⧞∞Le projet initial était de réaliser un plat à base de coques, mais des bottes de solens alignées sur l’étal du poissonnier ont tout changé. Comment résister à l'intimidation de ces couteaux ? Ce soir, ce sont eux qui seront au menu.
Les bêtes droites dans leur botte sont débarrassées de leur bas résille et de leur ceinture avant de plonger au sein d'un océan reconstitué.
|
Dans leur sortie de bain |
À leur chute, un tsunami vient envahir les rives de la bassine. Le bain se plongera un couple d’heures, pendant lesquelles je viendrais épisodiquement agiter cette eau trop tranquille. Précaution presque inutile, car à la fin, sous les couteaux, pas de plage… Seulement quelques grains de sable. Mes prédécesseurs en nettoyage avaient bien œuvré !
Pendant que je joue les Poséidon au petit pied - quoiqu’une tempête dans une bassine soit quand même mieux qu’une tempête dans un verre d’eau… - je réfléchis à l’accompagnement de ces coquillages.
Un risotto peut-être ? Mais non, j’ai plus original. Je viens de penser qu’il me restait la moitié d’un sachet de petites pâtes hongroises que j’avais ouvert il y a quelques jours pour agrémenter le bouillon de bœuf avantage collatéral de la préparation du hachis parmentier. Il nous avait fourni un délicieux et bienfaisant potage. Je réaliserai donc un
tarhonyasoto !
Considérant le chiffre
8 qui parade au centre de l’étiquette, il me revient un souvenir honteux. Il faut savoir que chaque fois que je saisis un paquet de pâtes industrielles je me mets à fulminer, passant du grognement aux invectives. En effet les beaux esprits chargés du packaging - malfaisants que je maudis ainsi que leur descendance jusqu’à la nième génération,
n étant un entier compris entre
10 et
l'infini - s’évertuent à dissimuler la durée de cuisson dans le coin le plus improbable et/ou avec le caractère le plus minuscule. Alors, quand j’ai ouvert mon premier sachet de
tarhonya, je me suis exclamé : « Bravo, les Hongrois, enfin une durée de cuisson mise en évidence ! ». Au bout de huit minutes, le minuteur a sonné, j’ai retiré les pâtes et les ai servies arrosées de je ne sais plus quelle sauce. Madame s’est faite critique.
« À mon avis, elles ne sont pas assez cuites…
- Mais si, tu es une femme du passé, désormais les pâtes se mangent
al dente.
-
Al dente, mais pas crues…
- Pour ma part je trouve cette mâche un peu ferme et cette note céréalière de farine fraîchement blutée fort plaisantes.
- Ouais, la pâte croquante, ce n’est pas ma tasse de thé… »
Croquante, croquante… Je reconnais là la tendance de ma compagne à l’exagération et à la mauvaise foi. Toutefois, en mon for intérieur, force m’est de reconnaître que son avis n’est pas dénué de tout fondement… Quelques heures plus tard, je me livre à une recherche en catimini. Et là, horreur, je m’aperçois que le
8 ne donne pas le nombre de minutes dans l’eau bouillante, mais le nombre d’œufs par kilo de pâtes ! Je découvre la durée de cuisson préconisée en lisant la traduction française : une trentaine de minutes.
Mes pâtes avaient effectivement une légère sous-cuisson…
Trente minutes. Ça ne m’arrange pas, car il me faudra touiller pendant une demi-heure, pire que la vingtaine de minutes exigée par le risotto…
Je me lance donc aussitôt dans la mise en place. Je hache finement un oignon blanc, une poignée d’échalotes et deux gousses d’ail, je cisèle le quart d’une botte de persil. Je réserve une partie de la découpe d’échalotes pour le
tarhonyasoto.
Parallèlement, je mets à bouillir 60 cl d’eau. J’éteins et laisse infuser deux sachets de bouillon de crustacées Ariake.
Bon finalement, il est trop tôt pour commencer les cuissons. Je vais simplement m’avancer un peu pour l’ouverture des couteaux qui devra être très rapide. Je fais fondre une noix de beurre au fond d’un sautoir, y verse oignon et échalote que je fais suer doucement, puis verse un petit verre de sauvignon. J’ajoute le persil, l’ail, une feuille de laurier, un brin de thym. J’éteins aussitôt. Je rallumerai la flamme quand le
tarhonyasoto aura presque terminé sa cuisson…
Je quitte la cuisine pour m’accorder une pause que j’estime méritée. Quand tout à coup je me mets à renifler. Mais oui, c’est bien une odeur de cramé… Je cours vers mon fourneau, eh oui, j’avais mal fermé le gaz sous le sautoir. Je goûte, c’est immangeable, outrageusement amer. Il ne reste plus qu’à nettoyer l’ustensile - heureusement le contenu est à moitié carbonisé mais n’a pas attaché - et recommencer mes opérations de hachages divers. Cette fois-ci, je ne m’éloigne pas du sautoir et vérifie bien l’extinction !
Et c’est l’heure de commencer le
tarhonyasoto.
Au fond d'une petite sauteuse évasée, je fais suer l’échalote réservée parsemée de sel fin. Je verse le contenu entamé de mon sachet de pâtes que je fais légèrement colorer. J’humecte d'un verre de sauvignon puis de deux louches de bouillon chaud qui sont rapidement absorbées. Je continue, touillant et ajoutant bouillon quand nécessaire.
|
Tarhonyasoto en gestation |
Au bout de 25 minutes j’interromps cette gymnastique, il est temps de passer à l’ouverture de la première moitié des couteaux.
Je pose le sautoir sur une grande flamme, allonge les bestioles et pose le couvercle. Deux minutes plus tard, je décoiffe, les couteaux se sont ouverts. J’en prélève la chair que je partage sur une planche en tronçons de deux centimètres environ que j’incorpore au
tarhonyasoto remis sur le feu. Encore une louchée, je touille. J’ai la bonne consistance, je goûte, c’est cuit, j’ose l’affirmer malgré la méfiance que peut susciter mon ancienne aventure. Je rectifie l’assaisonnement.
J’étale ce
tarhonyasoto sur les assiettes. Je recommence l’opération ouverture pour le reste des couteaux, les laissant quatre minutes sur la flamme. Là, point de découpe, je me contente de disposer le résultat de cette cuisson parmi les pâtelettes risottées, tout en conservant quelques coquilles peu utiles, je le reconnais, au point de vue gustatif, mais propres à nous évoquer les iodés bords de mer. J'arrose d'une cuillerée du jus des coquillages. Quelques cercles découpés dans des oignons viennent compléter le décor. Enfin des pincées de curcuma et de paprika ajoutent leur couleur…
|
Coutellerie |
Les cuissons sont convenables - suffisamment pour les pâtes, sans excès pour les couteaux. Pour une fois que je ne me plante pas !