mercredi 14 juin 2017

La fille de la Loire et l'enfant du Marais

Eh bien ça y est, j'ai enfin pu déguster la matelote d'anguille - réchauffée non le lendemain, mais le surlendemain.


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Matelote au rillon
Heureuse surprise, le rillon ne fut pas qu'un remplaçant de fortune des lardons, bien au contraire. Pour ma part, je trouve qu'il apporte un goût très plaisant, et sa texture un peu fondante s'équilibre bien avec celle de l'anguille.
J'ai accompagné la matelote des mêmes pommes de terre dont je m'étais déjà régalé sautées, en les faisant cuire au four enveloppées de papier d'aluminium. Toujours aussi bonnes !



Le dépiautage de la bête m'a renvoyé près de deux ans en arrière, en une journés de début d'automne où j'avais pratiqué le même sport. J'ai retrouvé le texte que la préparation de la matelote d'alors m'avait inspiré...

 

L'ENFANT DU MARAIS

 

Quand Emilie l’Anguille fut plaquée par Paul le Poulpe, le monde s’écroula autour d’elle, et elle partit à la dérive.
Elle revint vers son marais natal, où un ignoble maraichin profita de sa détresse ; elle devint entraîneuse dans un rade à matelot(e)s. Puis un jour, enivré par l’abus de bernache, il la menaça de son eustache :
« Alors, ma belle, tu sais bien te tortiller ! Fais-nous donc un petit striptease… ».
Les compagnons de beuverie beuglèrent à qui mieux mieux :
« À poil l’anguille, à poil ! »
La malheureuse dut s’exécuter. Tremblante, elle enleva le haut.


Emilie enleve le haut


Arrivée à la taille, elle tenta de résister, se voila le visage.



Emilie se voile le visage

Mais les huées fusèrent, les surins furent brandis :
« Enlève tout, enlève tout !!! »
Elle dut s’exécuter, et ses pauvres oripeaux jonchèrent le pavé de marbre.

 
Emilie jolie

Un peu plus tard, on découvrit son corps ensanglanté, privé de ses viscères. On pensa à Jack the Ripper, il ne sévissait plus à Londres, peut-être avait-il délaissé le smog de la Tamise pour les brumes du marais ? Aussi fit-on venir un médecin légiste d’Angleterre, le docteur Jekyll.
On retrouva dans la morgue le corps d’Emilie l’Anguille sauvagement découpé en tronçons
.


La malle sanglante


Le docteur avait disparu ; demeuraient, tracés en lettre de sang, ces mots : Mr Hyde m’a tué.


 

 

Je me raconte cette triste histoire du destin d’un enfant du marais en préparant la bête. Mais maintenant il me faut passer aux choses sérieuses. Qu’elle ne soit pas morte pour rien, qu’elle revive dans un plat savoureux.

Je fais suer une garniture aromatique d’échalote grise, carotte, céleri-branche dans une noix de beurre doux fermier. J’y ajoute une couenne de poitrine fumée,une gousse d'ail écrasée, quelques grains de poivre de la Jamaïque et une queue de persil, arrose des deux tiers d’une bouteille de vin de Chinon. Je fais réduire d’un tiers à petit feu.

Puis je fais dorer les tronçons d’anguille en compagnie du quart d’une tranche épaisse de jambon de Vendée découpée façon lardons, singe d’une demi-cuillérée de farine, et verse la réduction de Chinon à travers un chinois. Un bouquet constitué d’une feuille verte de poireau cernant une feuille de laurier, une feuille de céleri, un brin de thym, deux ou trois queues de persil va donner son arôme.

Et c’est parti pour une demi-heure de cuisson frémissante. Après le premier quart d’heure, j’introduis une dizaine de petits champignons de Paris poussés dans le Saumurois.

Pendant ce temps, je prends quatre petites pommes miniatures ramassées au pied d’un pommier sauvage dans la forêt. Elles sont aigrelettes à souhait. J’en partage une paire en deux et en enlève les membranes et les pépins. Je creuse le fond des deux pommelettes restantes au couteau d’office afin d’en ôter aussi le cœur. Je place le tout au fond d’une petite casserole, un peu d’eau à effleurement, une noix de beurre, une pincée de sel et une pincée de sucre afin de les glacer. J’y adjoins deux petites échalotes violettes entières et une autre tranchée en son axe, qui subiront le même sort. Je coiffe d’un disque de papier sulfurisé percé en son centre, et laisse s’évaporer à petit feu.

La demi-heure est terminée je sors les tronçons d’anguille et en dispose cinq sur chaque assiette chaude. J’enlève le bouquet garni. J’ajoute un carré de chocolat noir d’Ouganda à 80% de cacao à la sauce, poursuit la réduction à feu vif en ajoutant un léger trait d’Arôme Patrelle. Quand la sauce a atteint une bonne consistance, je la vanne avec une petite noix de beurre demi-sel.

Je prends une louche et partage la sauce entre les deux assiettes.
Je finis de glacer pommes et échalotes, et les dispose sur les assiettes à l’aide d’une pince.
J’ai fait blondir lentement dans une grosse noix de beurre trois tranches de baguette tradition que j’avais divisées en petits morceaux. Je parsème de ce croustillant savoureux.
Un tour de moulin de poivre noir, du persil ciselé : l’on peut passer à table. Quelques pommes de terre à l’anglaise servies à part permettront de saucer d’une fourchette gourmande.


Matelote septembre 2015
 
 
 
 
Reniflons de plus près...

 

Je suis content. L’accord entre les pommes sauvages et la matelote était parfait.
Une tuerie, dirais-je, si je ne craignais de me montrer trop désinvolte envers la mémoire de la pauvre Emilie…

 

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