Collioure
Pas de vice dans le filetage


Une fois cette opération effectuer, j’intègre ces filets d’anchois dans la cocotte, les déposant à la surface de la sauce qui a déjà bien réduit.

sauté de veau, anchois
Opération terre-mer


Il ne reste plus qu’une dizaine de minutes avant la fin de la cuisson du veau. Je plonge les topinambours dans l’eau bouillante salée et citronnée.

Il ne reste plus que cinq minutes avant la fin de la cuisson du veau. Je fais tomber les lardons dans la cocotte. Je donne un tour de moulin de poivre rouge et vivifie la sauce du jus d'un demi-citron.

queue deveau, jumeau de veau, anchois, lardons
Retour sur terre


Il ne reste plus que zéro minute avant la fin de la cuisson du veau.



Je sors de la cocotte le fagot de tronçons de queue pour le déposer au fond du plat de service où je le débarrasse de la ficelle qui l’entoure. Suivent les morceaux de jumeau qui ont bien rétréci, il faut l’avouer, mais c’est pour la bonne cause : ils ont dispensé leur gélatine et rendu la sauce onctueuse. Une sauce que je m’empresse de déverser sur le plat avant de le réserver au four à 60 °C, le temps que le légume accompagnateur soit prêt.

sauté de veau
Fin de cuisson


Instants que je mets à profit pour ciseler une poignée de feuilles de persil plat.

Ça y est le topinambour est à point, je l’ai vérifié à l’aide de la pointe d’un couteau. Je le transfère à l’aide d’une araignée dans un plat en porcelaine petit frère de celui qui contient le sauté de veau, le parsème du persil ciselé.

Il ne restera plus qu’amener le tout sur la table de la salle à manger

Topinambours




Sauté de veau décoré de caprons



et à panacher dans les assiettes la tendre facilité des morceaux de jumeau et la goûteuse complication des tronçons de queue de veau.

mercredi 22 janvier 2020

Carry-d'en-Terre




Une telle liesse festive, ça ne vous tente pas ?
Moi, pas tant que ça…
Du moins pas jusqu’à ce que je me sois approché et vu le contenu des assiettes.



Car nous sommes aux oursinades de Carry-le Rouet, où ces agapes traditionnelles (tu parles, depuis les années soixante…) attirent quelques Provençaux et beaucoup de pigeons.
Mais voilà, je suis tombé sur un reportage télévisuel (félicitations aux organisateurs pour l'efficacité de leur comm concernant ces rendez-vous de janvier et février !)  montrant ces orgies d’oursins, et la vision de ces assiettes pleines de piquants m’a alléché.

Pas question de me rendre là-bas, mais si je ne vais pas à l’oursinade, l’oursinade ira à moi. Oui, cette idée m’a trotté dans la tête, et plus elle est revenue, plus elle m’a… elle m’a… sacrebleu, c’est bien ma chance, on m'a refilé un verbe défectif, le seoir est tombé et il n’en reste que des morceaux ; mais ce n’est pas grave, je vais réparer ça, voilà c’est fait : plus cette idée est revenue, plus elle m’a sis !

Le lendemain, l’idée me sied toujours, et je me fais ma petite oursinade en solitaire (Madame n’est pas fan de la châtaigne de mer…), bien loin de la côte méditerranéenne, en pleine terre francilienne.
De toute façon, là-bas ou ici, ce sont les mêmes bêtes : elles arrivent tout droit de Galice (heureusement pour cette pauvre Méditerranée déjà suffisamment exploitée), et elles ont parcouru la même distance, 1500 km environ…

oursinade
Sur la table de Carry-d'en-Terre


Oui, vraiment, mon oursinade d’appartement est une réussite. J’ai bien l’intention d’en faire une tradition !

dimanche 19 janvier 2020

Austro-Hongrois, en pire....

L’histoire bégaie…

Encore des malgré-nous en Alsace !
Sous la férule d’un Empire Austro-Hongrois ressuscité de braves Knackwürste strasbourgeois se sont vus enrôlés de force dans le corps des Wiener Wûrstchen pour monter à l’assaut à côté des féroces Káposztával Töltött Paprika hongrois.

Káposztával Töltött Paprika, poivrons farcis, Hongrie, knacks
Paprikas farcis de choux à l'aigre doux, knackwurtzs


Mon palais fut incendié par ces Magyars sans pitié qui l’ont investi, piétinant au passage les betteraves rouges de mon jardin. En comparaison, en dépit de leur dotation en gaz raifort, nos Bas-Rhinois n’étaient que des enfants de chœur.
Rien de nouveau. Un précédent comparatif m’avait déjà poussé à rédiger ce constat :
La capsaïcine a battu la gluconasturtiine par KO !

De toute façon, j’aurais dû me méfier, considérons les blasons de l’Empire Austro-Hongrois : ce ne sont que sens interdits !



jeudi 16 janvier 2020

Etcheworst

On ne dira jamais assez les méfaits domestiques des émissions culinaires.

C’est ainsi que je me trouve ce jour tel un candidat à cet objectif que je ne vise pourtant pas : Top Chef.

Ce matin mon épouse est revenue du marché en brandissant un sac bleu :
« Aujourd’hui, queue de lotte ! »
Je me creuse les méninges et visite le garde-manger à la recherche des ingrédients aptes à sublimer  ce poisson de pêche traditionnelle bretonne dont la fraîcheur est remarquable.
Ma première idée est de m’orienter vers une préparation à tendance exotique épicée.
Las, je m’aperçois que le stock de crème de coco est épuisé, il va falloir changer mon fusil d’épaule. Pourquoi ne pas utiliser de la crème fleurette classique et accompagner de pâtes ?
Je commence par réaliser une garniture aromatique en taillant en fine brunoise la moitié d’une carotte, une échalote et les chutes d’un petit oignon violet dont j’ai prélevé au niveau de l’équateur six cercles destinés au dressage. Je découpe en outre six pointes allongées dans le reste de la carotte.
Je fais suer ma brunoise dans une noix de beurre demi-sel puis l’arrose d’un grand verre de bouillon de crustacés (ouais, Ariake…). Suivent 25 cl de crème fluide entière de Normandie. J’assaisonne d’une pincée de sel et d’une petite cuillerée de cinq-épices. Je fais réduire à feu doux jusqu’à obtenir une sauce nappante. Je réserve.
À ce moment, un passage inopiné dans la cuisine :
« Au fait, as-tu vu le sachet de crevettes grises que j‘avais acheté pour la sauce ? »
Ben non, je ne l’avais pas vu… Pas mal concocté, ce coup de l’ingrédient surprise imposé !
Et me voilà en train de décortiquer en catastrophe mon lot de petites bestioles. Ce faisant, en enlevant les têtes et les carapaces, je me prends à regretter le bon jus parfumé que j’aurais pu réaliser grâce à elles… Trop tard, j'ai bien été piégé !
J’hésite à incorporer ces queues de crevettes grises dans ma sauce. Finalement je les réserve pour les ajouter au moment du dressage.
Je verse mes pâtes, des castellane bien conçues pour s’imprégner de sauce, dans l’eau bouillante salée. Je les égoutte après les 9 minutes de cuisson préconisées et les réserve sur un plat au four à 60 °C.
Ma dernière étape consiste à glacer les pointes de carottes au fond d’une casserole avec pincée de sel, pincée de sucre, noisette de beurre et eau à effleurement avant de plonger mes deux moitiés de queue de lotte que j’ai tranchées en trois dans la sauce, remise à température sur une petite flamme et bloblotante, où je les laisse cinq minutes en les retournant régulièrement.

J'applique alors toute mon attention dans le dressage.
Sur un côté de l’assiette j’allonge les morceaux de lotte séparés de deux centimètres environ. De l’autre côté je dispose les castellane en essayant de les répartir harmonieusement en petits fagots de trois, deux ou quatre pièces. Je verse à l’aide d’un petit pochon la sauce brassée afin de bien mélanger la brunoise et à laquelle j’ai ajouté le jus revivifiant d’un demi-citron vert. Trois aiguilles de carottes apportent leur note colorée et pointent vers le lieu où je pense imposer le vert d’un feuillage de persil. Je place les trois cercles de façon décentrée, l’un étant rompu et devenu volute. Je saisis les crevettes avec une pince pour choisir avec précision leur lieu d’atterrissage sur l’assiette. Une nouvelle tournée de sauce vient les recouvrir, à l’exception d’un petit groupe ternaire voué à mettre en évidence la présence de ces crustacés. Je fais tomber une petite pluie de persil ciselé, parsème les morceaux de lotte d’une petite pincée de zeste de citron vert. Je donne quelques tours de moulin de poivre rouge en préservant la zone blanche recouvrant le poisson. J’érige mon bouquet de feuilles de persil.
Je sens qu’il manque quelque chose, alors l’idée me vient d’apposer un trio de tranches d’ail confit d’Aomori au noir profond.
On avouera que je me suis donné du mal !

Aussi c’est en tremblant que je fais l'offrande de cette assiette à la critique.



lotte, blanquette, carotte, ail noir, castellane
Blanquette de lotte en noir et rouge


« Hum, le tout me semble bien ramassé, la disposition manque de clarté. »
Ouais, bien sûr, mais on n’a pas mis d’assiette assez grande à ma disposition.
« Les cercles d’oignon font un peu décharge avec de vieux pneus… »
Bon, j’admets la critique mais il ne faut quand même pas exagérer !
« Quant au goût, c’est plutôt bon. »
Ah, quand même !
« Mais je n’aime pas les morceaux d’ail noir, j’aurais préféré le retrouver découpé finement un peu partout. »
Mais non, c’est voulu, il y aurait eu alors une saveur de trop qui aurait tué l’équilibre de la sauce, l’ail a été ajouté comme un condiment. Un condiment, j’insiste !
« Cette petite queue de lotte était quand même un produit de qualité exceptionnelle... Elle devrait être mieux mise en évidence.»

Etchebest, sors de ce corps !
Finissons en de mon cauchemar en salle à manger.

mercredi 15 janvier 2020

Peau-dorée et visage pal





LE PAL EST MORT

Jean-Pal Ier


VIVE LE PAL !

Jean-Pal II


En effet mon empaleur domestique en céramique a été victime d’un malheureux accident suite à une chute. Je me trouvais donc fort dépourvu quand le poulet fut venu…
Fort heureusement un successeur a pris la suite. Un costaud ! En effet il est en fonte, celui-ci.

Son règne a commencé sous les meilleurs auspices.
Je lui ai offert un beau poulet de Landes troussé par mon volailler.

La marche de l'Empaleur

Après l’avoir assaisonné de sel fin à l’extérieur, je glisse à l’intérieur, que je viens de tapisser d’une pincée de gros sel, la découpe d’un petit oignon et une échalote, deux gousses d’ail fumé d’Arleux non épluchées, des queues de persil, une feuille de laurier, une branche de thym, un clou de girofle, des grains de poivre rouge et de poivre Voatsiperifery, ainsi que quelques baies de piment de Jamaïque, le tout en alternance avec de noisettes de beurre.
En suppliciant la bête, je m’aperçois que la pointe faisant fonction de pal est plus effilée que celle de mon défunt ustensile, ce qui me facilite la tâche et laisse plus d’espace pour la garniture aromatique intérieure. En revanche elle n’est pas mobile, le plat est d’une seule pièce, ce qui compliquera les rotations éventuelles à l’intérieur du four… Mais finalement la circulation de l’air chaud autour du poulet ne rend pas ces interventions bien nécessaires.
Je dispose au fond du plat des pommes de terre grenaille, un mélange de récolte impromptue du jardin et d’achat chez le maraîcher. J’y ajoute le gésier, un petit oignon tranché en quatre, une échalote et une gousse d’ail du jardin dégermée. Une pincée de sel, une petite feuille de laurier, une branchouillette de thym, un peu de persil, un grand verre d’eau, et c’est parti !
J’enfourne à four froid et place le thermostat à 180 °C pour une heure. Sans oublier le foie pour les dernières cinq minutes.

Au bout de ce temps, je sors un poulet à la peau cloquée bien croustillante. Je le dépose sur une planche. Les pommes de terre dont bien cuites, je les prélève avec une araignée pour les déposer sur un plat en inox que j’enfourne à 190 °C afin d’obtenir une croûte dorée enveloppant la chair moelleuse.
Pendant que le poulet repose et que les tubercules bronzent, je laisse la graisse remonter à la surface au fond du plat et en évacue la majeure partie par le verseur dans l’évier (quelqu’un de plus économe que moi aurait pu peut-être la mettre de côté pour une cuisson ultérieure…). Puis je verse une cuillerée de sauce teriyaki au tabasco L’avantage de la fonte, c’est qu’elle me permet de simplement poser le plat sur la flamme pour la réduction que je poursuis pendant la découpe du poulet.

poulet rôti, sauce
Vue sur le jus déchaîné


Je suis rassuré, la chair est moelleuse, mais a conservé ce qu’il faut de fermeté.

Poulet rôti à la vertical, pal
Je viens de dépaler


Le jus a réduit.

jus de poulet, réduction
Réduction du domaine  de ma lutte


Je le verse dans une saucière en relevant de plusieurs tours de moulin de poivre rouge.

jus de poulet
Le compte de mon moulin


Je sors les pommes de terre du four. Elles sont comme je le souhaitais.

poulet rôti, grenaille
Grenaille croûtée


À table !!!


Eh oui, j'avais bien tort de me faire du mauvais sang après la disparition de mon Dracula...

lundi 13 janvier 2020

Carbonarament correct

Les recettes de pâtes carbonara que j’ai publiées sur ce blog auraient engendré la consternation d’une mamma italienne dans le cas hautement improbable qu’elle se soit aventurée dans la lecture de ces pages.


Que dis-je, le remplacement de la guanciale par la vuletta corse et du pecorino par de la tome de brebis basque m’aurait valu d’être maudit jusqu’à la cinquième génération.
J’aurais peut-être eu droit à plus d’indulgence envers l’utilisation d’un bête parmesan de supermarché à la place d’un bon pecorino, me faisant seulement accuser de "cagare fuori dal vaso"

Encore que… La tradition est-elle si stricte ? Une amie venant de se marier à un Italien s’était empressée, toute fière qu’elle était de ses connaissances culinaires nouvellement acquises au cours d’un stage de cuisine donné en Lombardie par la mère de son époux (était-ce la mamma ou le fiston qui était à l’initiative de cette précaution ?) nous avait fait jadis une démonstration de confection de tagliatelles à la carbonara. Après avoir avec maestria pétri la pâte ensuite étalée finement au rouleau à pâtisserie, enroulée façon tapis et tranchée afin d’obtenir d’étroites lanières, elle avait fait revenir des lardons. Dans les assiettes les tagliatelles cuites al dente ("al dente", cette expression jaillissait de ses lèvres comme un baiser envoyé à son beau transalpin - au fait en quel lieu l’absent était-il à cet instant ?) étaient parsemées des lardons dorés et d’un jaune d’œuf. Mais surtout elles venaient d’être arrosées de crème fraîche agrémentée d’un sachet de parmesan râpé. Eh oui, de la crème fraîche, ce produit dont la présence dans la carbonara confère désormais au cuisinier le statut de franchouillard invétéré, bref, un brevet de ploucquitude… Et pourtant je n’ai que rarement connu une transmission aussi directe d’une recette transalpine familiale !

En tout cas il est certain qu’une mamma partagerait mon indignation devant cette mésaventure dont je fus la victime au cours des années quatre-vingt-dix dans une petite pizzeria de province.
Le lieu, en haut de marches bordant une petite place, m’était familier. Jadis un marchand de vanneries diverses y avait un magasin où, dans la vitrine, était allongé à perpétuité un fennec que l’on aurait pu croire empaillé s’il n’avait de temps à autre affiché un bâillement ostentatoire, entrouvrant quelques secondes les yeux pour jeter un regard ennuyé mais dénué d’hostilité vers le chaland dont l’ombre avait dû le déranger, un passant tout étonné de contempler cette brève résurrection se terminant avant le retour à la somnolence par un bref tressautement dans la quête improbable d’une position plus confortable.



Le rotin et l’osier ne faisant vraisemblablement plus recette, ce magasin avait été remplacé par l’échoppe d’un coiffeur cyclotouriste dont les récits d'exploits dominicaux au cours des randonnées organisées par son club me saoulaient quand j’avais le malheur d’y mettre les pieds - ou plutôt le crâne - afin de me faire rafraîchir la coupe capillaire et que j’avais échoué, malgré des pronostics issus de savants calculs de probabilité et de gestion des files d’attente basés sur les observations ex situ à travers le vitrage au fennec disparu, dans ma volonté d'être confronté aux mains plus expertes de son jeune assistant - l’élève ayant dépassé le maître - mais surtout à son discours se limitant au strict nécessaire de taiseux congénital.

Et désormais c’était une pizzeria toute neuve aux croisées rutilantes d’une peinture à peine sèche qui faisait entrer la petite place dans la modernité. Réjoui de constater un tel dynamisme dans cette bourgade qui entamait déjà sa décrépitude commerciale en centre-ville, je ne pouvais que contribuer à la résistance en franchissant le seuil de ce restaurant.
« Vous avez fait votre choix ?
- Oui, oui. Madame a choisi une escalope à la crème, et pour moi ce seront des spaghettis à la carbonara.
- Oh, je m’excuse, mais nous venons d’ouvrir, je n’ai pas encore été livré en sauces, je ne peux donc pas vous servir cette carbonara… »
Il y avait de la crème aux cuisines, l’escalope en a fourni la preuve, le pizzaïolo cassait des œufs pour les déposer sur les pizzas, les pâtes barbouillées d’un coulis de tomate - le même sans doute sorti d’une boîte de 5 litres que celui dont le préposé tartinait ses disques avant de les enfourner - étaient parsemées de parmesan râpé.
À la guerre comme à la guerre, je me serais contenté d’une brave carbonara à la bonne franquette, de celle dont on se satisfait le plus souvent à juste titre dans les chaumières hexagonales de l’Hexagone, car le plaisir y est bien présent dans les saveurs. Tous les ingrédients étaient là pour me donner satisfaction. Mais non, Monsieur le propriétaire de cette gargote avait préféré plutôt que de sauver du chômage un cuisinier compétent faire appel aux sauces toutes faites de l’industrie agroalimentaire… Je suis tombé sur ce lien qui peut donner une idée de ce que renferment de tels produits :

AH, LA BONNE SAUCE !

Beurk !
Au choix je préfère me concocter ce plat ultra-simple : brasser les pâtes sorties de l’eau al dente avec une cuillerée de concentré de tomate, une bonne noix de beurre, et, si l’on a la flemme de sortir la râpe, quelques lamelles découpées dans un morceau d’emmenthal posé sur la table. Un peu de poivre moulu, et le tour est joué. Régal garanti !


Mais ce soir, ce sont des SPAGHETTI ALLA CARBONARA préparés en respectant les exigences du carbonarament correct qui sont à l’ordre du jour.

Pour ce faire, des produits italiens acheté chez le traiteur des halles - sauf les œufs bien entendu… :
- 1 paquet de 1 kg de Spaghetti Martelli, des pâtes artisanales de la région de Pise dont je prélèverai une poignée, soit environ 200 g.



- 250 g d’épaisses tranches de guanciale
- 1 gros morceau de pecorino dont je râperai la quantité nécessaire pour obtenir une crème avec les œufs utilisés.

Je mets à cuire les pâtes dans une grande quantité d’eau salée suivant la classique formule magique 1000-100-10.
Pendant les 10 minutes prescrites pour la cuisson, je découpe les tranches de guanciale en lardons

guanciale
Et que je te taille les bajoues !

 que j’étends à sec au fond d’une poêle posée sur flamme moyenne.
Je bats 3 jaunes d’œufs et 1 œuf entier.

Les lardons ont rendu leur graisse et sont caramélisés.

guanciale
La fonte des bajoues


Je les extrais avec une pince et les réserve.
Je verse le liquide de la poêle dans les œufs battus et fouette vigoureusement. J’incorpore du pecorino râpé jusqu’à avoir une consistance crémeuse et poivre abondamment.

spaghetti carbonara, guanciale, pecorino
Pas de carbonara sans casser des oeufs


Je détends cette sauce avec une louchée de l’eau de cuisson.

sauce carbonara
La minute de détente


Ça y est, le timer sonne, m’indiquant que les pâtes sont cuites. Je les sors à l’aide d’une cuillère à spaghettis et les dépose dans la poêle de cuisson du guanciale.
Je verse progressivement le mélange d’œufs et de pecorino en brassant, et incorpore la moitié des lardons, la poêle ne faisant que brefs passages au-dessus d’un feu minimaliste.

spaghetti alla carbonara
La minute de vérité


Pour cette fois ce sera un service à l’assiette, les spaghettis étant déposés à l’aide d’un diapason autour duquel ils sont enroulés. Une dernière pluie de lardons de guanciale bien grillés et de pecorino râpé, des tours de moulin de poivre, et ces pâtes à la carbonara académiques peuvent passer sur la table.

spaghetti alla carbonara
Mises au diapason...


Personne ne pourra m’accuser de manquer de respect envers une tradition… datant de l’après Seconde Guerre mondiale !