« Mais, hum, une recette prise sur Internet… » dis-je d’un ton peu enthousiaste, m'adressant à ma moitié à qui cette pâtisserie avait tapé dans l’œil au cours de ses recherches d’idée pour gaver les petites filles pointilleuses de passage le lendemain.
À ce propos, gloire à Stéphane Jégo qui a su débarrasser l’épreuve des enfants dans Top Chef de ces stratégies abominables que sont le dressage dans le style Tête à Toto et, encore pire, le camouflage sournois…
Mais ceci est une autre histoire. Pour l’instant, c’est le repas du lendemain qu’il faut planifier. Bon, moi qui suis plutôt porté vers les desserts à base d’amande, je ne puis qu’adhérer à ce choix. Cependant j’ai envie d’aller plus loin. J’ai dans ma bibliothèque quelques livres consacrés à la cuisine britannique, je vais les consulter.
Et c’est ainsi que je découvre au sein de la réédition par l’excellent éditeur MENU FRETIN du livre paru en 1894 du cuisinier français Alfred Suzanne, LA CUISINE ET PÂTISSERIE ANGLAISE ET AMÉRICAINE Traité de l’alimentation en Angleterre et Amérique, cette recette qui devrait nous permettre de voyager non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps :
BAKEWELL PUDDING
Foncer un plat à pudding avec une abaisse de pâte fine sur laquelle on étend une couche de marmelade d’abricots.
Mêler dans un mortier une demi-livre d’amandes moulues avec 30 grammes de mie de pain, 250 grammes de beurre, 100 grammes de sucre en poudre, un verre de crème, un grain de sel, un peu de poudre de vanille et trois jaunes d’œufs dont on fouette les blancs bien fermes, et qu’on mélange en dernier lieu. Emplir avec cette préparation le plat à pudding et mettre au four pendant une demi-heure.
Reste à trouver le plat principal. Pourquoi ne pas rester dans la british food ?
Je feuillette le livre de Suzanne. Tiens, tiens, voici de quoi amuser les enfants :
TÊTE DE CABILLAUD FARCIE
STUFFED COD’S HEAD
On remplit le vide de la tête avec de la farce à l’anglaise (veal stuffing), puis on place la tête du poisson, ainsi farcie, sur un plat au fond creux bien beurré.
On ajoute du vin blanc et un peu de bouillon, on l’assaisonne et on le met au four en l’arrosant de temps à autre avec la cuisson. Dix minutes avant de sortir le poisson du four, on le saupoudre de mie de pain frite ou de chapelure fine.
On sert avec le cod’s head une sauce aux œufs ou aux huîtres. On peut avantageusement remplacer la farce à l’anglaise par une bonne farce de poisson assaisonnée aux fines herbes. Mêler dans un mortier une demi-livre d’amandes moulues avec 30 grammes de mie de pain, 250 grammes de beurre, 100 grammes de sucre en poudre, un verre de crème, un grain de sel, un peu de poudre de vanille et trois jaunes d’œufs dont on fouette les blancs bien fermes, et qu’on mélange en dernier lieu. Emplir avec cette préparation le plat à pudding et mettre au four pendant une demi-heure.
Voyons donc ce qu’est la farce à l’anglaise… Ah, voilà :
FARCE COMMUNE
VEAL STUFFING
Recette : Hacher très fin une livre de graisse de rognon de bœuf, que l’on mélange avec la même quantité de mie de pain fraîche passée au tamis à quenelle. On ajoute à la farce deux œufs entiers, du sel, du poivre, une pincée d’épices et du persil haché.
« Comment ? Ça ne plairait pas aux enfants ? Une tête, et il ne reste plus qu’à ajouter une pomme de terre pour le corps et des petites carottes pour les bras et les jambes. Peut-être un peu de cresson pour une perruque ? Non, même comme ça ? Pourtant c’était une bonne idée… ».
Finalement le consensus se crée sur un plat de haddock. Je ressors le livre d’Alfred Suzanne. Voyons, chapitre premier, potages anglais -english soups, chapitre II, poissons….bon, sautons la honnie tête de cabillaud, juste après, sprats, puis soufflé de morue salée -salt fish souflé… pudding de filets de sole, ah, nous y voilà, merluche fraîche -haddock à l’anglaise, eh, eh, on y retrouve l’omniprésent veal’stuffing, mais non, il ne s’agit pas de mon haddock dénomination française, ici le poisson est frais, eurêka, je trouve mon bonheur dans la recette suivante :
MERLUCHE FUMÉE
FINNAN HADDOCK
La ville de Finnan est un petit port de mer situé à six milles d’Aberdeen. C’est probablement de cet endroit, où les merluches abondent, que le procédé de les fumer est originaire. Aujourd’hui, il est pratiqué sur une grande échelle, non seulement à Finnan, mais dans toute l’Écosse.
Walter Scott, dans un de ses romans, donne la description de ce poisson qu’il qualifie d’incomparable. L’opinion de l’éminent romancier est confirmée par tous ceux qui ont goûté du finnan haddock, et je suis surpris que cette excellente manière d’apprêter la merluche soit si peu connue en France. La ville d’Aberdeen en fait un commerce considérable, et sa consommation dans le Royaume-Uni est énorme.
Le haddock, aussitôt pêché, est ouvert par le ventre dans toute sa longueur, frotté de sel et suspendu par la queue pour être fumé pendant vingt-quatre heures. Ce court espace de temps suffit à lui donner une saveur particulière et un goût d’une extrême délcatesse. Il est vrai que le poisson ainsi préparé ne se conserve que peu de jours, et c’est probablement pour cette raison qu’on ne l’exporte en France qu’en petites quantités.
Pour le servir, on le fait simplement griller quelques minutes après l’avoir badigeonné d’huile et lui avoir coupé les nageoires, et, lorsqu’il est prêt et dressé sur le plat, on l’arrose de beurre frais fondu. On peut également le mettre à l’eau bouillante pendant cinq minutes, au lieu de le faire griller. Le finnan haddock se sert généralement pour le déjeuner du matin ou avec le thé de cinq heures.
On le sert aussi quelquefois avec le fromage à la fin du dîner. Dans ce cas, on le coupe en petits dés qu’on fait chauffer dans un peu de sauce curry ou à la diable, et l’on en garnit de petites croustades.
Le lendemain, fini de gloser, il faut passer à l’acte.
Commençons par le Pudding Bakewell.
Notre cuisinier Suzanne s’adresse à des pros, il considère que la recette d’une pâte fine est un acquis et ne la donne pas dans son ouvrage. Espérant ne pas être trop à côté de la plaque, je pars sur ces proportions :
250 g de farine
125 g de beurre
50 g de sucre glace
1 œuf
1 pincée de sel
La petite boule obtenue après pétrissage est réservée au frais pendant la préparation de l’appareil en suivant strictement les instructions de Suzanne.
Il ne reste plus qu’à effectuer le montage. La pâte étalée recouvre le fond du moule.
Il faut badigeonner de confiture. Las, la confiture présumée d’abricot par une inspection sommaire se révèle être un abominable (j’ai goûté !) mélange où les 25 % d’abricot sont liés avec force pectines avec un peu de pêche, de mangue et de jus de fruit de la passion. Il n’est pas question de gâcher ce dessert par cette infamie. Tant pis, il y aura une légère entorse à la recette authentique. La confiture d’abricot sera remplacée par de la confiture de framboise - fruit qui est d’ailleurs celui utilisé dans les recettes actuelles.
Allez, au four à 180 °C pour 40 minutes !
Il en sort un produit de bonne mine. Reste à savoir s’il régalera les convives…
Voyage à Bakewell |
Pour le plat, je vais revisiter (eh oui, il m’arrive parfois de tomber dans ce travers !) le haddock grillé arrosé de beurre fondu.
Je place simplement les filets de haddock sur le plat de service parsemé de quelques noix de beurre, j’étale sur lui les coupes d’environ 2 mm d’épaisseur réalisées dans un oignon doux des Cévennes. Je répartis sur le plat quelques nouvelles noix de beurre et j’arrose les tranches d’oignon de quelques gouttes de vinaigre balsamique blanc. Je termine en saupoudrant de graines de maceron de l’île de Ré écrasées au mortier.
Sur le haddock |
J’enfourne pendant 12 minutes à 190 °C.
Le plat sort du four. Je l’arrose d’une grosse noix de beurre fondu. Je sème des câpres.
Sorti du four |
Nous sommes prêts pour passer à table. Il est temps, des gamines affamées expriment leur impatience. Les pommes à l’anglaise adjointes au plat de haddock devraient leur rétablir leur taux de glycémie et les rendre moins insupportables.
Miracle ! Elles se régalent – tout comme les adultes.
Repus, nous sautons le fromage. Arrivent les parts de Pudding Bakewell.
Coupe de Bakewell |
C’est vraiment une bonne pâtisserie. À tel point qu’il nous faut recharger les assiettes avec du rab découpé dans le grand morceau resté en cuisine.
Ma chère moitié de Bakewell |
Ma fille me fait remarquer la ressemblance de ce dessert anglais avec le nougat de Tours.
C’est effectivement flagrant. Ce le serait encore plus si la confiture était d'abricot, comme c'est le cas pour la spécialité ligérienne.
Décidément, plus je voltige d’un pays à l’autre dans mes lectures culinaires que parfois je tente de concrétiser, plus je découvre de fratries dont je ne sais si elles sont le fruit de transmissions au gré de migrations, de guerres, de voyages, ou simplement de démarches créatives parallèles dans des lieux différents mais avec des contraintes similaires…
Mais qu’importe… Pourvu que l’on se régale !
Je me régale les pupilles à lire vos textes truculents, ça me donnerait presque envie de faire les recettes. Mais , manque de courage, j'aimerais juste les déguster. Vous devriez écrire un livre. Vous êtes infiniment drôle.
RépondreSupprimerMerci, mon ego est en train de se la péter grave ! En revanche, je crains que l'écriture d'un livre mènerait un éditeur éventuel droit à la faillite en regard de l'effectif de mon lectorat !
RépondreSupprimer