mardi 30 avril 2019

Mets de l'huile !

Je me souviens des bouquets jaunis de pieds de haricots cocos qui pendaient la tête en bas sous le porche.
Je me souviens de ma grand-mère revenant du jardin des Fontenelles où elle les avait récoltés, grimpant péniblement la côte en poussant la vieille charrette à bras repeinte de vert wagon et faisant une pause à l’ombre des deux gros noyers qui se dressaient au bord de la route empierrée blanchoyant sous le soleil matutinal - pas trop longtemps, car c'est une ombre néfaste...
Je me souviens des séances de battage sur un vieux drap de lin blanc.
Je me souviens du petit pichet de tôle émaillée ponceau à l’extérieur et éburnéen à l’intérieur qui était posé dans la cendre devant les braises rougeoyantes de la cheminée, vieux récipient un peu cabossé où mijotaient doucement les grains dans une eau parfumée par une feuille de laurier et une branche de thym.
Je me souviens des fricassées de pois - c’est ainsi qu’étaient appelés les haricots blancs dans le village - que ma grand-mère préparait en versant le contenu  presque crémeux du pichet au fond d’une poêle, le faisant revenir avec quelques oignons dans de l’huile de noix - la graisse traditionnelle locale car jusqu’à la guerre de 14 tous les chemins  du Haut-Poitou étaient bordés de noyers que l’on a hélas abattus pour y tailler les crosses des fusils et qui ne furent que trop rarement replantés.
Je me souviens du léger trait de vinaigre dont ma grand-mère aimait souvent relever ses préparations.

Je préfère oublier mon minable plat de Pâques avec sa malencontreuse sauce versée sur les découpes de gigot et ses tarbais pas assez cuits.
Alors je libère les haricots et les tranches d'agneau débarrassées de leur jus malencontreux des boîtes sous vide qui leur servaient de glaciales prisons.
Je remets les tarbais dans une casserole avec de l’eau et les fais recuire pendant plus d'une heure.
Je pose les tranches de gigot sur une poêle très chaude à peine barbouillée d’huile d’arachide, les saisis rapidement sur les deux faces. Le peu de sauce douceâtre qui persiste en certains endroits se caramélise, et je baisse rapidement la flamme pour que le cœur de la viande ne se dessèche pas. Je verse les tarbais, arrose de quatre cuillerées d’huile de noix poitevine, laisse cinq minutes à feu doux. Pour terminer, je fais pleuvoir quelques gouttes de vinaigre de cidre, donne un tour de moulin de poivre rouge de Kampot, et apporte la poêle sur la table.

gigot d'agneau de lait, tarbais, huile de noix
Sauvetage


Je me souviendrai de ce sauvetage : pour une fois les restes sont cent fois meilleurs que le plat original.


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