jeudi 17 octobre 2019

Sauce qui peut !

Que faire du reste de la récolte pléthorique de tomates San Marzano, sinon le transformer en sauce, car autant cette variété charnue est savoureuse sous cette forme, autant elle est décevante sous forme de salade, car d’une texture un peu farineuse guère agréable ?


tomate san marzano
Dans le catalogue...


Que faire de cette sauce, sinon de la servir avec des pâtes ?
Or au magasin de petits producteurs sis à la frontière du Haut Poitou et de la Touraine je suis tombé sur un rayon de pâtes fabriquées par un agriculteur local là partir de ses céréales. Certains paquets arboraient fièrement une étiquette : L’Attrap’Sauces.


farines semi complétes
Dans l'Epicurie


Espérant qu’il ne s’agissait pas plutôt d’un Attrap’Couillons, j’ai donc lancé illico l'Opération Marzano’s Rescue
Pour m'en donner les moyens, profitant du fait que c’était le jour du marché, j’ai acheté chez le poissonnier une douzaine de petits encornets et un sachet de moules de bouchot.


De retour à la maison, pendant que mes tomates émondées compotaient doucement sur un bon trait d’huile d’olive avec deux gousses d’ail, une feuille de laurier, des herbes aromatiques du jardin, une petite cuillerée de grains de poivre à queue, une pincée de pistils de safran, deux clous de girofle, j’ai préparé mes ingrédients marins.
J’ai débarrassé les encornets de leur peau, enlevé les entrailles et la plume, conservé les tentacules et le corps découpé grossièrement. Une fois bien lavé, j’ai réservé.
J’ai gratté les moules, enlevé le byssus. Visiblement toutes étaient bien fraîches. Je les ai mises de côté jusqu’à ce que la compotée de tomates ait bien réduit.

La sauce tomate est prête, j’ôte les branches de romarin, de thym et d’origan, je rectifie l’assaisonnement, incorpore une petite cuillerée de piment d’Espelette, le jus d’un demi-citron, et je la transvase dans une poêle. Je fais s’ouvrir les moules au fond d’une casserole avec un demi-verre de vin blanc, une gousse d’ail, une branche de romarin. Je les décortique, en préservant six pour la présentation. Le jus filtré rejoint la sauce.
Je balance les pâtes dans de l’eau bouillante salée. Les quatre minutes que dure la cuisson me suffisent pour incorporer la découpe d'encornets qui va cuire rapidement dans la sauce frémissante, ajouter les moules décortiquées et brasser le tout quelques secondes avant de sortir les pâtes que je dépose dans la poêle. Je tente de mélanger, mais l’Attrap’Sauces n’attrape pas si bien que ça, et aussi bien encornets que moules se refusent à faire surface Tant pis, ces bestioles rétives seront quand même bien présentes dans les assiettes, et l’on se chargera de les mener vers nos papilles manu militari
Faute de mieux, je rappelle la présence des fruits de mer par mon sextuor baillant, et je découpe un quartier de citron qui s’ajoute au décor en compagnie de quelques feuilles de persil.


pâtes aux fruits de mer; moules,encornets
Opération Marzano's Rescue réussie!


Que dire des attrapeuses de sauce ?
Leur compétence pour ce boulot ne semble pas évidente À leur décharge, il s’agit d’une compotée plutôt que d’une sauce onctueuse. Je suis un peu dérouté par la texture, qui n’est pas celle de mon al dente habituel. Il est vrai qu’au blé dur s’ajoute du blé tendre et qu’aucun œuf n’entre dans la composition. Mais ce qui me trouble le plus, c’est la saveur puissante que confère l’utilisation de céréales semi-complètes qui tend à écraser les autres parfums. J’en arrive à penser que ces Attrap’Sauces devraient changer leur fusil(li) d’épaule et se reconvertir en Attrap’Motte. Un bon beurre fermier, ces pâtes, et ce sera toute la saveur de la glèbe dans son assiette !

mardi 15 octobre 2019

Journal d'une forme de chanvre



sardines, vinaigre de Xérés, huile de chanvre
Batavia assaisonnée huile de chanvre et vinaigre de Xérés, sardines sablaises grillées


Vendredi, Monsieur m’a léchée d’abord avec la curiosité de la nouveauté, puis voluptueusement.
« Tu sens l’herbe fraîche et la noisette », m’a-t-il dit. Puis est arrivé le hautain Vinagre de Xeres. Notre union n’a pas manqué de sel ni du piment ajouté par un poivre aphrodisiaque.
Mais ce n’était pas fini, Batavia s’est jointe à nous. Les joues rougies par la honte elle n’arrêtait pas de seriner « Qu’est-ce qui va m’arriver ? ». J’ai préféré ne pas lui répondre, de toute façon elle est dure de la feuille.
Et tout ça sous l’œil lubrique de sardines bien échauffées…

Je n’aurais jamais dû quitter ma ferme de Mirebeau !

lundi 14 octobre 2019

Aller-retour vers le passé

Ne voilà-t-il pas qu’un verre de bernache me fait entrer dans les couloirs du temps !



Je vais au marché, et une paysanne me propose des pêches de vignes, pas de celles vendues désormais par les marchands de primeurs ou les supermarchés, non, des vraies, celles que l’on cueillait sur l’arbre entre deux rangées de ceps, un peu aigrelettes et parfaites pour calmer la soif sous le dernier soleil d’automne.


pêches de vigne
Avoir la pêche


J’en croque une, mordant dans la peau finement duveteuse, et retrouve des parfums oubliés.


Puis, de retour à la maison, je soulève le couvercle d’une vieille maie et découvre deux vieilles bouteilles d’eau-de-vie.

La première est une bouteille de mirabelle alsacienne de 1959, distillée à partir de prunes récoltées dans la famille.


eau-de-vie de 1959
Respecter l'étiquette ?


Je la sors avec l’intention d’y goûter. Puis, au moment d’enlever le bouchon, j’arrête mon geste. Quelle déception si je n’y retrouvais pas les fragrances d’antan ! Et ne serait-ce pas sacrilège de mettre fin à cette retraite de six décennies dans le noir, loin de l’agitation du monde ?
Alors depuis cet instant je suis déchiré entre ma curiosité et la peur de l’irréparable…

Pour la seconde bouteille, une eau-de-vie distillée par mon grand-père en 1963 à partir des fruits du grand jardin de sa maison à Chilly-Mazarin, où la quiétude des planches de légumes – dont les ventrus choux quintal qui lui servaient à préparer la choucroute dans le tonneau de sa fabrication – et des pruniers, cerisiers, abricotiers, n’était troublée que par le survol des Constellations venant de décoller d’Orly, je ne me suis même pas posé la question open or not open.


eau-de-vie, 1963
Gnole de banlieue


Cette pièce improbable d’une eau-de-vie banlieusarde contenant la sève d’un lieu si chargé de souvenir pour moi doit être conservée comme une relique.

samedi 12 octobre 2019

Conte de la mille et deuxième nuit

Le sultan avait convoqué son cuisinier.
« Sache que je suis las de ta façon de préparer les aubergines.
- Sa Majesté est bien sévère envers moi, j’ai vu un imam se pâmer de plaisir en les dégustant. Oserai-je rappeler que cette recette m'a été dictée par Allah durant mon sommeil. À mon réveil je savais enfin comment préparer les aubergines les meilleures du monde. Je fris les aubergines fendues en deux et scarifiées dans de l’huile d’olive. J’émonde et épépine de bonnes tomates charnues et les fais compoter en les parfumant de thym, d’origan, de romarin, d’ail, de poivre à queue, de clou de girofle, de cannelle et d’un trait de vinaigre balsamique. Je sale et rehausse de quelques gouttes de Tabasco. Puis je mets à fondre dans de l’huile d’olive les pétales obtenus en partageant un gros oignon blanc, les parsemant de fleur de sel et les colorant d’une pincée de curcuma. Je recouvre les aubergines étendues au fond d’un plat d’une couche de tomate suivie d’une couche d’oignon. J’arrose du jus d’un demi-citron et d’un trait d’huile d’olive et j’enfourne pour une trentaine de minutes à 170 °C. Il me faut bien du courage pour ne pas me jeter dessus et priver Sa Majesté du bonheur de les déguster tant l’odeur me fait saliver quand je sors le plat du four, mais je me contente de répandre quelques dernières gouttes de jus de citron et de la meilleure des huiles d’olive avant d’apporter cette merveille sur votre table, car je sais que le privilège de servir Sa Majesté est un bonheur encore plus grand !


imam bayidli
Imam bayidli


- Il n’empêche que je suis las, et que si tu ne revisites pas ta recette, tu risques de te retrouver eunuque de troisième classe et de te consacrer à présenter des plateaux de loukoums à ces dames du harem, et, crois-moi, elles ne sont pas commodes…
- Très haut, très excellent, très puissant, très magnanime et invincible prince le grand empereur des musulmans, sultan vénéré, en qui tout honneur et vertu abonde, je n’ai point d’autre souhait que de satisfaire Sa Majesté, mais comment avoir l’outrecuidance de modifier une recette ma sha Allah…
- Je l’admets volontiers, ta recette est bonne, et, vu sa source, il ne pouvait en être autrement. Mais, pour tout dire, quand je la mange je ne puis m’empêcher de penser qu’il manque quelque chose pour que mon plaisir soit complet. Je ne suis pas un de ces imams qui vivent d’amour d’Allah et d’eau fraîche. Il m’en faut plus pour me pâmer. Il me manque, oui, il me manque de la viande…
- Ô que je suis reconnaissant envers Sa Majesté de m’éclairer la voie à suivre par sa sublime parole. Mais oui, je me suis réveillé trop tôt, Allah n’avait pas fini de me dicter la recette. Je vais courir vers ma cuisine afin de me consacrer à reconstituer avec mes pauvres moyens ce qu’il n’avait pas eu le temps de me transmettre… »

C’est ainsi que le cuisinier du sultan, de retour au milieu de ses casseroles et de ses poêles, se met à cogiter.

Que vais-je donc préparer comme viande ?
Un petit tour au marché. Tiens, il y a des beaux petits filets de canette… Ça devrait faire l’affaire.
Mais quelle sauce pour les accompagner ? Je ne vais tout de même pas les servir dans le simple appareil d’une nudité qu’on vient d’arracher de son gril… Il faut rester dans des tonalités compatible avec ces aubergines « imam bayildi ».
Mon regard tombe sur un pomelo rose qui trône dans la corbeille de fruits. Parfait, cet agrume ! J’en prélève le tiers sous forme de suprêmes que je découpe en dés, et presse le restant pour en tirer le substantifique jus. Je verse le tout dans une poêle, délaye une pincée de fécule, ajoute une cuillerée de balsamique blanc, une cuillerée de sauce Worcestershire, une petite cuillerée de vergeoise brune ainsi que des grains de cardamome verte extraits de leurs capsules. Je place sur le feu et laisse réduire de moitié. J’obtiens une belle sauce sirupeuse et parfumée que je rehausse d’une pincée de piment d’Espelette.
Je pose sur le gril bien chaud les filets de canette et mène la cuisson afin d’obtenir une peau croustillante et conserver un cœur rosé.
Les aubergines ont repassé au four, je les dispose sur l’assiette, place à leur côté les filets tranchés sur une planche après les avoir laissé reposer quelques minutes. J’arrose la viande de la sauce au pomelo. Quelques feuilles de pimprenelle viennent ajouter une touche verte au milieu de ce camaïeu orangé.


imam bayidli, filets de canette, sauce au pomelo
Les parfums de l'Orient



« Je viens proposer ce produit élaboré dans la soumission aux ordres de Sa Majesté à sa bienveillante appréciation. Que Sa Majesté sache que pour la satisfaire je me suis mis en quatre, en huit, en seize, que dis-je en…
- Arrête toi avant d’arriver à la poussière et de risquer d’être victime d’un coup de balai. D’ailleurs il n’y a que le résultat qui compte »
Le sultan s’empare de sa fourchette à deux dents en or massif et de son couteau au manche d’ébène à la lame damassée.
« Voyons voir…
- Je vous souhaite bonne dégustation.
- Ne la trouble pas avec ton verbiage ! »
Le sultan porte une bouchée vers ses lèvres.
« C’est pas vrai, je viens de faire une tache de sauce sur mon calfan ! »
Le cuisinier n’en mène pas large. Mais le sourire renaît sur la face du sultan.
« Toutefois ce n’est pas grave, ce qui me chagrine, c’est que cette sauce soit sur mon linge plutôt que sur mes papilles… »
Le cuisinier reprend espoir.
« Bravo ! Tu as satisfait à mon désir. Tu deviendras eunuque de première classe et tu serviras des baklavas à ma favorite. Ainsi tu connaîtras régulièrement du changement.
- Mais, mais…
- Pfft, arrête donc d’oviniser Après tout ce sont Allah et moi qui t’avons dicté les recettes. Et puis on m’a dit grand bien d’un chef parisien, je veux l’embaucher afin de découvrir de nouvelles saveurs. Ras le çanak de la cuisine locale !!! »
Deux janissaires emmenèrent de force le pauvre cuisinier qui hurlait son désespoir et sa colère.
« Et pourtant elle n’a pas tourné, ma sauce ! Je ne veux pas être coupé ! »
Le sultan finit son assiette et sauça même avec un morceau de pain pide.
« Et maintenant, que l’on me serve mon kahvesi. Et fissa ! », s’exclama-t-il après un magnifique rot de satisfaction.

Et c’est ainsi qu’Allah est grand, pour reprendre la conclusion des chroniques d’Alexandre Vialatte…

mercredi 9 octobre 2019

D’une étonnante similitude de comportement entre palaemon serratus et zea mays everta

Quelques jours après avoir pu me procurer les remarquables gambas vivantes des marais charentais, plus exactement des crevettes impériales, j’ai découvert sur l’étal d’un poissonnier de mon proche marché de Touraine une cagette où frétillaient de belles crevettes bouquets encore pleines d’énergie. Il ne m’est pas souvent permis de rencontrer de tels produits, aussi je n’ai pas hésité à m’en procurer une grosse poignée, salivant d’avance à l’idée de m’en régaler.
De retour à la maison après les avoir transportées dans un pochon de plastique percé de quelques trous afin d’éviter l’asphyxie, je les ai transférées dans une boîte de fortune, récipient de yaourt de brebis mis à la retraite, privé provisoirement de son couvercle remplacé par un film transparent piqué par les dents d’une fourchette.



bouquets vivants
C'est le bouquet !



Quelques heures plus tard, j’ai sorti cet asile temporaire du réfrigérateur.
Le froid a un peu endormi les bêtes, mais la chaleur de la cuisine ne tarde pas à les réanimer, aussi je me dépêche de les jeter dans le sautoir où une petite noix de beurre demi-sel commence à devenir noisette.
Mais aussitôt il me faut coiffer le sautoir de son couvercle, car les crevettes sautent façon pop-corn en présence de la chaleur, beaucoup moins stoïques devant cette contrariété que le fakir moyen.


..encore que


Quelques secondes plus tard cette manifestation est réprimée, les bouquets commencent à passer au rouge, j’enlève le bouclier protecteur. Désormais c’est à moi de m’agiter le sautoir à bout de bras afin que la coloration soit uniforme. En moins de deux minutes je peux retirer du feu et verser les bouquets dans un plat.


crevettes bouquets
Bouquets pas fanés


Tout est déjà prêt pour un apéritif gourmand : l’anisette est versée dans les verres et des olives lucques attendent de se faire mordre.


lucques, crevettes
C'est l'heure de l'apéro


Ce fut bien bon, cette pause. Mais il me reste à poser dans la poêle les deux rougets que j’avais préparés auparavant : écaillés, vidés en conservant les foies que je déposerai à côté des poissons en fin de cuisson. Je les avais repérés, bien roides et l’œil encore vif, non loin des bouquets vivants.
Les rougets assaisonnés de fleur de sel sont saisis dans un mélange d’huile d’olive et de beurre durant quelques secondes sur chaque face au milieu d’herbes aromatiques que je viens de cueillir dans la cour. Puis j’enfourne six ou sept minutes à 160 °C. Un tour de moulin de poivre rouge (ça tombe bien… !) et je dépose les rougets sur les assiettes avec à côté leurs foies, les arrose du jus baignant le fond de la poêle.


rouget barbet
Rougets (de l'île ? )


À côté, rafraîchissante, une salade de tomates – toujours de notre dernière récolte…
Finalement, je n’ai pas à rougir de ce repas en déclinaison érubescente…

samedi 5 octobre 2019

Entre entrecôtes

Parcourant mon marché poitevin, je m’aperçois que mon farci poitevin préféré trône - une fois n’est pas coutume- sur l’étal de ma marchande détestée, celle qui en l’absence de ce produit se justifie en affirmant que c’est trop fatigant à faire, et quand il y en a, le vend à un prix supérieur à celui de l’étiquetage qu’elle modifie illico presto quand elle nous voit faire demi-tour pour demander des explications – « Oui, je m’étais trompée dans l’affichage… ». Heureusement son mari (le pôvre !) est là lui aussi aujourd’hui, et tous deux sont en train de servir des clients. Je prie le ciel que ce soit le mari qui en finisse le premier.
Alléluia, je suis exaucé, il ferme son tiroir-caisse et se tourne vers moi. Je puis partir sans être escroqué avec dans mon caddie une belle tranche de farci bien dosé sans excès en lard gras dont nous nous délecterons ce soir, masse d’un vert profond tachetée de blanc et dégageant moult saveurs herbacées, non seulement celle du chou comme c’est hélas presque toujours le cas pour les autres farcis.


Je poursuis vers le coin opposé des petites halles où ma côte de parthenaise préférée trône – comme toujours- l’étal de mon boucher préféré, celui qui me pare avec maestria son excellente viande. Hélas celui de ses garçons bouchers par lequel je déteste être servi officie à ses côtés… Je prie le ciel que ce soit le patron qui en finisse le premier.
Enfer et damnation, le pithécanthrope sournois se tourne vers moi. Je viens de constater que, contrairement à ce qu’affirmait Einstein, Dieu joue à pile ou face… Je tâte le terrain par une requête simplissime : un morceau de saucisson à l’ail maison – celui dont nous régalons car il en émane un bon parfum d’ail frais. C’était déjà trop demander, bien entendu il tente de me refiler un vieux rogaton qui traîne dans un coin, poursuit le massacre en entaillant prématurément la belle pièce neuve que je viens d’exiger avant que je puisse lui indiquer la longueur souhaitée. Ça commence bien ! Bêtement, je poursuis avec ce malfaisant, il faut dire que mon envie carnivore est la plus forte et peut être que la présence rassurante du farci parmi mes courses m’entraînent vers une indulgence coupable, toujours est-il que je m’entends lui réclamer une entrecôte, alors qu’un stupide « C’est pour combien de personnes ? » alors que je refusais le lamentable débris prédécoupé qu’il me proposait m’avait incité naguère à m’éloigner le cabas vide.
Ne voilà-t-il pas que le même scénario se reproduit ! Ai-je vieilli ? Cette fois-ci je ne tourne pas le dos, j’insiste. D’un air excédé, il sort une pièce de viande, et avant que je puisse réagir, me tranche d’un geste plus prompt qu’habile, une fine tranche qu’il étend sur un papier pour me la brandir sous le nez. Et c’est une tranche de faux-filet ! Pour tout dire, je ne suis pas porté vers le faux-filet. Ni d’ailleurs le faux en général. Qui ne préfère l’ami au faux-ami, le jeton au faux-jeton ou même le cul au faux-cul ? Il commence à m’énerver, le bougre. « Je ne veux pas un faux- filet, je veux une entrecôte ! Je hais le faux-filet, je le hais presque autant que les départementales, je veux une entrecôte, UNE ENTRECÔTE !!! ». Je montre du doigt le magnifique train de côtes à la chair cramoisie et à la graisse d’un blanc immaculé. « Ah, non, ça, c’est pour les côtes de bœuf ! » s’indigne le louche louchébem. Et, d’un air résigné, il entame l’autre face de sa bidoche, non sans m’avoir prudemment demandé l’épaisseur que je souhaitais – on en fera peut-être un garçon boucher convenable si les petits cochons ne le mangent pas, et me présente une pièce qui ressemble vaguement à une entrecôte, en plus moche. J’en ai marre, je capitule, je m’éloigne avec dans mon caddie une viande dont j’ai la crainte de ne pas me délecter le jour prochain où je la mettrai sur le gril.


Le surlendemain, il se trouve que faisant une visite au supermarché de la petite ville voisine pour un réapprovisionnement en produits de première nécessité, je n’ai pu m’empêcher de jeter un œil sur le rayon boucherie. Vision étonnante (enfin pas tant que ça, car au gré des périodes et du turn-over du personnel on alterne le pire et le meilleur), un beau train d’entrecôte, dont un panneau m’indique qu’il provient d’une bête de race limousine élevée par un agriculteur de la Vienne dont la ferme n’est pas loin de ma villégiature. Aussitôt me passe par la tête une envie de comparatif. Cette fois-ci, ce n’est pas le collectionneur compulsif de chihuahuas nourris aux croquettes dont j’ai conservé un souvenir marquant qui assure la découpe, mais un jeunot sans doute tout frais émoulu de sa formation, dont le profil émacié pour ne pas dire anémié ne laissait en rien deviner sa profession. Rien de la caricature couperosée qui opérait au marché. Cependant il me tranche et pare l’épaisseur demandée avec aisance, et je m’éloigne tout content avec mon entrecôte, disposant désormais des éléments pour effectuer un comparatif dont je souhaite secrètement qu’il tournera en défaveur de la fausse-entrecôte.


COMPARATIF


La parthenaise

La viande apparaît sombre, presque noire par endroits, à la sortie du réfrigérateur après trois jours de stockage. Normal, elle s’est desséchée, car elle a été emballée dans un papier trop étroit – un méfait de plus. Elle n’en a pas pour autant abandonné sa bonne odeur…

PARTHENAISE






La viande est savoureuse et tendre, juteuse, avec cependant de la mâche. Elle offre relativement peu de graisse, mais beaucoup de déchets.




La limousine

La viande est bien rouge après deux jours de stockage. Quant à elle, elle se trouvait dans un sachet scellé…

LIMOUSINE
 

,


La viande est savoureuse et tendre, mais d’une texture très différente de celle de la parthenaise, plutôt fibreuse, se rapprochant de celle d’un onglet. Il y a une bonne quantité de graisse fondante et goûteuse. La quantité de déchets est assez faible.





Résultats :
Gustativement, les deux pièces offrent une satisfaction équivalente, bien qu’avec un caractère nettement différent. On peut simplement regretter pour la parthenaise une découpe mal située, qui nous a privés d’un nec plus ultra.

vendredi 4 octobre 2019

Aujourd'hui, c'est pas pal

Suite à quelques publications malencontreuses


poulet sur le pal
gambas sur les pals
 

risquant de me donner l’image d’un grand empaleur devant l’Éternel, mon conseiller de com m’a invité à une action propre à estomper ce visage pal. Aussi, peau rouge de honte, je fais acte de repentance.
Mes gambas vivantes ont en conséquence échappé à l’introduction intempestive d’un corps étranger, quitte à les priver de la fière rectitude qui leur conférait une allure quasi hiératique dans l’assiette. Cette fois-ci je me suis contenté de les balancer directement sans autre forme de procès -et encore moins de supplice- dans un bain de beurre demi-sel mousseux en compagnie de quelques tomates cerises. Elles ont pu s’y ébrouer quelques secondes à leur aise avant leur dernier sommeil.
Une fraîche persillade est venue les parsemer. J'ai même eu la délicatesse de disposer quelques fleurs…


gambas vivantes
Gambas locavores


C’est mon chargé de com qui va être content !