Eh oui… Je me souviens !
Pas de miracle mnémonique. En effet je venais de quitter le théâtre Marigny où je faisais partie du public invité à assister à la représentation de la pièce "La Mamma" d’André Roussin avec comme principale interprète Elvire Popesco.
Peu après le tomber de rideau - « les décors sont de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell »-, une grande soif unie à une petite faim avait guidé mes pas et ceux de ma compagnie vers le proche Berkeley, avenue Matignon. Si l’une des convives, prétextant un violent mal de tête, avait refusé toute nourriture et avait réclamé au serveur un cachet d’aspirine et un cocktail Alexandra pour le faire descendre, pour ma part j’avais commandé un croque-monsieur.
Et – c’est pour cette raison que j’en ai gardé le souvenir -, il s’était révélé bien différent de ceux adaptés à mon budget d'étudiant que je m’offrais de temps en temps dans des bistrots parisiens.
Eux, ils sortaient du toaster à côté du comptoir, dégoulinant de béchamel roussie mais pas souvent réussie, enfermant une fine et tristounette tranche de jambon insipide cachant sa honte sous du pain de mie anémique.
Lui, il arriva fièrement, jouxté de la verdure d’un cresson mettant en valeur la blondeur de la nudité d’un pain légèrement brioché croustillant imbibé de beurre sans excès. Je soulevai délicatement la tranche supérieure pour trouver un jambon de Paris moelleux et parfumé à la fois couvert et soutenu par deux couches d’un emmenthal fondu de haut goût, épicé à souhait, dont les filaments assuraient l’unité de ce croque-monsieur en démontrant que l’empilage disparate formait désormais un tout. Bref, dans ma jeunesse impulsive, je me le suis enfilé certes goulûment, mais avec néanmoins le respect qu’il méritait.
Le 8 octobre 2017 vers 10 heures je faisais des courses.
Eh oui… Je me souviens !
Manquerais plus que j’ai la maladie d’Alzheimer… En effet je venais de pénétrer dans le Super-U d’une petite ville réputée pour ses diables (tiens, encore eux…) et son empoisonneuse, et je cherchais une idée pour réaliser sans trop me fatiguer un repas simple mais bon pour le soir, quand me vint l’idée de laver la honte de la réalisation d’un désastreux croque-monsieur au printemps dernier :
En effet j’avais eu la désastreuse idée de le revisiter en utilisant du pain italien et en y ajoutant de la moutarde douce et de l’estragon. Si l’on ajoute à cette alliance de saveur déplorable l’amertume excessive de la bière tourangelle qui avait imbibé le pain, l’on peut considérer que ma création était d’une nullité absolue…
Ce sera donc le croque-monsieur qui sera inscrit au menu.
Mais réalisé loin des excentricités qui m’ont servi de leçon.
J’ai donc acheté un pain de mie, certes industriel, mais classique, et un morceau d’emmenthal pas trop bas de gamme. Restait le jambon. Échaudé par mes achats fermiers locavores, c’est sans trop d’état d’âme que je me suis résolu à prendre du Fleury-Michon, marque plutôt honorable dans la qualité de ses produits. Mais sous quelle version ? La "Label Rouge", ou la "élevé sans antibiotique" ? Incapable de choisir selon des critères objectifs, je répondrai : les deux, mon caporal (chef) ! L’occasion de réaliser un test comparatif…
Alors, le soir, je réalise deux versions.
Je commence par découper des tranches fines dans l’emmenthal en évaluant la quantité nécessaire.
Version 1, jambon sans antibio :
J’humecte quatre tranches de pain de mie d’une cuillerée de lait.
J’y dépose quelques noisettes de beurre, je recouvre de lamelles d’emmenthal et donne un tour de poivre noir. Je place sur deux des tranches de pain une tranche de jambon pliée en deux. Je recouvre des deux autres tranches de pain.
Version 2, jambon label :
Même processus, sauf que mon estimation était fausse, j’ai utilisé toutes mes découpes de fromage pour recouvrir le pain Heureusement il me reste environ le tiers du morceau d’emmenthal. Malheureusement ça ne suffira pas pour recouvrir uniformément le pain. Je décide donc de râper ce reste, qui pourra ainsi être mieux réparti. Je strie le pain avec la lame d’un couteau afin de distinguer à coup sûr la version.
Bien que ce geste soit probablement inutile. Pour la comparaison, c’est plutôt mal parti, avec la différence de proportion de fromage…
De plus je m’aperçois que les quatre croque-monsieur ne peuvent tenir ensemble sur la plus grande de mes poêles. Je me résous donc à effectuer deux cuissons successives.
Je fais fondre au fond de la poêle une grosse noix de beurre dans laquelle je fais dorer sur les deux faces la version 1 à feu doux. Je réserve sur une plaque.
Je réitère cette opération avec la version 2. Les deux nouvelles pièces viennent rejoindre les deux premières sur la plaque.
J’enfourne trois minutes à 150 °C afin de remettre la version 1 à température mais aussi parfaire la cuisson centrale pour l’ensemble.
Jouer aux quatre coins... |
Le résultat :
En toute honnêteté, il est impossible de hiérarchiser la qualité des jambons, qui pour les deux variétés est correcte. En revanche j’estime l’épaisseur des tranches trop fine pour les deux produits.
Il va sans dire que la version 1 peut être qualifiée de plus gourmande avec sa forte quantité d’emmenthal fondu.
Croque 1 |
Il n’est pas certain pour autant je la préfère à la version 2, où le croustillant plus présent avec le parfum du bon beurre fermier et la présence du jambon plus affirmée donnent un caractère que je n’irai pas jusqu’à qualifier de gastronomique, mais plus subtil en saveurs…
Croque 2 |
Mais je n’ai pas pour autant retrouvé la saveur post Mamma…