lundi 21 octobre 2019

À la fête de lumas

Ils étaient une trentaine, partis du pays charentais à la fête de lumas, accompagnés par leurs lardons. Mais un peu trop imbibés de pineau, ils s’embourbèrent dans la tomate et les herbes, s’égarèrent et finirent chez moi.
Je leur offris le gîte et mes couverts (à escargots).
Ils étaient bien bons.

escargots à la charentaise, cagouilles, lumas
Lumas à la charentaise


Moralité : il faut mieux rester dans sa coquille quand il fait un vent à décorner la bête, même si c'est pour se rendre à la fête de lumas.





samedi 19 octobre 2019

Cuisine du marché

Je m’étais tellement régalé avec le farci poitevin acheté au stand de ma marchande exécrable que j’ai envie de renouveler ce plaisir. Mais elle est seule derrière son étal, enfin, pas exactement, car elle y papote avec un couple de personnes âgées vraisemblablement de la famille. Pas trop envie d’échanger avec elle, mais la gourmandise est la plus forte. Je réprime un rancunier « Je croyais que vous ne vouliez plus en faire car ça demandait trop de travail » et lui demande d’en découper une tranche. Et je m’entends ajouter, sans doute plus comme une autojustification que comme un compliment adressé à cette personne revêche qui nous a jadis escroqués : « Votre farci est le meilleur de la région, bien équilibré, sans cette dominante de chou et cet excès de viande qui gâche le goût de la plupart. ». Je vois alors son visage s’illuminer, elle est devenue une tout autre personne, fière de ce compliment sous le regard de ses proches. « Ah non, je ne mets aucun chou de ma farce, rien que des herbes avec un peu de lard gras ! ».
J’en arrive à me demander si ses comportements précédents n’étaient pas ceux d’une paysanne – car cet artisan vend les produits de son élevage, d’ailleurs l’abondance en herbes ne proviendrait-elle pas du fait qu’elles sont cultivées à la ferme… - devant le Parigot qu’elle devine en moi. Et c’est les yeux embués par l’émotion et arborant un sourire dont je l’aurais crue incapable qu’elle me tend mon achat – tarifé cette fois-ci au juste prix.
Ce bon farci sera l’apex de notre frugal repas de midi.


farci poitevin
Farci 3*



Pour le repas du soir, ce sont un ostréiculteur et un poissonnier qui m’en fourniront les ingrédients.
En premier lieu, je rachète une dizaine de ces remarquables crevettes impériales qui me semblent encore plus agitées que la fois précédente sur l’étal du vendeur. De la météo sur l’agitation des gambas ?
Puis je retourne auprès des beaux pétoncles noirs que j’ai aperçus lors de mon tour exploratoire du marché. Je m’en procure une douzaine.

Le soir, je gratte les pétoncles pour les débarrasser des petites balanes et crépidules qui se sont fixées sur leurs coquilles et les plonge dans une bassine d’eau salée afin de leur faire dégorger leur sable.


pétoncle noir
Je vous ferai rendre gorge !


Il me faudra sept transvasements successifs avant de ne plus découvrir de restes de sable au fond de la bassine.
Puis je sors la boîte contenant les crevettes impériales, et la chaleur réveille tout ce petit monde. Je me dépêche de recoiffer avant que l’une d’elles fasse un bond et aille se réfugier sous une armoire, comme ce fut le cas la dernière fois.
Je sais qu’il va falloir faire vite et bien enchaîner les figures.

Je commence par aller couper deux branches de mélisse dans la cour.
En en revenant je découvre un phasme en train de s’exposer au soleil couchant sur le mur à côté de la porte d’entrée de la cuisine.


phasme, clonopsis gallica
Un gaulois qui n'a rien d'Obelix


Je ne savais même pas que ce genre de bestioles que jusqu’à présent je n’avais fréquenté que confinées dans des terrariums, en particulier ceux de l’Opie à Guyancourt, pouvaient se rencontrer dans notre bonne région poitevine. Une recherche effectuée plus tard me montrera que ce Clonopsis gallica est discret (enfin, pas toujours…) mais bien présent en Poitou-Charentes.
Mais ça, j’en prendrai connaissance plus tard, car après une rapide séance de shooting, je dois abandonner ma vedette gauloise pour me consacrer à mon plat.
Je retire les feuilles des tiges de mélisse, les mets grossièrement en lambeaux et réserve. Je m’empare d’une cocotte, y verse un trait d’huile d’olive dans laquelle je fais tomber une noix de beurre demi-sel fermier. Je la pose sur un feu vif, et quand le beurre commence à mousser, j’ajoute les pétoncles que j’arrose du demi-verre de sauvignon qui attendait sur un coin de la table. Les coquillages commencent aussitôt à s’ouvrir, je parsème des déchirures de mélisse et me dépêche de vider par-dessus les pétoncles les crevettes impériales. Je coiffe prestement du couvercle. Il était temps, car j’entends durant quelques secondes le bruit du choc des gambas heurtant la fonte dans leurs bonds désespérés, période heureusement très brève, ce qui soulage mon âme compatissante.
Je laisse sur le feu encore quatre minutes, le temps que les pétoncles finissent de s’ouvrir et que les crevettes achèvent leur cuisson dans la vapeur du vin blanc.
Je retire du feu, décoiffe la cocotte. La cuisson me semble réussie.


pétoncles, crevettes ilpéraiales
Bravo, ma cocotte


L’ustensile de cuisson métamorphosé en plat de service va sur la table, puis son contenu petit à petit sur nos assiettes.



crevettes impériales, pétoncles
Premier service


On mangera avec les doigts, s’essuyant avec un vulgaire papier essuyant-tout, alors pourquoi pas nos paluches dégoulinantes. C’est bien bon, le parfum discret de mélisse fonctionne parfaitement avec ces fruits de mer, les pétoncles développent une petite note sucrée fort plaisante et les crevettes impériales sont cuites à point, offrant une chair encore légèrement nacrée.

Pour finir ce festin, Madame avait réalisé des œufs au lait particulièrement réussis, fermes à souhait.


oefs au lait
Dans le bain, Marie


Je lui ai demandé sa recette.
« Un litre de lait, six œufs, cent vingt grammes de sucre, puis au four à 180 °C dans un bain-marie avec l’eau déjà chaude, ça c’est important.
-Et combien de temps ?
-Ben…. Ben j’sais plus ! »
Mais chacun sait que la cuisine ménagère se fait au feeling… En tout cas, le résultat était là.


oeufs au lait
Ils sont laids,les oeufs à l'eau, ils sont beaux, les oeufs au lait








jeudi 17 octobre 2019

Sauce qui peut !

Que faire du reste de la récolte pléthorique de tomates San Marzano, sinon le transformer en sauce, car autant cette variété charnue est savoureuse sous cette forme, autant elle est décevante sous forme de salade, car d’une texture un peu farineuse guère agréable ?


tomate san marzano
Dans le catalogue...


Que faire de cette sauce, sinon de la servir avec des pâtes ?
Or au magasin de petits producteurs sis à la frontière du Haut Poitou et de la Touraine je suis tombé sur un rayon de pâtes fabriquées par un agriculteur local là partir de ses céréales. Certains paquets arboraient fièrement une étiquette : L’Attrap’Sauces.


farines semi complétes
Dans l'Epicurie


Espérant qu’il ne s’agissait pas plutôt d’un Attrap’Couillons, j’ai donc lancé illico l'Opération Marzano’s Rescue
Pour m'en donner les moyens, profitant du fait que c’était le jour du marché, j’ai acheté chez le poissonnier une douzaine de petits encornets et un sachet de moules de bouchot.


De retour à la maison, pendant que mes tomates émondées compotaient doucement sur un bon trait d’huile d’olive avec deux gousses d’ail, une feuille de laurier, des herbes aromatiques du jardin, une petite cuillerée de grains de poivre à queue, une pincée de pistils de safran, deux clous de girofle, j’ai préparé mes ingrédients marins.
J’ai débarrassé les encornets de leur peau, enlevé les entrailles et la plume, conservé les tentacules et le corps découpé grossièrement. Une fois bien lavé, j’ai réservé.
J’ai gratté les moules, enlevé le byssus. Visiblement toutes étaient bien fraîches. Je les ai mises de côté jusqu’à ce que la compotée de tomates ait bien réduit.

La sauce tomate est prête, j’ôte les branches de romarin, de thym et d’origan, je rectifie l’assaisonnement, incorpore une petite cuillerée de piment d’Espelette, le jus d’un demi-citron, et je la transvase dans une poêle. Je fais s’ouvrir les moules au fond d’une casserole avec un demi-verre de vin blanc, une gousse d’ail, une branche de romarin. Je les décortique, en préservant six pour la présentation. Le jus filtré rejoint la sauce.
Je balance les pâtes dans de l’eau bouillante salée. Les quatre minutes que dure la cuisson me suffisent pour incorporer la découpe d'encornets qui va cuire rapidement dans la sauce frémissante, ajouter les moules décortiquées et brasser le tout quelques secondes avant de sortir les pâtes que je dépose dans la poêle. Je tente de mélanger, mais l’Attrap’Sauces n’attrape pas si bien que ça, et aussi bien encornets que moules se refusent à faire surface Tant pis, ces bestioles rétives seront quand même bien présentes dans les assiettes, et l’on se chargera de les mener vers nos papilles manu militari
Faute de mieux, je rappelle la présence des fruits de mer par mon sextuor baillant, et je découpe un quartier de citron qui s’ajoute au décor en compagnie de quelques feuilles de persil.


pâtes aux fruits de mer; moules,encornets
Opération Marzano's Rescue réussie!


Que dire des attrapeuses de sauce ?
Leur compétence pour ce boulot ne semble pas évidente À leur décharge, il s’agit d’une compotée plutôt que d’une sauce onctueuse. Je suis un peu dérouté par la texture, qui n’est pas celle de mon al dente habituel. Il est vrai qu’au blé dur s’ajoute du blé tendre et qu’aucun œuf n’entre dans la composition. Mais ce qui me trouble le plus, c’est la saveur puissante que confère l’utilisation de céréales semi-complètes qui tend à écraser les autres parfums. J’en arrive à penser que ces Attrap’Sauces devraient changer leur fusil(li) d’épaule et se reconvertir en Attrap’Motte. Un bon beurre fermier, ces pâtes, et ce sera toute la saveur de la glèbe dans son assiette !

mardi 15 octobre 2019

Journal d'une forme de chanvre



sardines, vinaigre de Xérés, huile de chanvre
Batavia assaisonnée huile de chanvre et vinaigre de Xérés, sardines sablaises grillées


Vendredi, Monsieur m’a léchée d’abord avec la curiosité de la nouveauté, puis voluptueusement.
« Tu sens l’herbe fraîche et la noisette », m’a-t-il dit. Puis est arrivé le hautain Vinagre de Xeres. Notre union n’a pas manqué de sel ni du piment ajouté par un poivre aphrodisiaque.
Mais ce n’était pas fini, Batavia s’est jointe à nous. Les joues rougies par la honte elle n’arrêtait pas de seriner « Qu’est-ce qui va m’arriver ? ». J’ai préféré ne pas lui répondre, de toute façon elle est dure de la feuille.
Et tout ça sous l’œil lubrique de sardines bien échauffées…

Je n’aurais jamais dû quitter ma ferme de Mirebeau !

lundi 14 octobre 2019

Aller-retour vers le passé

Ne voilà-t-il pas qu’un verre de bernache me fait entrer dans les couloirs du temps !



Je vais au marché, et une paysanne me propose des pêches de vignes, pas de celles vendues désormais par les marchands de primeurs ou les supermarchés, non, des vraies, celles que l’on cueillait sur l’arbre entre deux rangées de ceps, un peu aigrelettes et parfaites pour calmer la soif sous le dernier soleil d’automne.


pêches de vigne
Avoir la pêche


J’en croque une, mordant dans la peau finement duveteuse, et retrouve des parfums oubliés.


Puis, de retour à la maison, je soulève le couvercle d’une vieille maie et découvre deux vieilles bouteilles d’eau-de-vie.

La première est une bouteille de mirabelle alsacienne de 1959, distillée à partir de prunes récoltées dans la famille.


eau-de-vie de 1959
Respecter l'étiquette ?


Je la sors avec l’intention d’y goûter. Puis, au moment d’enlever le bouchon, j’arrête mon geste. Quelle déception si je n’y retrouvais pas les fragrances d’antan ! Et ne serait-ce pas sacrilège de mettre fin à cette retraite de six décennies dans le noir, loin de l’agitation du monde ?
Alors depuis cet instant je suis déchiré entre ma curiosité et la peur de l’irréparable…

Pour la seconde bouteille, une eau-de-vie distillée par mon grand-père en 1963 à partir des fruits du grand jardin de sa maison à Chilly-Mazarin, où la quiétude des planches de légumes – dont les ventrus choux quintal qui lui servaient à préparer la choucroute dans le tonneau de sa fabrication – et des pruniers, cerisiers, abricotiers, n’était troublée que par le survol des Constellations venant de décoller d’Orly, je ne me suis même pas posé la question open or not open.


eau-de-vie, 1963
Gnole de banlieue


Cette pièce improbable d’une eau-de-vie banlieusarde contenant la sève d’un lieu si chargé de souvenir pour moi doit être conservée comme une relique.

samedi 12 octobre 2019

Conte de la mille et deuxième nuit

Le sultan avait convoqué son cuisinier.
« Sache que je suis las de ta façon de préparer les aubergines.
- Sa Majesté est bien sévère envers moi, j’ai vu un imam se pâmer de plaisir en les dégustant. Oserai-je rappeler que cette recette m'a été dictée par Allah durant mon sommeil. À mon réveil je savais enfin comment préparer les aubergines les meilleures du monde. Je fris les aubergines fendues en deux et scarifiées dans de l’huile d’olive. J’émonde et épépine de bonnes tomates charnues et les fais compoter en les parfumant de thym, d’origan, de romarin, d’ail, de poivre à queue, de clou de girofle, de cannelle et d’un trait de vinaigre balsamique. Je sale et rehausse de quelques gouttes de Tabasco. Puis je mets à fondre dans de l’huile d’olive les pétales obtenus en partageant un gros oignon blanc, les parsemant de fleur de sel et les colorant d’une pincée de curcuma. Je recouvre les aubergines étendues au fond d’un plat d’une couche de tomate suivie d’une couche d’oignon. J’arrose du jus d’un demi-citron et d’un trait d’huile d’olive et j’enfourne pour une trentaine de minutes à 170 °C. Il me faut bien du courage pour ne pas me jeter dessus et priver Sa Majesté du bonheur de les déguster tant l’odeur me fait saliver quand je sors le plat du four, mais je me contente de répandre quelques dernières gouttes de jus de citron et de la meilleure des huiles d’olive avant d’apporter cette merveille sur votre table, car je sais que le privilège de servir Sa Majesté est un bonheur encore plus grand !


imam bayidli
Imam bayidli


- Il n’empêche que je suis las, et que si tu ne revisites pas ta recette, tu risques de te retrouver eunuque de troisième classe et de te consacrer à présenter des plateaux de loukoums à ces dames du harem, et, crois-moi, elles ne sont pas commodes…
- Très haut, très excellent, très puissant, très magnanime et invincible prince le grand empereur des musulmans, sultan vénéré, en qui tout honneur et vertu abonde, je n’ai point d’autre souhait que de satisfaire Sa Majesté, mais comment avoir l’outrecuidance de modifier une recette ma sha Allah…
- Je l’admets volontiers, ta recette est bonne, et, vu sa source, il ne pouvait en être autrement. Mais, pour tout dire, quand je la mange je ne puis m’empêcher de penser qu’il manque quelque chose pour que mon plaisir soit complet. Je ne suis pas un de ces imams qui vivent d’amour d’Allah et d’eau fraîche. Il m’en faut plus pour me pâmer. Il me manque, oui, il me manque de la viande…
- Ô que je suis reconnaissant envers Sa Majesté de m’éclairer la voie à suivre par sa sublime parole. Mais oui, je me suis réveillé trop tôt, Allah n’avait pas fini de me dicter la recette. Je vais courir vers ma cuisine afin de me consacrer à reconstituer avec mes pauvres moyens ce qu’il n’avait pas eu le temps de me transmettre… »

C’est ainsi que le cuisinier du sultan, de retour au milieu de ses casseroles et de ses poêles, se met à cogiter.

Que vais-je donc préparer comme viande ?
Un petit tour au marché. Tiens, il y a des beaux petits filets de canette… Ça devrait faire l’affaire.
Mais quelle sauce pour les accompagner ? Je ne vais tout de même pas les servir dans le simple appareil d’une nudité qu’on vient d’arracher de son gril… Il faut rester dans des tonalités compatible avec ces aubergines « imam bayildi ».
Mon regard tombe sur un pomelo rose qui trône dans la corbeille de fruits. Parfait, cet agrume ! J’en prélève le tiers sous forme de suprêmes que je découpe en dés, et presse le restant pour en tirer le substantifique jus. Je verse le tout dans une poêle, délaye une pincée de fécule, ajoute une cuillerée de balsamique blanc, une cuillerée de sauce Worcestershire, une petite cuillerée de vergeoise brune ainsi que des grains de cardamome verte extraits de leurs capsules. Je place sur le feu et laisse réduire de moitié. J’obtiens une belle sauce sirupeuse et parfumée que je rehausse d’une pincée de piment d’Espelette.
Je pose sur le gril bien chaud les filets de canette et mène la cuisson afin d’obtenir une peau croustillante et conserver un cœur rosé.
Les aubergines ont repassé au four, je les dispose sur l’assiette, place à leur côté les filets tranchés sur une planche après les avoir laissé reposer quelques minutes. J’arrose la viande de la sauce au pomelo. Quelques feuilles de pimprenelle viennent ajouter une touche verte au milieu de ce camaïeu orangé.


imam bayidli, filets de canette, sauce au pomelo
Les parfums de l'Orient



« Je viens proposer ce produit élaboré dans la soumission aux ordres de Sa Majesté à sa bienveillante appréciation. Que Sa Majesté sache que pour la satisfaire je me suis mis en quatre, en huit, en seize, que dis-je en…
- Arrête toi avant d’arriver à la poussière et de risquer d’être victime d’un coup de balai. D’ailleurs il n’y a que le résultat qui compte »
Le sultan s’empare de sa fourchette à deux dents en or massif et de son couteau au manche d’ébène à la lame damassée.
« Voyons voir…
- Je vous souhaite bonne dégustation.
- Ne la trouble pas avec ton verbiage ! »
Le sultan porte une bouchée vers ses lèvres.
« C’est pas vrai, je viens de faire une tache de sauce sur mon calfan ! »
Le cuisinier n’en mène pas large. Mais le sourire renaît sur la face du sultan.
« Toutefois ce n’est pas grave, ce qui me chagrine, c’est que cette sauce soit sur mon linge plutôt que sur mes papilles… »
Le cuisinier reprend espoir.
« Bravo ! Tu as satisfait à mon désir. Tu deviendras eunuque de première classe et tu serviras des baklavas à ma favorite. Ainsi tu connaîtras régulièrement du changement.
- Mais, mais…
- Pfft, arrête donc d’oviniser Après tout ce sont Allah et moi qui t’avons dicté les recettes. Et puis on m’a dit grand bien d’un chef parisien, je veux l’embaucher afin de découvrir de nouvelles saveurs. Ras le çanak de la cuisine locale !!! »
Deux janissaires emmenèrent de force le pauvre cuisinier qui hurlait son désespoir et sa colère.
« Et pourtant elle n’a pas tourné, ma sauce ! Je ne veux pas être coupé ! »
Le sultan finit son assiette et sauça même avec un morceau de pain pide.
« Et maintenant, que l’on me serve mon kahvesi. Et fissa ! », s’exclama-t-il après un magnifique rot de satisfaction.

Et c’est ainsi qu’Allah est grand, pour reprendre la conclusion des chroniques d’Alexandre Vialatte…

mercredi 9 octobre 2019

D’une étonnante similitude de comportement entre palaemon serratus et zea mays everta

Quelques jours après avoir pu me procurer les remarquables gambas vivantes des marais charentais, plus exactement des crevettes impériales, j’ai découvert sur l’étal d’un poissonnier de mon proche marché de Touraine une cagette où frétillaient de belles crevettes bouquets encore pleines d’énergie. Il ne m’est pas souvent permis de rencontrer de tels produits, aussi je n’ai pas hésité à m’en procurer une grosse poignée, salivant d’avance à l’idée de m’en régaler.
De retour à la maison après les avoir transportées dans un pochon de plastique percé de quelques trous afin d’éviter l’asphyxie, je les ai transférées dans une boîte de fortune, récipient de yaourt de brebis mis à la retraite, privé provisoirement de son couvercle remplacé par un film transparent piqué par les dents d’une fourchette.



bouquets vivants
C'est le bouquet !



Quelques heures plus tard, j’ai sorti cet asile temporaire du réfrigérateur.
Le froid a un peu endormi les bêtes, mais la chaleur de la cuisine ne tarde pas à les réanimer, aussi je me dépêche de les jeter dans le sautoir où une petite noix de beurre demi-sel commence à devenir noisette.
Mais aussitôt il me faut coiffer le sautoir de son couvercle, car les crevettes sautent façon pop-corn en présence de la chaleur, beaucoup moins stoïques devant cette contrariété que le fakir moyen.


..encore que


Quelques secondes plus tard cette manifestation est réprimée, les bouquets commencent à passer au rouge, j’enlève le bouclier protecteur. Désormais c’est à moi de m’agiter le sautoir à bout de bras afin que la coloration soit uniforme. En moins de deux minutes je peux retirer du feu et verser les bouquets dans un plat.


crevettes bouquets
Bouquets pas fanés


Tout est déjà prêt pour un apéritif gourmand : l’anisette est versée dans les verres et des olives lucques attendent de se faire mordre.


lucques, crevettes
C'est l'heure de l'apéro


Ce fut bien bon, cette pause. Mais il me reste à poser dans la poêle les deux rougets que j’avais préparés auparavant : écaillés, vidés en conservant les foies que je déposerai à côté des poissons en fin de cuisson. Je les avais repérés, bien roides et l’œil encore vif, non loin des bouquets vivants.
Les rougets assaisonnés de fleur de sel sont saisis dans un mélange d’huile d’olive et de beurre durant quelques secondes sur chaque face au milieu d’herbes aromatiques que je viens de cueillir dans la cour. Puis j’enfourne six ou sept minutes à 160 °C. Un tour de moulin de poivre rouge (ça tombe bien… !) et je dépose les rougets sur les assiettes avec à côté leurs foies, les arrose du jus baignant le fond de la poêle.


rouget barbet
Rougets (de l'île ? )


À côté, rafraîchissante, une salade de tomates – toujours de notre dernière récolte…
Finalement, je n’ai pas à rougir de ce repas en déclinaison érubescente…