samedi 12 octobre 2019

Conte de la mille et deuxième nuit

Le sultan avait convoqué son cuisinier.
« Sache que je suis las de ta façon de préparer les aubergines.
- Sa Majesté est bien sévère envers moi, j’ai vu un imam se pâmer de plaisir en les dégustant. Oserai-je rappeler que cette recette m'a été dictée par Allah durant mon sommeil. À mon réveil je savais enfin comment préparer les aubergines les meilleures du monde. Je fris les aubergines fendues en deux et scarifiées dans de l’huile d’olive. J’émonde et épépine de bonnes tomates charnues et les fais compoter en les parfumant de thym, d’origan, de romarin, d’ail, de poivre à queue, de clou de girofle, de cannelle et d’un trait de vinaigre balsamique. Je sale et rehausse de quelques gouttes de Tabasco. Puis je mets à fondre dans de l’huile d’olive les pétales obtenus en partageant un gros oignon blanc, les parsemant de fleur de sel et les colorant d’une pincée de curcuma. Je recouvre les aubergines étendues au fond d’un plat d’une couche de tomate suivie d’une couche d’oignon. J’arrose du jus d’un demi-citron et d’un trait d’huile d’olive et j’enfourne pour une trentaine de minutes à 170 °C. Il me faut bien du courage pour ne pas me jeter dessus et priver Sa Majesté du bonheur de les déguster tant l’odeur me fait saliver quand je sors le plat du four, mais je me contente de répandre quelques dernières gouttes de jus de citron et de la meilleure des huiles d’olive avant d’apporter cette merveille sur votre table, car je sais que le privilège de servir Sa Majesté est un bonheur encore plus grand !


imam bayidli
Imam bayidli


- Il n’empêche que je suis las, et que si tu ne revisites pas ta recette, tu risques de te retrouver eunuque de troisième classe et de te consacrer à présenter des plateaux de loukoums à ces dames du harem, et, crois-moi, elles ne sont pas commodes…
- Très haut, très excellent, très puissant, très magnanime et invincible prince le grand empereur des musulmans, sultan vénéré, en qui tout honneur et vertu abonde, je n’ai point d’autre souhait que de satisfaire Sa Majesté, mais comment avoir l’outrecuidance de modifier une recette ma sha Allah…
- Je l’admets volontiers, ta recette est bonne, et, vu sa source, il ne pouvait en être autrement. Mais, pour tout dire, quand je la mange je ne puis m’empêcher de penser qu’il manque quelque chose pour que mon plaisir soit complet. Je ne suis pas un de ces imams qui vivent d’amour d’Allah et d’eau fraîche. Il m’en faut plus pour me pâmer. Il me manque, oui, il me manque de la viande…
- Ô que je suis reconnaissant envers Sa Majesté de m’éclairer la voie à suivre par sa sublime parole. Mais oui, je me suis réveillé trop tôt, Allah n’avait pas fini de me dicter la recette. Je vais courir vers ma cuisine afin de me consacrer à reconstituer avec mes pauvres moyens ce qu’il n’avait pas eu le temps de me transmettre… »

C’est ainsi que le cuisinier du sultan, de retour au milieu de ses casseroles et de ses poêles, se met à cogiter.

Que vais-je donc préparer comme viande ?
Un petit tour au marché. Tiens, il y a des beaux petits filets de canette… Ça devrait faire l’affaire.
Mais quelle sauce pour les accompagner ? Je ne vais tout de même pas les servir dans le simple appareil d’une nudité qu’on vient d’arracher de son gril… Il faut rester dans des tonalités compatible avec ces aubergines « imam bayildi ».
Mon regard tombe sur un pomelo rose qui trône dans la corbeille de fruits. Parfait, cet agrume ! J’en prélève le tiers sous forme de suprêmes que je découpe en dés, et presse le restant pour en tirer le substantifique jus. Je verse le tout dans une poêle, délaye une pincée de fécule, ajoute une cuillerée de balsamique blanc, une cuillerée de sauce Worcestershire, une petite cuillerée de vergeoise brune ainsi que des grains de cardamome verte extraits de leurs capsules. Je place sur le feu et laisse réduire de moitié. J’obtiens une belle sauce sirupeuse et parfumée que je rehausse d’une pincée de piment d’Espelette.
Je pose sur le gril bien chaud les filets de canette et mène la cuisson afin d’obtenir une peau croustillante et conserver un cœur rosé.
Les aubergines ont repassé au four, je les dispose sur l’assiette, place à leur côté les filets tranchés sur une planche après les avoir laissé reposer quelques minutes. J’arrose la viande de la sauce au pomelo. Quelques feuilles de pimprenelle viennent ajouter une touche verte au milieu de ce camaïeu orangé.


imam bayidli, filets de canette, sauce au pomelo
Les parfums de l'Orient



« Je viens proposer ce produit élaboré dans la soumission aux ordres de Sa Majesté à sa bienveillante appréciation. Que Sa Majesté sache que pour la satisfaire je me suis mis en quatre, en huit, en seize, que dis-je en…
- Arrête toi avant d’arriver à la poussière et de risquer d’être victime d’un coup de balai. D’ailleurs il n’y a que le résultat qui compte »
Le sultan s’empare de sa fourchette à deux dents en or massif et de son couteau au manche d’ébène à la lame damassée.
« Voyons voir…
- Je vous souhaite bonne dégustation.
- Ne la trouble pas avec ton verbiage ! »
Le sultan porte une bouchée vers ses lèvres.
« C’est pas vrai, je viens de faire une tache de sauce sur mon calfan ! »
Le cuisinier n’en mène pas large. Mais le sourire renaît sur la face du sultan.
« Toutefois ce n’est pas grave, ce qui me chagrine, c’est que cette sauce soit sur mon linge plutôt que sur mes papilles… »
Le cuisinier reprend espoir.
« Bravo ! Tu as satisfait à mon désir. Tu deviendras eunuque de première classe et tu serviras des baklavas à ma favorite. Ainsi tu connaîtras régulièrement du changement.
- Mais, mais…
- Pfft, arrête donc d’oviniser Après tout ce sont Allah et moi qui t’avons dicté les recettes. Et puis on m’a dit grand bien d’un chef parisien, je veux l’embaucher afin de découvrir de nouvelles saveurs. Ras le çanak de la cuisine locale !!! »
Deux janissaires emmenèrent de force le pauvre cuisinier qui hurlait son désespoir et sa colère.
« Et pourtant elle n’a pas tourné, ma sauce ! Je ne veux pas être coupé ! »
Le sultan finit son assiette et sauça même avec un morceau de pain pide.
« Et maintenant, que l’on me serve mon kahvesi. Et fissa ! », s’exclama-t-il après un magnifique rot de satisfaction.

Et c’est ainsi qu’Allah est grand, pour reprendre la conclusion des chroniques d’Alexandre Vialatte…

mercredi 9 octobre 2019

D’une étonnante similitude de comportement entre palaemon serratus et zea mays everta

Quelques jours après avoir pu me procurer les remarquables gambas vivantes des marais charentais, plus exactement des crevettes impériales, j’ai découvert sur l’étal d’un poissonnier de mon proche marché de Touraine une cagette où frétillaient de belles crevettes bouquets encore pleines d’énergie. Il ne m’est pas souvent permis de rencontrer de tels produits, aussi je n’ai pas hésité à m’en procurer une grosse poignée, salivant d’avance à l’idée de m’en régaler.
De retour à la maison après les avoir transportées dans un pochon de plastique percé de quelques trous afin d’éviter l’asphyxie, je les ai transférées dans une boîte de fortune, récipient de yaourt de brebis mis à la retraite, privé provisoirement de son couvercle remplacé par un film transparent piqué par les dents d’une fourchette.



bouquets vivants
C'est le bouquet !



Quelques heures plus tard, j’ai sorti cet asile temporaire du réfrigérateur.
Le froid a un peu endormi les bêtes, mais la chaleur de la cuisine ne tarde pas à les réanimer, aussi je me dépêche de les jeter dans le sautoir où une petite noix de beurre demi-sel commence à devenir noisette.
Mais aussitôt il me faut coiffer le sautoir de son couvercle, car les crevettes sautent façon pop-corn en présence de la chaleur, beaucoup moins stoïques devant cette contrariété que le fakir moyen.


..encore que


Quelques secondes plus tard cette manifestation est réprimée, les bouquets commencent à passer au rouge, j’enlève le bouclier protecteur. Désormais c’est à moi de m’agiter le sautoir à bout de bras afin que la coloration soit uniforme. En moins de deux minutes je peux retirer du feu et verser les bouquets dans un plat.


crevettes bouquets
Bouquets pas fanés


Tout est déjà prêt pour un apéritif gourmand : l’anisette est versée dans les verres et des olives lucques attendent de se faire mordre.


lucques, crevettes
C'est l'heure de l'apéro


Ce fut bien bon, cette pause. Mais il me reste à poser dans la poêle les deux rougets que j’avais préparés auparavant : écaillés, vidés en conservant les foies que je déposerai à côté des poissons en fin de cuisson. Je les avais repérés, bien roides et l’œil encore vif, non loin des bouquets vivants.
Les rougets assaisonnés de fleur de sel sont saisis dans un mélange d’huile d’olive et de beurre durant quelques secondes sur chaque face au milieu d’herbes aromatiques que je viens de cueillir dans la cour. Puis j’enfourne six ou sept minutes à 160 °C. Un tour de moulin de poivre rouge (ça tombe bien… !) et je dépose les rougets sur les assiettes avec à côté leurs foies, les arrose du jus baignant le fond de la poêle.


rouget barbet
Rougets (de l'île ? )


À côté, rafraîchissante, une salade de tomates – toujours de notre dernière récolte…
Finalement, je n’ai pas à rougir de ce repas en déclinaison érubescente…

samedi 5 octobre 2019

Entre entrecôtes

Parcourant mon marché poitevin, je m’aperçois que mon farci poitevin préféré trône - une fois n’est pas coutume- sur l’étal de ma marchande détestée, celle qui en l’absence de ce produit se justifie en affirmant que c’est trop fatigant à faire, et quand il y en a, le vend à un prix supérieur à celui de l’étiquetage qu’elle modifie illico presto quand elle nous voit faire demi-tour pour demander des explications – « Oui, je m’étais trompée dans l’affichage… ». Heureusement son mari (le pôvre !) est là lui aussi aujourd’hui, et tous deux sont en train de servir des clients. Je prie le ciel que ce soit le mari qui en finisse le premier.
Alléluia, je suis exaucé, il ferme son tiroir-caisse et se tourne vers moi. Je puis partir sans être escroqué avec dans mon caddie une belle tranche de farci bien dosé sans excès en lard gras dont nous nous délecterons ce soir, masse d’un vert profond tachetée de blanc et dégageant moult saveurs herbacées, non seulement celle du chou comme c’est hélas presque toujours le cas pour les autres farcis.


Je poursuis vers le coin opposé des petites halles où ma côte de parthenaise préférée trône – comme toujours- l’étal de mon boucher préféré, celui qui me pare avec maestria son excellente viande. Hélas celui de ses garçons bouchers par lequel je déteste être servi officie à ses côtés… Je prie le ciel que ce soit le patron qui en finisse le premier.
Enfer et damnation, le pithécanthrope sournois se tourne vers moi. Je viens de constater que, contrairement à ce qu’affirmait Einstein, Dieu joue à pile ou face… Je tâte le terrain par une requête simplissime : un morceau de saucisson à l’ail maison – celui dont nous régalons car il en émane un bon parfum d’ail frais. C’était déjà trop demander, bien entendu il tente de me refiler un vieux rogaton qui traîne dans un coin, poursuit le massacre en entaillant prématurément la belle pièce neuve que je viens d’exiger avant que je puisse lui indiquer la longueur souhaitée. Ça commence bien ! Bêtement, je poursuis avec ce malfaisant, il faut dire que mon envie carnivore est la plus forte et peut être que la présence rassurante du farci parmi mes courses m’entraînent vers une indulgence coupable, toujours est-il que je m’entends lui réclamer une entrecôte, alors qu’un stupide « C’est pour combien de personnes ? » alors que je refusais le lamentable débris prédécoupé qu’il me proposait m’avait incité naguère à m’éloigner le cabas vide.
Ne voilà-t-il pas que le même scénario se reproduit ! Ai-je vieilli ? Cette fois-ci je ne tourne pas le dos, j’insiste. D’un air excédé, il sort une pièce de viande, et avant que je puisse réagir, me tranche d’un geste plus prompt qu’habile, une fine tranche qu’il étend sur un papier pour me la brandir sous le nez. Et c’est une tranche de faux-filet ! Pour tout dire, je ne suis pas porté vers le faux-filet. Ni d’ailleurs le faux en général. Qui ne préfère l’ami au faux-ami, le jeton au faux-jeton ou même le cul au faux-cul ? Il commence à m’énerver, le bougre. « Je ne veux pas un faux- filet, je veux une entrecôte ! Je hais le faux-filet, je le hais presque autant que les départementales, je veux une entrecôte, UNE ENTRECÔTE !!! ». Je montre du doigt le magnifique train de côtes à la chair cramoisie et à la graisse d’un blanc immaculé. « Ah, non, ça, c’est pour les côtes de bœuf ! » s’indigne le louche louchébem. Et, d’un air résigné, il entame l’autre face de sa bidoche, non sans m’avoir prudemment demandé l’épaisseur que je souhaitais – on en fera peut-être un garçon boucher convenable si les petits cochons ne le mangent pas, et me présente une pièce qui ressemble vaguement à une entrecôte, en plus moche. J’en ai marre, je capitule, je m’éloigne avec dans mon caddie une viande dont j’ai la crainte de ne pas me délecter le jour prochain où je la mettrai sur le gril.


Le surlendemain, il se trouve que faisant une visite au supermarché de la petite ville voisine pour un réapprovisionnement en produits de première nécessité, je n’ai pu m’empêcher de jeter un œil sur le rayon boucherie. Vision étonnante (enfin pas tant que ça, car au gré des périodes et du turn-over du personnel on alterne le pire et le meilleur), un beau train d’entrecôte, dont un panneau m’indique qu’il provient d’une bête de race limousine élevée par un agriculteur de la Vienne dont la ferme n’est pas loin de ma villégiature. Aussitôt me passe par la tête une envie de comparatif. Cette fois-ci, ce n’est pas le collectionneur compulsif de chihuahuas nourris aux croquettes dont j’ai conservé un souvenir marquant qui assure la découpe, mais un jeunot sans doute tout frais émoulu de sa formation, dont le profil émacié pour ne pas dire anémié ne laissait en rien deviner sa profession. Rien de la caricature couperosée qui opérait au marché. Cependant il me tranche et pare l’épaisseur demandée avec aisance, et je m’éloigne tout content avec mon entrecôte, disposant désormais des éléments pour effectuer un comparatif dont je souhaite secrètement qu’il tournera en défaveur de la fausse-entrecôte.


COMPARATIF


La parthenaise

La viande apparaît sombre, presque noire par endroits, à la sortie du réfrigérateur après trois jours de stockage. Normal, elle s’est desséchée, car elle a été emballée dans un papier trop étroit – un méfait de plus. Elle n’en a pas pour autant abandonné sa bonne odeur…

PARTHENAISE






La viande est savoureuse et tendre, juteuse, avec cependant de la mâche. Elle offre relativement peu de graisse, mais beaucoup de déchets.




La limousine

La viande est bien rouge après deux jours de stockage. Quant à elle, elle se trouvait dans un sachet scellé…

LIMOUSINE
 

,


La viande est savoureuse et tendre, mais d’une texture très différente de celle de la parthenaise, plutôt fibreuse, se rapprochant de celle d’un onglet. Il y a une bonne quantité de graisse fondante et goûteuse. La quantité de déchets est assez faible.





Résultats :
Gustativement, les deux pièces offrent une satisfaction équivalente, bien qu’avec un caractère nettement différent. On peut simplement regretter pour la parthenaise une découpe mal située, qui nous a privés d’un nec plus ultra.

vendredi 4 octobre 2019

Aujourd'hui, c'est pas pal

Suite à quelques publications malencontreuses


poulet sur le pal
gambas sur les pals
 

risquant de me donner l’image d’un grand empaleur devant l’Éternel, mon conseiller de com m’a invité à une action propre à estomper ce visage pal. Aussi, peau rouge de honte, je fais acte de repentance.
Mes gambas vivantes ont en conséquence échappé à l’introduction intempestive d’un corps étranger, quitte à les priver de la fière rectitude qui leur conférait une allure quasi hiératique dans l’assiette. Cette fois-ci je me suis contenté de les balancer directement sans autre forme de procès -et encore moins de supplice- dans un bain de beurre demi-sel mousseux en compagnie de quelques tomates cerises. Elles ont pu s’y ébrouer quelques secondes à leur aise avant leur dernier sommeil.
Une fraîche persillade est venue les parsemer. J'ai même eu la délicatesse de disposer quelques fleurs…


gambas vivantes
Gambas locavores


C’est mon chargé de com qui va être content !

mercredi 2 octobre 2019

Comment faire bonne chair sans vraiment se fatiguer

J’ai aperçu sur l’étal du boucher charcutier un bac empli de chair hachée sur laquelle était fichée une étiquette : « FARCE PORC ET VEAU ». Comme j’avais ajouté dans mes bagages la dernière récolte de tomates du jardin, comme je regrette souvent de ne pas disposer de veau haché, comme je revendique le droit à la paresse - surtout quand je suis en villégiature-, je me suis empressé d’acheter une livre de cette bienvenue préparation afin de farcir les plus gros exemplaires de cœurs de bœuf.
Le maître des lieux m’a confirmé que cette chair était déjà bien assaisonnée par ses soins. Ses charcuteries et plats maison sont toujours de haut goût - ce qui n’est pas hélas toujours le cas chez tous les artisans en ces terres où les habitants me semblent avoir la papille frileuse-, aussi je lui ai fait confiance et me suis contenté de creuser les tomates et y insérer la farce telle quelle.
J’ai posé ces tomates farcies sur un lit d’herbes aromatiques cueillies dans la cour recouvert de l’abondante chair provenant des cavités, et zou, cinq gousses d’ail fraîchement récolté, une bonne pincée de sel et quelques grains de poivre ainsi qu’un clou de girofle. Je savais que beaucoup de jus en sortira, mais tant mieux, nous, on aime !
Quarante-cinq minutes au four à 180 °C, et c’était prêt.


tomates farcies
Coeurs de boeuf, chair de porc et de veau


Il ne restait plus qu’à poser les tomates sur les assiettes arrosées de quelques cuillerées de jus et tomate compotée prélevées au fond du plat.

tomates farcies
La possibilité d'une île


Pour ma part je me suis régalé. Il paraît que mes farces sont encore meilleures.
Possible, mais celle-ci m’ajoute certes le goût de la facilité mais surtout celui de la découverte. Et pas de repentirs sur ce que je n’ai pas mis ou ce que je n’aurais pas dû mettre…

mardi 1 octobre 2019

Bernache, bernique !

Je viens d’arriver sur mes terres poitevines…
Je pensais y effectuer une cure uvale. Aussi, la voiture à peine déchargée, j’ai repris le volant pour me rendre chez le caviste de la petite ville voisine afin de me procurer la bernache propre à accompagner les rillons et les rillettes de mon petit boucher charcutier favori. Mais le repas traditionnel simple mais festif saluant mon retour automnal en terre ancestrale a dû se passer du breuvage tant attendu. La bernache nouvelle n’est pas arrivée, quant à elle ! On l’attend pour les prochains jours.
J’ai dû me résoudre – sans trop de tristesse néanmoins- à déboucher une dive bouteille de chinon, qui a effectué le miracle de me faire oublier l’absente bernache.


Le surlendemain, autre déception en parcourant mon petit marché tourangeau : c’est la période des naissances ovines, et point de ces tomes goûteuses de brebis ni de ces yaourts crémeux, le berger a d’autres occupations. Un petit panneau indique que tout reprendra son cours en décembre. Mais alors c’est moi qui ne serai plus là…

Une bonne surprise cependant : un marchand de fruits de mer, dont le déclin attristant de la qualité de son offre m’avait fait abandonner une fréquentation quasi hebdomadaire pendant mes villégiatures, semble avoir repris du poil de la bête (si tant est que les huîtres aient des poils) comme en témoignent à la fois la vue de son étal et la renaissance de ces files d’attente de clients qui m’agaçaient et me rassuraient tout à la fois. Il faut encourager la bonne volonté, alors je me suis senti obligé de me lancer dans l’achat non prévu d’un petit plateau de fruits de mer.
Le soir, je me suis donc attelé à l’ouverture des huîtres, une douzaine de fines de claire et une demi-douzaine de spéciales. En les disposant sur le plat en compagnie des palourdes, des crevettes grises et bouquets d’Oléron, je ne peux m’empêcher de songer au plateau de fruits de mer servi il y a quelques jours par ma fille en entrée du repas qu’elle nous avait préparé.


plateau de fruits de mer
Amateur



plateau de fruits de mer
Pro



Je glisse sur la même pente comparative à propos du plat servi ensuite, un poulet rôti au couscous parfumé sur son lit de patates douces à la façon de Jamie Oliver.
(Un poulet farci de graines de couscous brassées avec dattes, abricots, figues, raisins, pignons de pin, amandes, menthe et persil plat grossièrement hachés, le zeste et le jus d’1 orange et d’1 citron, 2 cuillerées d’huile d’olive et imbibées par 1 verre d’eau tiède, puis badigeonné d’huile d’olive et enrobé d’épices écrasées au mortier avec du gros sel (graines de fenouil, graines de coriandre, graines de cumin, graines de cardamome, cannelle, grains de poivre noir), enfin posé sur un mélange de pommes de terre et de patates douces pour être enfourné 30 minutes à 190 °C et ensuite 1 heure à 170 °C.)



Poulet Jamie Oliver
Amatrice

Poulet Jamie Oliver
Pro



 
Ben, là, la différence n’est pas flagrante…

Quant au Tourment d’Amour qui était ma contribution à ce repas, il est difficile de trouver une référence vraiment pro, car il s’agit d’un dessert ménager, même s’il est proposé par certaines boutiques.


tourment d'amour
Amateur


tourments d'amour
Pro


 
La recette en est simple. Il s’agit d’un fond de pâte brisée recouvert d’une couche de confiture de noix de coco, éventuellement une couche supplémentaire de confiture de fruit – en général de goyave- pour finir par une pâte à génoise.
Pour ma part, bien que cette pâtisserie soit en général présentée sous forme individuelle, je l’ai réalisée en grand format à partager. Hérésie ? Pas forcément, plutôt un retour vers la genèse si j’en crois cet excellent article fort documenté :
 
 
Je me suis inspiré de la procédure décrite avec dynamisme sur le site Prez K Facile.



N’ayant pas trouvé de confiture de goyave, je l’ai remplacée par de la confiture de banane et agrumes.

tourment d'amour
Tourmenté



Pas mauvais, ce tourment, bien qu’un peu trop sucré à mon goût…
Et pour une fois qu'il y a vraiment de l'amour dans une préparation, même si ce n'est que dans  le nom !

samedi 28 septembre 2019

Au revoir Ma darne

La dérive des métiers de bouche ne cessera de m’étonner. Sur les médias paradent les artisans de l’extrême, allant à la quête du Grall-Double dans les quatre coins de la planète pour trouver l’éleveur psychotique qui fait masser son troupeau par la plus compétente pensionnaire du lupanar local recommandée par la mère maquerelle -ou, mieux encore, testée sans complaisance par l’exigeant paysan en personne personnellement, pour reprendre la formulation dénuée d’ambiguïté du dévoué Catarella s’adressant au commissaire Montalbano- et qui héberge dans une masure insalubre un violoneux local, voire un joueur de biniou ou un tapeur de bambous -tout dépend du contexte-, lui offrant gîte et couvert en contrepartie de l’exécution de valses tristes, rumbas ou autres mazurkas destinées à ravir les oreilles musiciennes du cheptel qui finiront farcies sur les meilleures tables.
Bref, l’amour et le bonheur doivent être dans le pré avant qu’un grand sacrificateur ne vienne occire la bête une nuit de pleine lune à l’aide d’une lame de silex pendant qu’un chœur de neuf pleureuses recrutées (difficilement) parmi les jeunes vierges présentables des environs psalmodie un chant lancinant pour que l’âme de la victime soit acceptée au Paradis, condition nécessaire pour que l’on soit remercié de son respect par une viande merveilleusement tendre et goûteuse.
Néanmoins je sens que ma vision est dépassée. Je ne doute pas que bientôt un Boucher de l’Espace viendra maturer sa viande sur cette planète Mars si propice à nous conduire vers la perfection.
En ce qui concerne vingt mille lieues sous les mers, les artisans d’élite s’efforcent de nous afficher sur chaque poisson le nom du bateau qui l’a pêché. L’on sait déjà si c’est une ligne qui a été utilisée. Bientôt l’on connaîtra l’appât -bio, bien entendu- qui a attiré funestement la victime. Il existe même Super Poissonnier capable -si l’on ne se trouve pas trop loin de l’océan- de vous tuer l’animal à quelques centimètres du plan de cuisson. Une saveur exceptionnelle, vous dis-je !

Mais dans ma vie quotidienne ? La préposée aux côtes de porc effectue un massacre sans tronçonneuse. Le garçon boucher est le baron de la Tranche en Biais, et le nouveau volailler remplaçant le compétant retraité joue et rejoue dans ses découpes le naufrage de la belle poule. Quant au tripier, il est porté disparu, plus personne n’est digne de foie.
La même incompétence (ou manque de motivation ?) se rencontre dans le domaine de la poissonnerie, où qui demande de se faire préparer un poisson s’expose à le voir revenir comme éventré par un morse affamé ayant renoncé à poursuivre devant l’amertume de la peau noire résiduelle.

Je n’ignorais donc pas la méconnaissance du produit devenue monnaie courante, et la technique sommaire dans son traitement. Mais là quand même je suis tombé de haut.
Projetant de concocter une vague ratatouille destinée à profiter des récoltes du jardin (grosse aubergine, courgettes vertes et blanches, poivron jaune, tomates diverses) j’avais envisagé de la servir en accompagnement d’une tranche de saumon simplement grillé. Diététique, ce plat, pas vrai ?
Dialogue client-poissonnier autour de l’étal de l’ex meilleur marchand de produits de la mer sous les halles locales :
« Bonjour. Je souhaiterais acheter du saumon ; je vois qu’il s’agit de Label Rouge d’Écosse, c’est bien, mais je ne vois pas la découpe que je souhaite..
- Kekcé que vous voulez ?
- Ben, j’aurais préféré une darne.
- Une quoi ?
- Une darne.
- Kekçékça !!!!! »
Et c’est ainsi que la paresse de consommateurs arêtophobes qui nous orientent progressivement vers une nourriture prémâchée et la rapacité de commerçants rechignant à embaucher du plus coûteux personnel compétant convergent pour me confronter à des pavés de saumon.
On se demandera pourquoi je préfère la darne. Eh bien, pour deux raisons. La première est qu’une cuisson sur l’arête est toujours plus savoureuse. La seconde est que l’épaisseur de la darne est constante, donc facile à gérer pour une dégustation optimale. Or ce que le poissonnier appelle pavé n’a rien d’un parallélépipède…





Oui, je sais, la cuisson à l’unilatérale… Sauf que la forme en sifflet entraîne le choix entre deux aboutissements :
1 - du bien cuit et du presque cuit avec un cœur quasiment cru
2 – du trop cuit et du bien cuit avec un cœur rosé
N’ayant aucun goût pour le poisson cotonneux, j’ai choisi la première solution, m’attirant les foudres de mon épouse qui n’aime le poisson cru que sous forme de sashimi. J’aurais dû personnaliser mes cuissons…
Elle s’est consolée avec la ratatouille à laquelle j’avais conféré une touche d’acidité avec une touche de citron vert et un peu de mâche avec quelques tomates cerises ajoutées au dernier moment.


pavé de saumon, ratatouille
Pas darne, pas darne...