jeudi 26 octobre 2017

Fourasine

« Languille ! » criait le docteur Beaurieux au condamné. De fait, il s’adressait à la tête de la victime fraîchement décapitée. Languille était un meurtrier condamné à la guillotine et exécuté le 28 juin 1905. Le médecin rapporte ses observations dans les Archives d’Anthropologie Criminelle. Entendant son nom, la victime décapitée, dont les paupières venaient de se fermer, rouvrit les yeux et fixa le docteur avec intensité, puis les yeux se refermèrent lentement, au bord de l’inconscience...
[…]
Évidemment, la question de l’état de conscience d’une tête séparée de son corps ne saurait aujourd’hui être étudiée scientifiquement.
( POUR LA SCIENCE du 22/03/2011 )


http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actu-derniers-instants-d-un-decapite-26625.php

Eh bien si, j’ai renouvelé cette expérience.


anguille, décapitation
Entrée en gore


Et c’est bien plus que quelques secondes que L’anguille a remué la bouche pour tenter de me dire quelque chose que je n’ai pas vraiment compris, sans doute des injures si j’en croie le clignement de ses yeux furibonds. Plus exhaustif que le docteur Beaurieux, j’ai aussi entrepris d’observer le corps. Ce dernier a donné des signes manifestes d’agitation durant au moins un quart d’heure, réagissant violemment à tout contact. Il est probable que ce phénomène eut pu encore se prolonger si je n’avais pas poursuivi la démarche en me livrant à des coupes successives qui ne relevaient plusde la décapitation, mais plutôt de la décaudation… Les tronçons successifs sont aussitôt devenus inactifs, ce qui semble démontrer que L’anguille est dominée par sa queue.


Cette étude terminée, je n’allai pas tout de même pas gâcher ces beaux morceaux. Scientifique, certes, mais aussi gourmet !
J’ai donc décidé de les intégrer dans une chaudrée apte à me remémorer le plat dont je me suis régalé mainte fois dans un restaurant de la Pointe de la Fumée à Fouras, établissement reconverti hélas en piège à touristes après le départ en retraite de son patron…

Je prépare les ingrédients :

Tout d’abord  un morceau de blanc de seiche (non congelé !) que je découpe en parallélépipèdes d'un demi-centimètre d’épaisseurs.


blanc de seiche, chaudrée
Blanc d'automne


Puis les poissons.
Une  petite aile de raie bouclée que je pare en la débarrassant d’une bonne partie du gros cartilage et que je partage en quatre.
Une tranche de lotte que je dépouille des quelques restes de membrane et petits vaisseaux sanguins laissés par le poissonnier,  et qui elle aussi est divisé en quatre morceaux.
Deux darnes de merlu sur lesquelles je ne me livre à aucune intervention.


chaudrée, merlu, raie, lotte
J'ai la pêche !


Enfin le blanc d’un poireau que je tranche en rondelles de 2mmm d’épaisseur et six gousses d’ail.


Je mets à suer dans une bonne noix de beurre de ferme les morceaux de blanc de seiche avec ail et poireau avec une pincée de sel. Quand ils ont rendu toute leur eau et qu’ils sont sur le point de colorer, je verse dans le faitout trois verres d’eau et laisse cuire le blanc de seiche 40 mn à feu doux.
Je rajoute alors les tronçons d’anguille que je viens de faire sauter quelques secondes à feu vif sur une poêle dans un filet d’huile et une noisette de beurre. Quelques minutes plus tard je verse la bouteille de sauvignon du Haut-Poitou achetée sous le regard navré de l’œnologue-vigneronne qui rêvait sans doute pour elle d’un destin plus noble – pourquoi donc avoir dévoilé que je l’achetais pour la cuisine ? J’avais alors tenté de me faire pardonner en assurant que la bouteille de sauvignon gris, alias Fié gris, serait quant à elle dégustée avec l’attention et le respect qu’un tel produit mérite. Je ne suis pas certain d’avoir obtenu l’absolution quémandée…
Cette bouteille se voit adjoindre un grand verre de pineau des Charentes qui va conférer des parfums et de la rondeur.
Vingt minutes se passent à petit bouillon, pendant lesquelles vont dorer à la poêle, dans du beurre de ferme mousseux, deux tranches du pain de campagne au levain du boulanger de mon village que j’ai coupées en deux. J’en profite aussi pour  faire cuire trois pommes de terre à l’eau et pour ciseler finement du persil.
J’introduis la lotte, puis la raie. Quatre minutes de frémissement sur une petite flamme, et je termine par le merlu qui ne doit effectuer qu’un bref passage.
Je retire avec une passoire les poissons, la seiche et l’anguille, les réserve. Je porte le bouillon à ébullition et y fais émulsionner un gros morceau de beurre – toujours ce même produit artisanal si savoureux.
Je rectifie ensuite l’assaisonnement.
Il ne me reste plus qu’à transvaser ce bouillon dans le plat de service, y replacer seiche, anguille et poissons, déposer une pomme de terre au centre et les croûtons sur les côtés et conclure en parsemant de persil ciselé.


chaudrée, Fouras
Comme une fourasine...


Quelques minutes plus  tard, le plat trône au centre de la table et nous siégeons devant nos assiettes de savoureuse chaudrée.


chaudrée
Dans mon assiette


Je me croirais presque à la Pointe de la Fumée.
Sans la mer et l’île d’Aix à l’horizon, hélas…

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