dimanche 3 février 2019

Razzia sur le chou

Restaient dans le jardin quelques choux un peu rachitiques que leurs pommes maigrelettes avaient jusqu’alors exemptés de service. Il fallait néanmoins désormais les évacuer afin de récupérer l’espace qu’ils occupaient.
J’ai malgré tout eu à cœur que les trois choux de Milan rois de l’hiver (gros comme le poing…) ne soient pas décapités pour rien, que les deux choux cabus pointus (des petits duduches !) ne se fassent pas hara-kiri en vain et que les quatre choux rouges roodkop (tout aussi chétifs) ne versent pas leur sang inutilement.

Dans une première casserole, je fais suer quatre petits oignons dans une noix de beurre. Je déverse le chou rouge tranché en lanières fines, parsème d’une bonne pincée de sel fin et laisse suer. Puis j’arrose de deux verres de vin rouge de Gaillac, ajoute quatre pruneaux dénoyautés, six ou sept baies de genièvre, une feuille de laurier, une demi-cuillère à café de quatre-épices, un trait de vinaigre balsamique. Je laisse sur feu doux environ une heure. J’obtiens une compotée de chou rouge (à la flamande ou à l’alsacienne, je ne sais pas trop…). Je réserve.

Dans une petite poêle coiffée d’un couvercle, je fais tomber les feuilles des choux verts dans une grosse noix de beurre en compagnies de gros lardon taillés dans un morceau de lard séché portugais et de trois gousses d’ail tranchées en deux. Je pousse jusqu’à un début de caramélisation. Je réserve.

Dans une seconde casserole, je fais blanchir un morceau de poitrine de porc demi-sel plongée dans une eau que j’amène à ébullition. Je renouvelle l’eau dans la casserole, fais réintégrer son domicile au cochon exfiltré provisoirement. La cuisson sur feu moyen est poursuivie une quarantaine de minutes. Mais vingt minutes avant cet achèvement une saucisse fumée vient plonger à côté de la poitrine.


J’éteins le feu sous la cochonnaille.
Je remets à température le chou rouge, en parfumant d’un tour de moulin de poivre - rouge lui aussi, ils sont faits l’un pour l’autre…
Je replace la poêle sur le feu en l’arrosant d’un demi-verre d’eau et je monte ce liquide avec une grosse noix de beurre. Je parfume cette sorte d’embeurrée de chou en râpant une noix de muscade.
Je sors de l’eau poitrine et saucisse, pose sur une planche et découpe.

Il ne me reste plus qu’à dresser l’assiette : Charcutaille entre choux

porc, chou rouge, embeurrée de chou, cabus, chou de Milan
Le rouge et les verts

jeudi 31 janvier 2019

L'imposteur

Il s’est introduit chez moi.
« Salut, je suis le cervelas de Lyon. Je viens me faire embriocher… »
J’ignorais que mes talents d’embriocheur étaient connus jusqu’à la capitale des Gaules et des gones, mais, flatté que j’étais, je me suis prêté au jeu.

« Bon, pour commencer, la formule magique, ce sera cette fois-ci :
Farine : 200 g
Levure de boulanger : 10 g
Sucre : 1 cuil. à soupe
Sel : 1 demi-cuil. à café
Œufs : 2
Jaune : 1
Beurre mou : 80 g
»

Je pétris, finis par le beurre. Je laisse pousser une demi-heure, je pétris à nouveau, je boule et recouvre d’un film. Je mets au réfrigérateur pour trois heures.
« Je peux maintenant m’occuper de toi. Allez, zou, dans le bain ! »
Le cervelas de Lyon plonge dans l’eau d’une grande casserole. Sournoisement j’allume une flamme.
Bientôt l’eau frémit et le cervelas râle.
« Eh, c’est trop chaud !
- Que non, juste la température qu’il faut. Ça ne bout même pas ! Tu veux être embrioché, oui ou non ?
- Oui, mais…
- Il n’y a pas de mais qui tienne, Monsieur le douillet… »
Le cervelas reste coi désormais, même si je lui trouve un air un peu crispé.
« Quarante minutes sont passées, tu vas pouvoir sortir. Je t’allonge et je te déshabille..
- Quoi !!!
- En tout bien tout honneur, mais il faut être nu pour être embrioché.
- Je ne suis pas certain que je veuille vraiment être embr…
- Courage, le plus dur est fait. »


cervelas de Lyon
Saucisson sorti des eaux


Ou reste à faire, car j’ai bien du mal à le dépouiller. Sa vêture est mince, se détache mal et se déchire. C’est la première fois que je rencontre ce problème avec un cervelas en l’embriochant. Et puis je ne sens pas le bon effluve parfumé caractéristique monter vers mes narines. Je deviens soupçonneux.
« C’est sûr que tu es un cervelas de Lyon ?
- Ben oui, je suis un cervelas…
- Mais pas de Lyon, je parie.
- Ben non, de Versailles. »
C'était bien ça ! C’est le charcutier local qui l’a préparé. Certes, le meilleur traiteur de la ville, ses plats sont bien réalisés et plutôt généreux, mais en ce qui concerne les spécialités régionales, à part celles de la Touraine d’où il est originaire, ce n’est pas la réussite. Ses francforts, par exemple, défigureraient une choucroute alsacienne. Mais tant pis… Je ferai avec.
« Je ne sais pas si vous méritez d’être embrioché, Monsieur l’imposteur…
- Je ne suis pas lyonnais pure souche, mais je suis quand même pistaché !
- Ouais, pistaché mais menteur… Cependant quand la pâte est pétrie, il faut la cuire. Je serai bon prince. Il sera fait quand même selon ton souhait.
- Merci, ô merci !
- Ne m’embrasse pas, tu risquerais de me tacher. Et pour l’instant tu vas aller au frais.
- Tout nu ? Ah non !
- Jamais content. Finalement tu es un guignol, c’est ton seul côté lyonnais. »


Deux heures plus tard, je sors la pâte et le cervelas déchu, devenu saucisson à cuire.
J’étends la pâte.

cervelas de Lyon, brioche
Le lit douillet


« J’ai fait ton lit, tu vas pouvoir t’allonger
- Eh, pourquoi tu m’enfarines ?
- C’est pour mieux te border, mon enfant. »
Je rabats les bords, les colle avec le même jaune d’œuf étendu d’eau qui servira à badigeonner.

saucisson en brioche
Les pans se sont refermés


« Eh, c’est trop serré, j’étouffe !
- C’est ça être embrioché. N’est-ce pas ce que tu m’as demandé ?
- J’ai dû confondre avec entarté…
- Tu n’es pas encore assez célèbre pour ça ! Allez, un dernier coup de pinceau… »

cervelas brioché
Un peu de fond de teint


J’enfourne à 180 °C pour un peu plus d’une demi-heure.

saucisson brioché, cervelas de Lyon pistaché
Plus tout nu, mais tout bronzé


« Et voilà, tu es embrioché ! Tu es content ?
- Je me sens partagé… »

cervelas de Lyon brioché
Saucisson partagé





Perplexe, j’ai effectué des recherches pour expliquer le boyau inhabituel de ce saucisson, et j’ai pu lire sous la plume de Laurent Mariotte :
Les règles ne sont pas les mêmes pour le cervelas et pour le saucisson à cuire traditionnel. Le choix des matières premières et le hachage des morceaux sont les deux étapes qui font la différence.
« On utilise un boyau de bœuf pour le cervelas tandis qu’on utilise un boyau de porc plus épais pour le saucisson à cuire. »
Porc, plus épais ? Mais là la peau de ce saucisson à cuire était au contraire plus fine que d’habitude…
En revanche  sur un site spécialisé je découvre :
Menu de bœuf :
Paroi plus épaisse que menu de porc, gris rose
Menu de porc :

Texture fine presque transparente, nervuré, clair, beige clair  

Chez Bobosse comme chez Sibilia, il s'agit bien de bœuf pour les cervelas. Mais aussi pour les saucissons à cuire...
Qui croire ?

lundi 28 janvier 2019

Le soir des longs couteaux

⧞∞Le projet initial était de réaliser un plat à base de coques, mais des bottes de solens alignées sur l’étal du poissonnier ont tout changé. Comment résister à l'intimidation de ces couteaux ? Ce soir, ce sont eux qui seront au menu.
Les bêtes droites dans leur botte sont débarrassées de leur bas résille et de leur ceinture avant de plonger au sein d'un océan reconstitué.

couteaux, solen
Dans leur sortie de bain


À leur chute, un tsunami vient envahir les rives de la bassine. Le bain se plongera un couple d’heures, pendant lesquelles je viendrais épisodiquement agiter cette eau trop tranquille. Précaution presque inutile, car à la fin, sous les couteaux, pas de plage… Seulement quelques grains de sable. Mes prédécesseurs en nettoyage avaient bien œuvré !
Pendant que je joue les Poséidon au petit pied - quoiqu’une tempête dans une bassine soit quand même mieux qu’une tempête dans un verre d’eau… - je réfléchis à l’accompagnement de ces coquillages.



Un risotto peut-être ? Mais non, j’ai plus original. Je viens de penser qu’il me restait la moitié d’un sachet de petites pâtes hongroises que j’avais ouvert il y a quelques jours pour agrémenter le bouillon de bœuf avantage collatéral de la préparation du hachis parmentier. Il nous avait fourni un délicieux et bienfaisant potage. Je réaliserai donc un tarhonyasoto !

tarhonya



Considérant le chiffre 8 qui parade au centre de l’étiquette, il me revient un souvenir honteux. Il faut savoir que chaque fois que je saisis un paquet de pâtes industrielles je me mets à fulminer, passant du grognement aux invectives. En effet les beaux esprits chargés du packaging - malfaisants que je maudis ainsi que leur descendance jusqu’à la nième génération, n étant un entier compris entre 10 et l'infini - s’évertuent à dissimuler la durée de cuisson dans le coin le plus improbable et/ou avec le caractère le plus minuscule. Alors, quand j’ai ouvert mon premier sachet de tarhonya, je me suis exclamé : « Bravo, les Hongrois, enfin une durée de cuisson mise en évidence ! ». Au bout de huit minutes, le minuteur a sonné, j’ai retiré les pâtes et les ai servies arrosées de je ne sais plus quelle sauce. Madame s’est faite critique.
« À mon avis, elles ne sont pas assez cuites…
- Mais si, tu es une femme du passé, désormais les pâtes se mangent al dente.
- Al dente, mais pas crues…
- Pour ma part je trouve cette mâche un peu ferme et cette note céréalière de farine fraîchement blutée fort plaisantes.
- Ouais, la pâte croquante, ce n’est pas ma tasse de thé… »
Croquante, croquante… Je reconnais là la tendance de ma compagne à l’exagération et à la mauvaise foi. Toutefois, en mon for intérieur, force m’est de reconnaître que son avis n’est pas dénué de tout fondement… Quelques heures plus tard, je me livre à une recherche en catimini. Et là, horreur, je m’aperçois que le 8 ne donne pas le nombre de minutes dans l’eau bouillante, mais le nombre d’œufs par kilo de pâtes ! Je découvre la durée de cuisson préconisée en lisant la traduction française : une trentaine de minutes.
Mes pâtes avaient effectivement une légère sous-cuisson…


Trente minutes. Ça ne m’arrange pas, car il me faudra touiller pendant une demi-heure, pire que la vingtaine de minutes exigée par le risotto…
Je me lance donc aussitôt dans la mise en place. Je hache finement un oignon blanc, une poignée d’échalotes et deux gousses d’ail, je cisèle le quart d’une botte de persil. Je réserve une partie de la découpe d’échalotes pour le tarhonyasoto.
Parallèlement, je mets à bouillir 60 cl d’eau. J’éteins et laisse infuser deux sachets de bouillon de crustacées Ariake.
Bon finalement, il est trop tôt pour commencer les cuissons. Je vais simplement m’avancer un peu pour l’ouverture des couteaux qui devra être très rapide. Je fais fondre une noix de beurre au fond d’un sautoir, y verse oignon et échalote que je fais suer doucement, puis verse un petit verre de sauvignon. J’ajoute le persil, l’ail, une feuille de laurier, un brin de thym. J’éteins aussitôt. Je rallumerai la flamme quand le tarhonyasoto aura presque terminé sa cuisson…
Je quitte la cuisine pour m’accorder une pause que j’estime méritée. Quand tout à coup je me mets à renifler. Mais oui, c’est bien une odeur de cramé… Je cours vers mon fourneau, eh oui, j’avais mal fermé le gaz sous le sautoir. Je goûte, c’est immangeable, outrageusement amer. Il ne reste plus qu’à nettoyer l’ustensile - heureusement le contenu est à moitié carbonisé mais n’a pas attaché - et recommencer mes opérations de hachages divers. Cette fois-ci, je ne m’éloigne pas du sautoir et vérifie bien l’extinction !
Et c’est l’heure de commencer le tarhonyasoto.
Au fond d'une petite sauteuse évasée, je fais suer l’échalote réservée parsemée de sel fin. Je verse le contenu entamé de mon sachet de pâtes que je fais légèrement colorer. J’humecte d'un verre de sauvignon  puis de deux louches de bouillon chaud qui sont rapidement absorbées. Je continue, touillant et ajoutant bouillon quand nécessaire.

tarhonya
Tarhonyasoto en gestation


Au bout de 25 minutes j’interromps cette gymnastique, il est temps de passer à l’ouverture de la première moitié des couteaux.
Je pose le sautoir sur une grande flamme, allonge les bestioles et pose le couvercle. Deux minutes plus tard, je décoiffe, les couteaux se sont ouverts. J’en prélève la chair que je partage sur une planche en tronçons de deux centimètres environ que j’incorpore au tarhonyasoto remis sur le feu. Encore une louchée, je touille. J’ai la bonne consistance, je goûte, c’est cuit, j’ose l’affirmer malgré la méfiance que peut susciter mon ancienne aventure. Je rectifie l’assaisonnement.
J’étale ce tarhonyasoto sur les assiettes. Je recommence l’opération ouverture pour le reste des couteaux, les laissant quatre minutes sur la flamme. Là, point de découpe, je me contente de disposer le résultat de cette cuisson parmi les pâtelettes risottées, tout en conservant quelques coquilles peu utiles, je le reconnais, au point de vue gustatif, mais propres à nous évoquer les iodés bords de mer. J'arrose d'une cuillerée du jus des coquillages. Quelques cercles découpés dans des oignons viennent compléter le décor. Enfin des pincées de curcuma et de paprika ajoutent leur couleur…

solen, couteau, tarhonya
Coutellerie


Les cuissons sont convenables - suffisamment pour les pâtes, sans excès pour les couteaux. Pour une fois que je ne me plante pas !


samedi 26 janvier 2019

Bouillon vert

À quelques encablures de notre jardin se trouve celui d’un Portugais qui, après une escapade dans son pays natal, avait rapporté - ah, saudade, saudade… - des plants de choux portugais.



Il nous en a donné quelques pieds qui, ma foi, ont prospéré dans un coin de notre lopin de terre.
Et c’est ainsi que sur mon plan de travail se trouvent quatre pièces de Couve Tronchuda. Je vais réaliser un caldo verde dont quelques assiettées seront bienvenues pour résister aux frimas ambiants.
Je commence par éplucher un sextuor de pommes de terre du jardin de la variété Samba et deux oignons paille. Je les plonge dans l’eau froide d’un faitout, ajoute une cuillerée rase de gros sel et place sur le feu. Je laisse cuire à petits bouillons durant environ une demi-heure.
Pendant ce temps je détache les feuilles des choux, les lave et les lacère en lanières.
Je me saisis d’un pilon à purée et écrase grossièrement pommes de terre et oignons. J’ajoute les lambeaux de chou, verse une bonne rasade d’huile - portugaise, bien sûr ! - et une douzaine de tranches d’un chouriço acheté au magasin de produits lusitaniens abrité sous les halles locales.

chouriço
Chouriço


Je laisse frémir à feu doux cinq minutes, je rectifie l'assaisonnement et donne un tour de moulin de poivre noir. La soupe est prête.

caldo verde
Rondelles barbotant


Il ne reste plus qu’à la verser dans les assiettes creuses sur des tranches de pain au maïs. Cette baguette que j’ai laissé un peu rassir provient d’un boulanger d’origine portugaise qui réalise quelques spécialités de son pays natal - mais aussi, il faut le dire, les meilleurs croissants de ma ville.

caldo verde
Assiette de bouillon vert


Cette variété de chou, aux notes délicates, est à la fois tendre et savoureuse. Bien que je n’aie pas pu enlever la peau du chouriço, sa présence n’est absolument pas gênante en bouche.
Un seul regret : j’aurais dû mettre un peu plus de pomme de terre pour lier le liquide, et découper le chou en bandes plus fines. Bof, ce sera un prétexte pour renouveler cette expérience culinaire avec les choux restés en terre…

jeudi 24 janvier 2019

La queue pour mon parmentier

Deux queues en ce jour : l’une le matin devant l’étal du boucher, l’autre l’après-midi dans la marmite.
La première sous les halles, la seconde sous un couvercle
Mais entre les deux j’avais commencé par préparer un bouillon avec les découpes des racines du jardin les moins présentables après récolte : céleri-rave, panais, navets, persil tubéreux… J’avais ajouté deux carottes bien conformées quant à elles, trois poireaux maigrichons, un oignon triplement clouté de girofle et un bouquet garni. Après trente minutes d’ébullition, j’avais assaisonné d’une petite poignée de gros sel, de trois baies de poivre long et d’une douzaine de grains de piment de la Jamaïque.

Et voilà, un morceau de paleron et la queue de bœuf baignent dans le liquide odoriférant.

bouillon, paleron, queue de boeuf
G QI 1 HI 


La cuisson va continuer trois heures à petit feu. Puis la marmite sera réservée au frais pour la nuit.


C’est le jour J. La réalisation du hachis parmentier qui est la destination finale de cette viande maintenant bonne à être effilochée va pouvoir commencer.
Je pose le paleron tout attendri sur la planche, je balance le couteau ( mais non, pas dans l’évier et encore moins sur ma compagne, ça veut dire que je l’utilise comme une berceuse – au fait pourquoi n’ai-je pas pensé tout simplement à sortir cet instrument approprié du repaire où il se cache ? ). Cette opération est rondement menée, la pièce est hachée et transférée dans une bassine. C’est un peu plus long pour la queue, il faut la déficeler et détacher la viande des vertèbres.


queue de boeuf
Nettoyage à sec


Bon, c’est fait. Je poursuis en hachant une poignée de petites échalotes du jardin et une gousse d’ail, puis en ciselant un bouquet de persil plat en conservant les queues. Tiens, ne serais-je pas seulement jugavore, mais aussi caudavore ?
Je mélange mes découpes avec la viande en ajoutant une cuillérée de poivre Voatsiperifery écrasé au mortier, une petite cuillerée de quatre-épices. J’effeuille une branche de thym et une branche d’origan, je donne quelques tours de moulin de poivre rouge de Kampot, et je termine par une cuillerée de fleur de sel.
Je me saisis d’une poêle, j’y fais fondre une grosse noix de beurre et y déverse le contenu de la bassine. Je recouvre de deux louches de bouillon prélevé dans la marmite, complète d’une feuille de laurier. Je laisse réduire jusqu’à évaporation presque complète.

hachis, paleron, queue de boeuf
Viande mêlée...


Je retire la feuille de laurier et réserve.

Je mets à cuire quelques pommes de terre de la variété Mona Lisa dans de l’eau salée où nagent deux gousses d’ail et une feuille de laurier. Une fois ces tubercules passés au presse-purée, je brasse avec 20 cl de crème liquide entière bouillante parfumée de noix de muscade râpée et incorpore la moitié d’une plaque de beurre d’Isigny.
Je rectifie l’assaisonnement, donne un tour de moulin de poivre blanc.
Il me faut maintenant procéder au montage. Je barbouille de beurre un plat rectangulaire en fonte. J’étale une couche de purée. Je la recouvre d’une couche plus épaisse de hachis, puis je finis par une nouvelle couche de purée.
Il y a du rab… J’en profite pour emplir un petit plat en alu, mais avec seulement deux étages : hachis puis purée.
J’enfourne à 180 °C pour une vingtaine de minutes. Je baisse alors la température du four à 80 °C.
Il ne reste plus qu’à attendre l’arrivée de celles qui avaient incité mon choix de plat : quoi de mieux qu’un hachis parmentier ne nécessitant qu’un dernier passage rapide au four pour couper court rapidement aux vociférations bruyantes de gamines à l’hypoglycémie agressive - j’ai faim !!! - alors que leur heure d’arrivée se trouve contenue dans une fourchette aux branches fort écartées.
Un coup de fil de leur mère : « Ça y est, j’ai enfin trouvé une place pour me garer à quelques centaines de mètres ! ». Je remets le thermostat à 180 °C. Quand j’entends des braillements d’une autre tonalité que ceux émis par la famille des enfants du rez-de-chaussée, je peux allumer le gril.

C'est chaud et doré..

hachis parmentier
Le grand et le petit


Quand j’apporte mon plat sur la table, je suis inquiet de l’accueil qui sera réservé à mon plat par les affamées phobiques. J’avais songé un moment à appliquer à mon parmentier la méthode Parmentier, non pas le faire garder par des gens d’armes ni même des CRS, certes, mais dire simplement que cette préparation était réservée aux adultes et que ces chères infantes n’en auraient point. Mais non, nul besoin de cet artifice, elles me disent qu’elles se régalent, que je suis le meilleur cuisinier du monde. La mère semble prendre ombrage de ce qu’elle considère comme une mise en question de ses compétences culinaires. Quant à moi, je me demande ce qu’elles espèrent obtenir prochainement de moi…
Mais peut-être que tout simplement la vérité sort de la bouche des enfants : moi aussi, je me régale.

hachis parmentier
Parmentier le Grand


Il en sera de même le surlendemain avec le modèle mini...

hachis parmentier
Parmentier le Petit


Après que les jeunes membresses du jury se sont distraites en faisant tourner non pas les serviettes mais la manivelle de la girolle porteuse de Tête de Moine, le titre de meilleure pâtissière du monde est décerné à Madame pour sa Tarte aux fruits secs inspirée d’une recette parue dans la revue Saveurs de février 2019 - eh oui, je sais que mon épouse a toujours été en avance sur son temps…

tarte aux fruits secs
Bien gourmand


mardi 22 janvier 2019

Au fil des joues

Je suis un jugavore impénitent.
Dans la même semaine, ce sont deux joues de bœuf et huit joues de lotte qui sont passées à la casserole, soit au mieux cinq et au pire dix animaux sacrifiés sur l’autel culinaire.
Antispécistes hystériques qui voudraient me vouer aux gémonies, passez votre chemin, sinon je vous envoie votre collègue Hannibal Lecter ! Encore que je ne sois pas certain qu’il puisse prendre plaisir à déguster une de vos joues flasques de mal nourris…

Me voici donc avec mes joues de lotte parées éclatantes de fraîcheur. Il y a aussi des épinards cueillis l’heure précédente au jardin, mais malheureusement cette fin de saison évacuée avant bêchage n’a fourni qu’une quantité limitée de feuilles. Pas assez…
Alors je décide d’incorporer cette verdure en compagnie du poisson au sein d’une omelette.
Je fais tomber mes feuilles d’épinard soigneusement lavées et équeutées au fond d’une poêle ointe d’un bon trait d’huile d’olive, remuant avec une fourchette plantée dans une gousse d’ail. Quand il ne reste presque plus d’eau de végétation, je baisse la flamme, rassemble les épinards en petits tas. Je parsème les joues de sel fin et les dépose entre les monticules verdoyants. Une minute de chaque côté sur feu moyen suffira.
J’avais battu cinq œufs dans un cul-de-poule, j’y ajoute une bonne pincée de fleur de sel, ainsi que des filaments de safran et une cuillerée de piments d’Espelette. Un dernier coup de fouet, et je verse dans la poêle. Les œufs se coagulent pendant que la lotte parachève sa cuisson.
C’est terminé, l’omelette est tout juste baveuse, je la retire du feu, l’arrose de quelques gouttes d’huile d’olive aux notes herbacées. Avec sa structure, il n’est pas question de la rouler. Elle ira telle quelle sur la table où les parts découpées seront glissées sur les assiettes.

Avant d’apporter, je dépose du bout des doigts de la poudre de piment d’Espelette sur les joues virginales, comme un ultime baiser.

joues de lotte, épinards, omelette
Lotte riche

vendredi 18 janvier 2019

Carbonade : marche à l'ambre

En versant la bouteille de bière ambrée dans la cocotte où va mijoter ma carbonade, je suis soudain pris de remords.
Car il ne s’agit pas d’une Chimay ou d’une Leffe, pas même d’une Jenlain ou d’une Pelforth, encore moins d’une Ambrée d’Esquelbecq ou d’une Saint Martin de Blaringhem. Non, je vide une bouteille de Briarde ambrée.



Trahison. Je sens peser sur moi le regard hostile des Flamingants, ce qui ne me gêne guère - Vos regards sont lointains, Votre humour est exsangue…



le regard navré des Flamands, ce qui me désole, et surtout le regard attristé des Wallons, ce qui me culpabilise. Une de mes grands-mères était wallonne, 25 % de mon sang est de là-bas. Troquer un quart de Wallonie contre un quart de Brie, quelle honte !

Mais ce qui est fait est fait… Je dois continuer ma recette.
Auparavant, j’avais fait revenir sur une cuillerée d’huile d’arachide au fond de la cocotte des morceaux que j’avais découpés dans deux joues de bœuf. J’avais réservé cette viande bien dorée, évacué l’huile que j’avais remplacée par une noix de beurre. J’avais fait suer à feu doux une garniture aromatique constituée d’une brunoise de carotte, céleri-rave et oignon, j’avais réintégré la joue de bœuf. J’avais versé un petit verre de gin, ben oui, je l’avoue, un gin californien, pas un brave gin ch’ti - fais bobo, Colin mon p’tit frère… J’avais approché mon chalumeau, et, zou, les flammes !
Après ce flambage, je suis arrivé avec mes 75 cl de Briarde ambrée.


Je vide ma bouteille et enterre mes remords. J’ajoute une gousse d’ail fumée, bien du Nord quant à elle, six ou sept baies de genièvre, et allonge des cives que je viens de nettoyer et couper.

carbonade
Carbonade tendance civet


Suivent un bouquet garni emballé dans une feuille de poireau et un os à moelle donné par le boucher.
C’est parti pour une heure et demie à frémir sur une petite flamme.
Mais ce n’est que la première étape. Je réserve la cocotte refroidie au réfrigérateur.


Le lendemain, je sors la cocotte. Je débarrasse la surface de la graisse superflue, d’ailleurs peu abondante. J’enfourne à 150 °C pour une bonne heure. Pendant ce temps je pulvérise avec le mini-robot un quarteron de spéculoos. J’obtiens une poudre fine dont je déverse deux cuillerées dans le jus où baigne la viande et mélange avant d'ajouter une cuillerée de vinaigre balsamique. Pour mieux surveiller, je repose la cocotte sur la flamme. Je fais bien, car la sauce réduit et épaissit rapidement. Heureusement, j’avais prévu ce risque : une petite casserole d’eau chaude est prête à intervenir.

Il est l’heure de servir. Avec des frites, of course.
La sauce, d’un bel ocre doré, est crémeuse à souhait. La viande est fondante.

carbonade
Carbonade à la briarde


Et force m’est de reconnaître que cette bière briarde était parfaite pour ce plat. On ne trouve pas cette mauvaise amertume goudronesque que confèrent certaines bières brunes. La touche de genièvre n’est pas masquée, et j’ai eu la chance de bien doser la quantité de spéculoos : ce n’est pas trop sucré, et les relents de cannelle savent se faire discrets.
En récompense de ma réussite, je m’octroie la moelle extraite de l’os, et je me régale comme un berger allemand, non, un malinois.

Le surlendemain je me mets à regarder les recettes de carbonade. Eh oui, je suis comme ça, c’est souvent après la confection de mon plat que j’aime explorer les diverses recettes proposées à droite ou à gauche, sur la toile ou dans les livres. Car ainsi je peux confronter ces textes au vécu de mon expérience.
C’est tout naturellement que j’ai sorti de ma bibliothèque la référence de la cuisine ménagère belge :
À la manière de tante Léa.



Je peux y lire :

CARBONNADES FLAMANDES
6 belles carbonnades, 50 g de beurre ou de margarine,
3 ou 4 oignons, 1 clou de girofle, 1 carotte, 1 brin de thym, 1/2 feuille de laurier, 1 cuillerée à soupe de vinaigre, 1 grand verre de vin rouge, sel, poivre.
Faites fondre le beurre dans une cocotte. Ajoutez les oignons émincés et les tranches de viande. Faites revenir le tout pour donner une belle couleur. Ajoutez tous les autres ingrédients. Couvrez la cocotte et laissez cuire à petit feu pendant deux bonnes heures. Si la sauce est trop liquide en fin de cuisson, liez-la avec un rien de fécule.


Si tata Léa met du pinard dans sa carbonade, je m’estime acquitté de mon crime de lèse-belgitude !
Sa carbonade, ou plutôt ses carbonnades (pourquoi tant de n ?)…
J’ai l’impression qu’ici le mot carbonnade concerne plus la désignation d’un morceau de viande que d’un plat.
Pour approfondir, je songe à une référence plus ancienne, Joseph Favre.
Dans son Dictionnaire universel de cuisine pratique, il écrit, ce qui confirme mon hypothèse :

CARBONNADE, s. f. De l’it. carbonata, carbonnade, dérivé de charbon ; do là charbonnée, puis carbonnade. — Anciennement, on appelait charbonnée, puis plus tard carbonnade, la viande grillée sur des charbons ardents. Manger une charbonnée. e Il envoya quérir à dîner le bonhomme de père pour lui donner des charbonnées et des boudins. (DESPER, Contes XXTTT xvi° siècle.)
Aujourd’hui, la grillade a remplacé la charbonnée, puis, par une diffusion commune en cuisine, le mot a été dévié de son sens primitif et on a appelé carbonnade, non pas la viande grillée, mais la partie de l’animal même, bœuf, veau, porc ou mouton, destinée à la préparation de la carbonnade. Nous lisons entre autres dans un auteur culinaire réputé : « La carbonnade est le bout d’un carré de mouton, à partir du point où les côtelettes finissent et où commence la selle. Voir la figure. » Un autre vous dira que c’est la poitrine de bœuf, celui-ci de la noix de veau, etc., etc. Ne voulant pas perpétuer ces hérésies culinaires, nous ne les suivrons pas sur ce terrain. Je me dispenserai donc d’en donner des formules, étant toutes soumises à des habitudes de pays et n’ayant plus d’originel que le nom.


Pour ma part, je me dispenserai donc d’aller à la quête du Graal de la vraie carbonade…