mercredi 20 mars 2019

De l’influence de Nicéphore Niépce sur la cuisson des asperges.

Elles sont là, arrivées des Landes dans la matinée… De belles asperges vertes !
Je les écussonne, je les érige dans leur cage de cuisson.

asperges vertes, Landes
L'Adour en cage


Dans un bahut je porte à ébullition de l’eau dans laquelle j’ai jeté une poignée de gros sel et y plonge la prison d’inox enfermant ses captives pour quatre minutes, non pas montre en main (elle a autre chose à faire) mais minuteur sur frigo.
L’autre chose, c’est de photographier les fières têtes vertes droites dans leur botte (oui, je sais, l’image est hardie…) émergeant d’une mer tempétueuse.
Je me lance dans cette tâche, cherchant un angle de vue suffisamment expressif tout en évitant les vilains reflets et surtout les agressions de vapeur sur un Canon qui n’apprécie pas vraiment les champs de bataille où je l’emmène en première ligne.

asperges vertes
Quand ma cuisine fait des vagues


Or donc mon Canon mitraille, quand, soudain, achtung :
Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip, Bip…

Je cours déposer l’appareil photo en endroit sûr, j’appuie sur le bouton qui cloue le bec à l’alerteur de service, j’éteins la flamme sous le bahut, je m’empare d’une araignée qui me permet d’extraire les virides turions et les coucher au fond d’un plat qui se révèle de dimension miraculeusement adaptée.

asperges vertes
Les treize turions


Las ! Mes asperges ne sont pas aussi al dente que je l’aurais souhaité.
Tout ça à cause du temps perdu à évacuer le Canon en zone neutre.
Ah, si Nicéphore n’avait pas commencé…

table servie
La table servie (1829)


Bon, certes la texture n‘est pas optimale, mais la saveur y est, avec en plus l’accompagnement d’une bonne vinaigrette. Sa recette ? Eh bien une cuillerée de balsamique blanc dans laquelle j’ai fait fondre une pincée de sel fin avec quatre cuillerées d’une huile grecque de Kalamata, particulièrement fruitée.



Bref, un bon repas avec à côté des asperges sur la table quelques tranches de mortadelle pistachée achetées chez le traiteur italien des halles locales.

mortadelle, caprons
Elle est mortadelle

Et des caprons.

lundi 18 mars 2019

Charbonniers délocalisés

Les spaghetti alla carbonara étaient réalisés dans le respect de la recette traditionnelle.
Mais si les pâtes, des spaghetti alla chitarra, venaient d’Italie, il n’en était pas de même pour les autres ingrédients.
Si les lardons étaient bien taillés dans de la joue de cochon, il ne s’agissait pas de la guanciale transalpine, mais d’une sœur d’origine corse, la vuletta : joue de porc noir nourri de glands et de châtaignes salée, séchée, et affinée 18 mois. Autant dire que les arômes qui s’en dégageaient étaient somptueux…

vuletta
Joue


S’il y avait bien un bout de parmesan parmi ceux que j’ai râpés, les autres morceaux étaient découpés non dans du pecorino, mais dans mon reste de tomme de chèvre basque : j’avais échangé les brebis toscanes contre les biquettes pyrénéennes…
Les œufs, bios bien sûr, provenaient tout bêtement d’un élevage yvelinois. Ils firent leur possible pour se montrer à la hauteur de la tâche de reconstitution folkloculinaire qui leur était assignée en compagnie des autres ingrédients. Unis aux fromages sous la forme de trois œufs entiers et un jaune battus avec énergie, ils ont fourni une crème mousseuse que j’ai relevée de vigoureux tours de moulin de poivre noir - noir comme du charbon…

sauce , spaghetti carbonara
Jaune et noir



Dans le saladier, les spaghetti cuits al dente, les lardons découpés dans la vuletta arrosés de l’abondante graisse parfumée dégagée lors de leur passage dans une poêle brûlante, et enfin la mixture crémeuse.
Un bon brassage avec l’ajout d’une petite louchée d’eau de cuisson des pâtes, et il ne reste plus qu’à plonger la cuillère à spaghetti dévolue au transfert dans les assiettes.

spaghetti alla carbonara, vuletta, guanciale
Spaghetti alla carbonara délocalisés



Eh bien, oserai-je le dire, la vuletta est si puissante en goût que j’ai finalement eu la main trop lourde dans sa proportion.
Ah, ces Corses, il faut toujours s’en méfier…

vendredi 15 mars 2019

Lançons les pavés

Les poireaux déterrés du jardin dans la matinée ont été glacés, recouverts d’eau à hauteur au fond d’une poêle avec une pincée de sucre, une pincée de sel, une noix de beurre.
Un condiment aigre-doux a été préparé : 5 cuillerées de mélasse de grenade, 1 cuillerée de vinaigre balsamique traditionnel de Modène.


Il n’y a plus qu’à lancer les pavés.
Ce sont deux beaux morceaux de saumon écossais label rouge d’Écosse…
Cuisson à l’unilatérale côté peau sur un dé d’huile d’olive avec à la fin un coiffage de deux minutes de la poêle par un couvercle, puis un bref retournement d’une minute. Au dressage, une légère pluie de poudre de piment d'Espelette.

Les deux assiettes sont d’une simplicité biblique, mais se révèlent cependant fort gourmandes.


pavé de saumon, mélasse de genade, poireaux glacés
Le pavé et la grenade

jeudi 14 mars 2019

Climat au logis

Rien ne va plus.

Sur mon plateau de vendredi, j’ai repéré une huître qui avait pris la forme d’un boomerang.

huitres, boomerang
Le jour de l'ouverture


Interrogé sur sa motivation, le bivalve contrefait m’a répondu en bâillant que c’était une mesure de précaution. Ainsi, si l’on voulait le rejeter dans l’océan, il reviendrait à l’envoyeur - « Je n’ai aucune envie de replonger dans cette flotte polluée ! ». Je lui fis remarquer que son hypothèse me semblait fort peu probable, et que terminer arrosé de vinaigre à l’échalote ne valait pas mieux. Il n’a pas voulu en démordre. Il est vrai qu’avec un QI d’huître, on ne peut que s’ancrer dans les divagations. D’autant plus que cette huître n’était ni fine, ni claire. Un peu spéciale, seulement…


Rien ne va plus.

Pauvre planète avec son réchauffement climatique…
Il n’en est pour preuve que l’émigration de kangourous depuis une Australie de plus en plus aride vers notre beau pays encore préservé - mais pour combien de temps encore…?
Avec l’un d’eux, j’ai pu sauter un repas. Pourtant, ne pas me laisser m’asseoir devant une table abondamment garnie, ce n’était pas dans la poche.


saucisson de kangourou
Fier de sa race



Rien ne va plus.

Je suis de moins en moins climatosceptique.
En effet j’ai découvert un chou vert qui s’était caché sous une cape cramoisie, vraisemblablement pour se préserver des ardeurs excessives d’un soleil qui ne s’empêtre plus dans une couche d’ozone bien déchirée par nos soins.

chou vert et rouge
Bon chou Monsieur


Rectificatif :
Je me suis laissé entraîner vers des divagations pseudo-écologiques. Pour ce rouge, ne rendons pas à Hélios ce qui n’est pas à Hélios, et je n’ai pas l’intention de payer un premier accroc supposé à notre stratosphère : quand je l’ai déshabillé, Mr Chou m’a avoué que c’est par pure coquetterie qu’il avait revêtu cette tenue fort seyante, ce dont je lui en donne acte, et quand je fais la bombe, elle est rarement aérosol.

Ce qui ne m’empêchera pas toutefois de faire mon chou gras de ce légume après en avoir poursuivi l’effeuillage.

Embeurrée de chou mutant à ma façon :
Je fais fondre dans un gros morceau de beurre demi-sel un oignon paille haché en compagnie de lardons découpés dans un morceau de lard paysan du Haut-Rhin (vive cette synergie vendéo-alsacienne !). Je recouvre des feuilles du chou débarrassées de leurs plus grosses côtes et blanchies dans l’eau bouillante salée. Je termine par une feuille de laurier, une branche de thym, deux gousses d’ail et une bonne noix de beurre doux. Je coiffe d’un couvercle et laisse à feu doux une vingtaine de minutes. Je réserve sous vide.
Le surlendemain seulement, d’autres plats ayant été programmés entre-temps, je déverse l’embeurrée de chou dans une poêle et la réchauffe doucement en la parsemant de quelques noisettes de beurre qui parfumeront le chou de fragrances d’Isigny tout juste fondu, mais me servent aussi d’indicateurs de la température de la surface.
Pendant ce temps, des crépinettes achetées à mon éleveur de porc normand habituel dorent dans une autre poêle. Une fois cuites, je les dépose sur l’embeurrée.

À table !

embeurrée de chou, crépinette
Au bon beurre


Ben, finalement, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes…

mardi 12 mars 2019

Quand un colvert fait le printemps

En effectuant des fouilles parmi les diverses strates de mes réserves, j’ai découvert un cylindre allongé. Curieux ! De quoi sert cette oblongue capsule ? D’écritoire, Monsieur, ou de boîte à ciseaux ?
Eh bien non, cette boîte d’un vert nil foncé était un sarcophage.
Certes moins luxueux que celui-ci :

canard, momie
Canard en or


Mais il contenait aussi un canard, si j’en croyais l’inscription : Colvert entier confit.
Une mise au bain-marie m’a permis d’extraire la bête de sa gangue, une parfumée graisse de porc basque. Dieu merci, point de bandelettes : il m’a suffi d’étendre la relique sur un plat. Et je l’ai enfournée une dizaine de minutes afin de la dorer comme elle le méritait.

colvert entier confit
Canard doré


La sagesse populaire dit que l’hirondelle ne fait pas le printemps. Mais le colvert, si !
Mon canard d’outre-tombe était accompagné des premiers petits pois frais de l’année malheureusement pas du jardin…
Je les ai fait cuire à feu doux entre deux couches de salade dans une grosse noix de beurre fondue avec des tranches de carotte et quelques petits oignons blancs.

petits pois
Ah, les p'tits pois, les p'tits pois….


C’était bien bon, et le fait que le volatile ait été confit facilitait sa dégustation, la chair se détachant de l’ossature.
Quant au plat de légumes, il ne m’aurait certes pas autorisé à arborer le col bleu blanc rouge, mais il était au niveau du colvert.

Oui, les petits pois étaient bien tendres !



vendredi 8 mars 2019

Madame Butternut, tragédie culinaire en deux actes

Personnages :

Madame Butternut
Magret
Le bonze Cho-Ron
Sept gousses d’ail fumé
Un régiment de flageolets
Les Boudins (deux frères blancs)


Acte I

Madame Butternut se prépare à s’unir avec Magret. Elle s’enferme dans sa papillote afin de se faire belle et se parfumer. Ses gousses de compagnie l’aident en l’enduisant de Piqua Gorri et la coiffant de laurier et de thym.
Une heure plus tard, Magret arrive. On entend au loin le chant « Te voici, Magret à dorer… »

magret
Magret en habit de noce

.
Magret répond en écho « J’ai le cœur qui saigne »
Butternut sort de sa papillote. Hélas Magret s’aperçoit que sa belle peau cache un cœur dur comme la pierre. Il ne peut s'unir avec elle. Désespéré, il s’empare d’un couteau japonais et se fait hara-kiri plusieurs fois.

magret
On lui a fendu le cœur...


Butternut devient hystérique. Le bonze Cho-Ron qui devait célébrer l’union est obligé de faire appel à un régiment de flageolets qui étaient en boîte, bien dépités d’en sortir pour une urgence. Magret est accompagné vers sa dernière demeure au son des flageolets.
Cho-Ron est furieux contre Butternut, mais celle-ci le cajole et réussit à lui arracher un pâle sourire. Le premier acte se clôt avec le célèbre air : « Sur pépère calmé ».

Acte II, 24 heures plus tard

Butternut a subi les chaudes remontrances du bonze Cho-Ron. Elle a désormais le cœur tendre.
Le bonze la confie aux deux frères blancs. Butternut vocalise sur le thème « Tiens, voilà du boudin »
Butternut est emmenée dans l’hexagone.

butternut, boudin blanc, sauce Pika Gorri
Paire de frères (blancs)


Elle entame un beau chant triste, « Loin de ma papillote ». Elle gémit qu’on lui a fendu le cœur et s’affale.
Le bonze et les frères blancs se disputent pour savoir qui lui donnera l’extrême-onction. Finalement, un compromis se dessine, le bonze ondoiera Butternut d’une huile d’olive aux senteurs de garrigue et les frères blancs, d’origine basque, l’aspergeront de quelques gouttes de Pika Gorri. Deux airs se succèdent, tout aussi émouvants l’un que l’autre : « Ô extra virgine » et « Mes yeux saignent ».
Madame Butternut s’éteint dans un air final : « Je meurs avec honneur, alors n’en faisons pas tout un plat »

mardi 5 mars 2019

Quelle sole fais-je ?

Quelle sole fais-je ?
Sol fa si la do ré, certes…
Pour les peaux : noire, enlevée, blanche, grattée. Mais ensuite ?

Première solution : lever les filets. Non, le poisson est plus goûteux cuit sur l’arête.
Deuxième solution : ébarber la sole (ou plutôt les soles, car elles sont en duo).
Troisième solution : laisser la bête telle quelle. C’est que je choisis de faire, car j’ai ainsi l’impression de voir arriver la mer dans l’assiette. Et nul besoin d’être formé par une école hôtelière pour dégager les filets et déposer les déchets dans une petite assiette adéquate…

Ce premier point est réglé, les soles sont réservées le temps de réaliser l’accompagnement, des crozets au sarrasin que je plonge dans l’eau bouillante salée où ils vont cuire une quinzaine de minutes en compagnie de quelques baies de maceron  poussé sur le sol de l’île de Ré que j’ai écrasées grossièrement au mortier.
Pendant ce temps, je confectionne la sauce. Je fais simplement fondre une grosse noix de beurre dans laquelle j’incorpore ail et persil hachés avant d’ajouter du corail d’oursin.

J’égoutte les crozets dans une passoire et les verse dans une poêle où mousse une noix de beurre parfumée et colorée de pistils de safran. Je fais suer aussi une échalote découpée en bâtons.
Nouveau dilemme. Quelle sole fais-je ? Meunière, ou simplement cuite dans force beurre demi-sel ? J’opte pour la seconde solution.

Bon, ça y est, la sol la do ré - en deux opérations successives, car la poêle à poisson suffit tout juste à recevoir une seule pièce de ces grosses bêtes… Maintenant il ne reste plus qu’à dresser. Sur des assiettes rectangulaires aussi envahies que la poêle.


sole, crozet
sol do ré


Eh bien, c’est une symphonie de saveurs. Sans fausses notes…