mardi 1 septembre 2020

Good trip

 Le marchand de primeurs avait fait présent d’un bouquet de persil.

Je n’avais jamais vu un semblable. Bon, il y avait encore les racines… Mais surtout c’était un persil plat, et cependant ses feuilles légèrement ondulées offraient la fermeté d’une variété frisée. Drues, proches de la tige sans ses longs pédoncules superfétatoires qui réclament une opération plumaison avant le ciselage, elles dégazaient dans leur découpe un puissant parfum herbacé. Bref c’était une quintessence de persil, pas de ces branchouilles tristounettes tout juste bonnes à apporter la petite note de couleur verte à l’instant du dressage.

Aussi je n’ai pas manqué d’en charger mes plats pour un plaisir gustatif certain.


La première utilisation fut dans une persillade alliant ce feuillage magique à l’oignon blanc nouveau.

Elle vint rafraîchir une salade de cervelas et gruyère arrosée d’une rémoulade - une vraie, sans jaune d’œuf - réalisée à partir d’une moutarde douce alsacienne.

Salade cercelas gruyère
Trip alsacien


Le trip commençait : je me voyais en Alsace assis à la table de la sœur de mon grand-père, me régalant de sa Python-Salad - c’est ainsi que l’on nommait ce classique dans la famille.


Le lendemain, c’est avec de l’ail rose de Lautrec que mon persil s’acoquina. Des sardines venant de faire un rapide aller-retour sur la plancha virent cet odoriférant mélange se déverser sur elles alors qu’elles venaient tout juste de s’étonner d’une pluie de sel et de poivre.

sardines à la plancha
Trip catalan


Un délice, car la qualité tant de l’ail que du persil leur a permis de donn.er la réplique avec subtilité et de ne pas priver les sardines du premier rôle.

Le trip continuait : j’étais dans un petit bistrot de Port-Vendres, nous venions de terminer la montagne de sardines grillées noyée sous la persillade que la patronne nous avait apportée sur la table branlante ; je traversais la minuscule cuisine en désordre où elle venait de s’affairer, et qui était le sas d’accès vers les toilettes où j’allais me laver les mains ointes des croustillantes frites accompagnatrices que j’avais chopées à même le plat. Hélas, il n’existe plus guère de tels endroits loin de la frime où l’on pouvait faire bombance pour trois francs six sous…


Je m’interrogeais : quelle pouvait être cette variété de persil si goûteuse ?

Je me suis lancé dans les recherches. Sans grand succès dans le domaine de la botanique et du jardinage. Toutefois j’ai découvert que le persil se nommait en russe петрушка. Petrouchka

Comme le ballet ?

Eh bien, rien à voir, une simple homonymie, mais de fil en aiguille, je me suis trouvé confronté avec une photo de Nijinsky dans le rôle de la célèbre marionnette.



Et là je n’ai pu m’empêcher de songer à un fusain d’Odilon Redon : La Folie.

fou, Odilon Redon
Son fou


Et là nouveau trip : je suis en cours de dessin d’art, une option que j’avais choisie en Math Spé, plus pour le plaisir que pour l’utilité. Aussi mes ambitions y étaient autres que de tenter de reproduire à main levée la potiche garnie de fleur trônant sur un drapé sous la houlette du prof. Enseignant guère plus âgé que nous, par ailleurs fort sympathique, mais visiblement navré de coacher dans une fin compétitive des matheux purs et durs plutôt que de partager sa flamme picturale avec ses pairs - il faut bien pouvoir casser la croûte à défaut de la vendre… Si sympathique qu’il m’a permis de choisir la dissidence.

Dans un carton enfermant des reproductions, je tombe en arrêt sur ce fou qui me fascine. Mon objectif, ce sera de transposer cette œuvre en version colorée. Le brave jeune homme m’extrait d’un tiroir le Cartoil 35 x 27 (5 francs) sur lequel je pourrai appliquer mes touches d’une peinture à l’huile elle aussi offerte par le lycée.

fou
Mon fou


Je regarde mon tableau. Pas de doute, les clochettes sont à chier. Mais je ne suis pas trop mécontent du reste. Même si le fou n’est plus tout à fait le même. Moins accablé et en retrait du monde, il semble désormais le scruter avec une pointe d’ironie amère.


Mais qu’y a-t-il dans cette herbe pour me faire ainsi voyager dans le passé ?

Merci persil, si, si...


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