mercredi 6 juin 2018

La dame de Mon sureau

Eh oui, l’on vieillit…
Il fut un temps où je tranchais les branches de sureau afin de confectionner des sarbacanes. Désormais je cueille ses fleurs qui me permettent de concocter une suave gelée.
Et peut-être que bientôt cet arbuste me fournira des tisanes propres à soulager mes rhumatismes et douleurs articulaires…

Je suis parti le panier sous le bras dans l’espoir de l’emplir d’inflorescences de Sambucus nigra. Enfin, pas tout à fait, car il est difficile de tenir le volant dans ces conditions…
J’ai arpenté, ou plutôt sillonné, moult allées de la forêt, quelques kilomètres en marche avant et quelques centaines de mètres en marche arrière quand je me suis trouvé confronté à un bourbier dont je me donnais peu de chances de m’extraire si mes roues s’y aventuraient.
Bref, c’est ainsi que je me suis adonné à la pollution sylvestre pour, contrairement à mes habitudes de glouton citadin, découvrir les joies de la consommation bucolique dans la régression de l’âge de l’agriculture et l’élevage à celui de la cueillette.

Mais présentement les fleurs sont dans la cuisine. Elles vont être recouvertes d’une eau qui sera portée à ébullition puis macérer dans un récipient stocké au fond du réfrigérateur.


Trois jours après, je sors cette décoction.


fleurs de sureau, gelée
Petites fleurs...


Il ne reste plus à Madame, la confiseuse maison, qu’à filtrer et ajouter un tant pour tant de sucre à gelées. Pas forcément le bon choix, car ce produit ne tolère pas la présence d’un jus de citron qui aurait pourtant été gustativement bienvenu.
Madame pose sur le feu, l’ébullition commence, elle touille pendant cinq minutes.


sureau, gelée
Attention, ça risque de déborder !


Et c’est la mise en pots.


gelée de fleurs de sureau
Cul par dessus tête


Un produit au parfum subtil, mais qui manque un peu de peps…
Il faut une étiquette vendeuse !


gelée, fleurs de sureau
Beau pot

mardi 5 juin 2018

La mauvaisennotte est arrivée...

J’avais craqué sur mon marché favori pour du thon germon duquel la poissonnière en chef avait prélevé une tranche fort laborieusement en dépit de l’aide d’une assistante de moindre grade.
Le lendemain matin dans un supermarché dont la principale qualité est la proximité, je suis tombé en arrêt devant un empilement de barquettes en bois arborant fièrement leur contenu imprimé sur le couvercle en une élégante écriture cursive : Bonnotte de Noirmoutier. Eureka, me dis-je en mon for intérieur, voici un accompagnement idéal pour ma darne de fils de l’océan : des filles d’une terre nourrie d’embruns…
Quelques heures plus tard, je déballais mon poisson et je rompais les sangles qui scellaient la barquette de pommes de terre.
Las, apparut devant mes yeux horrifiés une vilaine petite patate nichée au milieu de ses sœurs moins atteintes, mais qui semblaient déjà sombrer dans la déprime loin de leur île natale.


bonnottes
Tu pourrais au moins te cacher !


Je suis parvenu cependant à surmonter cette déception analogue à celle de l’ouverture d’une bouteille de beaujolais nouveau bouchonnée le grand soir. Pas la peine que les marketeux se décarcassent si l’intendance ne suit pas !
J’ai balancé l’immonde à la poubelle non sans l’avoir observée de près et en avoir tiré le portrait afin de le conserver dans mes archives au rayon yakanmêmedesproduitsmoches.


bonnottes, Noirmoutier
Est-ce contagieux ?


Puis j’ai extrait quelques individus bonnottesques qui me semblaient consommables bien que plus de première fraîcheur. Je les ai vaguement grattés pour les débarrasser de leurs squames susceptibles de carboniser lors de la cuisson. Et hop, dans la sauteuse avec une grosse noix de beurre et deux verres d’eau, cuisson à couvert cinq minutes puis une dizaine de minutes couvercle enlevé jusqu’à ce que, l’eau évaporée, les pommes de terre puissent dorer sur toutes les faces. Malgré leur aspect peu avenant au départ, j’obtiens une chair moelleuse et goûteuse qui se cache sous une croûte croustillante.
À côté, le thon subit un aller-retour dans le beurre mousseux. Je termine en ajoutant le jus d’un demi-citron que je réduirai à feu vif après avoir sorti le thon. Quelques feuilles de thym citronnelle ajoutent leur parfum vivifiant.


thon germon, bonnottes
Germon ...et merveilles ?


Mauvaise note pour ces bonnottes, mais bonne note néanmoins pour ce plat…




Je soulève à nouveau quelques jours plus tard le couvercle de ma cage aux Noirmoutrines.
Cette fois-ci, ces pommes de terre vont accompagner une anguille.
Je n’avais pas résisté les dimanches précédents au plaisir de m’offrir une petite anguille grillée sur la braise retour de marché que je déguste sur le pouce au déballage des courses. Cette fois-ci j’ai acheté une anguille bien frétillante qu’a bien voulu me tuer d’un coup de pince le marchand dont j’appréhende la retraite – c’est le dernier grilleur d’anguilles restant sur les trois que je voyais jadis tourner sur les foires et les marchés…
Voulant changer de mes matelotes ou anguilles à la maraîchine habituelles, je me suis souvenu d’un excellent plat dégusté il y a bien longtemps en Belgique à Gant : des anguilles au vert.
Je me lance donc dans cette aventure.

Il me faut tout d’abord enlever la peau de la bête. C’est quand même plus facile quand l’anguille est inerte que quand elle gigote comme un beau diable… Il me suffit d’inciser au niveau du cou et de retourner comme une vieille chaussette. Au fait, pourquoi n’est-on pas censé retourner une chaussette neuve ?
Je partage en tronçons, enlève les boyaux. Je réserve dans de l’eau fraîche avec une pointe de vinaigre.
Commence la lourde tâche de préparation des herbes. Heureusement j’ai tout sur place, à quelques mètres. Je cueille oseille, mélisse, menthe, sauge, pimprenelle, estragon, thym, thym citronnelle, origan, romarin. Je vais un peu plus loin couper quelques branches d’ortie – c’est fou comme cette plante se plaît bien dans mon jardin, presque autant que la carotte sauvage…
Je cisèle sur la planche la verdure, pour les plantes aromatiques je me contente d’en prélever les feuilles.
Je hache une échalote que je dépose avec une noix de beurre demi-sel au fond d’une sauteuse. Je place sur feu moyen, et pendant la suée j’éponge mes tronçons d’anguille que j’ajoute quand l’échalote a fondu. Je retourne ces morceaux dans le beurre mousseux sur toutes les faces, j’ajoute un verre de vin blanc sec – un reste de sauvignon qui traînait au frigo, mais heureusement sous vide- et un verre d’eau. Je laisse blobloter dix minutes. Puis je verse les herbes, introduis deux petites feuilles de laurier, touille. Cinq minutes se sont passées, la réduction du liquide commence à devenir excessive, je complète d’un nouveau verre d’eau. Je poursuis la cuisson encore cinq minutes pendant lesquelles je mélange dans un bol deux jaunes d’œuf, le jus d’un citron, un verre d’eau, une petite cuillerée bombée de fécule.
Je jette un coup d’œil vers mes bonnottes. Parallèlement à la cuisson de l’anguille au vert, je les ai traitées comme de vulgaires frites. Non mais ! On veut se la jouer patate de luxe, et on se présente moisie ! Le sort d’une bintje, pas plus… Pas tout à fait quand même, car je ne les découpe pas en bâtonnets. Mais elles plongent dans un centimètre d’huile d’arachide bien chaude au fond d’une casserole. Je les fais rouler de temps à autre afin de dorer en bas, en haut, à gauche, à droite, sur les côtés. Mission accomplie !
Les herbes et l’anguille sont cuites. J’éteins la flamme sous la sauteuse. Je verse alors progressivement le contenu du bol tout en remuant. J’obtiens une sauce bien liée. J’ai encore des morceaux d’herbe apparents, ce n’est pas cette sauce uniformément verte que l’on aperçoit sur beaucoup de photos du Web, mais c’est un parti pris : je ne voulais pas mixer.


anguille au vert, bonnottes
Anguille se mettant au vert


Je dresse les assiettes, ajoutant une seyante (?) fleur de bourrache.


anguille au vert, bonnottes
La fleur qui change tout



Je suis plutôt content du résultat. Mais le combat fut rude, et vécu dans la souffrance : mains brûlées par les éclaboussures de gouttelettes d’huile bouillante quand j’ai eu la mauvaise idée de secouer la casserole pour faire rouler les pommes de terre, piqûres d’ortie malgré mes précautions. Dieu soit loué j’ai échappé à la coupure pendant le hachage. La cuisine est sans nul doute un sport à risque !

dimanche 3 juin 2018

La Sardine qui renonce à se faire aussi grosse que le Phoque


Une Sardine vit un Phoque
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, à peine plus grosse qu’un œuf coque,
Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille,
Pour égaler l’animal en grosseur,
Disant : "Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? Dites-moi ; n’y suis-je point encore ?
Nenni. - M’y voici donc ? - Point du tout. - M’y voilà ?
- Vous n’en approchez point. "La chétive pécore,
Qui était sage, renonça.
Après tout, se dit-elle, la taille ne fait rien à l’affaire :
Ici-bas tout se joue dans la posture.
M’allonger comme ce Phoque ne me sera pas dur.
Pas besoin de m’enfler pour m’en donner l’air.




vendredi 1 juin 2018

Dans la fusion

Une recette alsacienne traditionnelle (ouais, mais pas avant la fin du XIXe siècle…) consiste en la réunion d’asperges blanches, de préférence cultivées à Hœrdt, de tranches de jambon blanc ou cru (voire les deux), d’œufs durs et d’une vinaigrette aux herbes à laquelle peut s’adjoindre une mayonnaise.

J’ai transposé cette recette avec mes ressources locales. Une recette fusion transrégionale en quelque sorte…
Mes asperges étaient angevines, de la région saumuroise.
Mes œufs étaient tourangeaux.
Mais surtout mon jambon était vendéen, et je l’ai posé sur un gril. Il a dû se trouver tout surpris de ne pas atterrir sur des mojettes…
Pour ma vinaigrette, trois cuillerées d’huile d’arachide (si j’en avais eu sous la main, j’aurais préféré de l’huile vierge de colza…), un soupçon de moutarde de Dijon, une cuillerée de vinaigre de cidre, une cuillerée de balsamique blanc, les feuilles de cinq brins de persil et d’un brin d’estragon ciselées, un oignon nouveau haché, deux à trois tours de moulin de poivre noir, un coup de râpe sur une noix de muscade et une pincée de fleur de sel.
 
Pour rappeler la part alsacienne de cette recette, j’ai dressé sur des assiettes du vieux service Obernai de la faïencerie de Sarreguemines hérité de mon grand-père…

asperges, oeuf dur, jambon vendéen, vinaigrette, Alsace
49 + 37 +  85 + V = 67 ?



jeudi 31 mai 2018

Un petit pois dans la tête, ou le bête et la bête

Je crains qu’un des petits pois que j’écossais récemment n’ait pris la place de mon cerveau. Car je me suis regardé dans la glace, et, non, je n’ai vraiment pas l’air d’être une blonde… Et pourtant !

Pour une fois ce n’est pas une côte de parthenaise qui a attiré mon regard quand je déambulais parmi les étals de mon marché dominical, mais des homards bretons vendus à un prix parfaitement raisonnable. Pendant que la marchande regardait ailleurs, j’en ai titillé un, et sa vigoureuse réaction m’a prouvé que je pouvais me lancer dans l’achat de cette brave bête.


homard breton
C'est l'homard le bien-aimé


Chose dite, chose faîte. Un peu plus loin, un éleveur de bouchots était venu aussi avec un imposant tas de belles palourdes, dont une bonne livre a atterri (ce qui les a changées de l’océan) dans mon panier. À quelques pas de là, une ostréicultrice fort avenante m’a permis d’y joindre une douzaine transformée en treizaine de vigoureuses spéciales m’attendant de pied ferme, et qui devaient me donner plus tard beaucoup de fil à retordre pour parvenir à les ouvrir.
Les éléments du plateau-repas du soir étaient désormais dans ma besace.

Et c’est un peu après, quand j’entreprends de cuire le homard en début d’après-midi que ma crétinerie se révèle.
D’habitude, je préfère griller le homard après l’avoir fendu en deux en dépit de ses cris. Là, pour le poser sur le plateau de fruits de mer, je vais le faire nager dans un court-bouillon parfumé d’échalotes, thym classique, thym citronnelle, feuilles de laurier, origan, poivre rouge de Kampot, poivre de Voatsiperifery, Tabasco dans une eau salée à 30 g par litre. N’ayant pas d’étoiles de badiane sous la main, je verse un petit verre de pastis dans la casserole.
Une casserole dont j’ai vérifié la dimension suffisante en y effectuant un simulacre à vide d’introduction de la bête…
Pendant que l’eau monte en température avec ses additifs, je sors l’animal de la zone arctique de ma cuisine où je l’ai enfermé quelques minutes afin qu’il commence à hiberner comme une vulgaire marmotte. Car j’ai décidé de le ligoter sur un bâton, en l’occurrence une cuillère en bois, et je n’ai pas envie de me livrer à un combat titanesque dont il n’est pas certain que je sorte vainqueur…
Ça y est, la bête est entravée, je viens de nouer le dernier lien. Il était temps, car retrouvant la chaleur ambiante, le homard commence à perdre son sang-froid. Visiblement, il n’apprécie qu’à moitié le bondage. Et encore ne connait-il pas la suite…
Je m’empare du vaillant crustacé chevauchant son bâton, me dirige vers la casserole où l’eau frémit à petits bouillons.
Petits bouillons et grand couillon sont face à face. En effet, penaud, je m’aperçois que la cuillère est nettement plus longue que le diamètre de la casserole.
Il me faut donc improviser un processus de cuisson.
Tout d’abord, je plonge la tête trois ou quatre minutes, la queue émergeant par force du liquide. Heureusement, je constate que rapidement le homard ne réagit plus.
Je fais faire volte-face à la cuillère et son cavalier. La queue plonge dans le bouillon. Un couvercle posé incliné rabat la vapeur vers la tête et surtout les pinces qui sont désormais au dessus de la surface bloubloutante. Je laisse dix minutes, un peu moins que la cuisson optimale, mais comme je ne vais pas pouvoir stopper tout de suite la cuisson avec de l’eau glacée…
Nouveau volte-face. Je parachève la cuisson des pinces en les laissant plongées une dizaine de minutes : elles ont déjà subi ce sort quelques minutes, mais leur paroi est épaisse, et je ne l’ai pas légèrement brisée comme je le fais quand je grille à cru…
J’interromps cette chevauchée fantastique pour jeter monture et cavalier à l’eau.Brrrr !
Je les repêche et les allonge sur une plaque avant de les séparer.


homard
Walkyrie rouge...


Puis j’étends le homard à plat ventre sur une planche.


homard
Homard surfant



Je me saisis de ma rapière, et je le pourfends en deux.


homard breton
Le homard pourfendu

 

Soulagement : la cuisson caudale est correcte. Pour les pinces, on vérifiera lors de la dégustation.
C’est l’heure de passer à table.


J’ai ouvert les huîtres. Je les dispose sur le pourtour d’un plateau, verse les palourdes au milieu.
Les deux moitiés de homard viennent s’allonger par-dessus.
Je débouche une bouteille de Mareuil rosé.


huitres, palourdes, homard, plateau de fruits de mer
Servis sur un plateau...


Ne manquent que les embruns et le bruit lancinant du ressac…

J'en arriverais à oublier combien je suis stupide.

mardi 29 mai 2018

Gros poids sur la conscience et petits pois dans la casserole

J’avais fait pas mal de route pour retrouver ces rillauds angevins et ces blondes rillettes.
Je reconnaissais la patronne de cette petite charcuterie. Mes contacts avec elle avaient toujours été empreints de la froide indifférence à peine réchauffée par un minimum de courtoisie des êtres qui entendent se restreindre à de simples rapports mercantiles : je te débite mon boudin, tu me débites ta carte bleue…
Pour ma part j’aime bien agrémenter mes échanges boutiquiers d’une conversation un peu plus avenante, n’hésitant pas parfois à même la relever d’une petite touche humoristique quand l’occasion s’en offre. Je sais alors gré du sourire que l’on m’accorde, même si je ne puis pas être certain qu’il soit autre que commercial. Et je suis comblé quand derrière l’étal il y a du répondant et que je m'éloigne avec les victuailles dans le panier et le souvenir d’un plaisant dialogue dans la tête…
Malheureusement, en cette maison du Baugeois, la rigueur charcutière de l’artisan s’allie à l’austérité marchande de son épouse. Lors de mes visites précédentes, si je me suis un peu attristé de cette absence de chaleur, je ne m’en suis pas offusqué, ayant constaté que tout client en était victime. Mais cette fois-ci, un grain de sable allait enrayer cette terne routine.

« Ce rillaud vous convient ? »
Et là j’eus le malheur de répondre :
« Non, donnez-moi un plus grillé… »
Alors je vis passer sur son visage le mépris du Provincial pour le plouc Parisien, enfin celui qu’il prend pour tel et qui n’est le plus souvent en réalité qu’un de ses pairs qui s’est échappé provisoirement de ses entassements de RER ou de périphérique pour s’exhiber dans ses nouveaux oripeaux. Un léger sourire illumina enfin sa face, le premier dans notre histoire d’indifférence, un sourire derrière transparaissait un ah ah, le con…
« Grillé, mais mon pauvre Monsieur, un rillaud, ça cuit dans la graisse, ça ne peut être grillé !!!! »
Bon, c’est vrai, le mot était mal choisi, mais devais-je donc réclamer une couleur foncée indice d’une réaction de Maillard plus poussée… Ne cédant pas au pédantisme, je me contentai de lui répliquer vertement que je savais comment on réalisait un rillaud, avant d’ajouter avec perfidie :
« Il est vrai que j’ai surtout l’habitude de déguster les rillons tourangeaux, auxquels la cuisson plus poussée procure une couleur brun foncé et une surface un peu grillée, oh pardon, caramélisée. Oui, je sais, vous aller me rétorquer que c’est l’arôme Patrelle qui fournit cette coloration. Je vous le concède, parfois, oui, quand il s’agit de mauvais artisans qui pratiquent une sous-cuisson afin de moins perdre de poids… »
Le résultat de ma diatribe fut un air narquois de professionnel qui entend un néophyte parler de ce qu’il ne connaît pas… Profondément insupportable ! Les productions de son époux n’eussent pas été aussi savoureuses, j’aurais sans barguigner pris derechef mes cliques et mes claques en lui laissant sur les bras ses rillauds pâlichons.
Alors, je poursuivis lâchement mes achats par un pot de rillettes. La commerçante était redevenue la triste indifférente habituelle.
Pour un instant seulement… J’ai avisé un pâté en croûte plutôt sympathique. D’ailleurs j’avais déjà jadis goûté de produit. Il est fort bon. Mais hélas il ne restait dans la vitrine qu’une espèce de trognon, la fin de la pièce, quatre centimètres tout au plus. Une vieille épave… Pas question !
« C’est tout ce qu’il vous reste ? Il m’en faudrait plus, deux belles tranches bien épaisses.
– J’en ai un autre en réserve… »
Elle alla dans l’arrière-boutique, revint avec un pâté tout neuf. Youpi, je n’aurai pas le rogaton !
Las, elle se saisit de son couteau,s'empara du plateau où s’ennuyait le susdit rogaton, promèna la lame :
« Cette épaisseur ?
– Oh, vous n’allez tout de même pas me servir ce rogaton.
– Ben, il faut bien que je le vende !
– C’est donc à moi de vous apprendre votre métier ! Vous me coupez mes deux tranches du nouveau, je suis content, puis, après mon départ, vous déposez la tranche de l’ancien à côté du nouveau, comme si elle y avait été découpée, et vous la vendez à un client qui n’aura pas l’impression de se voir attribuer un vieux reste, sera content, et vous, vous le serez aussi. Tout le monde sera heureux…
– Je ne suis pas malhonnête !
– Votre honnêteté frise la sottise… D’ailleurs honnêteté et commerce sont-ils compatibles ? Bon, je plaisante…
– Le pâté que je viens d’amener a été fait en même temps que celui que vous ne voulez pas…
– Je confirme. Ce n’est même plus une question d’honnêteté. De la sottise pure et simple. »

Mais la psychorigide a campé sur ses positions : j’ai dû me contenter de mes deux tranches disparates…

Fin de mes achats...
Elle me tend le boîtier dans lequel est insérée ma carte bleue. Je frappe mon code.
« Il n’y a qu’un chiffre de saisi. Recommencez.
– Décidément, la machine est aussi rétive que la patronne ! »
Elle me rend ma carte sans un mot.
« Quant à moi, je sais dire merci ! » conclus-je  en rengainant mon portefeuille.
Je sors sous le regard noir de cette gâcheuse de plaisir, cet éteignoir de volupté gastronomique.
Je me suis régalé des charcuteries de cette maison le soir même.

Avec cependant un peu d’amertume : j’ai mauvaise conscience d’avoir accablé cette pauvre femme.
C’est sa nature, et le principal n’est-il pas qu’elle se mette au service d’une production de qualité.
Le fond plus que la forme…

Après ce gros poids sur ma conscience, des petits pois dans ma casserole.
Ces petits pois crissant quand ils se frottent les uns sur les autres, achetés frais cueillis par mon maraîcher poitevin, je les ai écossés, ne dédaignant pas de m’accorder le bonheur d’en détourner de temps à autre un petit grain vert tendre et le croquer en prémices du plat que je prépare. Ce plat sera on ne peut plus simple:
Je dépose une grosse noix de beurre fermier que je fais fondre en compagnie des pétales découpés dans un oignon nouveau. Quand il est bien mousseux, je verse les petits pois, les fait rouler pour les enduire de ce gras parfumé avant de verser un demi-verre d’eau. Je coiffe d’un couvercle. Une dizaine de minutes plus tard, le liquide a malgré tout presque complètement disparu. Pendant ce temps, je suis allé cueillir quelques feuilles de menthe que j’ai roulées et ciselées sur la planche. Je les jette dans la casserole, mélange. Une pincée de sel, et je n’ai plus qu’à verser dans la coupe de service.



petits pois, menthe
Du vert parmi le verre


Un mariage réussi…
 

samedi 26 mai 2018

L'omelette du Père Moulard

Comme la Mère Emma, c’était lui, le Père Moulard, c’est moi

Le batteur du Père Moulard ne tourne plus. Une étincelle, un peu de fumée : c’est l’âme de l’ustensile qui monte au Paradis. Le Père Moulard est fatigué de manier désormais l’antique fouet au manche branlant. Alors il fait venir un remplaçant, qui arrive peu après tout pimpant, rayonnant de modernitude.
Le Père Moulard doit inaugurer son nouvel instrument. Il choisit de réaliser une omelette.
Tout d’abord il va dans la cour à côté cueillir trois tiges d’estragon. Il en effeuille deux et cisèle grossièrement. La troisième servira pour la décoration.
Il émince des champignons de Paris (émigrés en Charente-Maritime) qu’il vient de brosser et pomponner en les caressant délicatement d’un linge humide. Mais oui, bien sûr, il en a enlevé auparavant la partie terreuse du pied, et il a empêché la triste oxydation par une aspersion de jus de citron. Il est consciencieux en cuisine, le Père Moulard.
Puis il jette cette découpe dans une poêle où une grosse noix de beurre a fondu et commence à mousser sur un fond d’huile d’olive. Il surveille la cuisson et ajoute un peu avant la fin le tiers des feuilles d’estragon ciselées. Il sale, éteint le feu et réserve.

champignond de Paris,estragon, omelette
Y aller avec le dos de la cuillère...


Le Père Moulard casse six œufs dans une bassine, les assaisonne de six pincées de sel. Il donne quelques coups de râpe sur une noix de muscade au-dessus du récipient, complète par des tours de moulin de poivre noir prodigués sans lésiner.
Il sort son batteur tout neuf, admire son galbe et l’éclat de sa coque, introduit le fouet adéquat. Et vas-y que je te bats les œufs à la vitesse maximum. Le mélange mousse de plus en plus, devient crémeux. Le Père Moulard ne peut s’empêcher de songer à la malheureuse Mère Poulard se secouant les rhumatismes au rythme de la samba pour amuser la galerie. Vive le progrès !

omelette, batteur
De bons coups de fouet !


Il est temps d’incorporer les champignons qui ont refroidi et le reste d’estragon ciselé.
Le Père Moulard met à chauffer la poêle dans laquelle il a fait choir une bonne noix de beurre.
Le beurre réclame le contenu de la bassine. Le Père Moulard verse. Il se contente d’agiter la poêle au-dessus de la flamme. Quand de la vapeur commence à s’échapper sur les bords de l’omelette, il présume que le fond est cuit. Il place alors la poêle sous le gril du four afin de cuire à son tour le dessus en préservant le moelleux du centre.
La surface a légèrement doré. Il redépose quelques instants la poêle sur le feu afin de remettre en température. Puis il fait glisser avec un peu d’appréhension l’omelette sur un plat. À son grand soulagement, tout se passe bien !
Le Père Moulard sort à nouveau dans la cour afin de cueillir une fleur de bourrache et une fleur de nigelle aptes à égayer la surface un tantinet déserto-martienne de la préparation en se joignant à une branchounette d’estragon.


omelette; champignons, Père Moulard
Omelette du Père Moulard


Décoration très éphémère, car l’omelette ne tarde pas à être tranchée en deux parts que le Père Moulard dispose sur les assiettes.


omelette, champignons, estragon
Bien dans son assiette


L’omelette du Père Moulard était fort bonne.
Satisfait de l’œuvre accomplie, le Père Moulard peut aller se distraire…



Bon, finalement, je ne suis pas certain que le Père Moulard, ça soit moi…