mercredi 27 septembre 2017

Highlander

Je suis resté songeur devant la côte de bœuf Aberdeen Angus étendue sur mon plan de travail.
Tout d’abord, il existait une différence étrange entre le côté face et le côté pile.

Aberdeen Angus, côte
Angus face


Angus, Aberdeen, côte
Angus pile


Il est vrai que les méthodes de découpe sont particulières en Ecosse…



Mais surtout comment traiter au mieux cette viande d’excellence ? Tout de suite m’est venu à l’esprit une recette que j’ai savouré plus d’une fois dans un de ces restaurant qui semblent vivre hors du temps, et où au moment du dessert en 2015 on a l’impression de terminer un repas commencé en 1980 et où l’on cherche des yeux le prêtre attablé seul dans un coin de la salle auquel le patron avait demandé -mais quand ?- « Qu’est-ce qui vous ferait plaisir, mon père, pour clore ce repas ? Une petite bénédictine peut-être… ». Il ne reste plus que le fantôme de ce digne ecclésiastique, mais la desserte est toujours là, avec son poêlon en cuivre où le patron qui n’a pris que quelques rides a préparé le Highland Steak.



Cérémonial qui a toujours réjoui mes enfants qui aiment y retrouver leurs jeunes années. Pourtant le premier contact de ma fille avec cet établissement ne s’était pas déroulé sous les meilleurs auspices, son plat (côtes d’agneau grillées me semble-t-il…) étant passée à la trappe au moment de la transmission du bon aux cuisines. Après comptage des convives, le patron n’avait même pas été effloré par l’idée qu’une jeune personne de cinq ans puisse avoir l’envie d’ingurgiter un tel mets et encore moins, sans doute sous influence écossaise, par celle  que ses parents le lui commandent… Il avait donc cru à une erreur de sa part et avait rectifié, du moins le croyait-il. Grave faute professionnelle pour laquelle nous ne lui avons pas tenu rancune - à l’exception de ma rejetonne sur le moment !- car la grande tablée que nous étions avec d’autres membres de la famille avait commis la faute parfois fatale, mais probablement toujours détestable pour le service, de désigner un porte-parole pour  exprimer ses choix.

Bref, j’eus comme première inspiration la réalisation d’un Highland Rib… Malheureusement je ne disposais  pas de oat meal, et j’ai dû renoncer. Mais n’était-ce pas mieux ainsi ? Car si le fade filet demande à être rehaussé, une savoureuse côte se suffit bien à elle-même.
La pièce de viande sera simplement saisie sur toutes ses faces sur un gril à feu moyen.

Côte, Aberdeen Angus, gril
Affront à la tradition !

La cuisson sera terminée dans four à 160°C éteint après introduction où elle restera un quart d’heure environ.

Mais quid de l’accompagnement ? Une évidence m’apparait : j’ai à la cave une récolte de pommes de terre Highland Burgundy provenant du jardin. Avec un nom pareil, ces tubercules ne peuvent qu’accourir vers leur quasi homonyme !

Tout est maintenant clair dans ma tête.
Je commence par une cuisson à l’eau des pommes de terre épluchées.

highland gurgundy, pomme de terre, purée
Highland en plongée

Cuisson étonnement rapide pour de ces Highland Burgundy à la peau si épaisse, presque une écorce, et si dures à trancher… Sorties de la casserole avec une araignée, je les écrase grossièrement dans une bassine à l’aide d’un pilon presse-purée, je poivre et je brasse avec une bonne quantité de beurre demi-sel.
La couleur rose obtenue est assez déroutante. Comme je la découvre, je n’ai pas préparé des lanières vertes (mais de quel plante pour être suffisamment tendres ?) qui auraient pu fournir un contraste intéressant.
Je place la bassine d’écrasée de pomme de terre au bain-marie pendant que la côte d’Aberdeen Angus connait l’aboutissement de son destin gastronomique...
Dans le four chauffe aussi le plat en faïence destiné à recevoir la pulpe rose.

Je sors la côte du four et la dépose sur la planche en bois. Pendant qu’elle repose, je transfère l’écrasée dans son plat et complète du décor très symbolique et très insuffisant d’une noix de beurre.

Aberdeen Angus, gril, Highland Burgundy, écrasée
Le Highlander voit la vie en rose


Le moment est venu de découper la viande.

Côte, Aberdeen Angus, gril
Et moi je vois la vie en rouge



Elle se révèle tendre et goûteuse, avec une mâche agréable. Les monts d’Ecosse arriveraient presque à rivaliser avec les monts d’Auvergne…

La prochaine fois, je ferai un comparatif avec du bœuf gros-celte ! Eh oui, j’ai osé, c’est peut-être d’ailleurs à ça  que l’on me reconnait !

samedi 23 septembre 2017

Le souk dans ma cuisine

Le souk dans ma cuisine, d’aucuns (et surtout d’aucune…) diront que cette situation n’a rien d’événementiel. Je conteste d’ailleurs ce terme, ce prétendu désordre n’étant qu’un classement ergonomique et mnémotechnique dont seul je possède les clés. Que l’on me reproche cet égocentrisme, je pourrais le comprendre. Mais que l’on vienne saboter cette géographie (comme voulait le faire jadis une de mes secrétaires à laquelle j’avais dû interdire vigoureusement de déplacer sous prétexte de rangement les dossiers entassés dans mon bureau – mais cette syndicaliste de choc ressentait paradoxalement la frustration de ne pas être  celle que l’on appelle pour lui demander « Mademoiselle, pouvez-vous me sortir le dossier trucmuche, s’il-vous-plait ?» et qui , fière du devoir accompli, pose ce document sur le plateau vierge et immaculé du cadre qui veut montrer qu’il dispose de moult larbins à sa disposition, alors que toute requête timide de bien vouloir aller chercher un café pour un visiteur ou moi-même m’aurait fait qualifier d’esclavagiste macho éhonté, susceptible d’être livré à la vindicte publique par un tract vengeur), que l’on vienne saboter cette géographie, disais-je avant cette remontée de souvenirs (à propos de souvenirs, je me rappelle une petite librairie au sein du Vieux Tours, hélas aujourd’hui disparue où sur des tables s’entassait un capharnaüm de livres de toutes tailles et toutes couleurs qui semblaient avoir été sortis d’une décharge pour être balancés là en vrac à l’aide d’une pelleteuse indifférente, mais où il suffisait de demander le Goncourt 1973, un livre d’art sur Pissaro ou un traité de conchyliculture pour que le maître des lieux, après quelques secondes de fouilles et de déplacement de strates, dépose avec une charmante modestie cet ouvrage entre vos mains ébahies), que l’on vienne saboter cette géographie, re-disais-je avant de fournir la démonstration que ma méthode est pratiquée par des experts qui me surpassent et n’est pas le camouflage d’un laisser-aller, alors dans ce cas je m’insurge, je m’indigne, je me révolte contre cette entrave au bon déroulement de l’exécution de mes recettes. Je pourrais presque en devenir méchant, c’est dire…


Mais aujourd’hui ce souk n’est pas d’ordre métaphorique.

En effet une bonne âme, ayant particulièrement apprécié la saveur d’une harissa posée à côté de son tajine dans un restaurant de Marrakech, a demandé sa provenance, est allée en acquérir quelques pots chez l’artisan du souk que l’on lui avait désigné et a eu la bonne idée de m’en offrir un.
Ma première idée fut de l’utiliser pour un plat dont je me régalais il y a quelques années dans un restaurant marocain proche de Versailles : le tajine mhamer. La chair de mouton fondante baignait dans une réduction écarlate un peu caramélisée et très parfumée que l’on pouvait saucer avec les grosses frites qui jouxtaient la viande. Un délice ! Le restaurant existe toujours, mais le chef âgé qui réussissait particulièrement bien ce plat a pris sa retraite, et son remplaçant ne possède pas le même tour de main : sa sauce était trop liquide, et le plat avait perdu tout intérêt. Je ne suis sans doute pas le seul à avoir connu ce ressenti, car désormais le tajine mhamer a été supprimé de la carte…

Mais finalement, deux chinchards étant arrivés dans la cuisine, j’ai eu l’idée de les traiter en poisson à la marocaine.
Ah, ces chinchards, parlons-en ! Prétendument habillés par le poissonnier, mais en fait simplement vidés. Restaient toutes les nageoires mais surtout les scutelles sur les flancs. Déjà que le chinchard possède pas mal d’arêtes, alors si je n’avais pas eu connaissance de cette particularité anatomique qui m’a fait lever ces cartilages comme le poissonnier aurait dû le faire, ce poisson à la chair savoureuse aurait été immangeable !

Bon, les poissons sont enfin habillés correctement. Je prends un plat en fonte, le barbouille d’un trait d’huile d’olive. J’y dépose quelques couches de tranches de pommes de terre Raja du jardin tranchées à la mandoline.  Le barbouilleur invétéré que je suis persévère, mais cette fois-ci avec un peu de harissa. Sur ce lit viennent se coucher les chinchards assaisonnés de sel fin et de cumin en poudre. Je disperse tout autour les découpes de trois petits poivrons du jardin : un rouge, un vert, un jaune . J’y ajoute trois gousse d’ail, trois petites tomates tranchées et une épaisse tranche de citron partagée en deux. Je répartis quelques cuillerées de harissa un peu partout, pose une rondelle de citron.

Maroc, harissa, poisson, chinchard, poivrons
Le souk sur la plaque
Il ne me reste plus qu’à verser le jus d’un demi citron et un léger trait d’huile d’olive : je puis enfourner pour un quart d’heure à 180°C. J’arroserai de temps à autre avec la poire à jus.

Je sors le plat et y ajoute quelques fleurs de courgette récoltées le matin-même au jardin, complète d’un bon trait d’huile d’olive. Il retourne au four pour sept minutes.
Quand il quitte définitivement le four, il est accompagné d’effluves de haut parfum. Encore un trait de jus de citron pour la petite touche d'acidité finale, et c'est prêt à servir.
Je crois bien que nous allons nous régaler !

harissa, chinchards, poisson, Maroc
Du bon entre les oreilles

Le contenu du plat est réparti dans les assiettes.

chinchard, harissa, Maroc
Une assiette soukulante...
Hum, les tranches de pommes de terre se sont imbibées d’un jus succulent. Seul petit bémol, quelques arêtes perturbent ce moment de sérénité qu'est la dégustation…
Si je refais ce plat, je choisirai un autre poisson, pas forcément plus goûteux, mais plus facile à manger au milieu de la sauce et des légumes !

Et comme c’est le souk, à la fin du repas, un biscuit qui semble être la madeleine de Proust de beaucoup de Marocains…

Henry's, biscuit, Maroc
Je m'appelle Henry's

Mais, idiot que je suis, j’ai oublié de cueillir les branches pour confectionner un thé à la menthe..
Tant pis, ce sera un espresso de moka bien serré !

vendredi 22 septembre 2017

Rimes et châtiment

Fort souvent l’araignée envahit le jardin.
Plus rare est le jardin sautant sur l’araignée,
Pour à cet animal infliger une peignée.
Je m’en vais vous narrer ce fait non anodin...

Une sixaine d’araignées, outragement parfumées,
Attendaient ardemment de se trouver aimées.
Nonchalantes et dorées, elles voulaient du piment.
Hélas, ce qu’elles obtinrent, ce fut le châtiment.
Immérité d’ailleurs, car payant pour autrui,
N’étant comme on le voit que des filles de truies.
La rancune du jardin visait de pauvres épeires
Qui ne furent jamais ni leurs frères ni leurs pères.
Ce qui n’empêcha pas les légumes de sévir
Afin de cruellement leur vengeance assouvir.


Moralité :
La vengeance est un plat qui se mange chaud.



araignées de porc, marinade, sous vide
Araignées de porc marinées


araignées de porc, poêle
Elles se dorent dans leur huile de marinade


araignées, porc, tomates, haricots verts
Le jardin s'est jeté dessus


araignées de porc, légumes du jardin
...et j'en fais tout un plat

lundi 18 septembre 2017

Paris - Nice en onze étapes


Première étape : Farine - Pâton
Je mélange 300 grammes de farine Gruaudor type 55 des Moulins de Versailles avec 7 cuillerées d’huile d’olive. J’ajoute la moitié d’un cube de levure de boulanger fraîche diluée dans une coupelle d’eau tiède, puis progressivement de l’eau tout en pétrissant à la main jusqu’à l’obtention d’un pâton souple mais encore un peu ferme. Je laisserai dans le cul de poule à température ambiante pendant deux heures et demi environ coiffé d’un torchon.
pâte à pain, huile d'olive
Une bonne pâte

Deuxième étape : Anchois au Sel - Produit Dessalé
Je rince les anchois salés sous le robinet d’eau froide, puis les mets à dessaler dans un bac.
anchois, dessalage
Anchois sous l'eau

Troisième étape : Oignons - Pétales
Je découpe 7 oignons paille en fines pétales suivant les méridiens -même pas pleuré !
oignon paille, decoupe
Pétales en vrac

Quatrième étape : Pétales - Confit

Je verse les oignons dans une sauteuse évasée ointe de deux ou trois cuillerées d’huile d’olive. Je les fais fondre à feu doux avec juste une minime pincée de sel et un brin de thym que je retirerai en fin de cuisson. Quand il n’en exsude  pratiquement plus de suc de végétation et que le contenu commence à vouloir attacher, je verse un bon trait de pissalat, mélange, et laisse une dizaine de minute à couvert toujours à feu doux.
oignon, pissalat, pissaladière
Oignons et pissalat

Cinquième étape : Anchois Entier - Anchois Désarêté

J’ouvre les anchois désormais dessalés par le ventre et en extrait la colonne vertébrale avec ses arêtes.
anchois, pissaladière
L'anchois désarme

Sixième étape : Anchois Désarêté - Filet d’Anchois

Je découpe suivant le milieu du dos et pare plus ou moins les filets obtenus.
anchois, pissaladière
C'est mon anchois

Septième étape : Pâton - Pousse

Je soulève le torchon. La pâte a bien levé, elle est prête à être étendue sur une plaque.
pâton, pissaladière
Il est gonflé

Huitième étape : Pousse - Fond de la Pissaladière

Je pose le pâton sur la plaque légèrement farinée et avec mes paluches idem (rien n’est plus beau que les mains d’un homme dans la farine…) je l’aplatis et l’étire afin d’obtenir une forme sensiblement rectangulaire tout en gardant les bords un peu relevés. Je tartine cet espace de pissalat.
pâte, plaque, pissaladière, pissala
Toute une tartine


Neuvième étape : Fond - Pissaladière Brute

Je recouvre la pâte à pain badigeonnée de pissalat avec le confit d’oignon parfumé, dépose huit filets d’anchois, et j’enfourne à 210°C.
anchois, oignon, pissalat, pissaladière
La parade des anchois

Dixième étape : Pissaladière Brute - Pissaladière Décorée

Je laisse une quinzaine de minutes au four, sors la plaque de cuisson avec la pissaladière, parsème de quelques olives de Nice et arrose d'un trait d'huile d'olive herbacée.
Je renfourne pour deux minutes. La pissaladière est terminée.
pissaladière, Nice, authentique
J'ai laissé les noyaux

Onzième étape : Pissaladière sur Plaque - Pissaladière sur Planche

Je fais glisser la pissaladière de la plaque de cuisson à la planche en bois sur laquelle elle sera découpée à table.
pissaladière
De la pissaladière sur la planche


Ligne d’arrivée :
Savoureuse part de pissaladière niçoise, à la pâte aérée mais légèrement croustillante...
Enfin dans l'assiette... (mais ceci n'est pas une pizza !)


Supion l'Armoricain

Les troupes de Supion l’Armoricain viennent de subir une lourde défaite. Chaque soldat fut débarrassé de son glaive et décapité.
Finalement, nul besoin de faire intervenir l’artillerie.

pommes de terre sautées
À boulets rouges

Par mesure de précaution, j’ai jeté de l’huile chaude depuis mes machicoulis.
Piment d’Espelette et jus de citron : les victimes pouvaient reposer en paix sur un champ de bataille fleuri de basilic.

supions
Requiescat in pace

Et Caton l’Ancien pouvait continuer à glapir Parigot delenda est, je m’en contrefichais !

vendredi 15 septembre 2017

Il n'y a qu'un oeuf qui puisse être parfait

J’avais déjà tout en tête pour le déroulement de ma recette destinée à mettre en valeur les beaux cèpes arrivés d’Auvergne en ma cuisine.
Je n’avais plus qu’à passer à l’action…


ACTION !

Je verse de l’eau chaude du robinet dans un bac en plastique, et installe le thermoplongeur.
En effet les cèpes accompagneront des œufs parfaits. Je règle à 64,5°C, et attend que cette température soit atteinte et bien stabilisée.

oeuf parfait, thermoplongeur, 64.5°C
Chauffe Marcel !


Je place 4 œufs dans un petit panier grillagé afin qu’ils ne soient pas ballotés par les remous provoqués par l’hélice -même si j’ai réglé ce flux au minimum- avec dans ce cas un risque de casse, et immerge délicatement ce nid au fond du bac. La cuisson devra durer une heure, je programme et déclenche un minuteur.
Je découpe pendant que l’appareil ronronne un oignon rouge afin d’obtenir des cercles que je laisse mariner dans du yuzu-ponzu (mélange de vinaigre, de jus de yuzu et de mirin, rehaussé par une touche de dashi). Mon objectif est d’obtenir ainsi de pseudo pickles rapide.
Je passe ensuite à la préparation des cèpes. Pas  grand travail, car ils sont très propres (peut-être une pousse sous des conifères ?), il me suffit de coups de brosse et d’un léger épluchage des pieds.
Je les tranche en deux et les réserve.
Je cisèle du persil plat et prépare des extrémités de persil frisé. Je réserve.
Je verse environ une cuillerée de flocons d’algue ao nori dans une coupelle. Je fais la même chose avec du piment d’Espelette.

Puis je vaque à d’autres occupations, pensant que tout était prêt pour anticiper le dressage.

Le minuteur sonne, me rappelant à l’ordre. L’avantage de la cuisson à basse température, c’est de bénéficier d’une certaine latitude pour les durées de cuisson. Aussi je laisse les œufs dans leur bain à 64,5°C et c’est sans hâte excessive que je verse un trait d’huile d’olive au fond d’une poêle, suivi d’une grosse noix de beurre demi-sel. Sur feu moyen je pose  les moitiés de cèpes côté tranche avant de les retourner après dorure.
Les cèpes sont cuits. Je les retire du feu
J’écale les œufs, en place deux dans chaque assiette que je fais voisiner par les cèpes.
Les persils, les cercles d’oignon, l’algue, le piment : l’assiette est dressée. Il ne reste plus qu’à donner un coup de couteau afin de faire apparaître le jaune bien crémeux.

oeuf parfait, cèpes, basse température
Cèpes, œuf parfait 


Content de moi, je pose les assiettes sur la table.
Et mon épouse me dit ; « N’aurais-tu pas oublié quelque chose ? »
Mais oui, bien sûr, en décrivant mon projet de plat, j’avais parlé de la présence de trois très fines tranches du saucisson au roquefort bien sec et si goûteux qui pend dans la cuisine. J’avais tout en tête… Sauf que visiblement ma tête a connu une défaillance.
Je me console en me disant que ces tranches charcutières, ce n’était pas forcément une bonne idée car le plat fonctionne très bien sans elles, et que le mieux est l’ennemi du bien.
Consolation gastronomique… Mais ça ne règle pas pour autant mon inquiétude devant cette preuve de sénilité !


jeudi 14 septembre 2017

Les beaux arts d'utiliser les restes

Reste N°1 :
La seconde moitié du chou frisé dont la première moitié avait été utilisée pour réaliser la potée de sac d’os et saucisse cousine (Pastre et Courade sont dans un rondeau…).

Je décide d’acheter deux crépinettes. Je découpe le chou en lanières, le blanchit, et le fait compoter sur une grosse noix de beurre demi-sel où un petit oignon blanc haché avait été mis à fondre. À mi-cuisson, j’ajoute une carotte découpée en julienne.
Seul problème, un convive inopiné s’est présenté, et il n’y a que deux crépinettes. D’autre part, on est un lundi, et toutes les boucheries et charcuteries sont fermées dans le quartier… Il faut donc improviser un plan d’urgence : il consistera  en une rafle rapide d’une boîte de saucisses de Toulouse chez le Picard situé dans une rue proche.
Les deux saucisses sorties de leur conditionnement et cuisinées selon les instructions se révèlent décevantes, pour ne pas dire franchement mauvaises : insipides et d’une texture granuleuse désagréable. Désormais les hôtes seront priés d’annoncer leur venue suffisamment à l’avance !
Dégât collatéral, seules deux pièces ont été utilisées, il reste encore deux de ces saucisses que faire de ce :

Reste N°2 :
Une paire de saucisses se prétendant de Toulouse surgelées.

Reste N°3 :
Le riz au curry qui avait accompagné le saumon, conservé dans une boîte sous vide.

Il en reste d’autant plus que la jeune infante qui s’était empiffrée de cette même recette quelques semaines auparavant (sauf qu’un bouillon de crustacés avait remplacé un bouillon de volaille…) avait décrété cette fois-ci que ça piquait et avait écarté avec vigueur les grains jaunes d’or, se rattrapant sur le poisson.
Je décide de l’associer avec le reste N°2.

Reste N°4 :
Trois grosses tomates Cœur de Toro qui avaient échappé la veille à la confection d’une salade multicolore.

Je décide de me lancer dans la préparation d’une sauce du genre de celles qui servent à faire passer le merlan, un plus ou moins rougail destiné à masquer la déplorable saucisse sous ses saveurs.
Ce sera donc :

Rougail fantoche :
Je commence par monder les tomates. Elles sont suffisament mures pour que je puisse me passer de les plonger dans l’eau bouillante, même si il reste deux ou trois lambeaux qui ne me gênent pas plus que ça : c’est un plat rustique, non mais !
Je les concasse en gros morceaux, ne voulant pas aboutir à une sauce tomate et encore moins à un coulis. Je fais fondre les pétales d’un oignon dans l’huile d’olive au fond d’une la casserole, les recouvre des morceaux de tomate. Je remets sur feu doux. Après quelques minutes durant lesquelles l’eau de végétation des tomates a commencé à s’épancher, j’ajoute un bouquet garni constitué de céleri-branche, thym et persil enfermés sous une feuille de poireau, une feuille de laurier et des grains de poivre Voatsiperifery. Une dizaine de minutes plus tard suivent demi-une gousse d’ail écrasée, un piment végétarien frais cueilli sur le pied qui me tend ses branches, un morceau de gingembre râpé, du zeste de citron vert, un trait de balsamique blanc. Comme mon piment maison apportera beaucoup de parfums, mais pour la vigueur ne sera pas à la hauteur, je le fais épauler par une bonne cuillerée d’aji molido, une poudre de piment argentin dont j’avais fait l’acquisition quand j’avais préparé des empanadas. Je termine par un léger trait de la bonne Worcestershire sauce produite par la maison Lea & Perrins.

rougail
Rougail fantoche en voie de formation


D’autre part, en simultané, j’avais sorti mes saucisses du congélateur et j’avais commencé leur décongélation complétée d’un peu de brunissement sur une poêle  à feu doux.

rougail
Le dégel


Au bout d’une dizaine de minutes, je peux désormais les trancher en tronçons.

saucisse de Toulouse, Picard
Il faut savoir trancher


Je  plonge ces morceaux dans la casserole dont j’ai retiré le bouquet garni et la feuille de laurier.  Comme je m‘aperçois que son contenu est presque sans liquide, je complète d’un verre d’eau, car les saucisses doivent encore cuire une vingtaine de minutes. Puis me vient une idée : souvent, dans un vrai rougail réunionnais les saucisses sont fumées : j’arrose donc mes pseudo saucisses de Toulouse insipides de quelques gouttes de Smokey chipotle.

J’allume le four, le règle à 130°C. J’y enfourne le plat dans lequel je viens de verser le reste N°3 et que j’ai enfermé sous une feuille d’aluminium.
Les vingt minutes sont passées, je vérifie la réduction et la bonne cuisson des saucisses. Encore une minute à découvert, et la consistance sera bonne…
Ce délai me permets de sortir le plat du four, d’enlever la feuille d’aluminium et de creuser lau milieu du riz afin de créer un emplacement où verser mon rougail fantoche.
Ce qui est fait dans les secondes qui suivent… J’arrose du jus d’un demi citron vert, pose un petit quartier de ce même citron, dispose des volutes de persil.
Ces restes n’ont plus l’air de restes.
Nous pouvons passer à table et manger ce plat avec appétit.

rougail, Toulouse, Picard
R2+R3+R4 


Il n’y aura pas de reste N°5...